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JOSEPH DÉJACQUE - LES LAZARÉENNES

Discussion dans 'Bibliothèque anarchiste' créé par IOH, 31 Octobre 2017.

  1. IOH
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    Avr 2017
    France
    1.FABLES

    Les deux Colombes
    Le Minotaure
    L’Écrin
    La Pente fatale
    Le Négrier—pirate
    L’Escargot et la Fourmi
    L'Architecte
    Le Ruisseau
    Le Lion
    L’Orme et le Myosotis
    Le Ténia
    Les Enfants et le Chat
    La Vieille et l’Enfant

    2.POÉSIES DIVERSES

    Naître, croître. vieillir
    Une heure aux Tuileries
    La Famille du Transporté
    Hymne au Soleil
    Le Passé, le Présent, l’Avenir
    La Mère du Banni
    L’Orpheline


    LES LAZARÉENNES
    FABLES
    ET POÉSIES SOCIALES



    Lazare c'est le pauvre, anonyme existence,
    Le souffreteux qui heurte au seuil de l’opulence,
    L'affamé qui réclame une place au festin
    Où le riche s'assied égoïste et hautain.
    Lazare c'est le spectre agitant son suaire,
    Le grand déshérité
    Qui se dresse du fond de sa froide misère
    Et crie: Égalité…
    FABLES
    AUX OUVRIERS DE CHERBOURG.



    LES DEUX COLOMBES.

    Deux colombes aux champs erraient de compagnie
    Cherchant millet et chènevis;
    Mais, la neige sur la prairie
    Étendant son épais tapis,
    La campagne n’offrait qu'une surface aride.
    La faim est un imprudent guide,
    Et l'une des deux sœurs, par malheur l'écoutant,
    S’aventure aussitôt sous le toit d'une ferme.
    Une main perfide la prend
    Et dans une cage l'enferme.
    La pauvrette dans sa prison
    Serait morte bientôt; mais, à sa sœur fidèle,
    L’autre colombe à tire d’aile,
    Quand tout dormait dans la maison,
    Revenait, sainte fugitive,
    Visiter la triste captive
    Et lui glissait les plus tendres baisers.

    On assure depuis qu'une jeune fermière,
    Apportant sous le chaume un cœur aux doux pensers,
    A, —- de ses mains prenant la prisonnière
    Et la pressant sur son sein agité,
    Les yeux tournés vers la riche campagne,
    — Rendu cette colombe à sa noble compagne
    Et le couple à la liberté. '

    Vous dont l'âme voltige autour de nos bastilles,
    Frères, merci de votre amour.
    Malgré les cadenas et les flots et les grilles
    Nos cœurs ‘a tout instant du jour
    Avec les vôtres fraternisent
    Et dans ce toucher s’électrisent!
    Et bientôt, en tous lieux, par chacun répété,
    Ce cri puissant : Amnistie! amnistie!
    Parti du sein de la patrie,
    Arrachera nos jours à la captivité.
    Ponton de Cherbourg, 1848.


    LE MINOTAURE



    En Crête il était autrefois
    Un vaste labyrinthe aux lugubres parois,
    Dans ses nombreux sentiers régnait le Minotaure.
    Pour apaiser sa rage et sa férocité
    Et conjuger son aspect redouté,
    Chaque année on livrait au hideux carnivore
    Cent vierges aux charmes naissants
    Sur qui s’assouvissaient sa fureur et ses sens.
    En vain de hardis jeunes gens
    Avaient cent fois tenté d'en délivrer la terre :
    Toujours ils s’égaraient dans les mille détours
    De ce lieu solitaire,
    Et, vaincus par la faim, ils succombaient toujours.
    Or, l'un d'eux, un héros, Thésée,
    Qu’embrase une ardente pensée,
    S’arme du glaive aussi, prend un fil conducteur,
    Et, beau d'audace et de valeur,
    Il part et découvre la trace
    Du monstre destructeur,
    L’attaque et le terrasse,
    Et sur son cadavre sanglant
    Pose un pied triomphant.

    Ce Minotaure, c’est l'image
    Des oppresseurs des nations
    Qui,—-toujours dévorés de la soif du carnage,
    Toujours inassouvis dans leurs exactions, —
    Étouffent chaque effort de la démocratie
    Dans le dédale obscur de leur diplomatie.
    Mais un jour, jour prochain, un peuple valeureux,
    Guidé par le Socialisme
    Et, rejetant le joug de tyrans odieux,
    Foulera sous ses pas d’un pied victorieux
    Le cadavre du despotisme !

    L'ÉCRIN.

    On a devant Lucile exposé des écrins,
    Magique aimant pour les coquets instincts,
    Pour les yeux d'une femme.
    La curiosité, ce papillon de l'âme,
    Lui fait rêver déjà sous leurs contours charmants
    Perles, rubis et diamants.
    Elle approche, en prend un, conquête précieuse,
    Admire sa fraîcheur, sa forme gracieuse,
    Et, tremblante d’émotion,
    L’ouvre... ô déception!
    Il est vide... un second, puis un autre... encor vides...
    Alors, détournant d'eux ses prunelles humides,
    Vous m'avez, — leur dit-elle, —-— abusée un moment,
    Mais l’oubli vengera mon cœur de sa méprise.
    Sachez qu'à tout écrin il faut son diamant,
    Mystérieux rayonnement,
    S'il veut d'un doux regard fixer la convoitise.​

    Telle beauté, comme l'écrin trompeur,
    Nous fascine un instant sous les traits d'une femme;
    Mais pour toujours ravir, pour captiver notre âme,
    Il n'est que son amour, ce diamant du cœur.

