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Les suffragettes et l’idéologie d’extrême droite

Discussion dans 'Bibliothèque anarchiste' créé par ninaa, 21 Septembre 2019.

  1. ninaa
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    Fev 2014
    France
  2. anarchiste, anarcho-féministe, individualiste
    Les suffragettes de l’époque édouardienne et l’idéologie d’extrême droite dans l’entre-deux-guerres
    Myriam Boussahba-Bravard
    Traduction de Monique Vervaecke et René Vervaecke
    p. 355-386
    Texte Bibliographie Notes Auteurs
    Texte intégral
    • 1 Les termes « suffragettes » et « militantes » sont associés à deux organisations, la Women’s Social (...)
    • 2 L’anti-suffragisme féminin, dans sa variante constructive et « positive » a probablement des élémen (...)
    • 3 Mary Allen (1878-1964); Norah Elam, then Mrs Dacre-Fox (born 1878); Mary Richardson (c. 1883-1961).
    • 4 Julie Gottlieb, Feminine Fascism, Women in Britain’s Fascist Movement, Londres, I. B. Tauris, 2003, (...)
    • 5 Julie Gottlieb, ‘Suffragette Experience Through the Filter of Fascism’, in Claire Eustance, Joan Ry (...)
    • 6 Hilda Kean, ‘Suffrage Autobiography: a Study of Mary Richardson – Suffragette, Socialist and Fascis (...)
    • 7 Kean, ‘Suffrage Autobiography’, p. 178.
    • 8 Teresa Billington-Greig a été redécouverte par les historiens dans les années 1980. Carole McPhee e (...)
    1La raison pour laquelle certaines suffragettes1 se tournèrent vers l’activisme d’extrême droite après la Première guerre mondiale semble de prime abord non seulement inattendue, mais même improbable, à moins d’imaginer que des éléments personnels ne soient intervenus dans ce choix. Pourtant, il existait au sein de la campagne suffragiste à l’époque édouardienne des directions qui ne pouvaient détourner d’une telle orientation politique. Ce n’est pas que la voie était toute tracée, pour ainsi dire, pour rejoindre l’extrême droite dans les années 1930, même pour les anti-suffragistes de l’époque2. Et pourtant le fait que trois ex-membres3 de la Women’s Social and Political Union (WSPU) se soient retrouvés parmi les dirigeantes de la British Union of Fascists (BUF) nous conduit à nous interroger sur la culture politique de la WSPU. Dans son ouvrage Feminine Fascism, Julie Gottlieb a étudié les membres féminins du fascisme britannique entre les deux guerres. Elle consacre un chapitre à l’apport des suffragettes au fascisme britannique4 et analyse la façon dont Mary Allen, Mary Richardson et Norah Elam y ont pris part. L’intérêt qu’elle leur porte est fondé sur leur engagement au sein de la BUF, même si elle aborde plus globalement l’histoire du suffragisme, mettant ainsi en parallèle les époques et le sujet de ses recherches5. Hilda Kean a, quant à elle, étudié le cas de Mary Richardson en analysant son autobiographie suffragiste6. Richardson n’écrivit guère sur sa vie de femme et de personnage politique après la Première guerre mondiale, mais elle mit l’accent sur son expérience de suffragette, passant sous silence sa carrière politique après la fin de la campagne suffragiste « bien qu’elle se soit présentée à la députation à quatre reprises à partir de 1931 – sous l’étiquette de socialiste – et, qu’à compter de 1934, elle devint une des responsables des branches féminines de la BUF »7. J. Gottlieb et H. Kean proposent une étude de la vie politique de ces femmes pour qui obtenir le droit de vote constitua un tournant important. J. Gottlieb les a étudiées du point de vue de leur implication dans la BUF, H. Kean – en ce qui concerne la carrière de Richardson – plutôt comme un cas particulier bien qu’elle démontre à quel point, dans ce cas précis, le particulier rejoint le général. En effet, un examen approfondi de la WSPU avait déjà été fait dès 1911. À cette date, Teresa Billington-Greig avait publié The Militant Suffrage Movement : Emancipation in a Hurry, ouvrage d’analyse qui passa plutôt inaperçu à l’époque. Dans son livre, T. Billington-Greig soulignait par quels moyens les dirigeants de la WSPU fanatisaient leurs adhérentes, annihilant leur libre-arbitre et leur capacité de décision. Elle ne pouvait pas (bien évidemment) employer le terme « fascisme » en 1911, mais elle démontrait néanmoins les tendances totalitaires de la WSPU8.

    • 9 Leur accorder une cohérence politique signifie que le fait de devenir des fascistes de premier plan (...)
    • 10 Il est indéniable que ces versions furent altérées après l’obtention du vote, mais le doute subsist (...)
    2Cet article vise à examiner les perspectives idéologiques des suffragettes qui ont façonné les cultures politiques diverses du suffragisme afin d’identifier la cohérence des choix politiques d’Allen, d’Elam et de Richardson9. Ce faisant, un certain nombre de variantes suffragistes de la notion de citoyenneté10 permettent de mettre en lumière comment, alors qu’une majorité prenait pour modèle la démocratie libérale, d’autres la contestaient avant la Première guerre mondiale, en particulier au sein des groupes de militantes tels que la WSPU et la WFL, avant qu’entre les deux guerres, la contestation de la démocratie libérale ne devienne un dogme fasciste.

    Du suffragisme au fascisme : trois itinéraires militants
    • 11 Il peut exister d’autres modèles de démocraties et d’autres alternatives à la démocratie. Par exemp (...)
    3Quelques-unes des extrémistes de droite des années 1930 étaient trop jeunes pour avoir appartenu au mouvement des suffragettes, mais elles ont pu élaborer leurs théories à l’imitation d’Allen, Richardson et Elam. Si tel est le cas, la question du droit de vote des femmes en tant que mise en pratique de cette théorie perd toute valeur et le fait que ces femmes devenues fascistes semblaient ne lui accorder aucune importance pourrait alors s’expliquer. Pourtant, certaines notions propres au suffragisme auraient pu influer en dehors de leur contexte : elles auraient pu exister à l’époque des suffragettes de la WSPU, puis leur survivre. En d’autres termes, il est possible que les ex-suffragettes aient suggéré un modèle, situé non pas entre leur conviction suffragiste et l’extrême droite, mais entre la démocratie libérale et d’autres alternatives, le fascisme en l’occurrence11. Allen, Richardson et Elam furent des fascistes influentes entre les deux guerres, ce qui n’exclut pas le fait que certaines ex-membres de la WSPU (non identifiées par les historiens) n’aient pas rejoint des groupes d’extrême droite en tant qu’adhérentes de base. Néanmoins, comme ces trois suffragettes de la WSPU sont les seules à être connues pour avoir suivi cette voie, le caractère spécifique de leur organisation comparé aux autres groupes suffragistes doit s’expliquer en termes politiques, quand bien même il n’y aurait aucun lien de cause à effet entre l’appartenance à la WSPU et l’adhésion au fascisme vingt ans plus tard.

    • 12 Gottlieb, ‘Suffragette Experience through the Filter of Fascism’, dans Eustance, Ryan and Ugolini ( (...)
    4Lorsqu’on évoque plusieurs extrémistes de droite de premier plan dans les années 1930 qui étaient suffragettes avant la Première guerre mondiale, on se retrouve d’abord confronté à des destins individuels. À la cinquantaine, Mary Allen, Mary Richardson et Norah Elam (ex Mrs Dacre-Fox) rejoignirent la BUF dans les années 193012.

    • 13 Hilda Kean, ‘Some problems of constructing and reconstructing a suffragette’s life: Mary Richardson (...)
    • 14 Kean, ‘Suffrage Autobiography: a Study of Mary Richardson’, p. 178.
    5Dans une perspective démocratique, l’obtention du vote des femmes, et plus généralement la garantie de leurs droits, a constitué une avancée. Ces droits sont fondés sur les principes de la citoyenneté, mais également sur l’égalité des sexes, ce qui est en contradiction avec le dogme fasciste. De prime abord, il est paradoxal que des ex-suffragettes soient devenues des fascistes convaincues et occupent des situations prépondérantes au sein de l’organisation fasciste. Ceci soulève la question de leur cohérence politique, d’autant plus que la propagande de la BUF soulignait leur expérience politique dans la campagne suffragiste, mettant ainsi leur passé de suffragettes en accord avec leur présent de fascistes. Qui est à même de déterminer la cohérence ou l’incohérence politique d’individus tout au long de leur vie ? Dans les récits autobiographiques, les individus s’arrangent pour réintroduire ce qu’il est convenu d’appeler de la « cohérence » vis-à-vis d’eux-mêmes, mais aussi à l’intention des historiens. Dans son étude de la vie de Richardson et de son autobiographie, Hilda Kean a souligné la manière dont une autobiographie transmet l’idée de fidélité à soi-même. Quand Richardson fit paraître Laugh a Defiance en 1953, elle ne fit allusion ni à son adhésion au New Party de Sir Oswald Mosley, ni à son appartenance à la BUF pendant plus d’un an (1934), ni non plus au fait qu’elle y occupait une place importante en tant que responsable des sections féminines13. Était-ce qu’elle se disculpait de son soutien au fascisme qui devait mener à la Seconde guerre mondiale ou qu’il était inopportun dans une autobiographie parue dans les années 1950 de faire mention des années fascistes en Grande-Bretagne ? H. Kean écrit que la vie publique de Richardson après l’obtention du droit de vote « n’avait aucune incidence dans la création de l’identité qu’elle s’était choisie de militante suffragette »14. Si tel est le cas, Mary Richardson désirait donner sa version personnelle en dehors de toute analyse historique, ou bien, alors, elle croyait que son engagement de suffragette, puis celui de fasciste n’étaient pas antinomiques.

