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Emeutiers ou révolutionnaires ?

Discussion dans 'Politique et débats de société' créé par Benjamin Lay, 3 Janvier 2024.

  1. Benjamin Lay
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    Sept 2023
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    Texte paru dans l'Anarchosyndicalisme! numéro 184 qui pose la question de l'image que nous pouvons nous donner dans l'opinion publique d'une part en justifiant la violence des émeutiers et d'autre part en semblant choisir le camp des délinquants contre celui des victimes (réelles ou potentielles) de ces mêmes délinquants... Ou l'art de cultiver notre marginalité et l'hostilité de la grande masse des gens ordinaires à notre encontre, rendant toute perspective révolutionnaire totalement illusoire...

    EMEUTIERS OU REVOLUTIONNAIRES ?

    Lors des émeutes de fin juin – début juillet 2023, en lien avec la mort d’un adolescent de 17 ans tué par balle par un policier, la gauche radicale (dont les anarchistes) a unanimement condamné ce policier et par là-même, par amalgame comme à l’accoutumée suite à ce genre de drames, les policiers dans leur ensemble, tout en approuvant les émeutiers, jusqu’à, pour certains d’entre nous, s’associer à leurs actions.

    En tant qu’anarchiste, cela me pose diverses questions :

    1) Habituellement, dans notre mouvance idéologique, nous dénonçons les jugements hâtifs et sévères contre tous types de délinquants (trafiquants de drogue, agresseurs sexuels, cambrioleurs de gens ordinaires, meurtriers, émeutiers), professés par les politiciens et les médias de droite genre LR, RN, Valeurs actuelles, CNews... Nous dénonçons aussi la propension de ces derniers à faire de la récupération politique de tout acte de délinquance et à commettre des amalgames tendant à faire retomber la faute d’une personne sur sa communauté d’origine. Nous témoignons enfin de compassion et d’empathie pour les délinquants[1] surtout s’ils doivent encourir une sanction pénale notamment carcérale, trouvant excuses et circonstances atténuantes à leurs actes. Pourquoi alors, lorsqu’il s’agit d’un fait de violence commis par un policier, nos principes humanistes s’envolent-ils ? Pourquoi, dans ce cas, notre condamnation devient-elle hâtive, sans pitié et sans appel ? Pourquoi tous les amalgames nous deviennent justifiés : « policierS assassinS» et s’il s’agit d’un policier d’origine européenne et d’une victime d’une autre origine : «policiers = racistes», en feignant d’ignorer que les policiers sont le reflet des habitants de notre société : de toutes origines continentales, culturelles et sociales ? Pourquoi encore, avant que la justice française n’établisse sa version des faits, n’usons-nous pas de cette prudence que nous conseillons dans d’autres cas aux inquisiteurs de droite, pour retenir notre jugement en ne rejetant pas d’emblée la possibilité d’un tir accidentel ? Et ne devrions-nous pas aussi (et d’autant plus si nous sommes anarchosyndicalistes) nous interroger sur les conditions de travail difficiles de ce policier (Celui-ci en aurait été a son 9ème jour de travail consécutif, ce qui ne devait pas lui permettre d’être dans les meilleures conditions physiques et psychiques pour exercer lucidement son métier), les dénoncer et, si elles s’avèrent être la cause première de cette mort par balle, imputer le décès tragique de Nahel M. avant tout à la hiérarchie policière et à l’Etat qui exploitent leurs fonctionnaires et les placent, en conséquence, sciemment en situation dangereuse pour eux-mêmes et pour les personnes à contrôler ? Ne devrions-nous pas enfin nous rappeler que tout policier est avant tout un être humain faisant partie, comme nous, du peuple et du prolétariat quand il n’appartient pas aux sommets de la hiérarchie policière, travaillant pour vivre et subvenir aux besoins d’une famille, aspirant en un monde meilleur et une vie plus agréable, qui sera accueilli comme tout être humain dans la société anarchiste si elle devait advenir[2], et non pas un simple mot impersonnel (un policier…) ou une simple apparence (bleue ou noire selon l’uniforme), que certains, se disant anarchistes, trouvent légitimes de haïr au point de les agresser violemment jusqu’à vouloir les détruire comme de simples objets[3] ?