    LA PENTE FATALE.

    Au sortir d'une des villa
    Où la fashion se déshonore,
    D'opulents libertins, tout étourdis encore
    Par les libations d'un orgieux gala,
    Se vautraient bruyamment dans leur molle berline
    Roulant vers la ville voisine.
    C'est que là la débauche en jupe de satin
    Les attend gorge nue et la coupe à la main.
    Et brûlant d'atteindre au plus vite
    Ce plaisir qui les sollicite
    De son fascinateur regard,
    A tout hasard
    Ils s'étaient engagés dans un sentier rapide,
    Étroit et périlleux,
    Où de fringants coursiers courant à toute bride
    Faisaient bondir leur char sur le sol rocailleux.
    En les voyant ainsi s'élancer à leur perte,
    En vain chacun leur criait-il : Alerte,
    Imprudents ! rebroussez chemin;
    Celui que vous suivez mène droit aux abîmes :
    Un gouffre avide de victimes,
    Au bas de cette pente, au fond de ce ravin,
    Vous attend la gueule béante !...
    Mais dans leur course échevelée, ardente,
    Aux avis qui se font ricochet,
    Ils ripostent bientôt par le rire et l'outrage,
    Et, — les vapeurs du vin leur montant au visage, —
    Ils écartent à coups de fouet
    Tous ceux qui, les voyant redoubler de vitesse,
    Se pressent sur leurs pas en signe de détresse.
    Quelques instants après périssait, corps et biens,
    L’équipage princier de ces fiévreux vauriens :
    Le gouffre dans ses flots engloutit leur ivresse.

    Combien de gouvernants, ivres d'ambition,
    Lancés à fond de train sur la pente fatale,
    Répondent par l’insulte et la compression
    A la grande voix sociale.


    LE NÉGRIER-PIRATE.

    C’est armé pour la traite et la piraterie
    Que ce brick monté par des blancs,
    A la côte d’Afrique où le poussaient les vents,
    A laissé tomber l'ancre au cri de sa vigie.
    Enveloppé des ombres de la nuit,
    Un canot transporte sans bruit
    Sur la rive où les noirs sommeillent sur leurs nattes,
    Sous leurs huttes de joncs ou leurs toits de palmiers
    Le capitaine des pirates.
    —Par quelques vains hochets, par des appâts grossiers
    Il tente les premiers qui s’offrent à sa vue
    Et leur promet bientôt de plus riches présents
    Si, pieds et poings liés, dans une autre entrevue,
    Ils veulent lui livrer frères, amis, parents...
    Horreur! il s'est trouvé sous ces zones torrides
    Des cœurs assez glacés, des noirs assez stupides
    Pour vendre aux hommes blancs des hommes de couleur,
    Sans songer qu'eux aussi, trahis par de faux braves,
    Ils seraient à leur tour pris et chargés d'entraves,
    Livrés au négrier, puis au fouet du planteur,
    Et qu'eux-mêmes forgeaient leur collier de malheur!
    — Emportant dans ses flancs sa cargaison humaine,
    Le lendemain le négrier
    Déployait sur les flots de la liquide plaine
    Ses ailes d’épervier.
    — Un navire chargé des richesses du monde
    Se montrent-il à l'horizon :
    Soudain il fond sur lui de son vol rasant l’onde,
    Et, le hélant par la voix du canon,
    Il le mutile et monte à l'abordage
    Et, repu de butin, d’orgie et de carnage,
    Ses grappins suspendus le long de ses haubans,
    Il reprend sa croisière au sein des océans.

    Plus d'un gouvernement dans l'Europe et le monde,
    Comme le négrier sur l'onde,
    Arborant à son mât l'horrible pavillon
    De la force brutale,
    Et mettant nuitamment pour son œuvre infernale
    Le glaive fratricide aux mains de tout félon, —
    Entasse dans ses forts, ses pontons, ses bastilles
    Les rouges arrachés du sein de leurs familles,
    Et, forban sans remords,
    — Donne la chasse aux nouvelles idées
    Qui, voguant dans ses eaux toutes voiles dehors,
    Courent sous ses bordées
    Porter au genre humain leurs sociaux trésors!


    L'ESCARGOT ET LA FOURMI.

