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Hirak

Discussion dans 'Luttes Internationales' créé par IOH, 28 Novembre 2019.

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    Hirak, le réveil du volcan algérien
    En Algérie, le Hirak, ou mouvement de contestation populaire, entamé le 22 février, ne faiblit pas. Après avoir obtenu la démission de M. Abdelaziz Bouteflika, il entend s’opposer à l’élection présidentielle, fixée au 12 décembre. Conspuant les cinq candidats du sérail en lice pour le scrutin, les manifestants réclament une période de transition et une refonte du système. Une exigence à laquelle le pouvoir oppose une fin de non-recevoir.

    Un reportage de Arezki Metref

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    Youcef Krache. — De la série «Les derniers jours de B.», 2019
    © Youcef Krache - Collective 220 - Galerie Esther Woerdehoff, Paris
    Alger, vendredi 1er novembre. Des dizaines de milliers de personnes descendent des hauteurs de la ville et s’engagent dans la rue Didouche-Mourad. L’artère centrale s’avère trop étroite pour contenir ce flot humain. Jeunes, enfants, femmes, vieillards forment un torrent humain bigarré, arborant les couleurs du drapeau algérien sous toutes les formes : chapeaux, écharpes, calicots, tee-shirts, emblèmes divers. Le bourdonnement grêle des hélicoptères des forces de l’ordre ne parvient pas à couvrir les slogans. Les manifestants clament leur refus de l’élection présidentielle prévue le 12 décembre et s’en prennent au chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd Salah, homme fort du régime depuis la démission du président Abdelaziz Bouteflika, le 2 avril dernier (1).

    Ils réclament son départ, ainsi que ceux du président par intérim, M. Abdelkader Bensalah, et du premier ministre, M. Noureddine Bedoui. «Algérie libre et démocratique», «État civil et non militaire», «Par Dieu, on ne s’arrêtera pas», «Vous avez ruiné le pays, bande de voleurs», «Lâches que vous êtes, libérez nos enfants», «Pas de dialogue, pas d’élections avec la mafia», scande encore le Hirak — terme qui désigne le mouvement de protestation populaire, que l’on se trouve en Algérie, dans le Rif marocain ou au Liban. Il y a aussi des chants, dont le tube Liberté, du rappeur Soolking, et le célèbre La casa del Mouradia, l’hymne contestataire de la jeunesse des stades (2). Les références au combat anticolonial sont omniprésentes, certains en appelant à Ali la Pointe, héros de la bataille d’Alger. Preuve édifiante de la détestation du pouvoir, les hirakistes chantent à l’unisson «Istiqlal! Istiqlal!» («Indépendance!»), puis «Les généraux à la poubelle, l’Algérie aura son indépendance». Ce trente-septième vendredi de manifestation d’affilée coïncide en effet avec le 65e anniversaire du déclenchement, le 1er novembre 1954, de la lutte de libération qui conduisit à la fin de la domination coloniale française.

    Une centaine de prisonniers d’opinion
    Pour atténuer l’ampleur des cortèges dans Alger, le pouvoir tente depuis l’été d’empêcher les habitants du reste du pays de s’y rendre. Des barrages de police et de gendarmerie sont dressés en amont de la ville pour restreindre la circulation; celles et ceux dont les plaques d’immatriculation ou les papiers d’identité indiquent qu’ils vivent en dehors de la capitale sont forcés de faire demi-tour. Résultat : les irréductibles ne craignent pas de marcher des dizaines de kilomètres pour contourner les barrages et participer au Hirak. D’autres embarquent à partir de villes côtières pour rejoindre les plages algéroises; l’humour populaire les surnomme «les harragas [clandestins] de l’intérieur».

    Les autorités, qui n’hésitent pas à perturber Internet pour empêcher la retransmission vidéo des marches, essaient aussi de susciter des manifestations en faveur de l’élection présidentielle. La télévision nationale, plus que jamais aux ordres malgré les protestations de nombre de ses journalistes, est convoquée pour filmer en gros plans fixes les quelques dizaines de personnes réunies pour l’occasion. Des initiatives vouées à l’échec, et qui provoquent les railleries. Le 7 novembre, à Tlemcen (Ouest), des hirakistes munis d’insecticides et d’eau de Javel lavaient à grande eau une petite place où venait de se tenir un «rassemblement spontané» d’une cinquantaine de personnes en soutien à l’armée et au scrutin présidentiel.