    2) Dès la fin du 19ème siècle, il me semblait que les anarchistes avaient tranché, par une réponse négative[4], la question de savoir si la propagande par le fait (terrorisme, attentats, émeutes) était ou non utile pour la promotion et l’avènement de l’Anarchie, ce pourquoi l’émeute ne fait pas partie des moyens d’action préconisés par les anarchosyndicalistes de la CNT-AIT[5]. En conséquence, je me demande comment des camarades anarchistes ont pu cautionner voire s’associer aux émeutes de juin-juillet, même sous le prétexte de dénoncer les violences policières. En effet, dans les villes et quartiers populaires, là où se sont principalement déroulées les émeutes, quel est l’intérêt pour notre cause (et/ou pour dénoncer les violences policières) d’aller incendier ou vandaliser des poubelles, des voitures, des écoles primaires, des abris bus et des arrêts de métro, des petites supérettes, des mairies, des salles communales ou de sport, et même des logements, utiles à tous et notamment aux plus pauvres ? Et est-ce en applaudissant (ou en s’associant à) ceux qui ont dégradé des quartiers populaires, ceux qui ont bousculé et méprisé des mères voulant défendre l’école de leurs enfants, ceux qui ont menacé voire frappé des pères voulant forcer leurs gamins à quitter le flot des émeutiers pour rentrer chez eux, que nos camarades pensent rallier à nos idéaux un nombre croissant de personnes, notamment de la classe ouvrière qui vote de plus en plus RN surtout pour demander de la sécurité dans ses lieux de vie ? A se demander si la fascination pour la violence[6] et l’effet de groupe ou de foule n’ont pas tourné la tête de certains de nos camarades (comme peut le faire l’Etat avec ses sujets[7]) jusqu’à leur faire perdre tout esprit critique et à se tromper d’ennemi : les habitants des quartiers populaires plutôt que l’oligarchie et l’Etat, tout en faisant le jeu de nos adversaires[8].

    Certes, on pourra me rétorquer que les émeutiers se sont attaqués aussi à des symboles du pouvoir que détiennent sur nos vies le capitalisme et l’oligarchie : banques, magasins de vêtements de marque et de portables. Mais, concernant les images du pillage des magasins, chacun aura surtout vu des gamins amusés et ravis de se prendre en selfies en train de voler des marchandises plutôt que de les détruire, ce qui prouve plus leur soumission aux diktats de la société de consommation que leur rébellion contre celle-ci.

    3) J’en viens à ma dernière question…Nous dénonçons la police comme instrument de pouvoir de l’Etat et de l’oligarchie capitaliste. Nous promettons que dans la société anarchiste à venir, comme dans le paradis illusoire des religions, il n’y aura plus besoin de police car la société sera pacifiée et les raisons de la délinquance auront disparu. Il reste qu’aujourd’hui, la délinquance, avec toutes les excuses que l’on peut lui donner, pourrit la vie d’un grand nombre d’habitants de ce pays, notamment dans les quartiers les plus pauvres. Alors, puisque nous ne sommes pas des curés et que nous ne pouvons pas dire aux personnes en insécurité et aux victimes d’actes de délinquance d’être patientes et de souffrir en silence en attendant la Parousie, la Grève générale ou le Grand Soir, quelles réponses, quelles aides, quelles solutions concrètes à rebours de celles (répressives) préconisées par la droite et l’Etat, proposons-nous (en tant qu’anarchistes) aujourd’hui, aux gens ordinaires en demande de protection contre la délinquance, dans leur intérêt bien sûr, mais aussi dans l’idée de les rallier à notre projet anarchiste[9] ? Frédéric B-Lille

    [1] Mais pourquoi n’avons-nous rien à dire quand un gamin (Fayed, 10 ans, Nîmes, 21/8) ou une jeune femme (Socayna, 24 ans, Marseille, 12/9) meurt d’une balle perdue lors d’un conflit entre trafiquants de drogue ? Ou lorsque ces derniers terrorisent un quartier ou s’entretuent ?