    Sur le revers d'une charmille
    Un escargot se prélassant,
    Immonde châtelain de sa frêle coquille, —
    Contemplait d'un air suffisant
    Des fourmis chariant un brin d'herbe et de paille.
    — " Fi! dit-il, fi! de la canaille
    " Qui, pour se reposer, digérer et dormir,
    " N'a pas, ainsi que moi, des dons de la nature
    " Reçu la douce investiture,
    " Bon domaine et moelleux loisir.
    " Fi des petites gens qui travaillent pour vivre! "
    — 0 vous, qu'un vain orgueil jusqu'au délire enivre,
    Écoutez bien ceci, reprit une fourmi :
    Si l'on ne nous voit point avec une bicoque,
    Comme vous avec votre coque,
    Sans nul amour, sans nul ami,
    Bavant l'écume et la sottise,
    Ramper dans la fainéantise
    Et nous gonfler de nullité;
    Nous avons, à défaut de ces lâches délices,
    De fructueux plaisirs, d’attrayants exercices.
    Aussi, par la fécondité
    De nos laborieuses heures,
    Nous savons nous créer d'agréables demeures
    Et des entrepôts souterrains
    Où le bonheur habite, où sont rangés nos grains.
    Et, sous la loi communautaire,
    Dans notre union salutaire
    Sœurs par l'égalité,
    De fleurs et de soleil jouissant tout l'été,
    En hiver chaudement sous nos palais d'écorces,
    Oh! nous ferions envie à tout autre qu'à vous,
    Ne demandant à chacune de nous
    De travail que selon ses forces,
    Et rendant en bien-être, en doux et tendres soins
    A toute selon ses besoins!...


    L'ARCHITECTE.

    Sur les ruines chancelantes
    D'un ancien château féodal
    Dont le squelette colossal
    Roidit contre les vents ses assises croûlantes,
    Un architecte inexpérimenté
    Voulut ériger une usine.
    Le voici donc à l’œuvre : il ordonne, on s'incline.
    Chacun de replâtrer selon sa volonté
    Les vieux murs lézardés des gothiques tourelles
    Qui, parmi les débris amassés autour d'elles,
    Dressent encor sous un manteau poudreux
    Leurs torses orgueilleux.
    Sur leurs arceaux à fleur de terre
    On étage pierre sur pierre,
    Si bien que sous le poids des bâtiments nouveaux
    Les fondations s'écroûlèrent,
    Et dans le désastre entraînèrent,
    Avec les ouvriers surpris dans leurs travaux,
    Les pans inachevés du moderne édifice.
    Il ne resta debout sous leur sombre cilice
    Que les antiques tours
    Que de ses mains le Temps égrène tous les jours.

    Architectes fervents de la loi sociale,
    De cet humble récit méditez la morale :
    Avant d'édifier sur un passé poudreux
    Et caverneux
    De l'arche du progrès les massives murailles,
    Fouillez et refouillez jusque dans ses entrailles
    Le sol pour un nivellement;
    Et, d'une main révolutionnaire,
    Jetez-y des piliers dignes du monument...
    Ou, réformes d'abus, pans de charte ou de pierre
    En s'écroûlant sur vous rentreront sous la terre!


    LE RUISSEAU.

    Sous les mornes arceaux d'une grotte rustique
    Un clair ruisseau s'écoulait prisonnier,
    Et promenait sur l'aride gravier
    Son murmure mélancolique.
    On eût dit, à le voir, ce pauvre filet d'eau,
    Qu'il allait de langueur mourir dans ce caveau.
    Mais, du roc s'échappant avec mutinerie,
    Il s'élance bientôt à travers la prairie
    Où, parmi l'herbe et la mousse et les fleurs,
    Il coule tendrement, s'imprégnant des senteurs
    Que, dans sa course caressante,
    Il leur dérobe en frémissant,
    Et comme un doux miroir enfin réfléchissant
    Dans son onde limpide et pure et transparente
    De ses gracieux bords l'image ravissante
    Et la tendre prunelle et le regard vermeil
    Du firmament d'azur, du radieux soleil!...

    — Comme le filet d'eau, l'âme, cette onde humaine,
    Sous le roc de l'isolement
    Soupire et languit tristement;
    Mais aussi que l'amour, divin rayonnement,
    Vienne à s'y réfléchir ; que son exquise haleine
    L'effleure de ses voluptés,
    Soudain elle revêt, elle épanche autour d'elle,
    Essence qui ruisselle,
    Des sons mélodieux, des flots diamantés,
    De purs et doux parfums, de suaves beautés;
    Tout ce que, dans le cours de ses langueurs naïves,
    Elle peut effeuiller de grâce et de senteur,
    Et, dans le flux houleux de ses passions vives,
    Rouler de joie et de bonheur!


    LE LION.

    Alors, crinière au vent, sans entrave ni maître,
    L’œil en feu, farouche, indompté,
    Il errait au désert sous des cieux de salpêtre,
    Libre au sein de l'immensité...
    Et les monts de-granit et les plaines de sable
    A ses bonds servaient de tremplin;
    Et, comme le clavier d'un orgue formidable,
    Les rauques échos du ravin
    De ses rugissements répercutaient l'orage ! ...
    Depuis, sous le fouet du dompteur,
    Docile, il assouplit son allure sauvage,
    Ses fiers instincts, sa mâle ardeur.
    Enfin il s'est fait chien; il rampe à tout caprice.
    Cependant, las de tels affronte,
    -Un jour il se redresse et son poil se hérisse.
    Le joug ne sied point aux lions :
    Et bientôt sous ses dents il tord, brise, triture
    Et dompteur et verge de fer.
    Joie amère!... une cage, oppressive ceinture,
    Le sépare encor du désert !...

    Parfois aussi le peuple, à bout de patience,
    Rugit un cri de délivrance.
    Mais, — vainqueur politique, — esclave social, —
    Il retombe énervé loin du vaste idéal
    Dans sa cage d'abus, de vices, d'ignorance
    Sous les chaînes du Capital....