    • 15 Mary Richardson déclara qu’elle devint membre de la WSPU après avoir été témoin des événements du V (...)
    • 16 Les noms Dacre-Fox, Doherty, Elam n’apparaissent pas dans les ouvrages de référence sur les suffrag (...)
    • 17 Kean, ‘Richardson, Mary (1882/3-1961)’.
    • 18 Mayhall, The Militant Suffrage Movement, Citizenship and Resistance, p. 87.
    • 19 Emmeline et Frederick Pethick-Lawrence avaient rejoint les rangs de la WSPU en 1906 en tant que tré (...)
    6Mary Allen et Norah Elam sont nées en 1878, Mary Richardson en 1882. Allen et Richardson15 rejoignirent les suffragettes de la WSPU en 1909 et 1910 quand elles avaient une trentaine d’années, à une époque où la bataille pour le droit de vote des femmes était à son apogée. Ce n’est qu’en 1913 qu’apparaît le nom d’Elam : elle a vraisemblablement dû adhérer à cette organisation suffragiste à cette époque16. Au début des années 1910, la WSPU fonctionnait déjà selon une stratégie qui plaçait systématiquement ses membres en butte à la vindicte du monde politique. Les militantes de la WSPU subissaient cette violence en lui opposant leur image de victimes sacrificielles ; elles étaient totalement vouées à la cause, obéissant aveuglément à leurs dirigeantes. Ensuite, leur stratégie de violence active contre les biens amena à davantage de heurts avec la police et des arrestations17. Allen et Elam écopèrent de trois peines de prison, Richardson de neuf et toutes trois furent alimentées de force en prison. Mrs Pankhurst remit une médaille à Allen et Elam en récompense de leur grève de la faim ; Richardson devint célèbre pour avoir lacéré une toile de Vélasquez à la National Gallery protestant contre le fait qu’E. Pankhurst était nourrie de force en prison. Toutes étaient profondément attachées à la personne d’Emmeline Pankhurst qu’elles admiraient et dont elles ne doutaient jamais ; en tant que membres ayant rejoint tardivement la WSPU, elles ressentaient personnellement les « représailles » contre Mrs Pankhurst menée par le gouvernement. Richardson déclara que « Mrs Pankhurst était le personnage le plus admirable de l’histoire contemporaine ». À l’instar de la plupart des suffragettes de la WSPU, elle admirait déjà Jeanne d’Arc quand Christabel Pankhurst, surtout après 1912, fit l’éloge des qualités guerrières et des actes héroïques de la Pucelle18. Le culte du chef, plus précisément des deux chefs, Emmeline et Christabel Pankhurst, la mère et la fille, était caractéristique de la WSPU et se développa après la scission de 1907 lorsque les premières contestataires furent écartées de l’organisation19.

    • 20 June Hannam, ‘“To make the world a better place”: Socialist Women and Women’s Suffrage in Bristol 1 (...)
    • 21 Christabel Pankhurst, The Great Scourge and How to End It, London, 1913. Cet ouvrage fut d’abord pu (...)
    • 22 Voir note 1. Le terme « militante » fait référence aux méthodes en usage dans deux organisations de (...)
    7Peu de temps après la fondation de la WSPU (1903), l’autoritarisme des Pankhurst fut critiqué, ce qui provoqua la défection d’un grand nombre d’adhérentes et la création de la Women’s Freedom League. Même après cette rupture de 1907, des dissensions se firent jour contre les vœux des Pankhurst ; par exemple, dans certaines sections, les membres de la WSPU maintinrent délibérément leur point de vue différent, faisant fi des directives nationales20. Néanmoins, au niveau national, toute contestation s’avéra impossible dès que fut mise en place la politique d’expulsion des dissidentes. Le culte des chefs, l’autocratie interne, l’utilisation systématique de la disqualification des voix critiques et enfin le séparatisme sexuel21 étaient autant de méthodes officielles de l’organisation. La ferveur quasireligieuse inspirée aux militantes les fit se refermer sur elles-mêmes, à la différence de l’autre organisation « militante »22, la WFL, dont les pratiques étaient démocratiques.

    • 23 Dans les années 1920, Sylvia Pankhurst appartenait à l’avant-garde du socialisme européen ; elle ne (...)
    • 24 Richardson, Laugh a Defiance, 1953, p. 6.
    • 25 Les hommes ne pouvaient pas appartenir à la WSPU ni à la WLF, mais ils étaient les bienvenus pour a (...)
    • 26 Le mouvement pour la pureté sociale trouve ses racines dans les campagnes d’après 1850, y compris c (...)
    8Richardson se présenta aux élections sous l’étiquette travailliste en 1922, 1924, 1926 et 1931, suivant ainsi le même itinéraire que Mosley, du moins en termes d’allégeance partisane. Elle travailla également avec Sylvia Pankhurst23 dans l’East End de Londres dans les années 1920 et proposa de créer avec elle un « couvent d’obédience communiste à vocation sociale et religieuse ». Après la Première guerre mondiale, elle n’avait pas encore renoncé à se dévouer corps et âme aux causes qu’elle servait. Dans son autobiographie publiée en 1953, elle écrivit qu’entrer à la WSPU revenait à « s’enrôler dans une sainte croisade »24. Cette lutte ascétique, communautaire et menée uniquement par les femmes25, portée aux nues qu’elle était parmi les activistes, s’ancrait idéalement à la campagne contre la traite des femmes blanches initiée avant la Première guerre mondiale. Par-delà la dénonciation que faisaient les suffragettes de l’exploitation des femmes dans la prostitution26 (ainsi que dans le mariage), en 1913, la chasteté devint une question brûlante, particulièrement aux yeux de Christabel Pankhurst, qui dans The Great Scourge appelait à la séparation des sexes. L’interdiction faite aux militantes de collaborer avec les partis politiques dominés par les hommes, mais aussi la rupture ensuite avec les autres organisations suffragistes avaient déjà été la voie préconisée par les dirigeantes de la WSPU. Ajouter la séparation des sexes transformait l’organisation en une secte exclusivement féminine dans laquelle on pouvait à peine exprimer ses divergences, ce qui n’est pas sans rappeler le mysticisme religieux et l’entière dévotion à Dieu incarnés jadis dans les communautés monastiques de femmes (ou d’hommes) ; qu’il soit chaste ou homosexuel, leur amour était empreint de renoncement ; l’oblation solennelle de soi préétablissait la divergence et son expression comme non pertinentes.

    • 27 Vera Di Campli San Vito, ‘Allen, Mary (1878-1964)’, ODNB (consulté le 25 novembre 2008). Nina Boyle (...)
    • 28 Di Campli San Vito, ‘Allen, Mary (1878-1964)’.
    • 29 Dans son autobiographie, elle n’y fait qu’une brève allusion, notant qu’il s’agissait d’un bastion (...)
    • 30 « À tout le moins, les dictateurs ont montré que si on les oriente dans les directions qu’ils estim (...)
    • 31 Richard Thurlow, Fascism in Britain, p. 90 : « Il y eut d’autres signes prouvant que Mosley était p (...)
    • 32 Di Campli San Vito, ‘Allen, Mary (1878-1964)’.
    9Après le début de la guerre de 1914, Allen adhéra aux Volontaires de la police féminine. Tout comme les autres, elle reçut un entraînement et un uniforme. Elle considérait ses activités policières comme nécessaires à la protection des femmes contre les prédateurs sexuels, tant et si bien que le zèle qu’elle mit à décourager la camaraderie entre les femmes du cru et les soldats du Camp Graham (dans le Lincolnshire) conduisit à une scission au sein des forces de police féminine et à la démission de Nina Boyle27, l’une des fondatrices de cette organisation. En février 1915, Allen remplaça Boyle au poste de commandante en second. Finalement, elle accéda au commandement du Service auxiliaire féminin, nouvelle appellation des Volontaires de la police féminine. Elle parcourut alors l’Europe comme si elle était investie d’une mission officielle, portant « culotte de cheval réglementaire, pèlerine, pardessus, casquette et brodequins », le tout conjugué à sa manière autoritaire28. Comme Richardson, elle se présenta à la députation29, mais en tant que candidate du parti libéral pour la circonscription de Westminster Saint George aux élections de 1922. Cependant, ses convictions libérales du début des années 1920 disparurent peu à peu ; ses activités policières devinrent progressivement son unique réponse au « vice » et à « l’impuissance officielle », tandis qu’elle prônait la « nécessité d’un guide »30. En 1934, à Berlin, elle rencontra Hitler et Goering dont elle admira le charisme. Elle se préoccupait toujours de la traite des blanches, de la prostitution et du trafic de drogues. Elle apporta son concours sur ces sujets à Action, organe de la BUF auquel elle adhéra « officiellement » en 193931. Elle ne fut pas emprisonnée pendant la guerre, mais, selon les directives de la Défense du territoire, ses faits et gestes furent étroitement surveillés32.

    • 33 Gottlieb, Feminine Fascism, p. 301.
    • 34 Antonia Raeburn, The Militant Suffragettes, pp. 194, 219-220, 228, 237. Voir note 16.
    10Norah Elam (Dacre-Fox avant 1914) eut le même parcours qu’Allen et Richardson : elle fut emprisonnée et nourrie de force. En 1918, elle se présenta, sans succès, à la députation dans la circonscription de Richmond (Surrey) sous l’étiquette « Indépendante ». Dans les années 1930, elle eut la confiance de Mosley, en particulier elle le remplaça comme trésorière, ce qui amena à son internement en 194033. Toutefois, ses états de service au sein du mouvement suffragiste s’avèrent insuffisants pour qu’elle figure dans les ouvrages sur la question ; la raison en est peut-être qu’elle adhéra à la WSPU à une époque où n’y demeuraient plus que les « ultras ». Ce ralliement tardif s’explique sans doute par le fait que les notions de démocratie et d’altérité avaient alors disparu du programme de la WSPU. Quand la WSPU fut interdite, Norah Dacre-Fox aida Grace Roe à diriger l’organisation devenue clandestine ; entre temps Christabel avait pris la fuite vers la France et Annie Kenney était sous le coup d’un mandat d’arrêt (avril 1913). À la tête d’une délégation, Dacre-Fox prit rendez-vous avec l’évêque de Londres pour qu’il défendît les prisonnières nourries de force à Holloway (décembre 1913). Flora Drummond et elle reçurent une injonction à comparaître en justice en mai 1914, injonction qu’elles ignorèrent. Par la suite, elles furent arrêtées et jugées. Lors de leur procès, elles tournèrent les débats en dérision et occupèrent la tribune avec une « habileté oratoire impressionnante ». Dacre-Fox fit une brève apparition en public en compagnie d’Annie Kenney (en juillet 1914) pour un discours à Londres alors qu’elles étaient toutes les deux sous le coup d’un mandat d’arrêt34. Contrairement à Allen et Richardson, elle n’écrivit pas son autobiographie ; elle se maria deux fois et eut des enfants ; elle fut un membre convaincu des instances dirigeantes de la BUF, même pendant la guerre 39-45.