    S’il a évité jusqu’à présent de recourir à la force contre les manifestants du vendredi, le pouvoir a néanmoins opté pour une répression et des intimidations ciblées. Celles-ci visent tout autant de jeunes militants que de simples citoyens arrêtés et condamnés pour l’exemple. Selon un bilan officieux d’organisations non gouvernementales (ONG) algériennes, dont le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), on comptait à la fin octobre plus d’une centaine de prisonniers d’opinion. D’autres estimations en évoquent trois cents; le chiffre exact est difficile à connaître, puisque les autorités refusent de le communiquer (3). Le 12 novembre, la justice a condamné à de la prison ferme vingt-huit personnes arrêtées en possession d’un drapeau amazigh (berbère). Plusieurs personnalités sont derrière les barreaux, tels M. Lakhdar Bouregaa, un héros très respecté de la guerre d’indépendance âgé de 86 ans, ou M. Karim Tabbou, ancien responsable du Front des forces socialistes (FFS) et figure médiatique du Hirak. L’un et l’autre sont accusés d’avoir porté atteinte au moral de l’armée.

    À la mi-novembre, les Algériens doutaient de la capacité du pouvoir à organiser des élections dans un tel climat de défiance. Mais, quelle que soit l’issue du scrutin, rares sont ceux qui voient le Hirak s’arrêter de sitôt. Pour prendre la mesure des dynamiques et des difficultés de ce mouvement à maints égards historique — ne serait-ce que parce qu’il est pacifique, il faut en retracer la genèse.

    Dans un contexte d’interrogations quant à l’avenir et à la succession du président Bouteflika, l’année 2018 a été marquée par des luttes au sommet du pouvoir, attisées par de multiples révélations d’affaires de corruption et de trafics que les clans dirigeants s’imputaient mutuellement. Un exemple parmi tant d’autres : la cargaison de sept quintaux de cocaïne découverte par les services de sécurité sur un bateau à quai dans le port d’Oran (4). Le navire était censé transporter de la viande rouge en provenance du Brésil pour le compte d’un importateur proche du pouvoir, M. Kamel Chikhi, alias Kamel le Boucher. Outre ce dernier, de nombreux officiers supérieurs, des responsables de la police, des magistrats, de hautes personnalités politiques et même des imams ont été arrêtés ou poursuivis. L’affaire, qui n’a pas encore livré tous ses secrets, a tellement choqué les Algériens, pourtant habitués aux turpitudes de leurs dirigeants, que l’un des slogans du Hirak est : «Libérez les détenus, ils n’ont pas vendu de cocaïne.»

    Le 9 février 2019, la confirmation de la candidature de M. Bouteflika, grabataire, à un cinquième mandat présidentiel provoquait une onde de colère et d’indignation. Alors qu’articles, montages photographiques et textes rageurs foisonnaient sur les réseaux sociaux, c’est à Kherrata, le 16 février 2019, que ce qui allait devenir le Hirak a démarré. Dans cette petite ville de l’Est algérien, théâtre des massacres du 8 mai 1945 commis par l’armée française et ses supplétifs européens contre la population musulmane, des jeunes sont sortis dans la rue pour protester contre la réélection annoncée du président. Le 19, son portrait géant accroché à la façade de la mairie — conformément au culte de la personnalité imposé à la population — était arraché et déchiqueté par la foule. Trois jours plus tard, le vendredi 22, après qu’un appel anonyme à manifester eut circulé sur les réseaux sociaux, débutait dans tout le pays, jusqu’aux villages les plus reculés, un mouvement qui déboucha à la fois sur la démission de M. Bouteflika et sur l’annulation du scrutin prévu le 18 avril.