    L'ORME ET LE MYOSOTIS

    Un orme au tronc obèse, au front chargé d'ombrage
    Dans la haute futaie élevait ses rameaux.
    Un doux myosotis, la fleur aux bleus émaux,
    Végétait à ses pieds, seul, sous l'épais feuillage
    Qui lui voilait le ciel et les regards du jour.
    Jamais nul papillon, perçant les voûtes sombres,
    Le silence effrayant de ce séjour des ombres,
    Ne l'avait couronné de ses baisers d'amour.
    Compagne du gros orme à la massive écorce,
    De ce maître orgueilleux, ingrat, jaloux et dur,
    La chaste fleur des bois, pâle, et triste, et sans force,
    Sous les pleurs incessants d'un hymen sans divorce,
    Courbait sa corolle d'azur.
    Mais un jour cependant, dans ce lieu solitaire,
    Un rayon de soleil ayant pu se glisser,
    De sa lèvre de feu sécha, douce lumière,
    Les humides soupirs, les pleurs, rosée amère,
    Que cette pauvre fleur s'était prise à verser.

    Cette épaisse futaie est le terrible emblème
    De la société pour le faible sans droits;
    C'est le hautain mépris, l'implacable anathème
    Pour tout ce qui languit à l'ombre de ses lois.
    L’orme au jaloux ombrage, aux rameaux despotiques
    C'est l'homme, être abusif, l'homme, égoïste époux.
    Et le myosotis aux jours mélancoliques
    Cette fleur, Ô femmes, c'est vous...

    Puisse l’Égalité, soleil de délivrance,
    Sur vos fronts, frêles fleurs, projeter ses rayons,
    Et dans vos cœurs, — calice où perle la souffrance, —
    Tarir sous les cils d'or de son regard immense
    L’amertume des pleurs et des afflictions!


    LE TÉNIA.

    Entre les mains des vieux docteurs
    A qui l'humanité doit tant de funérailles,
    Un homme, hélas! se tord sous d'atroces douleurs :
    Un ver, le ténia, lui ronge les entrailles.
    En vain prodigue-t-il et le lait et le miel
    A son avide parasite.
    A peine a-t-il fini, que celui-ci s'agite
    Plus fort, plus ardent, plus cruel,
    Et cherche à perforer son cœur d'un coup mortel.
    — Un savant vient et dit : « Laisse là le laitage
    » Et tout ce qui nourrit le mal dont tu te plains.
    » Crois—moi, bois cet amer breuvage,
    » Il contient pour les vers des poisons souverains. »
    Le souffrant prend le bol, le vide; et le vampire
    Dans les convulsions presque aussitôt expire.

    Il est aussi pour le corps social
    Un ténia rongeur, parasite infernal,
    Qui, de ses longs anneaux déroulant le cortège,
    Dans son immense torsion
    Enlace la production.
    Ce monstre, c'est le privilège.
    Pour l'expulser du sein de la société,
    ce qu'il faut, ce n'est point choses édulcorées,
    Mais des décrets amers, mais des lois acérées,
    Mais le droit dans sa force et sa rigidité.



    LES ENFANTS ET LE CHAT.

    C'était l'hiver. Autour de l'âtre
    De blonds enfants en cercle étaient assis joyeux.
    Survint un chat, — les chats, on le sait, sont frileux; —
    Séduit par la lueur rougeâtre
    Qu'exhale en pétillant le foyer embrasé,
    Il s'approche du groupe avec hypocrisie;
    Et, souple, astucieux, rusé,
    Afin de conquérir la place qu'il envie,
    Le fourbe à nos bambins fait patte de velours
    Et mille aimables gentillesses.
    A leurs juvéniles caresses,
    A leurs charmants et malicieux tours,
    — Cauteleux et l'oreille basse, —
    Il se prête de bonne grâce.
    Mais à peine en possession,
    Du coin de cheminée,
    Objet de son ambition, —
    Égratignant la main qu'il avait câlinée,
    Aux folâtres transports des jeunes imprudents
    Il montre désormais les griffes et les dents.

    Ainsi le peuple, enfant naïf, crédule et tendre,
    Aux ruses des flatteurs toujours se laisse prendre.
    Ainsi les exacteurs avides de s'asseoir
    A ce foyer d'or du pouvoir,
    Ainsi les grands phraseurs aux fibres pathétiques,
    Tous les angoras politiques,
    Obséquieux la veille, ont tous au lendemain
    Pour le peuple trompé du fiel et de l'airain.



    LA VIEILLE ET L'ENFANT.