    [2] Pour paraphraser Pierre Ramus à propos des soldats. Cf «Antimilitaristes anarchistes non-violents»- Atelier de création libertaire - 2019 - p 92 et 93

    [3] Plus de 700 policiers ont été blessés durant ces émeutes selon le Ministère de l’Intérieur. Sûrement plusieurs centaines de blessés à compter aussi parmi les émeutiers. 2 morts supplémentaires à celle de Nahel M. 1278 personnes jugées, 1056 condamnées à une peine d’emprisonnement et 742 à de la prison ferme (Au 19 juillet - Les Echos)… Pour aucune avancée sociale… Pour aucun mouvement notable de ralliement à notre cause…

    [4] « De la 1ère internationale à l’AIT » - cahier de la CNT-AIT – p 10 à 12

    [5] « Techniques de luttes » - Cahier de l’anarchosyndicalisme n°22

    [6] A voir la haine et la violence qui animent certains émeutiers présents dans toutes les manifestations d’envergure (Gilets jaunes, défense de l’environnement et des droits sociaux, contre les violences policières), je me demande parfois si, étant nés sous une autre étoile ou au gré d’autres rencontres, ces gens là n’auraient pas pu devenir tout aussi bien membres de gangs, de l’ultra-droite, djihadistes ou hooligans plutôt que de faire partie de la gauche radicale… J’ai l’impression en effet que ce n’est pas tant le fait de lutter pour un idéal précis qui les anime que de se servir de n’importe quel idéal comme prétexte pour assouvir leur besoin de violence. Et, à ce propos, que penser de toutes ces images de dégradations et d’incendies, avec des casseurs prenant la pose, publiées visiblement avec joie et fierté sur quelques sites internet anarchistes comme si, en brûlant et en détruisant, certains d’entre nous s’imaginaient réaliser les buts de l’Anarchie et entrer dans le panthéon des grands révolutionnaires anarchistes ?

    [7] Anarchosyndicalisme ! n°183 p 4

    [8] Même si les sondages font certainement partie de la manipulation de l’opinion, on notera à titre indicatif que d’après ceux-ci (ex : IFOP du 6/7) le camp de la droite (Parti faussement socialiste, Renaissance, LR, RN, DLF, Reconquête) aurait gagné 6 points pour les prochaines élections européennes, du fait des émeutes, pour cumuler à 77% d’intentions de vote, et que 84% des français (ODOXA du 7/7) condamneraient ces émeutes. Chacun aura pu noter aussi comment toutes les personnalités de droite et leurs médias se sont complus à assimiler les émeutes au chaos et à l’Anarchie, souillant ainsi avec facilité et jubilation nos idéaux même si ces émeutes ne relevaient en rien de mots d’ordre et d’une stratégie anarchistes. Et ces émeutes permettront surtout à l’Etat et à la classe politique de droite de justifier toujours plus de lois répressives et sécuritaires, plus de caméras, plus de contrôles, plus de policiers et de soldats dans nos rues, plus de places en prison et plus d’emprisonnés…

    [9] « Les anarchistes sont-ils encore révolutionnaires ? » Claude Guillon, dans Anarchosyndicalisme ! n°183, p 8 et 9.
     
  2. Anarchie 13
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    Je trouve que les questions posées par le texte doivent l'être.