    • 35 « Cette scission endommagea le potentiel de la WSPU en vue d’actions immédiates et futures, mais en (...)
    • 36 La dénomination « Women’s Party » démontrait le désir d’homogénéité selon des critères biologiques, (...)
    11Avant 1914, toutes trois étaient trentenaires et soutenaient sans réserve les Pankhurst. La WSPU, dirigée par Emmeline Pankhurst, était devenue en 1910 – et davantage encore à compter de 1913 – un groupe différent de ses débuts à Manchester. Au départ, les membres de la WSPU avaient des liens puissants avec l’Independent Labour Party (ILP) ; les Pankhurst entretenaient des relations d’amitié avec le dirigeant de ce parti, Keir Hardie. À l’époque de Manchester, la WSPU appartenait à la mouvance travailliste et donnait des conférences suffragistes aux groupes tels que la Cooperative Guild, notamment à sa section féminine, les Clarion Groups et les New Liberals. Le changement de direction politique initié par Emmeline et Christabel Pankhurst dès 1906 fit éclater une crise interne qui amena à une scission35 et à la naissance de la WFL, organisée démocratiquement (1907). Pourquoi et comment il y eut dissension éclaire les grandes lignes de l’organisation Pankhurst. Après le départ de ces premières dissidentes, les dirigeantes furent désormais libérées de toute opposition interne. Quand, en 1917, la WSPU se changea en éphémère Women’s Party36, ce dernier s’avéra fortement anti-socialiste et antiallemand. Après cet échec, Emmeline Pankhurst se présenta aux élections législatives de 1928 comme candidate conservatrice dans la circonscription de Whitechapel et Stepney.

    • 37 Teresa Billington-Greig, The Militant Suffrage Movement, Emancipation in a Hurry, London, Franck Pa (...)
    12En 1906, la WSPU déménagea à Londres afin de prendre une envergure nationale. Six mois auparavant, Emmeline Pankhurst y avait envoyé Sylvia Pankhurst, Annie Kenney et Teresa Billington-Greig pour préparer le terrain. Malgré leur succès, ou peut-être à cause de lui, toutes trois furent éloignées de Londres à l’arrivée de leurs chefs. Une fois que ces dernières recrutèrent Emmeline et Frederick Pethick-Lawrence, couple fortuné disposant de réseaux personnels et politiques puissants, l’organisation se développa par le biais d’un nombre grandissant d’adhésions et de dons en provenance de tout le pays. Bien que ces années-là furent appelées les années de « rébellion » politique – c’est ainsi que Teresa Billington-Greig les définit plus tard – le trio de chefs37 (Emmeline et Christabel Pankhurst et Emmeline Pethick-Lawrence) écartait le principe de la démocratie interne au nom de l’efficacité. Les adhérentes historiques qui constatèrent le changement au sein de la WSPU émirent de sérieuses réserves. Le projet de constitution élaboré par Teresa Billington-Greig (1907) précipita l’organisation vers la scission. Mrs Pankhurst, dans un geste célèbre et théâtral, déchira le projet de constitution affirmant qu’elle était le commandant en chef d’une immense armée dont le devoir était de lui obéir aveuglément. En conséquence, Teresa Billington-Greig, Charlotte Despard et Edith How-Martyn fondèrent la Women’s Freedom League. Après cette scission, l’autocratie des dirigeantes de la WSPU ne fut plus jamais contestée à l’échelle nationale. Après 1907, les femmes qui aspiraient à devenir suffragettes pouvaient choisir entre deux organisations « militantes » qui affichaient leurs différences. En d’autres termes, l’adoption de méthodes illégales de protestation pour transformer les femmes en électrices était possible au sein de la WFL démocratique ou de la WSPU autocratique. Choisir d’entrer ou de rester dans la WSPU montrait que l’on était d’accord avec sa stratégie qui impliquait la soumission aux chefs de l’organisation.

    La radicalisation de l’action militante suffragiste : prélude au fascisme ?
    • 38 Lori Maguire, ‘The Conservative Party and Women’s Suffrage’, in Boussahba-Bravard, Suffrage Outside (...)
    • 39 Teresa Billington-Greig fut le lien entre les deux organisations en énonçant ses idées d’abord à la (...)
    • 40 La NUWSS critiqua les méthodes de la WSPU parce qu’elles étaient contraires à la Constitution. Tere (...)
    13La WSPU d’après 1907 partageait son objectif final avec d’autres suffragettes, à savoir le droit de vote pour les femmes comme pour les hommes, un droit qui était alors fondé sur la propriété. Chez ceux qui n’adhéraient pas au suffragisme, il y avait déjà discussion sur l’obtention du droit de vote pour tous les hommes (suppression du suffrage censitaire), pour les hommes et les femmes (introduction des femmes propriétaires dans le système de suffrage censitaire). Les organisations suffragistes soutenaient unanimement toute forme de suffrage pour les femmes, puisque leur objectif commun était d’en finir avec la discrimination sexuelle. D’un autre côté, ceci ne voulait pas dire que toutes les suffragistes désiraient en finir avec la discrimination sociale, ce qui en terme de droit de vote impliquait un soutien au suffrage universel. Dès 1912, Christabel Pankhurst avait pris contact avec Balfour, le chef du parti conservateur, attirant son attention sur le fait que la WSPU voulait limiter le droit de vote féminin et que le plus sûr moyen d’éviter le suffrage universel masculin consisterait à donner le droit de vote aux femmes qui possédaient des biens. Créée en 1908, la Conservative and Unionist Women’s Franchise Association (CUWFA, Association conservatrice et unioniste pour le droit de vote des femmes) partageait ce point de vue, affirmant vouloir s’opposer au suffrage universel masculin sous toutes ces formes38. Allen, Elam et Richardson auraient pu retenir l’idée d’un droit de vote limité pour les femmes aussi parce que la configuration électorale reposait alors sur un suffrage censitaire masculin (c’est-à-dire vouloir une égalité entre les sexes sans égalité entre les classes). Leur opposition au suffrage universel masculin était peut-être plus marquée que le désir qu’elles avaient d’obtenir le droit de vote pour les femmes, qu’elles espéraient voir se réaliser dans les mêmes conditions que les hommes. Néanmoins, ces trois futures fascistes n’apportèrent jamais leur soutien à la CUWFA, qui, certes, soutenait le droit de vote limité pour les hommes et les femmes, mais également la démocratie libérale. Ces trois femmes soutinrent la WSPU, jusqu’au bout. La WSPU légitimait son refus d’obéissance à la loi, arguant du fait que celle-ci étant contre les femmes, ces dernières n’avaient pas à s’y plier. La WFL, tout en refusant la violence, partageait les mêmes vues39. Après 1910, la WSPU valida la violence militante, surtout si elle était spectaculaire, ce que dénoncèrent d’autres suffragistes qui isolèrent l’organisation des Pankhurst pour cette raison40.

    • 41 Raeburn, The Militant Suffragettes, p. 248.
    • 42 WSPU, Second Annual Report March 1907-February 1908, The Woman’s Press, Londres, 1908, pp. 17-31; W (...)
    14En avril 1913, après la condamnation de Mrs Pankhurst à trois ans de travaux forcés, des attaques quotidiennes à la propriété eurent lieu pendant une semaine. Annie Kenney fut arrêtée et, à la mi-avril, le Ministère de l’intérieur interdit les réunions publiques de la WSPU. À la fin du mois, la police investit les locaux de la WSPU, arrêta les responsables des différents départements et confisqua les épreuves du numéro à paraître de The Suffragette41. Et pourtant, l’organisation collecta davantage d’argent, 41 % de plus provenant des souscriptions et 43 % des ventes de brochures, d’objets divers, des conférences et des tournées de propagande42, ce qui prouve que ces nouvelles hors-la-loi disposaient de soutien à la fois dans le pays et au sein de l’organisation.

    • 43 Emily Davison fut membre de la WSPU de 1906 à 1913. Au Derby d’Epsom, le 4 juin 1913, elle se jeta (...)
    • 44 Le Prisoners Temporary Discharge Act consistait à libérer les grévistes de la faim (qu’on avait jus (...)
    • 45 Elles étaient anonymes soit parce qu’elles craignaient la publicité autour de leur soutien apporté (...)
    15Après le décès d’Emily Davison43 en juin 1913, tous les groupes suffragistes participèrent à la marche funèbre organisée en son honneur, sans soutenir l’idée du sacrifice suprême, celle de la mort du martyr pour sa cause. Malgré l’isolement de la WSPU par les autres organisations suffragistes, toutes s’opposaient au gavage des détenues en grève de la faim à Holloway ; elles accueillirent avec soulagement le vote de la loi qui libérait temporairement les grévistes de la faim (le Cat and Mouse Act, mars 1913) et qui désavouait la « cruauté » du gouvernement tout en condamnant le « sacrifice » des suffragettes de la WSPU44. En 1913, cette organisation était encore florissante et même riche grâce au soutien d’un nombre croissant de donateurs anonymes45. L’usage de la violence ne discrédita donc pas l’organisation aux yeux de bienfaiteurs éventuels. Si certains membres de la WSPU changèrent d’avis, de nouveaux adhérents/donateurs soutinrent sa radicalisation croissante. Pendant quelque temps, les décisions prises manquèrent de clarté, comme les comptes de la WSPU de transparence, ce qui ouvrit la possibilité d’une organisation clandestine.

    • 46 Dans les derniers mois de son existence, la WSPU sans bureaux et sans chefs collectait encore des f (...)
    • 47 En 1911, la NUWSS ainsi que la CUWFA versèrent une modeste contribution à la WSPU, WSPU, Sixth Annu (...)
    • 48 Le changement de tactique le plus spectaculaire fut la décision que prit Millicent Garrett Fawcett (...)
    16Un sentiment d’admiration pour cette attitude jusqu’au-boutiste (« ces femmes ont du cran ») se mêlait à la condamnation de leur violence46. De nombreux sympathisants cachaient les « souris » incendiaires et poseuses de bombes de sorte que la plupart échappèrent à la police. De plus, d’autres groupes suffragistes, tout en condamnant la violence, ne leur refusaient pas un soutien ponctuel : elles participèrent aux dépenses47, assistèrent au cortège funèbre d’Emily Davison et firent campagne contre la politique consistant à nourrir les détenues de force, politique que prônait le gouvernement vis-à-vis des grévistes de la faim. Les méthodes des suffragettes de la WSPU étaient condamnées sans appel, mais leur cause ne l’était pas. Beaucoup estimaient qu’elles avaient raison de s’opposer à des lois injustes et discriminatoires vis-à-vis des femmes. Du point de vue des suffragistes, le gouvernement portait la responsabilité d’avoir amené ces activistes à un irrespect flagrant de la loi, à des actes déraisonnables, à une violence destructrice au prix de leur santé et, parfois, de leur vie. En outre, d’autres groupes de suffragistes changèrent de tactiques au fil des années48. Même si le respect de la loi demeurait le choix officiel majoritaire, de nouvelles voies pouvaient être intéressantes pour résister à l’exclusion légale des femmes de la sphère politique, exclusion sanctionnée par l’état démocratique, incarné par le gouvernement libéral depuis 1906. Dans cette perspective, considérer le suffragisme comme une entité politique (dans la façon dont il s’articule à la culture politique dominante à l’époque édouardienne) contribue à mettre davantage en lumière la culture politique de la WSPU.