    Dans les vallons de la Bretagne
    Existait un manoir fort redouté jadis
    Par les bonnes gens du pays.
    Son ombre s'étendait au loin sur la campagne.
    — A sa place aujourd'hui reluit l'herbe d’un champ. —
    Mais alors une vieille au teint blême, à l’œil cave,
    Toujours toussant, toujours crachant,
    Un décembre de femme affaissé dans sa bave
    Et qui, parfois encor, du fond de son fauteuil,
    -— Comme ses fiers aïeux grouillant dans le cercueil, ——
    S’agitait, se crispait de rage et d'épouvante
    Au bord de la tombe béante;
    Telle était au déclin de l'antique castel
    La noble et haute châtelaine.
    De la petite Jeanne elle était la marraine.
    Aussi combien de pleurs ce cœur sec et cruel
    Fit-il couler des yeux de la pauvre filleule.
    — Le chat miaulait-il, la mutine épagneule
    Japait-elle en mettant tout sens dessus dessous :
    Sur l'innocente enfant vite pleuvaient les coups,
    Puis, on la menaçait et du diable et des loups!
    — Or, Jeanne grandissait; Paul la trouvait gentille,
    Et l'amour dilatait ce cœur de jeune fille.
    Mais de naissants attraits sont pour un front plissé
    Sous le bandeau des ans un insultant spectacle.
    A leur tendre union la vieille mit obstacle,
    Jusqu’au jour où la mort de son souffle glacé
    Éteignit dans ce corps consumé par l'envie
    Le dernier tison de la vie.
    — Le château s'abîma par un beau jour d'été
    Dans son linceul de vétusté.
    Le fer du laboureur y creusa son ornière,
    Et l'on ensemença bientôt sur sa poussière.
    Et Jeanne, libre enfin de choisir son époux,
    Lui donna son corps et son âme.
    Et depuis, devenue une robuste femme,
    On l'a vue allaiter, d'un air joyeux et doux,
    A ses abondantes mamelles,
    De frais et beaux jumeaux les lèvres fraternelles,
    Et leur faire un berceau de ses moelleux genoux !...

    L’horrible vieille à l'agonie
    Représente la royauté,
    Et l'enfant, la démocratie
    En germe de fécondité.

    POÉSIES DIVERSES

    NAITRE CROITRE VIEILLIR.

    Pourquoi naître, O destin? Pourquoi croître et vieillir,
    Tendre chaque matin son âme à l'espérance
    Comme un marin sa voile au vent qui la balance
    De son souffle impuissant à l'enfler, à l'emplir?
    Et de l'aurore au soir dans sa peine inféconde
    Chercher à se frayer une place en ce monde
    Où toute chose meurt et ne sait pas mourir?

    Pourquoi naître? Est-ce donc pour jouer sur le sable,
    De ses doigts enfantins s'y bâtir en petit
    Quelque château mouvant, un jardin dans un nid?
    Age de la folie!... âge plus raisonnable
    Que le nôtre cent fois, hommes aux forts pensers,
    Qui dans nos cerveaux creux caressons de baisers
    La gloire, rêve d'or, l'or, rêve misérable...

    La gloire sans tas d'or, l'or sans s'être avili,
    Rêve d'un insensé dont se rirait Bicêtre!
    Rêve... chose plus vaine et fragile, peut-être,
    Que le château de carte élevé pli par pli
    N'est prompt à s’affaisser sous le choc d'un atôme,
    Sous le poids d’une mouche ou le souffle d’un homme...
    Avant d'être achevé beau rêve enseveli!

    Pourquoi croître? Est-ce donc pour connaître le vide,
    Dans son isolement traîner un deuil obscur,
    Ou gangréner son âme à tout contact impur?
    A l'orgie, au dégoût aller d’un pas rapide?
    D'une femme éhontée, au moyen d'un peu d’or,
    Couvrir d'un baiser vil sa lèvre chaude encor
    Avec un cœur glacé sous une chair avide?

    Vieillir! — Et l'on est vieux, avant l'âge souvent! —
    Est—ce donc un retour tout rempli d'amertume
    Sur des jours écoulés et que rien ne parfume?
    Des naïves erreurs est-ce un remords cuisant?
    Du monde, mer affreuse, où tout amour succombe,
    Est-ce enfin le mépris? — Vivre pour une tombe,
    Nier toute croyance, aller... comme le vent!

    Naître, croître, vieillir, triple et même problème, —
    Et que l'homme à résoudre a bien des fois cherché, —
    Énigme dont le mot sous la tombe est caché,
    Peut-être... Ah! faudrait-il ne voir d'autre système
    Que l'instinct animal, rapporter tout à soi, '
    Marcher sans but, sans phare, être égoïste, quoi!
    Rire de la vertu, prendre l'or pour emblème?

    Tombe plutôt ma langue et se ferment mes yeux,
    Que dans mon corps de chair le sang se coagule,
    Que la foudre m'écrase avec son bras d’Hercule
    Avant que d'encenser jamais de pareils dieux!
    Naître... naître, ah! d’abord c'est pour chérir sa mère
    Et du sein maternel aller au cou d'un père
    De ses petits bras blancs faire un collier pieux.

    Croître! c'est se vouer à l'étude du monde,
    Éviter le méchant et son rire moqueur ;
    Rechercher l'amitié de tout noble et bon cœur;
    Dans les sentiers douteux marcher en main la sonde;
    Et fort de sa raison et de sa dignité,
    Défier les regards de l'immortalité
    Et sa pose lascive et son toucher immonde.

    Vieillir! c'est conquérir un glorieux renom,
    Se bronzer au travail. L'homme est fait pour la lutte.
    La vie est un combat qu'à la mort on dispute.
    La fosse où chacun va le finit... Que sait-on l...
    Vieillir! c'est à son tour répandre la lumière,
    Des ombres de l'erreur c’est affranchir la terre,
    C'est professer bien haut, grave et sainte leçon,

    Les droits du citoyen et ses devoirs sublimes;
    C’est confesser devant toute l'humanité
    Le culte du progrès et de la liberté,
    Du livre fraternel proclamer les maximes!
    Vieillir! c’est ériger de fervents souvenirs
    Aux mânes des grands morts, à tant d'obscurs martyrs;
    Et sur les fronts pervers stigmatiser les crimes.