    «Le peuple a dépassé les fractures des années 1990»
    Vice-président du Rassemblement action jeunesse (RAJ), M. Djalal Mokrani a vu la première marche partir de Bab El-Oued. Il préparait alors avec ses collègues une action prévue pour le lendemain dans les locaux de l’association, situés au centre-ville. «On a tout laissé en plan et on a rejoint les citoyens, qui étaient de plus en plus nombreux», nous racontait-il quelques jours avant son arrestation, en compagnie d’autres militants du RAJ, le 4 octobre dernier. Cinq d’entre eux sont accusés d’«incitation à attroupement et atteinte à la sécurité de l’État». Leur emprisonnement a provoqué un élan de solidarité à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, le RAJ dénonçant quant à lui «des pratiques condamnables, scandaleuses et despotiques d’un régime agonisant qui veut se maintenir coûte que coûte».

    Comment, dans un pays où la population avait suivi de loin les révoltes populaires arabes de 2011, un tel élan a-t-il pu surgir de manière aussi soudaine? C’est avant tout la colère des jeunes qui a joué un rôle déterminant. Écrivain et journaliste au quotidien indépendant francophone El Watan, Mustapha Benfodil se trouvait en reportage dans les quartiers populaires en bordure d’Alger quelques jours avant la manifestation du 22 février. «Les jeunes n’avaient qu’un mot à la bouche : “humiliation”. Ils ne supportaient plus l’image de Bouteflika, un homme quasiment mort, utilisé comme un pantin par ce que l’on appelle depuis la ‘içaba, c’est-à-dire “la bande”.» De son côté, Mme Intissar Bendjabellah, 30 ans, doctorante en littérature française, militante féministe et figure de la contestation dans la capitale, relève que le Hirak n’est «pas uniquement un mouvement de jeunes, mais ces derniers sont en tête des cortèges, plus nombreux et plus virulents». Le grand rassemblement du 22 février fut d’ailleurs précédé de celui des étudiants, le 19. Depuis, chaque manifestation du mardi après-midi donne le ton. Elle répond au discours, le matin même, du général Gaïd Salah (5), et préfigure en même temps celle du vendredi, notamment en ce qui concerne l’attitude plus ou moins répressive des forces de l’ordre.

    Partageant la détestation du régime, beaucoup ont pourtant hésité à descendre dans la rue de peur de voir se répéter l’échec des contestations passées, comme celle de 2014, qui n’empêcha pas M. Bouteflika d’être réélu pour un quatrième mandat. «En 2014, j’ai eu l’impression que mon pays ne voulait pas se libérer», confie Mme Bendjabellah. Le 22 février 2019, elle n’a donc pas manifesté, de peur d’être déçue une fois encore. Mais elle a suivi le mouvement sur les réseaux sociaux : «Les images m’ont décidée à sortir le vendredi suivant.» De nombreux Algériens, tel M. Messaoud Babadji, 66 ans, avocat et militant des droits humains habitant Oran, se sont quant à eux méfiés d’un appel anonyme à manifester venu de nulle part. Ils y ont vu un retour sur la scène politique des islamistes, supposés être l’unique force capable d’organiser un tel mouvement (lire «Les islamistes optent pour le boycott»). Mais, le jour dit, M. Babadji a eu la surprise de constater que les premiers groupes de manifestants étaient constitués de ses jeunes camarades du mouvement associatif oranais. Arezki Aït-Larbi, journaliste et éditeur indépendant, proche de Mme Djamila Bouhired, héroïne de la guerre anticoloniale et icône du Hirak, explique avoir lui aussi accueilli cette manifestation inaugurale «avec réserve», dans la mesure où elle était programmée le vendredi, après la grande prière collective, comme jadis celles du Front islamique du salut (FIS).

    Le plus étonnant, c’est que des islamistes se sont eux aussi méfiés de cet appel. M. Ali M., 52 ans, ancien militant du FIS emprisonné de 1992 à 1998, y a vu «une provocation et un piège». «J’étais persuadé que, comme lors des événements d’octobre 1988, l’armée allait ouvrir le feu, avoue-t-il. Je me suis dit : “C’est encore un coup tordu des services [de sécurité] pour créer une situation d’exception.” Mes fils, ceux des voisins n’ont jamais fait de politique. Malgré mes mises en garde, ils sont sortis sans aucune hésitation le 22 février. Pour ma part, j’ai attendu la manifestation du 8 mars. Depuis, je n’en rate aucune.»