    • 49 Boussahba-Bravard, ‘Introduction’, Suffrage Outside Suffragism.
    • 50 Elles affirmèrent leur objectif dans un article de Suffrage Annual and Who’s Who de 1913, disant qu (...)
    • 51 Dans un contexte non démocratique, ces « identités » peuvent constituer un moyen d’organiser la soc (...)
    • 52 Myriam Boussahba-Bravard, « Les Édouardiennes et le parti libéral en Grande-Bretagne, 1906-1914 : q (...)
    • 53 Boussahba-Bravard, ‘Introduction’, Suffrage Outside Suffragism, p. 9.
    17Le suffragisme se structurait autour de groupes et de ligues à caractère politique, professionnel, religieux ou local49. Par exemple, la CUWFA fut fondée en 1908, tout comme l’Actresses’ Franchise League, qui regroupait des actrices ; la Jewish League for Woman Suffrage50 fut lancée en 1912, et la Teignmouth Suffrage Society (Teignmouth est une petite station balnéaire du Devon) en 1913. Les gens se rassemblaient autour de la question du droit de vote en fonction de positions diverses, qui pouvaient être politiques mais pas uniquement, puisque ces organisations suffragistes s’ancraient dans des modes d’identification locale, professionnelle ou confessionnelle, à moins de considérer ces identités comme pertinentes dans le jeu politique démocratique51. D’autre part, un tel ensemble d’éléments disparates, mais fédérés, démontrait que les femmes faisaient sans conteste partie de la communauté nationale et que, bien que privées du droit de vote, elles étaient déjà des citoyennes dont on exigeait les devoirs, mais ignorait les droits. Structurellement, les suffragistes étaient regroupées en organisations dont beaucoup appartenaient à la grande fédération constitutionaliste, la NUWSS, tandis que les deux groupes suffragettes, la WSPU et la WFL développèrent leurs réseaux sur tout le territoire. Après 1910, la campagne suffragiste amalgama de vastes pans de l’opinion publique. La presse généraliste qui, dans ses éditoriaux, s’était fait l’écho du soutien grandissant apporté au mouvement suffragiste, n’était plus systématiquement et majoritairement anti-suffragiste malgré l’opposition du gouvernement libéral à toute réforme électorale concernant les femmes52. L’ampleur qu’avait prise le suffragisme peut être interprétée par le fait que, bien que construit sur un objectif précis, il constituait un milieu fluctuant qui englobait virtuellement toute personne en faveur du droit de vote des femmes53.

    • 54 Millicent Garret Fawcett, Women’s Suffrage, London, Jack, 1912, p. 61 : « Ce fut une période des pl (...)
    • 55 Pour cette raison, la conclusion d’un accord électoral avec le parti travailliste, nouvelle stratég (...)
    • 56 Pat Thane, ‘Women in the Labour Party and Women’s Suffrage’, Lori Maguire, ‘The Conservative Party (...)
    • 57 Il y avait quelques organisations d’hommes, mais la plupart des sociétés ne regroupaient que des fe (...)
    • 58 Virginia Woolf, A Room of One’s Own, 1931. La campagne pour le vote des femmes partage ses caractér (...)
    • 59 Dans leur programme, certaines suffragistes extérieures au monde politique se réclamaient d’une pur (...)
    18Le milieu qui en résultait était assez souple pour admettre une diversité de groupes et d’individus pourvu qu’ils soutinssent la cause, même si, sur d’autres questions, leurs vues étaient contradictoires, voire opposées. La combinaison de tous ces groupes rendait le suffragisme et le suffrage omniprésents ; leurs adhérents gommaient ainsi plus facilement leurs différences54. La plupart des groupes n’adhéraient à aucun parti, position qui s’avérait la conséquence des débuts de la campagne pour le droit de vote des femmes quand les partis politiques ne souhaitaient pas s’embarrasser de cette question et que les premières suffragistes estimaient que la séparation d’avec les partis serait plus bénéfique à leur cause. Aux yeux des suffragistes, ce rejet du monde politique et institutionnel se changea en une force, comme si la question du vote des femmes transcendait toute appartenance politique, toutes les réalités pratiques de la vie sociale et méritait un traitement autre que la question irlandaise, par exemple, qui différenciait alors le programme de chacun des partis. Chez les suffragettes de la WSPU, le refus des partis politiques pouvait aisément se transformer en antagonisme vis-à-vis de ces mêmes partis, comme si ceux-ci, chevilles ouvrières de la démocratie libérale, ne comptaient pour rien. Le droit de vote étant une question qui touchait tous les partis, il ne pouvait être soutenu par aucun en particulier, mais ne pouvait être ignoré si des députés, élus sur leur programme, devaient changer la loi55. De plus, cette opposition, en partie paradoxale, aux partis renforçait l’idée (en dehors du suffragisme) que le vote des femmes était différent de celui des hommes, le vote de l’une étant perçu comme s’il était sociétal et partant apolitique, tandis que celui de l’homme aurait été ancré dans les débats parlementaires et appartiendrait donc à l’histoire. Cependant, les suffragistes considérées ainsi comme « apolitiques » étaient étiquetées comme travaillistes, libérales ou conservatrices dans les partis politiques constitués ou dans d’autres types de groupements, qu’ils soient religieux, locaux ou militants. En conséquence, quelle qu’ait été leur affiliation politique hors du suffragisme, ces femmes « politiques » collaboraient ensemble à la propagande pour obtenir le droit de vote alors que les unes se posaient en adversaires des autres en dehors de la sphère du suffragisme. La question du droit de vote écornait aussi l’unité des partis en dehors du suffragisme56. En dépit de leurs appartenances diverses à l’intérieur et au-delà du suffragisme, les activistes parvenaient à préserver leur unité parce que leur campagne n’avait qu’un seul objectif. La collaboration à tous prix pourrait s’interpréter comme un argument à tendance organiciste, surtout parce qu’il s’incarnait dans une forme de séparatisme à l’égard des courants politiques dominants57. Une telle union était bénéfique pour la cause, mais réduisait au silence les positions idéologiques divergentes à telle enseigne que – mise à part la notable exception des anti-suffragistes – tout un chacun pouvait trouver « chaussure à son pied » dans le mouvement suffragiste58. Les tenants du suffragisme dans leur programme s’alliaient contre les forces d’exploitation qui sévissaient en dehors du mouvement ; elles s’appropriaient des figures symboliques émanant des exploitées : celle de la mère, de la veuve en charge de jeunes enfants, de la femme au travail, des ouvrières éreintées. Ces icônes étaient les images des sujets de discussions incluses dans la lutte pour le droit de vote ; on s’accordait à croire qu’une fois la victoire acquise, la situation déplorable que connaissaient ces femmes, du fait même qu’elles étaient femmes, cesserait ou que les femmes seraient à même de faire entendre leur voix et de faire changer les choses59. Par exemple, les suffragistes des partis conservateur et travailliste dénonçaient unanimement le triste sort des femmes qui étaient moins bien payées que les hommes ; dans le suffragisme, elles s’accordaient sur la solution que constituait, selon elles, l’obtention du droit de vote. En dehors du mouvement suffragiste, ces mêmes femmes s’affrontaient et présentaient une interprétation de classe au problème et à sa solution reflétant également leurs origines sociales respectives. De la même manière, les groupes suffragistes corporatifs tels que les infirmières ou les professeurs de gymnastique s’affirmaient nettement à l’intérieur du suffragisme, mais n’avaient aucune existence en tant que tels en dehors, sauf à appartenir au même syndicat. Parmi les suffragistes, l’expression publique d’un désaccord était considérée comme une traîtrise ; certaines d’entre elles réprouvaient les méthodes des suffragettes en leur for intérieur tandis que d’autres les admiraient ; les membres de la WSPU prônaient l’inconduite comme moyen de faire avancer la cause alors que les activistes de la WFL abhorraient les lois de la démocratie libérale faites par les hommes, lois qui, selon elles, servaient de légitimation à la sujétion politique et à l’infériorité des femmes dans cet État.

    • 60 La dénomination « constitutionnaliste » met clairement en évidence la façon dont la majorité des su (...)
    19L’une et l’autre branche des suffragettes adoptèrent des méthodes illégales, même si la WFL se déclarait non-violente. Les suffragistes marquaient la différence entre celles qui respectaient la loi, désignées sous le terme « constitutionnalistes » (comme la NUWSS) et les « militantes » qui en fait rejetaient les lois du pays60. Toutes soutenaient que les femmes étaient déjà des citoyennes même si elles étaient privées du droit de vote. Cependant, les « constitutionnalistes » entendaient réformer la législation, acceptant tacitement le pouvoir législatif de la démocratie libérale. Au contraire, les militantes la considéraient comme l’instrument d’oppression de la puissance étatique et seul un changement opéré au niveau de l’État pourrait restaurer la justice. Dans The Militant Suffrage Movement, Citizenship and Resistance, Laura Mayhall a souligné la différence dans leur interprétation de la chose judiciaire :

    • 61 Mayhall, The Militant Suffrage Movement, Citizenship and Resistance, p. 69.
    Les suffragettes en vinrent à considérer l’interprétation de la justice comme une manifestation du pouvoir étatique. Elles faisaient leur l’analyse radicale de ceux qui critiquaient la loi – parmi lesquels Jeremy Bentham – qui voyait en elle une machinerie complexe qui masquait la réalité de l’oppression par les classes privilégiées. Les suffragettes ajoutaient à ces critiques ces autres prérogatives du sexe, dénigrant ce que Florence Fenwick Miller appelait « l’aristocratie du sexe ». Au contraire, les suffragistes partageaient l’opinion de J. S. Mill selon laquelle ‘la loi est l’instrument le plus important que le gouvernement pouvait utiliser directement pour influencer à la fois les actions et la personnalité des citoyens’. Elles considéraient l’interprétation de l’acte judiciaire au pied de la lettre, contrairement aux suffragettes, elles n’accusaient pas le pouvoir d’outrepasser ses limites61.