    Vieillir! oui, c'est aimer, c'est faire aimer le beau;
    C'est fêter le foyer où s'assied la compagne,
    Seconde âme de l'homme, autre soi que l'on gagne
    Chaque jour à connaître, aimable et doux joyau
    Qui fond notre tristesse à sa pudique flamme,
    Épure notre cœur au toucher de son âme
    Et, mère, se dévoue à son petit troupeau.

    Pour tous il est un but ; une route est tracée.
    Cette route est la même en ses sentiers divers.
    La suivre avec honneur sans choir dans les revers,
    Telle est la loi du monde, hélas! souvent faussée!
    Mais seul, l'amour du bien est le talisman sûr
    Pour traverser la vie aux rayons d'un ciel pur :
    La bonne conscience azure la pensée.


    UNE HEURE AUX TUILERIES.​

    C'était sur la terrasse, autrefois l'apanage
    D'un enfant emporté dans un royal naufrage.
    Deux personnes causaient sous les ombrages verts :
    L'une, aux cheveux blanchis par de nombreux hivers,
    Aux membres décharnés, à la figure ingrate,
    Et portant sur le dos l'habit du diplomate,
    Un scandaleux vieillard qui, Talleyrand d'amour,
    Exhalait comme un chat sa luxure au grand jour.
    L'autre, une jeune fille, à ses côtés assise,
    Riche de sa beauté sous son ombrelle grise,
    Sous sa robe d'indienne et ses coquets rubans,
    Papillon dont l'émail n’attestait pas seize ans.
    — J'étais trop éloigné pour les pouvoir entendre,
    Mais mon œil attentif suffisait pour comprendre
    Qu'il s'agissait, hélas! de ces trafics honteux.
    Dont la faiblesse et l'or font échanges entre eux.
    — Le vieillard grimaçait sur sa lèvre un sourire,
    Et son œil reluisait comme l’œil d'un satyre.
    Il semblait oublier, dans son lubrique amour,
    Que chaque promeneur le fixait tour à tour
    Et flétrissait tout bas d'un cri parti de l'âme
    Le vieil homme opulent, la pauvre jeune femme.

    Le soleil, sur le sol inclinant son contenu,
    Marquait trois fois une heure au cadran du château.
    La brise murmurait à travers le feuillage
    Qui de son rideau vert leur déroulait l'ombrage.
    Mais, malgré les baisers de l'ombre et des zéphyrs,
    Les caresses des vents, leurs doux et frais soupirs,
    La jeune fille, en proie au remords qu'elle endure
    Et trop novice encor pour dompter la nature,
    S’efforce vainement d'enfouir en son cœur
    Le pourpre dont son front revêt le teint vengeur.
    Et pour se dérober à ce soleil de honte,
    A ce rouge incarnat que son visage affronte,
    Elle déploie en vain son discret parasol
    Tandis que ses regards s'abaissent vers le sol...

    Et moi, je rougissais et comme elle et plus qu'elle,
    Et des éclairs de haine embrasaient ma prunelle.
    Eh! quoi donc? me disais—je, un impudent vieillard,
    —Comme une amorce cache un pernicieux dard, —
    Peut, — jetant dans la foule un fil de sa richesse, —
    En retirer bientôt beauté, grâce et jeunesse.
    Et femmes, filles, sœurs, désertant la maison
    S'en vont se prendre au croc du fatal hameçon.
    Et nous tous, travailleurs, nous, les maris, les frères,
    Nous, les pieux amants, nous, les vertueux pères,
    Nous trouvons au foyer où riait le bonheur
    - Dans l'âme la vengeance, au front le déshonneur !...
    Ah! c'est que de nos jours les soyeuses toilettes,
    Les diamants et l'or font les femmes parfaites;
    C’est qu'on compte pour rien les trésors de pudeur
    Que la femme humble et pauvre amasse dans son cœur,
    Que le mépris s'attache en ce temps d’infamie,
    — Non pas à la débauche en sa fange endormie, —
    Mais à l'habit grossier qui couvre un noble sein,
    Mais aux mains que déchire un travail assassin;
    C'est qu'on ne juge encor tout mortel, homme ou femme,
    Que par son enveloppe et jamais par son âme
    Et qu’il importe peu qu'il soit ou non moral
    Si sa mise est décente et son air triomphal!


    [CENTER][/CENTER]LA FAMILLE DU TRANSPORTÉ.
    Air du Palais des papes.

    Après quatre grands jours d'une lutte héroïque,
    Trahi par le destin, vaincu dans le combat,
    Un martyr du travail et de la république
    Est arraché la nuit de son méchant grabat.
    C’est en vain que l'amour d'une épouse qu’il aime
    Et les bras caressants d'un petit nouveau-né
    Et les muets sanglots d'une douleur suprême
    Implorent pour l’infortuné!...

    Vous qu’oppressent aussi de poignantes alarmes,
    0 mères, filles, sœurs d'un exilé souffrant,
    Adoucissez au moins en y mêlant vos larmes
    Les larmes de l'épouse et du petit enfant!. ..