    En mars, les préventions des uns et des autres étaient balayées par l’ampleur inattendue — pour ne pas dire inespérée — du mouvement, d’où un effet d’entraînement. «Cette révolte est intervenue dans un contexte historique qui a vu le régime laminer les partis politiques d’opposition, islamistes ou démocrates, les syndicats, les organisations professionnelles, celles de la société civile. Tout a été écrasé ou acheté (6) », rappelle M. Ali Brahimi, l’un des vingt-quatre activistes emprisonnés lors du «printemps berbère» de 1980 et ancien député (Rassemblement pour la culture et la démocratie, RCD) de Bouira (centre). Mais, pour ce militant marxiste et défenseur de la cause berbère, «le degré de corruption et la fermeture politique du régime de Bouteflika garantissaient que, à un moment ou un autre, il y aurait une déflagration. Et ce qui est intéressant, c’est que, dès le départ, le mouvement a adopté une dynamique révolutionnaire».

    Plusieurs de nos interlocuteurs nous assurent que le Hirak n’aurait pas été possible sans une victoire sur le traumatisme de la «décennie noire» (1992-2000) et une maturation politique insoupçonnée. «La société algérienne était désarticulée et désespérée, rappelle M. Brahimi. Les divers antagonismes, comme ceux entre laïques et religieux, étaient exacerbés par le régime. Le Hirak, par son ampleur, a montré que le peuple, pour l’essentiel, avait dépassé les fractures idéologiques des années 1990.»

    Un avis partagé par Aït-Larbi, qui observe une «évolution qualitative» du mouvement. Le consensus à l’œuvre sur les revendications (condensées dans le rejet du système), le civisme des manifestants, l’«évolution extraordinaire des relations» entre des gens habitués aux rapports de forces : tout cela fait, selon lui, que le Hirak a tiré «ce qu’il y a de meilleur chez les Algériens, et qui était enfoui». Et de citer la manœuvre grossière du pouvoir consistant à criminaliser le port du drapeau amazigh. «En juin, le général Gaïd Salah a cherché à diviser en interdisant cet emblème, ce qui revenait à jouer sur une corde sensible. Cela aurait pu provoquer des affrontements entre berbérophones et arabophones; cela a produit l’effet inverse. Dans les villes arabophones, des gens que l’on ne pouvait suspecter de sympathies berbéristes ont brandi le drapeau prohibé.»

    Concerts de casseroles le jeudi soir
    Le caractère pacifique des manifestations marque lui aussi une rupture avec le passé. Quand les jeunes sont tentés d’en découdre avec les forces de l’ordre, le rappel à l’ordre du cortège est immédiat, qui calme le jeu en criant : «Silmiya! Silmiya!» («Pacifique!»), ou «Khawa! Khawa!» («[Tous] frères!»). «En 2017, les chiffres officiels faisaient état de treize mille émeutes à travers l’Algérie. On est passé de manifestations violentes à un mouvement calme et autodiscipliné. C’est la conséquence de débats réguliers sur le rejet de l’émeute et l’inefficacité de la violence contre un régime lui-même violent», commente M. Brahimi. Il cite l’exemple des habitants de la petite ville côtière d’Aokas (Est), qui, pour protester contre l’interdiction d’une rencontre littéraire, sont descendus dans la rue avec un livre à la main.

    C’est une Algérie unie, toutes tendances politiques confondues, qui défile. Le déroulement des manifestations du vendredi à Alger est toujours le même. Au lendemain d’un concert de casseroles nocturne en solidarité avec les détenus, les premiers regroupements se font dès le matin aux alentours de la place Maurice-Audin ou de la Grande Poste. Puis, en début d’après-midi, après la grande prière, la convergence des cortèges — notamment celui qui part de Bab El-Oued — vers le centre-ville offre un spectacle impressionnant; la ville résonne de clameurs. Le soir, médias, avocats et ONG font le compte des arrestations, dont certaines ne durent que quelques heures, et des disparitions : des manifestants sont souvent embarqués par des hommes en civil, et plusieurs jours passent avant que l’on connaisse leur lieu de détention et les charges retenues contre eux.

