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L’anticapitalisme des anarchistes et anarcho-syndicalistes espagnols des années trente

Discussion dans 'Bibliothèque anarchiste' créé par Marc poïk, 19 Novembre 2017.

  1. Marc poïk
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    Quand le 21 juillet 1936 à Barcelone, une bonne partie des leaders anarchistes estima que la situation n’était pas favorable à l’application immédiate du communisme libertaire, l’argument des « circonstances » fut constamment invoqué : toute l’Espagne n’était pas libérée des troupes factieuses ; il ne fallait pas effaroucher les démocraties qui pourraient aider la république espagnole ; il fallait avant tout reprendre Saragosse, etc.


    Mais la base déjà organisée en comités de quartier et de défense prenait possession de la ville sans attendre la moindre consigne, et mettait en branle le réseau de ravitaillement, l’amélioration des conditions d’existence, l’expropriation des usines et ateliers etc. De la même manière dans les localités rurales, l’appropriation des terres des grands propriétaires suivit logiquement la victoire contre les militaires factieux. Tout ceci représentait la phase préliminaire évidente d’une socialisation prônée par la CNT au congrès de Saragosse en mai 1936.

    Comme le rappelle Edouard Waintrop dans son livre récent [1], « dans ce contexte surgirent de nouveau les différences de conceptions qui coexistaient depuis toujours à l’intérieur de la CNT, aussi bien sur la façon d’organiser le combat contre le capitalisme et l’État que sur la construction de la société de l’avenir égalitaire. »

    Au fil des semaines, la création et l’activité du Comité Central des Milices Antifascistes ne masquait pas vraiment la reculade révolutionnaire en cours : l’État ne serait pas aboli, les anarchistes allaient y entrer comme ministres ; le communisme libertaire n’était toujours pas à l’ordre du jour, et dans les usines plus ou moins collectivisées, le contrôle ouvrier se transformait en contrôle des ouvriers.

    Si une partie de la militancia anarchiste se sentait trahie par une CNT de plus en plus verticalisée, pour la grande masse des affiliés qui combattait dans les milices ou qui travaillait en usine, le prestige et la confiance attachés aux militants valeureux et appréciés rendirent sans doute encore plus opaque la lecture de la stratégie circonstantialiste, et plus difficile sa critique, d’autant plus que ceux qui défendaient le maintien de l’État et la collaboration de classes recouraient toujours à la phraséologie révolutionnaire.

    En se plongeant dans le matériau du livre de Michael Seidman [2], une constatation d’importance permet de mieux comprendre cette apparente contradiction : pour le courant anarcho-syndicaliste devenu majoritaire au sein du mouvement libertaire après 1933 [3], faire la révolution revenait à adapter l’anarchisme aux exigences de la société industrielle, en lieu et place de la bourgeoisie considérée comme incapable. C’est donc bien avant juillet 1936 que le projet de communisme libertaire fut revisité, et non pas seulement après, en fonction des circonstances engendrées par la guerre civile. Une partie du malaise de la base que la CNT prétendait représenter s’exprima sans doute dans les innombrables refus des ouvriers de travailler dans les usines barcelonaises collectivisées.

    Dans l’appareil critique et dans la postface des Fils de la nuit, nous avions abordé quelques conflits internes importants apparus au sein du mouvement libertaire en 1936 et 1937. Nous sommes aussi remontés jusqu’aux fondamentaux de l’anticapitalisme des anarchistes espagnols de l’époque, dont celui de vouloir abolir l’argent en sauvant l’honneur du travail, ce qui a fortement déplu à certains :

    « Les Giménologues, comme enhardis par leur fréquentation assidue des textes des prophètes de l’hypercritique, nous assènent quelques pesantes réflexions sur la “valeur”, le “travail” et la “marchandise” afin de nous prouver que, malgré la grandeur d’âme de ses militants et au-delà de la trahison de ses instances, l’anarchisme espagnol était par trop superficiellement anticapitaliste pour entreprendre une authentique révolution. »

    (José Fergo, recension des Fils de la nuit, in A Contretemps, n° 25, janvier 2007.)