    Hélas! la pauvre femme a quitté sa mansarde
    Avec son nourrisson appuyé sur le sein;
    Elle va se traînant vers la prison qui garde
    Celui qui combattit pour leur donner du pain.
    Mais, arrivée au Hâvre après bien des misères,
    Elle apprend que la veille un navire à vapeur
    A dirigé sur Brest les vaincus populaires
    Proscrits au souffle de la peur...

    Vous qu’oppressent, etc.

    Elle avait tout vendu, ses haillons, son ménage,
    Pour aller retrouver celui qu'elle aime tant,
    Et son pas défaillant tente un pèlerinage
    Plus périlleux encor pour elle et son enfant...

    — Comme un disque de feu le dévoûment rayonne
    Au front de cette femme, exige du globe humain,
    Tandis que le tranchant des cailloux éperonne
    Sa marche le long du chemin...

    Vous qu’oppressent, etc.

    Enfin, elle est à Brest !... et sa tendresse ardente
    Va retremper le cœur du pauvre transporté,
    Et pour quelques instants sa douce voix d'amante
    Va lui voiler l'horreur de la captivité...
    Mais non : les guichetiers sont sourds à sa prière
    Et soudain on la voit avec son nourrisson
    S'enfuir, les yeux hasards, les cheveux en arrière:
    Elle avait perdu la raison...

    Vous qu’oppressent, etc.

    Comme une main impie aux tiges d'un parterre
    Ravit négligemment les plus célestes fleurs,
    Les effeuille du doigt et les rejette à terre;
    Ainsi, dans ce Paris jonché de travailleurs,
    Homicide commis par l'aristocratie,
    On trouva corps sur corps la folle et l'orphelin :
    La faux de la douleur avait pris une vie
    Et l'enfant était mort de faim...

    Vous qu’oppressent aussi de poignantes alarmes,
    mère, filles, sœurs d’un exilé souffrant,
    Couronnez de regrets, arrosez de vos larmes
    La tombe de l'épouse et du petit enfant...


    HYMNE AU SOLEIL.

    Choeur.

    Astre resplendissant, colosse de lumière
    Qui, du sein de l'espace où s'ouvre ta paupière,
    Verses dans tous les coeurs la joie à ton réveil,
    Salut, force attractive, et gloire à toi, soleil !

    0 face de lion, idole des vieux Brames,
    De ta crinière d'or ruisselante de flammes,
    C’est toi qui, secouant les anneaux onduleux,
    Prodigues à torrent d'électriques parcelles,
    Ta chaleur magnétique et des routes nouvelles,
    Éclaires les jalons de ton front lumineux!

    Astre resplendissant, etc.

    C'est toi qui, fécondant de ta brûlante haleine
    Le sillon que le soc a tracé dans la plaine,
    Fais jaillir de ses flancs une moisson d’épis;
    Et qui, sur l'échalas où la vigne serpente,
    Colores le raisin sous ta prunelle ardente,
    Et de ses grains vermeils fais un breuvage exquis!

    Astre resplendissant, etc.

    C’est toi qui, des bourgeons dilatant le feuillage,
    Des bosquets et des bois tisses le frais ombrage
    Où les tendres oiseaux modulent leurs concerts;
    C’est toi qui, sous les plis de ta brillante housse
    Fais éclore et les fleurs et les fruits et la mousse
    Et remplis de parfums la verdure et les airs!

    Astre resplendissant, etc.

    C’est ton large baiser, c'est ton vaste sourire,
    C'est toi que tout entier le poitrinaire aspire
    Quand aux souffles d'automne il sent frémir ses jours!
    C’est gravitant vers toi que le paralytique,
    Lourd et charnel glaçon, l’inerte rachitique
    Viennent se ranimer à les chaudes amours!

    Astre resplendissant, etc.

    Sous ton niveau de feu, c'est toi, splendide sphère,
    Toi qui fais se mouvoir tous les fils de la terre
    Depuis le ver rampant jusqu'à l'aigle orgueilleux.
    De l'égalité sainte, étincelant emblème,
    C’est toi qui chaque jour en résous le problème
    Et sur un fond d'azur le fais luire à nos yeux!

    Astre resplendissant, etc.



    LE PASSÉ, LE PRÉSENT, L'AVENIR.
    Choeur

    LES SOCIALISTES.
    Le monde a chancelé dans son vieil équilibre,
    Il cherche autour de lui
    Un nouveau point d'appui.
    C’est que l'humanité pour être heureuse et libre
    Du niveau social attend tout aujourd'hui.

    LE POÈTE
    Voyez sous sa pourpre éraillée
    Ce spectre au front cadavéreux;
    De forfaits sa main est souillée,
    L'envie illumine ses yeux.
    Des chaînes, des carcans s'agitent
    Sous son manteau fleurdelisé.
    Sous lui les progrès périclitent;
    Ce spectre affreux, c'est le Passé,

    LE POÈTE
    Voyez ce fantôme farouche
    Foulant la faim sous son talon,
    Comme son œil est fauve et louche;
    Tremblant, il sonde l'horizon.
    Il a des canons pour escorte,
    Et son sceptre taché de sang
    Pille, brise, tue ou déporte.
    Ce fantôme, c'est le Présent.