    • 62 Myriam Boussahba-Bravard, « Résistance passive et citoyenneté: la rébellion de la contribuable angl (...)
    • 63 Mayhall, The Militant Suffrage Movement, Citizenship and Resistance, pp. 73-74.
    20Les suffragettes décidèrent donc de s’opposer à la loi plutôt que de combattre des situations particulières, ce qui depuis les années 1860 avait été la méthode traditionnelle des suffragistes. De plus, l’opposition à la loi permettait d’attirer plus aisément l’attention immédiate du public – ce qu’un procès ne pouvait réussir – et permettait de théâtraliser certaines actions. Refusant la stratégie de la confrontation directe de la WSPU, la WFL adopta une tactique spectaculaire, mais non violente qui fit l’objet d’opuscules et d’articles dans la presse suffragiste ainsi que dans les titres de presse bien disposés à l’égard de la cause suffragiste. À l’aide de la plume et des choix tactiques de Teresa Billington Greig, la WFL fut à l’origine de la résistance à un État libéral jugé injuste et à la panoplie de moyens légaux dont disposaient ses agents, ce qui valut à la WFL d’attirer de nombreuses sympathisantes, même parmi les constitutionalistes. Son but était de défier l’État en prenant appui sur l’absence de citoyenneté des femmes : puisque celles-ci étaient dépourvues de droits, elles en vinrent à refuser les devoirs de la citoyenneté, d’où la campagne de résistance à l’impôt62 accompagnée de manifestations systématiquement orchestrées au sein des tribunaux et se déroulant parfois simultanément dans tout le pays63, d’où le boycott du recensement de 1911. Cependant les membres de la WFL n’étaient certainement pas des fascistes avant l’heure ; en revanche, dans les derniers temps de la WSPU, ses derniers membres avaient certains traits en commun avec un modèle fasciste encore à naître.

    • 64 L’Alliance internationale pour le vote des femmes fut fondée en 1902. « Elle avait pour but d’agir (...)
    • 65 Discours de Teresa Billington-Greig lors du premier Congrès de la Women’s Freedom League, 1907, 7/T (...)
    21Il y a une autre manière de considérer ce que la campagne suffragiste impliquait et mettait en avant : d’une part l’activisme féminin en soi et d’autre part l’activisme par delà les choix idéologiques traditionnels. D’une certain façon, le suffragisme a conquis l’opinion publique édouardienne au-delà des divisions idéologiques, particulièrement des appartenances politiques et par delà les distinctions de classe, et même par delà les frontières64. Cependant, les suffragistes n’eurent jamais l’intention d’abolir la pluralité ni la diversité. Bien au contraire, leur programme d’ensemble mettait à profit une ouverture plurielle sans exclusive pour faire avancer leur cause. Inversement, les chefs de la WSPU se prononcèrent pour une exclusion à caractère sectaire en vue de libérer « la femme » de la domination masculine, allant même jusqu’à « se plier à la soumission de femme à femme », préservant ainsi la domination politique dans un contexte unisexe comme moyen d’en finir avec la subordination sociale de la femme, tout en assouvissant l’ambition de ses chefs à dominer65. Toutefois, il n’existait pas d’identité suffragiste monolithique, car celle-ci se fragmentait en une variété d’identités : en tant que membre de la WSPU, on pouvait parfois adopter des méthodes proto-fascistes et se montrer farouchement démocrate dans d’autres cas.

    • 66 « Sous l’influence de sa réhabilitation, les vues du mouvement se firent conventionnelles, étroites (...)
    22Pourtant, être suffragiste impliquait toujours d’être activiste, surtout lorsque la campagne massive de propagande atteignit son apogée en 1910. Sous bien des aspects, cette campagne s’avérait idéologique, surtout parce qu’elle mettait en application une théorie de l’activisme à l’usage des femmes de toutes classes, de tous âges et de toutes appartenances politiques qui, jusqu’alors, n’avaient pas été systématiquement politisées. C’était encore plus vrai pour les activistes de la WSPU pour lesquelles les actions menées par les femmes devinrent l’objectif, comme le proclamait Teresa Billington-Greig66. Par exemple, ses chefs insistaient sur le fait que l’action devait être assez spectaculaire pour obtenir la couverture journalistique désirée, quand bien même la presse relatait les faits pour dénigrer les suffragistes. On pourrait arguer que c’est là une interprétation bien faible et inconséquente de leur idéologie si apparemment cela signifie simplement se montrer activiste et ostentatoire. Cependant, cette visibilité – qui permettait de se réapproprier des existences et des actes oubliés ou inconnus – constitue un pilier essentiel de l’histoire des femmes.

    • 67 La WSPU contribua largement à la peur de la traite des blanches en 1912-13 et se fit de plus en plu (...)
    23Après 1908, pour les suffragettes de la WSPU, l’activisme impliqua un dévouement total à la cause, ce que Richardson proposa dans les années 1920 : ouvrir un « couvent consacré aux services sociaux et religieux ». De la même manière, le plaidoyer en faveur d’un « séparatisme sexuel »67 fut d’abord considéré comme un moyen de pression sur les hommes, l’autre moitié de la population ; pour certaines, ce qui n’était initialement qu’une méthode évolua en un objectif implicite. De plus, dans le contexte du suffragisme, il s’agissait là d’une décision politique qui entraînait la WSPU vers un nouvel État social et sexuel radicalement différent de l’État libéral. En revanche, les suffragistes « constitutionnelles », attachées à la pureté des mœurs, entendaient réformer l’État social et sexuel existant.

    • 68 Les anti-suffragistes masculins fondaient également leur argumentation sur la biologie. De leur poi (...)
    24La deuxième dimension « idéologique » du suffragisme résidait dans l’objectif commun, à savoir le vote des femmes. Ces femmes prirent conscience qu’étant des femmes, elles partageaient des problèmes et des buts dont le dénominateur commun était leur exploitation en tant que groupe dans le mariage et/ou la vie professionnelle, et, plus particulièrement, dans le refus qu’on leur faisait du droit de voter. Tout ceci leur donna un vif sentiment de leur identité qui trouvait son expression sur le plan politique et social ; une fois le droit de vote acquis et l’exploitation des femmes en passe d’être solutionnée, elles pourraient dès lors exprimer leur souci de la chose politique en tant que citoyennes de plein droit. Cependant, édifier un mouvement d’émancipation des femmes peut aussi induire le risque du biologisme – apparenté à une catégorisation raciale. Le biologisme aurait pu remplacer les principes démocratiques par des principes organicistes et amener à combattre en vue de la formation d’un État de femmes, organisé en vertu des problèmes spécifiques de femmes, ce qui était le modèle que la WSPU prônait de plus en plus vers 1913. Si on excepte cette évolution tardive de la WSPU, on ne pouvait absolument pas reprocher ce type de position aux membres de la WSPU, en dépit de l’argument anti-suffragiste qui affirmait que toutes ces activistes étaient opposées à « l’homme »68.

    Conclusion
    • 69 Pamela Graves, Labour Women, Women in British Working-class Politics 1918-1939, Cambridge, Cambridg (...)
    25Une fois le droit de vote partiellement accordé en 1918, puis une fois l’égalité des droits civiques atteinte en 1928, les femmes, en tant qu’électrices, suscitèrent l’intérêt des partis politiques. Tous les partis les recrutèrent après la Première guerre mondiale, quelques-uns avec plus de succès que d’autres69.

    • 70 Il est possible que cette erreur d’interprétation provienne d’un anachronisme commis lors de la lec (...)
    • 71 Lucy Delap, The Feminist Avant Garde, Transatlantic Encounters of the Early Twentieth Century, Camb (...)
    26Qui plus est, nombre d’entre elles n’étaient pas des nouvelles venues en politique puisqu’elles avaient été auparavant membres de sections féminines des grands partis ou/et elles avaient appartenu à ce qu’on appelle souvent « les groupes de suffragistes politiques », terminologie plutôt trompeuse car elle assimile le refus d’adhésion à un parti à un refus de la politique des partis. Pour les partis, les femmes devenues électrices devinrent des « objectifs » de recrutement. La formation du Women’s Party, dernier avatar de la WSPU, constitua aussi une tentative de recruter les électrices, ce qui mit en évidence l’idée provocatrice selon laquelle les femmes aussi pouvaient être « prédatrices » en politique. Dans ce contexte, il n’est pas si surprenant que certaines devinrent des activistes d’extrême droite à moins de croire, à tort, que les suffragistes avaient des idées progressistes en toutes circonstances et que, d’un autre côté, celles des suffragettes qui contestaient l’État libéral n’étaient que des gauchistes et des féministes70. Une relecture des contemporains met en garde contre de telles erreurs d’interprétation : par exemple, Teresa Billington-Greig déplorait que les suffragistes ne soient pas nécessairement féministes et que les femmes aux idées avancées fussent parfois peu amènes à l’égard des suffragistes71.

    • 72 Dans les États totalitaires, il est presque obligatoire d’appartenir aux organismes d’État puisque (...)
    27Cependant, les suffragistes, ou les suffragettes d’ailleurs, avaient en elles les éléments essentiels d’une pensée progressiste puisque, après tout, elles se fondaient également sur l’ensemble des droits naturels de chaque individu, indépendamment de son sexe, son origine sociale ou son appartenance religieuse. De tels postulats reconnaissaient aux femmes et aux hommes une part égale de devoirs, de responsabilités et de droits ; en fait « l’égalité et des droits pour tous » est contraire à la propagande et à la pensée fasciste. Si le suffragisme était à l’origine d’un engagement politique, l’appartenance à une organisation fasciste ensuite était contradictoire. Si ce n’était qu’un tremplin pour l’activisme des femmes, des personnes comme Allen, Richardson et Elam pouvaient tout à fait rejoindre la WSPU jusque dans ses dernières étapes sans que quiconque ne mette en doute leurs raisons ou leurs convictions, par exemple, quant à l’égalité entre hommes et femmes, mais peut-être pas à l’égalité entre femmes. Il s’agissait de femmes politiques indépendantes que ce soit avant la Première guerre mondiale ou après, et il n’y avait pas plus de contrainte pour elles de rejoindre la WSPU qu’ensuite la BUF72. La raison pour laquelle une personne adhère à un groupe politique n’est peut-être pas toujours claire, mais lorsque cette adhésion est librement consentie, il faut reconnaître aux militants une certaine cohérence.