    Si le Hirak peut se targuer d’avoir empêché un cinquième mandat de M. Bouteflika et d’avoir fait reporter par deux fois l’élection présidentielle, la situation à la mi-novembre, marquée par le face-à-face entre le mouvement et le chef de l’armée, semblait bloquée. D’un côté, le peuple continue de manifester son refus de subir plus longtemps un pouvoir qu’il tient pour responsable du naufrage du projet national conçu à l’indépendance. De l’autre, ce même pouvoir entend organiser coûte que coûte une élection présidentielle à laquelle participeront deux anciens premiers ministres (MM. Ali Benflis et Abdelmadjid Tebboun) et deux anciens ministres de M. Bouteflika (MM. Azzedine Mihoubi et Abdelkader Bengrina), le cinquième candidat, M. Abdelaziz Belaïd, ayant toujours soutenu l’ancien président. Dès l’ouverture de la campagne électorale, leurs meetings, qui n’attiraient guère de monde, étaient systématiquement perturbés par des «hirakistes». Des appels à manifester tous les soirs contre le scrutin ont été lancés sur les réseaux sociaux, et des rassemblements nocturnes ont été dispersés par les forces de l’ordre.

    «On parle aujourd’hui de “dictature légère”; moi, je ne la qualifie pas, déclare Benfodil. J’observe seulement que nous n’avons toujours pas arraché le droit de manifester librement. La télévision publique est pire qu’avant. On a retrouvé les réflexes de célébration de nos potentats. Sur la scène politique, on retrouve le même personnel, les mêmes gestes d’allégeance, les mêmes habitudes “FLN” (7) d’applaudir tout ce qui vient du chef.»

    «Il faut penser ensemble une nouvelle société»
    Preuves du renforcement de l’autoritarisme du régime : l’interdiction — inconstitutionnelle — faite aux non-Algérois de se rendre dans la capitale le vendredi, ou l’emprisonnement de dizaines de manifestants porteurs de l’emblème amazigh. Des arrestations ordonnées par le général Gaïd Salah lors d’un discours, mais qui ne s’appuient sur aucune loi, comme le confirme l’avocate Aouicha Bakhti, membre du Réseau de lutte contre la répression, pour la libération des détenus d’opinion et pour les libertés démocratiques. «Il y a bien un article qui interdit aux administrations publiques et aux ministères d’arborer un autre emblème que le drapeau national, mais cela n’est pas applicable à des manifestants. Du coup, les procureurs invoquent l’article 79 du code pénal, selon lequel quiconque attente à l’intégrité du territoire national est puni d’une peine de prison. Dans les actes d’accusation, il est dit que les prévenus “portent un emblème autre que l’emblème national”, ce qui est une reprise des propos du général Gaïd Salah. C’est donc son discours qui fait force de loi.»

    Dans ce contexte, les militants et les personnalités progressistes réfléchissent à la suite, en essayant de dépasser l’horizon immédiat de l’élection présidentielle. «C’est une période où il faut penser ensemble une nouvelle société, une nouvelle Constitution qui trace les lignes d’un projet de société moderne, affirme Mme Bakhti. Je suis persuadée que ce mouvement va continuer et que le changement a déjà commencé. Certains disent qu’on a mis sept ans pour libérer l’Algérie de la présence coloniale, et que le Hirak peut encore tenir sept ans et plus. On entend ces mots d’ordre scandés dans les cortèges.» De fait, pour nombre de ses participants, la durée du Hirak est déjà une première victoire.

    Benfodil, lui, se montre moins enthousiaste. «On se dirige malheureusement vers une impasse totale. Il y a une sorte de bipolarisation. D’un côté, le pouvoir militaire et, en face, cette opposition du Hirak qui est dans la rue, qui n’a pas de représentants et qui n’en reconnaît aucun. C’est un moment anarchisant assez sympathique, mais qui demande beaucoup de souffle. Je pense que, au niveau populaire, on va se diriger vers une forme de radicalisation face à l’élection présidentielle imposée.»

    En huit mois, de nombreuses initiatives ont vu le jour pour donner une représentation politique au Hirak. Aucune n’a atteint son objectif, et la répression ciblée contre des personnalités, notamment de jeunes militants, n’a pas arrangé les choses. Privés de libertés et de pluralisme durant trois décennies, les Algériens demeurent très méfiants à l’égard des partis politiques.
     
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