    Concernant la condamnation spontanée du policier et la présomption de culpabilité à son égard on doit dire que ceux-ci étant membres de l'état et des membres particulièrement choyés il est récurrent qu'ils soient impunis et que les médias et les politiciens mentent pour les couvrir. D'aucuns diraient qu'ils n'ont pas besoin de davantage de soutien et qu'il est même normal d'être suspicieux devant les arguments de la défense.

    D'autre part, un policier n'est pas "un prolétaire comme un autre", c'est un prolétaire armé. C'est un prolétaire (voire un petit-bourgeois) dont le métier est, en partie (et non en totalité je te l'accorde) de réprimer 1) les prolétaires qui recourent à des moyens illégaux pour s'en sortir financièrement, 2) les prolétaires qui se révoltent contre leur condition d'exploités. Mais c'est le problème du syndicalisme de peiner à avoir une approche politique. Soutenir LE prolétariat n'équivaut pas à soutenir chaque prolétaire. On doit pouvoir lutter à la fois contre l'exploitation du prolétariat ET contre l'exercice de métiers nuisibles à la biosphère, à la société et au prolétariat. Il me paraitrait tout aussi absurde d'un point de vue révolutionnaire de soutenir un ouvrier dans une usine d'armement sans condamner son métier. Et il en va de même de la plupart des métiers.

    Il ne me semble pas que l'émeute fasse partie de ce qu'on a appelé la propagande par le fait. Je suis assez surpris de cet amalgame alors qu'une émeute n'est (quasiment ?) jamais quelque chose de concerté.

    Ce qui m'étonne c'est que les écoles, mairies ou voitures soient exclues de cette liste.

    Remarque tout à fait pertinente.

    Bonne question.

    Que propose la CNT-AIT ?

    Il y a ceci dit un problème dans la formulation de la question. En employant le terme générique de "délinquance" elle assimile des actes fondamentalement différents.

    Certains relèvent de la révolte individuelle (graffiti, outrage à agent dans certains cas, vandalisme dans certains cas...), certains relèvent de la débrouille ou sont contraints par une situation financière (vol à l'étalage, travail au noir, arnaque à l'assurance...), d'autres relèvent de la cupidité (trafic) ou de comportements foncièrement antisociaux (agressions). Et beaucoup sont hybrides.

    Certains de ces comportements pourraient s'estomper si leurs auteurs prennent part à un mouvement collectif qui promet de régler leurs problèmes. D'autres devront être réprimés par ce mouvement collectif en tant qu'expression de la société capitaliste (typiquement le trafic de drogue).
     
  4. Benjamin Lay
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    Benjamin Lay Nouveau membre

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    C'est un courrier des lecteurs ds le journal de la CNT-AIT. Ca n'engage donc pas celle-ci. Pour le reste, on peut effectivement discuter chaque phrase et mot à mot, mais c'est l'esprit général du texte qui me semble intéressant pour notre réflexion...
     
  5. Anarchie 13
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    Anarchie 13   Comité auto-gestion Membre actif

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    J'ai pas discuté chaque phrase, encore moins mot à mot, j'espère avoir justement participé à nourrir cette réflexion.
     
  7. Benjamin Lay
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    Salut Anarchie 13. Merci pour tes réponses et questions. Concernant les émeutes faisant partie de la propagande par le fait, c'est ce qu'affirme Jean Maitron : le mouvement anarchiste en France, 1, des origines à 1914,1992, tel Gallimard, p77 à 83, 151 à 156...
     
  8. Anarchie 13
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    Anarchie 13   Comité auto-gestion Membre actif

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  9. libertaire, anarchiste, marxiste, individualiste, révolutionnaire, anti-fasciste
    Ok je ne partage pas son point de vue. L'émeute est un phénomène collectif et rarement prémédité sans visée symbolique alors que la propagande par le fait telle que je la conçois consiste en des actions individuelles, préméditées où les participants se connaissent mutuellement et dont le but est notamment de marquer les esprits (d'ailleurs c'est ce qui leur vaut le nom de "propagande").
     
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