    • 73 C’est une référence à ce que les Français appelleraient la citoyenneté. Myriam Boussahba-Bravard, « (...)
    28Les motifs pour s’impliquer dans la campagne pour l’obtention du droit de vote des femmes pouvaient également être liés à la notion de « communauté », dans laquelle s’enracinait nombre d’arguments de la propagande suffragiste. Cette « communauté » était centrée sur le lien social entre individus qui s’accordaient alors sur une vision collective de la représentation politique : il s’agit de bien plus qu’une définition étroite du lien local ou du localisme73. Si la « communauté » était le fondement de l’engagement politique, chaque individu – homme ou femme – avait la possibilité d’exercer son choix. Ceci devint accessible aux femmes avant même l’obtention du droit de vote, et, par bien des aspects, le suffragisme en tant que milieu politique est une incarnation parmi d’autres de cette notion de communauté. Ces femmes adversaires de la démocratie pour tous tenaient beaucoup à leur vote à elles et voyaient dans le potentiel politique d’une communauté suffragiste un moyen de servir leurs objectifs – même si leur but était la transformation de cette communauté. En d’autres termes, elles s’accordaient sur des principes qu’on appellerait maintenant proto-fascistes, à condition d’avoir accès aux cercles dirigeants. Or, avant la Première guerre mondiale, seule la WSPU offrait un tel programme (implicite) aux femmes. L’opposition à la démocratie pour tous était donc compatible avec la revendication du droit de vote pour les femmes, à une époque où aucune d’entre elles ne pouvait participer aux élections législatives. Une fois qu’on leur eût accordé le droit de vote dans les mêmes conditions que les hommes en 1928, en finir avec le suffrage universel devint la priorité de ces anciennes suffragistes devenues fascistes.

    29Richardson, Elam et Allen devinrent des figures marquantes de la BUF ; elles entamèrent leurs carrières à l’échelon national par une bataille pour la conquête du droit de vote dans laquelle la théorie de l’activisme était primordiale, en particulier pour des membres de la WSPU comme elles. Dans les années 1930, Allen et Richardson, plus âgées, avaient moins de charges de famille que la plupart des femmes de leur âge ; le mouvement d’extrême droite en Grande-Bretagne raviva leur foi indéfectible en un dévouement sans limite envers un chef et une cause. En fait, il est possible que le mouvement fasciste les ait amenées à formuler leur opposition à la démocratie de masse, si tant est qu’elles ne l’aient pas fait auparavant. En tant qu’individus, elles crurent que le fascisme était la réponse et que les femmes se devaient d’y prendre une part active. Richardson, Allen et Elam s’étaient battues pour le droit des femmes à une vie politique et personnelle, choix qui les fit toutes trois se diriger vers la cause du fascisme.

    Bibliographie

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    WALKER, Linda, ‘Gender, Suffrage and Party: Liberal Women’s Organisations, 1880-1914’, in BOUSSAHBA-BRAVARD, Myriam (ed.), Suffrage Outside Suffragism, Women’s Vote 1880-1914, Aldershot, Palgrave, 2007, pp. 77-102.

    Notes
    1 Les termes « suffragettes » et « militantes » sont associés à deux organisations, la Women’s Social and Political Union (WSPU, 1903-1917) menée par les Pankhurst et la Women’s Freedom League (WFL, 1907-1961), née d’une scission avec la WSPU. Toutes les personnes impliquées dans la campagne pour le droit de vote des femmes sont des suffragistes ; ce terme est aussi utilisé comme signifiant non suffragettes dans le cadre de comparaison entre les unes et les autres.

    2 L’anti-suffragisme féminin, dans sa variante constructive et « positive » a probablement des éléments de convergence avec la vision ultérieure que les militantes fascistes ont des rôles sociaux des femmes, en particulier celle de la classe sociale, qui voulait que les femmes de classe moyenne apprennent aux « femmes ordinaires » à bien remplir leur rôle dans la société. Voir Julia Bush, Women Against the Vote. Female Anti-Suffragism in Britain, Oxford : Oxford U.
    P., 2007, p. 227 : “L’antagonisme entre tenants et adversaires du vote des femmes s’estompa à la suite de tentatives de conciliation lors d’une trêve conclue en 1913-14, alors que les anti-suffragistes progressistes tablaient sur un avenir de collaboration entre femmes afin de défendre les valeurs féminines et de soutenir les formes féminisées de gouvernement et de citoyenneté ».

    3 Mary Allen (1878-1964); Norah Elam, then Mrs Dacre-Fox (born 1878); Mary Richardson (c. 1883-1961).

    4 Julie Gottlieb, Feminine Fascism, Women in Britain’s Fascist Movement, Londres, I. B. Tauris, 2003, pp. 147-176.

    5 Julie Gottlieb, ‘Suffragette Experience Through the Filter of Fascism’, in Claire Eustance, Joan Ryan and Laura Ugolini (ed.), A Suffrage Reader, Charting Directions in British Suffrage History, Londres, Leicester University Press, 2000, pp. 105-125.

    6 Hilda Kean, ‘Suffrage Autobiography: a Study of Mary Richardson – Suffragette, Socialist and Fascist’, in Eustance, Ryan and Ugolini (ed.), A Suffrage Reader, pp. 177-189.

    7 Kean, ‘Suffrage Autobiography’, p. 178.

    8 Teresa Billington-Greig a été redécouverte par les historiens dans les années 1980. Carole McPhee et Ann Fitzgerald ont publié The Non-Violent Militant, Selected Writings of Teresa Billington-Greig, Londres, Routledge, 1987. Brian Harrison a consacré un chapitre à Billington-Greig intitulé ‘Woman of Ideas’dans Prudent Revolutionaries, Portraits of British Feminists between the Wars, Oxford, Clarendon, 1987, dans lequel B. Harrison remarque p. 45 : « The Militant Suffrage Movement [l’ouvrage publié par Billington-Greig en 1911] est une étude pionnière sur ce qu’on décrit à présent sous l’appellation de gouvernement fascistes ». L’auteure de cet article écrit actuellement un ouvrage consacré à Billington-Greig.
    Les termes « fasciste » et « fascisme » sont apparus dans des périodiques et des journaux anglais au début des années 1920.Oxford Dictionary of English on line, Oxford U. P., 2009 (consulté le 16 octobre 2009).

    9 Leur accorder une cohérence politique signifie que le fait de devenir des fascistes de premier plan n’était ni « une séquelle du mouvement [suffragiste] », ni que « le mouvement des suffragettes et ses liens avec le fascisme représentaient une sorte de révolte de bon ton menée par des femmes de la petite bourgeoisie contre les effets lénifiants de la morale victorienne qui limitait le rôle des femmes respectables à celui d’ornements dans les relations sociales ». Richard Thurlow, Fascism in Britain. From Oswald Mosley’s Blackshirts to the National Front, Londres, I. B. Tauris, 1998, p. 47.

    10 Il est indéniable que ces versions furent altérées après l’obtention du vote, mais le doute subsiste quant à un changement radical. Voir Laura N. Mayhall, The Militant Suffrage Movement. Citizenship and Resistance in Britain, 1860-1930, Oxford, Oxford U. P., 2003, pp. 5-6.

    11 Il peut exister d’autres modèles de démocraties et d’autres alternatives à la démocratie. Par exemple, Teresa Billington-Greig, membre de la WFL, proposait une démocratie féministe. Les socialistes d’obédience anarchocommuniste s’opposaient également au parlementarisme et à la démocratie libérale avant la Première guerre mondiale. Bob Jones, ‘Aldred, Guy, (1886-1963)’; John T. Caldwell and Bob Jones, ‘MacDonald, Ethel Camilia (1909-1960)’, ‘Patrick, Jane (1884-1971), Oxford Dictionary of National Biography on line (ODNB), Oxford U. P., 2009 (consulté le 25 février 2009).

    12 Gottlieb, ‘Suffragette Experience through the Filter of Fascism’, dans Eustance, Ryan and Ugolini (ed.), A Suffrage Reader.

    13 Hilda Kean, ‘Some problems of constructing and reconstructing a suffragette’s life: Mary Richardson, suffragette, socialist and fascist’, Women’s History Review, vol. 7, N° 4, 1998, 475-493; Gottlieb, Feminine Fascism, pp. 335-336; Hilda Kean, ‘Richardson, Mary (1882/3-1961)’, ODNB (consulté le 25 novembre 2008).

    14 Kean, ‘Suffrage Autobiography: a Study of Mary Richardson’, p. 178.

    15 Mary Richardson déclara qu’elle devint membre de la WSPU après avoir été témoin des événements du Vendredi Noir (18 novembre 1910). Ce jour-là, la WSPU marcha sur le Parlement au mépris des interdictions de la police. Les militantes furent violemment molestées par policiers et passants. Il est possible qu’elle ait considéré comme allant de soi de s’attaquer au bien public, propriété de l’État, ce qui lui valut le surnom de « Mary la casseuse ». Kean, ‘Richardson, Mary (1882/3-1961); Crawford, ‘Richardson, Mary (c. 1883-1961), Women’s Suffrage Movement, pp. 596-598.

    16 Les noms Dacre-Fox, Doherty, Elam n’apparaissent pas dans les ouvrages de référence sur les suffragettes tels que celui d’Elizabeth Crawford, Women’s Suffrage Movement, a Reference Guide 1860-1928, Routledge, London, 2001. Elle ne figure pas non plus dans l’ODNB (mars 2009). N’ayant jamais publié, elle ne peut non plus être identifiée de cette façon. Julie Gottlieb lui a consacré une rubrique dans la partie biographique de Feminine Fascism, p. 301. Elle apparaît en tant que membre de la WSPU en 1913 et 1914 dans Antonia Raeburn, The Militant Suffragettes, Newton Abbot, Victorian Book Club, 1974, pp. 194, 219-220, 228, 237. Depuis la rédaction de cet article, une biographie familiale a été publiée par Susan et Angela McPherson, Mosley’s Old Suffragette : A Biography of Norah Dacre Fox, Lulu. com, 24 dec. 2010, 276 p.

    17 Kean, ‘Richardson, Mary (1882/3-1961)’.

    18 Mayhall, The Militant Suffrage Movement, Citizenship and Resistance, p. 87.

    19 Emmeline et Frederick Pethick-Lawrence avaient rejoint les rangs de la WSPU en 1906 en tant que trésorière et juriste (techniquement, Frederick n’était pas membre puisqu’il était un homme). Ils firent des dons généreux au groupe et invitèrent Christabel à s’installer chez eux. De 1907 à 1912, ils rédigèrent l’hebdomadaire Votes for Women avant d’être expulsés de la WSPU. Au début de 1914, Sylvia Pankhurst fut sommée de choisir entre la WSPU et ses engagements socialistes dans l’East End où elle avait fondé l’East London Federation of Suffragettes (1912-13). Elle quitta la WSPU après ce dernier accrochage et rompit tout contact avec sa mère jusqu’à la fin de la vie de cette dernière.