    Notre démarche a été bien accueillie par d’autres :


    « Dans leurs notes les Giménologues font une lecture ouverte qui observe les faits dans leur déroulement. […] [cette] lecture ouverte nous permet de nous interroger encore sur la possibilité de la révolution, sur la façon de changer les bases de notre société capitaliste : travail, argent, État… »

    (Recension parue dans la revue Etcetera, n° 41, Barcelone, décembre 2006. Traduction par nos soins.)


    À l’invitation de nos compadres du bulletin Sortir de l’économie, je me suis penchée sur l’émergence de « l’utopie de la libération sur le lieu de travail [4] » dans sa version anarchiste, non pour donner des leçons aux révolutionnaires des années trente, mais parce que cet incritiqué reste d’actualité.

    Si beaucoup d’ouvrages ont traité des questions politiques et doctrinaires et des vicissitudes du rapport des anarchistes au pouvoir, peu de travaux à notre connaissance proposent une critique très poussée des choix économiques de la CNT, et surtout de sa gestion des entreprises, où elle eut les coudées franches jusqu’à la fin de la guerre. Seidman est le seul à signaler qu’elle dut faire face à la persistance de la résistance au travail des ouvriers et employés barcelonais, et à mettre ce phénomène en rapport avec l’option industrialiste et productiviste des anarcho-syndicalistes.

    Ce n’est pas faire injure au mouvement libertaire espagnol que de procéder encore et toujours à une mise à plat de ses options et stratégies, sans craindre de casser l’excès de romantisme [5] qui obscurcit le tableau ; et sans se cantonner à l’explication par la trahison ou à la critique ad hominem des leaders de la CNT-FAI. Le tout est d’arriver à discerner ce qui relève des égarements d’une époque et ce qui est imputable aux limites intrinsèques du mouvement.



    De « La lucha por Barcelona »
    à « El elogio del trabajo »

    L’anticapitalisme des anarchistes et anarcho-syndicalistes espagnols
    des années trente


    Table des matières
    Première partie

    Chapitre A. Le projet de Communisme Libertaire en mai 1936

    1. Le Congrès de Saragosse

    2. L’affirmation du travail

    Chapitre B. Qu’advint-il du processus révolutionnaire à Barcelone après le 19 juillet 1936 ?

    1. Delenda capitalo
    2. Le Comité Central des Milices Antifascistes

    Chapitre C. La vie dans les entreprises barcelonaises collectivisées en 1936-1938
    1. Le mouvement des collectivisations à Barcelone : une ébauche de sortie du capitalisme
    2. « Nous ne croyons pas à une résistance massive au travail »
    3. Syndicats et syndiqués dans les années trente
    4. La gestion syndicaliste des entreprises sous contrôle ouvrier
    5. La résistance ouvrière
    6. « Toute cette révolution contre l’économie doit s’arrêter »

    Annexes

    Annexe I : Los Amigos de Ludd, « L’anti-machinisme dans l’État espagnol aux XIXe et XXe siècles »
    Annexe II : Les deux courants de l’anarchisme espagnol
    Annexe III : L’anticapitalisme tronqué des anarchistes espagnols
    Annexe IV : El elogio del trabajo

    Références bibliographiques

    Future deuxième partie
    Chapitre D : Un début de socialisation en Aragon
    Chapitre E : (Nouveaux) Enseignements de l’expérience révolutionnaire espagnole

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    Barcelone 19 juillet 1936
    Il s’agit ici d’aborder concrètement quelques questions que les révolutionnaires espagnols traitèrent in vivo à Barcelone et dans les campagnes aragonaises au cours de leur tentative annoncée de sortie du capitalisme, et les débuts de réponses qu’ils y apportèrent.


    Livre au format PDF 75 pages
     
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