    LE POÈTE.
    Voyez-la dans sa poésie
    Cette vierge aux grandes amours,
    Le Droit, le Devoir, l’Harmonie
    Lui prêtent leur commun concours.
    Le travail lui tresse et festonne
    Des épis qu'il vient de cueillir
    Une glorieuse couronne.
    Cette vierge, c'est l’Avenir.

    LE PASSÉ.
    Vil esclave, reprends tes chaînes;
    De par droit divin je suis roi.
    Je trafique de chairs humaines.
    Ma volonté seule est ma loi.
    A toi, taillable et corvéable,
    Et la dîme et l'impôt forcé.
    Tout murmure est un cas pendable.
    Souviens-toi. .. je suis le Passé.

    LE PRÉSENT.
    Prolétaire, sous la cravache,
    Sous le mors et sous l'éperon,
    Tout le jour courbé sans relâche,
    Produis et meurs pour le patron.
    Je veux exploiter ta misère,
    Je veux sous mon genou puissant
    Te réduire à brouter la terre.
    Regarde.... je suis le Présent.

    L'AVENIR.
    0 peuple, prends—moi pour idole,
    Je briserai ton joug de plomb;
    J 'étancherai d'une main molle
    La sueur qui mouille ton front.
    De fleurs j’embaumerai la couche,
    De tous les fruits je veux t'offrir.
    A mes baisers livre ta bouche...
    Viens à moi... je suis l’Avenir.

    LE POÈTE
    Et l'humanité, — sans oreilles
    Pour les deux sombres tentateurs,
    Vers l'Avenir et ses merveilles
    Tourne des regards scrutateurs.
    Mais ainsi qu’un nouveau Tantale,
    Le peuple, en son désir cuisant,
    De la Commune sociale
    Est séparé par... le Présent.


    LA MÈRE DU BANNI.
    Air du Bravo.

    Dans ce Paris, ville d'or et de boue,
    » Est morte, hélas! la mère d’un banni,
    » Et dans l'exil où la force le cloue
    »Son fils captif de douleur a frémi »

    0 mère adorée,
    Ombre vénérée,
    Mon âme éplorée
    S’exhale en sanglots...
    Si je ne succombe,
    Je veux sur ta tombe,
    Comme une hécatombe,
    Traîner tes bourreaux!

    Mère, ô ma mère! idole de ma vie,
    Toi dont le sein, comme un doux oreiller,
    Du jeune enfant berça la rêverie,
    Sur moi ton front a cessé de veiller!

    O mère adorée, etc.

    Toi dont le cœur, dans mes veilles amères,
    Fut l'autel seul où mon amour brûlât,
    Toi dont le nom dans mes tendres prières
    Fut le plus doux que ma voix soupirât!

    0 mère adorée, etc.

    Toi que j'aimais, ô mère que je pleure,
    Plus que le fer aimé un guide aimanté,...
    Plus que l'oiseau qu'un grain de plomb effleure
    En s’enfuyant aime l'immensité !...

    0 mère adorée, etc.

    Et tu n'es plus!... et sous ses froides ailes
    Mon long exil a desséché tes jours !
    Et la vengeance aux sanglantes prunelles
    Dans mon coeur vide a couvé ses vautours! !...

    0 mère adorée, etc.


    L'ORPHELINE.

    Dans son berceau de mousse
    L'oiseau le plus petit
    Sous l'aile chaude et douce
    Douillettement grandit.
    La féconde nature,
    Vaillant sur son destin,
    Pourvoit à sa pâture.
    Tous ont part au festin!

    Et, sans famille,
    Sur le chemin,
    Moi, pauvre fille,-
    Je tends la main!

    La fleur qui vient d'éclore
    Sous l'horizon vermeil
    Brillamment se colore
    Aux rayons du soleil.
    Sur sa tige flexible
    Le zéphyr caressant
    De son souffle indicible
    La berce en l'embrassant.

    Et, sans famille,
    Sur le chemin,
    Moi, pauvre fille,
    Je tends la main!

    Il est de par le monde
    Des riches, des heureux,
    Pour qui le sort féconde
    Tous les fruits savoureux.
    Lorsqu’auprès d'eux s'incline
    Et veille un ange blond,
    La couronne d'épine
    Ensanglante mon front!

    Et, sans famille,
    Sur le chemin,
    Moi, pauvre fille,
    Je tends la main!​

    [CENTER][/CENTER]
     
  2. IOH
    Offline

    IOH Membre du forum

    1 142
    217
    23
    Avr 2017
    France
    Je ne suis pas certains que ces lazaréennes soient complètes. Dans son Humanisphère Joseph Déjacque se cite lui même avec un poème qui n'y est pas :

    Filles du droit, sylphides de mes songes,
    Égalité ! Liberté ! mes amours !
    Ne serez-vous toujours que des mensonges ?
    Fraternité ! nous fuiras-tu toujours ?
    Non, n'est-ce pas ? mes déesses chéries ;
    Le jour approche où l'idéalité
    Au vieux cadran de la réalité
    Aura marqué l'heure des utopies !...

    Blonde utopie, idéal de mon cœur,
    Ah ! brave encore l'ignorance et l'erreur.
    (LES LAZARÉENNES)


    Si vous connaissez d'autres lazaréennes, envoyez!
    De plus Joseph D aurait fait deux ans de prison pour des lazaréennes. Lesquelles? si vous avez des informations, cela m’intéresse.
     
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