    20 June Hannam, ‘“To make the world a better place”: Socialist Women and Women’s Suffrage in Bristol 1910-1920’, in Myriam Boussahba-Bravard, Suffrage Outside Suffragism, Women’s Vote 1880-1914, Aldershot, Palgrave, 2007, pp. 157-179; Sandra Holton, Feminism and Democracy, Women’s Suffrage and Reform Politics 1900-1918, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 42.

    21 Christabel Pankhurst, The Great Scourge and How to End It, London, 1913. Cet ouvrage fut d’abord publié sous la forme d’une série d’articles dans The Suffragette, puis sous la forme d’un opuscule contenant de nombreux emprunts à ces écrits antérieurs. Lorsque la guerre éclata, la WSPU soutint le gouvernement et le « Mal Social fut remplacé par le Péril Allemand ». Crawford, ‘Pankhurst, Christabel Harriette (1880-1958)’, The Women’s Suffrage Movement, p. 497. Les organisations unisexes, le narcissisime politique et le “Mal Juif” étaient des piliers de l’État nazi.

    22 Voir note 1. Le terme « militante » fait référence aux méthodes en usage dans deux organisations de suffragettes, la WSPU et la WFL, qui incluaient dans leur programme agitation et actes illicites. En revanche, la National Union of Women’s Suffrage Societies (dirigée par Millicent Garrett Fawcett) soulignait sa différence d’avec les méthodes militantes en employant les termes « constitutionnelle » et « respectueuse des lois ». Toutefois, de nombreuses branches de la WSPU et de la WFL, nombre d’exemples dans différents endroits, prouvent que pareil clivage était peu pertinent localement.

    23 Dans les années 1920, Sylvia Pankhurst appartenait à l’avant-garde du socialisme européen ; elle ne pouvait être suspectée de tendances fascistes. Sa mère et sa sœur devinrent des partisans convaincus des Conservateurs après que leur Women’s Party créé en 1917 eut périclité.

    24 Richardson, Laugh a Defiance, 1953, p. 6.

    25 Les hommes ne pouvaient pas appartenir à la WSPU ni à la WLF, mais ils étaient les bienvenus pour apporter leur soutien de différentes façons : par des dons, des déclarations officielles, l’organisation matérielle de cortèges et de rassemblements, en étant invités à donner des conférences.

    26 Le mouvement pour la pureté sociale trouve ses racines dans les campagnes d’après 1850, y compris celle de Josephine Butler et de la Ladies’ Society for the Repeal of the Contagious Diseases Acts. L’aspect « traite des blanches » peut s’interpréter comme une vision plus progressiste du combat contre la prostitution (car alors les femmes deviennent des victimes) qu’une simple argumentation en faveur de la pureté sociale. De plus, les femmes de la fin du 19ème siècle qui luttaient contre la traite des blanches introduisirent dans leur campagne le personnage du ravisseur « étranger » alors qu’en même temps s’organisaient des congrès internationaux avec des délégués « étrangers ». Ces « trafiquants étrangers » ont contribué au développement de courants xénophobes et racistes.

    27 Vera Di Campli San Vito, ‘Allen, Mary (1878-1964)’, ODNB (consulté le 25 novembre 2008). Nina Boyle se retrouva à la tête du département politique et militant de la WFL (après la démission de Teresa Billington-Greig). Elle s’efforça de convaincre le gouvernement de la nécessité d’employer des femmes spécialisées dans l’amélioration du traitement des femmes par la police, étant donné son expérience personnelle et en se fondant également sur un des objectifs de la WFL visant à ouvrir aux femmes tous les domaines d’emploi. Quand elle échoua en 1914, elle créa le premier corps de volontaires féminines de police avec Margaret Damer Dawson de la National Vigilance Association. Il n’est pas surprenant que Boyle ne partageât pas les méthodes tatillonnes de surveillance de Mary Allen ni ses positions antiféminines que Boyle qualifiait d’insultantes pour toutes les femmes. Boyle finit par démissionner.

    28 Di Campli San Vito, ‘Allen, Mary (1878-1964)’.

    29 Dans son autobiographie, elle n’y fait qu’une brève allusion, notant qu’il s’agissait d’un bastion conservateur. En revanche, elle commenta abondamment « une controverse qui faisait rage pendant la campagne électorale, à savoir : fallait-il ou non que les femmes agents de police portent l’uniforme ». Mary Allen, Lady in Blue, 1936, p. 70.

    30 « À tout le moins, les dictateurs ont montré que si on les oriente dans les directions qu’ils estiment valables, les jeunes de toutes nations sont plus que jamais prompts à se sacrifier et à substituer à ce galimatias sur l’épanouissement personnel un contrôle sévère en vue d’atteindre un idéal national qui leur serait proposé avec force. Une dictature est toujours nécessairement une forme de tyrannie ; mais cela permet d’éviter une tyrannie pire encore, c’est-à-dire la domination de l’ignorance, de la licence et du désordre ». Mary Allen, Woman at the Cross Roads, London, 1934, p. 143.

    31 Richard Thurlow, Fascism in Britain, p. 90 : « Il y eut d’autres signes prouvant que Mosley était parfaitement au courant des activités des Services de Sécurité. À la fin des années 30, il passa sous silence l’appartenance du commandant Mary Allen à la BUF dans l’espoir que son organisation officieuse de forces de police féminine pourrait fournir des renseignements de première main si les autorités décidaient de prendre des mesures contre l’organisation ».

    32 Di Campli San Vito, ‘Allen, Mary (1878-1964)’.

    33 Gottlieb, Feminine Fascism, p. 301.

    34 Antonia Raeburn, The Militant Suffragettes, pp. 194, 219-220, 228, 237. Voir note 16.

    35 « Cette scission endommagea le potentiel de la WSPU en vue d’actions immédiates et futures, mais enrichit la diversité d’opinion préexistant au sein du mouvement suffragiste. De plus, elle eut pour conséquence de saper la théorie officielle de tous les groupes selon laquelle l’unité du suffragisme était sa plus grande force. Pareille insistance sur l’unité du mouvement amena un consensus général sur le caractère inclusif du suffragisme ». Myriam Boussahba-Bravard, ‘Introduction’, Suffrage Outside Suffragism, pp. 1-32.

    36 La dénomination « Women’s Party » démontrait le désir d’homogénéité selon des critères biologiques, la volonté d’exclure l’altérité sous la forme du sexe opposé, et l’importance d’une idéologie reposant sur une identité unisexuelle.

    37 Teresa Billington-Greig, The Militant Suffrage Movement, Emancipation in a Hurry, London, Franck Palmer, 1911, p. 111 : « Les chefs imposent un carcan de contrôle émotionnel dans lequel les vertus même des membres du groupe sont exploitées. Il s’en dégage un système d’esclavage à la fois mental et spirituel. Les femmes qui y succombent présentent un type d’assujettissement qui n’est pas moins critiquable que l’assujettissement plus fréquent des femmes aux hommes, assujettissements qui ne sont guère éloignés l’un de l’autre ».

    38 Lori Maguire, ‘The Conservative Party and Women’s Suffrage’, in Boussahba-Bravard, Suffrage Outside Suffragism, pp. 58-60; Crawford, The Women’s Suffrage Movement, p. 138.

    39 Teresa Billington-Greig fut le lien entre les deux organisations en énonçant ses idées d’abord à la WSPU, puis à la WFL, à chaque fois en tant que responsable des publications politiques.

    40 La NUWSS critiqua les méthodes de la WSPU parce qu’elles étaient contraires à la Constitution. Teresa Billington-Greig fut la seule à analyser l’autocratie croissante de la WSPU en 1911. L’unité affichée du suffragisme rendait difficile aux contestataires de quelque groupe que ce soit d’exposer leur point de vue. Billington-Greig démontra à quel point il était malaisé pour le groupe dissident d’affirmer son existence car il ne pouvait critiquer l’autocratie interne de la WSPU qui était à l’origine de la WFL. The Militant Suffrage Movement, pp. 96-104. La WSPU eut moins de scrupules à propos de la WFL.Ibid., pp. 83-86.

    41 Raeburn, The Militant Suffragettes, p. 248.

    42 WSPU, Second Annual Report March 1907-February 1908, The Woman’s Press, Londres, 1908, pp. 17-31; WSPU, Fourth Annual Report March 1909-February 1910, The Woman’s Press, Londres, 1910, pp. 31-56; WSPU, Sixth Annual Report March 1911-February 1912, The Woman’s Press, Londres, 1912, pp. 23-53; WSPU, Eighth Annual Report March 1913-February 1914, The Woman’s Press, Londres, 1914, pp. 30-63.

    43 Emily Davison fut membre de la WSPU de 1906 à 1913. Au Derby d’Epsom, le 4 juin 1913, elle se jeta sous les sabots d’un cheval de l’écurie royale. Gravement blessée, elle mourut quelques jours plus tard Un hommage solennel lui fut rendu le 14 juin par un grand nombre de suffragistes, constitutionnalistes, suffragettes de la WSPU comme de la WFL, qui participèrent au cortège funèbre contemplé par des centaines de milliers de Londoniens massés le long des rues.

    44 Le Prisoners Temporary Discharge Act consistait à libérer les grévistes de la faim (qu’on avait jusque là nourries de force) lorsque leur état de santé devenait critique. Elles étaient censées réintégrer la prison pour finir leur peine une fois qu’elles étaient rétablies, ce qu’elles ne faisaient pas, jusqu’à ce que la police les arrête à nouveau. Cette loi fut surnommée la loi du Chat et de la Souris.

    45 Elles étaient anonymes soit parce qu’elles craignaient la publicité autour de leur soutien apporté à une organisation illégale, soit parce qu’elles ne pouvaient la soutenir sans réserve.

    46 Dans les derniers mois de son existence, la WSPU sans bureaux et sans chefs collectait encore des fonds. L’attitude jusqu’au-boutiste de ces suffragettes convainquait et faisait l’admiration de beaucoup, témoins et sympathisants. Par exemple, le 6 juillet 1914, dans Holland Park, 15 000 livres sterling furent collectées ; en dépit des menaces de McKenna, ministre de l’Intérieur, Annie Kenney et Mrs Dacre-Fox, bravant l’arrestation, toutes deux « souris » (en référence à la loi dite du Chat et de la Souris) donnèrent un discours sur une estrade. Mrs Mansel, personnalité très en vue désormais, présidait l’évènement. Elle lut un message de Mrs Pankhurst : « Le Gouvernement qui m’a libérée pour quatre jours me renvoie à présent en prison pour m’empêcher de m’adresser à vous ce soir. Au risque de me supprimer, ils m’ont réduite au silence, mais il est des silences plus éloquents que les mots ». De fait, Mrs Pankhurst fut libérée à nouveau dès la fin de leur meeting, Raeburn, The Militant Suffragettes, p. 237.

    47 En 1911, la NUWSS ainsi que la CUWFA versèrent une modeste contribution à la WSPU, WSPU, Sixth Annual Report March 1911-February 1912, Londres, The Woman’s Press, 1912, p. 29, 42.

    48 Le changement de tactique le plus spectaculaire fut la décision que prit Millicent Garrett Fawcett de faire cause commune avec les travaillistes pour les élections à venir (1912). Ceci marqua la fin de la position originelle d’indépendance vis-à-vis des partis et choqua nombre de suffragistes de tendance libérale. Ce revirement amena Eleanor Rathbone à démissionner de la NUWSS en 1912, bien qu’elle en devînt présidente en 1918.

    49 Boussahba-Bravard, ‘Introduction’, Suffrage Outside Suffragism.

    50 Elles affirmèrent leur objectif dans un article de Suffrage Annual and Who’s Who de 1913, disant qu’une ligue juive s’imposait pour rassembler les suffragistes juives de toutes nuances d’opinion, avançant également que bon nombre rejoindrait une ligue juive tandis qu’autrement elles hésiteraient à adhérer à une organisation purement politique. Crawford, The Women’s Suffrage Movement, p. 310.

    51 Dans un contexte non démocratique, ces « identités » peuvent constituer un moyen d’organiser la société sur des bases organicistes et exclusives, occultant ainsi le rôle de la politique, facture de l’opinion. Ceci fut un moyen efficace de réglementer la vie des populations dans l’Allemagne nazie et dans l’Italie fasciste.

    52 Myriam Boussahba-Bravard, « Les Édouardiennes et le parti libéral en Grande-Bretagne, 1906-1914 : quelles femmes ? Quel parti libéral ? », CRECIB, Revue française de civilisation britannique, Automne 2011.

    53 Boussahba-Bravard, ‘Introduction’, Suffrage Outside Suffragism, p. 9.

    54 Millicent Garret Fawcett, Women’s Suffrage, London, Jack, 1912, p. 61 : « Ce fut une période des plus angoissantes ; pendant des mois, il sembla qu’il y avait un risque de voir la cause du vote des femmes dégénérer en une vaine querelle entre suffragistes à propos des mérites respectifs de leurs différentes méthodes (la militante et la légaliste) plutôt que de se transformer en un mouvement plus grand, plus vaste et plus général. Heureusement ce risque fut évité en partie grâce au bon sens des suffragistes de tous horizons qui s’accrochaient fermement à la conviction bien ancrée qu’elles avaient de travailler exactement pour la même chose, à savoir l’élimination de l’impossibilité pour les femmes de participer aux élections ; ainsi, ce qui les unissait était plus important que ce qui les divisait ».

    55 Pour cette raison, la conclusion d’un accord électoral avec le parti travailliste, nouvelle stratégie de Fawcett, permet de comprendre combien la posture extra-partisane était devenue intenable. Voir note 48.

    56 Pat Thane, ‘Women in the Labour Party and Women’s Suffrage’, Lori Maguire, ‘The Conservative Party and Women’s Suffrage’, Linda Walker, ‘Gender, Suffrage and Party: Liberal Women’s Organisations, 1880-1914’, in Boussahba-Bravard, Suffrage Outside Suffragism, pp. 35-51, 52-76, 77-102.

    57 Il y avait quelques organisations d’hommes, mais la plupart des sociétés ne regroupaient que des femmes.

    58 Virginia Woolf, A Room of One’s Own, 1931. La campagne pour le vote des femmes partage ses caractéristiques avec une campagne antérieure fondée sur un seul objectif : la lutte contre l’esclavage (1787-1838) qui, en fait, rassemblait des personnes différentes dans leur opposition à l’esclavage même si demeurait entre elles un fossé idéologique. Cependant, dans la campagne pour obtenir le droit de vote, les femmes luttaient pour elles-mêmes ; elles étaient à la fois les objets et les actrices de leur action politique.

    59 Dans leur programme, certaines suffragistes extérieures au monde politique se réclamaient d’une pureté que la politique dans son ensemble avait perdue à leurs yeux, ce qui faisait écho à l’argumentation qui affirmait la supériorité morale des femmes et qui émanait de la justification suffragiste – et des femmes anti-suffragistes – des valeurs familiales traditionnelles.

    60 La dénomination « constitutionnaliste » met clairement en évidence la façon dont la majorité des suffragistes respectueuses de la loi ancrait son existence dans la tradition politique du pays et dans la monarchie parlementaire. Ce clivage concernant les méthodes d’action existait, mais fut peu débattu avant la Première guerre mondiale, au nom de l’unité suffragiste. D’autres événements surgis sous le règne d’Édouard VII auraient pu causer d’autres fractures parmi les suffragistes. On pourrait penser que la question de la démocratie interne (ou son refus) aurait pu en être un exemple ou encore l’exigence du vote féminin discutée conjointement avec l’âge du droit de vote aurait pu, un peu plus tard, en être un autre ; mais aucun de ces problèmes ne causa une rupture au sein du suffragisme, du moins officiellement. Ce problème des clivages demeure essentiel pour mieux comprendre le point de vue et la tactique des suffragistes avant 1914.

    61 Mayhall, The Militant Suffrage Movement, Citizenship and Resistance, p. 69.

    62 Myriam Boussahba-Bravard, « Résistance passive et citoyenneté: la rébellion de la contribuable anglaise, 1900-1914 », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, 56-2, 2009, 104-134; Hilary Frances, “‘Pay the piper, call the tune!’: the Women’s Tax Resistance League”, in Maroula Joannou, June Purvis (ed.), The Women’s Suffrage Movement: New Feminist Perspectives, Manchester, Manchester University Press, 1998, pp. 65-76.

    63 Mayhall, The Militant Suffrage Movement, Citizenship and Resistance, pp. 73-74.

    64 L’Alliance internationale pour le vote des femmes fut fondée en 1902. « Elle avait pour but d’agir en tant qu’organisme international pour stimuler chacune des associations nationales féminines en vue de parvenir au droit de vote ». Crawford, The Women’s Suffrage Movement, p. 301. Dès les premiers temps, les suffragistes britanniques s’intéressaient à leurs consœurs de l’empire qu’elles ne considéraient pas comme établies au delà des frontières. Voir par exemple Susan Pedersen, Eleanor Rathbone and the Politics of Conscience, New Haven et Londres, Yale University Press, 2004, pp. 241-264.

    65 Discours de Teresa Billington-Greig lors du premier Congrès de la Women’s Freedom League, 1907, 7/TBG, Women’s Library, Londres.

    66 « Sous l’influence de sa réhabilitation, les vues du mouvement se firent conventionnelles, étroites et hypocrites. On nous prit pour ce que nous n’étions pas et nous nous mîmes immédiatement à nous conformer peu ou prou aux normes qu’on attendait de nous. Il y eut un discours qui s’adressait aux instances dirigeantes et un autre au public ; la propagande du groupe subit une perte soudaine d’envergure ; les méfaits de l’industrie qui étaient au centre d’une grande partie de l’attraction que nous exercions furent peu à peu éludés puis remplacés par des griefs d’ordre technique, légal ou politique ; l’appel en faveur d’un changement dans les relations entre sexes se réduisit à une généralité des plus vagues et même cela ne fut plus encouragé ; les ouvrières furent écartées sans hésitation et le programme de l’organisation fut confié aux classes moyennes et supérieures ; les esprits ‘d’avant-garde’, fraction éminemment indésirable d’une société supérieure, furent encore plus promptement chassés ou réduits au silence », Billington-Greig, The Militant Suffrage Movement, pp. 75-76.

    67 La WSPU contribua largement à la peur de la traite des blanches en 1912-13 et se fit de plus en plus l’avocat d’un séparatisme sexuel tout autant que politique. Teresa Billington-Greig se retrouva isolée lorsqu’elle dénonça l’utilisation que fit la WSPU (en fait Christabel Pankhurst elle-même) de la peur de la traite des blanches pour son compte personnel. Teresa Billington-Greig, ‘The Truth about White Slavery’, The English Review, June 1913, 428-446.

    68 Les anti-suffragistes masculins fondaient également leur argumentation sur la biologie. De leur point de vue, c’est l’État qui devrait régler les problèmes des femmes tout en demeurant exclusivement un État masculin. Pour, eux, la supériorité masculine était d’ordre politique, sexuel et social.

    69 Pamela Graves, Labour Women, Women in British Working-class Politics 1918-1939, Cambridge, Cambridge University Press, 1994.

    70 Il est possible que cette erreur d’interprétation provienne d’un anachronisme commis lors de la lecture faite dans les années 1970 du premier mouvement féministe en lui appliquant des critères propres au second mouvement de cette même décennie. D’autre part, une idée fausse et largement répandue considère les femmes comme des créatures inoffensives (de par leur « nature » ?) ; ceci amène souvent à s’interroger sur le fait que des femmes aient été fascistes, nazies ou aient travaillé dans des camps de concentration. Une telle croyance a pour résultat de transformer ces femmes en monstres plus facilement que si elles avaient été des hommes. En Grande-Bretagne, le premier groupe fasciste fut fondé (1923) et dirigé (1926) par une femme, Rotha Lintorn Orman. Gottlieb, Feminine Fascism, pp. 11-42.

    71 Lucy Delap, The Feminist Avant Garde, Transatlantic Encounters of the Early Twentieth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, pp. 44-49.

    72 Dans les États totalitaires, il est presque obligatoire d’appartenir aux organismes d’État puisque les non-adhérents sont soumis à des représailles.

    73 C’est une référence à ce que les Français appelleraient la citoyenneté. Myriam Boussahba-Bravard, « À qui parlons-nous ? Et en quelle langue ? La réception de l’Autre étranger. Le cas de « community » (anglais britannique) déchiré par la multiplicité de ses traductions en langue française », in Paul Pasteur and Sylvie Crogiez-Petrequin, Histoire, historiens et traduction, Rouen, PURH, 2010, pp. 105-132.

    Auteur
    Myriam Boussahba-Bravard
    Monique Vervaecke (Traducteur)
    René Vervaecke (Traducteur)

    Les suffragettes de l’époque édouardienne et l’idéologie d’extrême droite dans l’entre-deux-guerres
     
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