Chargement...

Emma Goldman : Le patriotisme, une menace contre la liberté

Discussion dans 'Bibliothèque anarchiste' créé par Marc poïk, 20 Juillet 2017.

  1. Marc poïk
    Offline

    Marc poïk Sous l'arbre en feuille la vie est plus jolie Membre actif

    1 469
    219
    529
    Déc 2016
    Belgium
    Emma Goldman

    Le patriotisme, une menace contre la liberté


    Qu’est-ce que le patriotisme ? Est-ce le fait d’aimer le lieu où l’on est né, l’endroit où se sont déployés les rêves et les espoirs de notre enfance, nos aspirations les plus profondes ? Est-ce l’endroit où, dans notre naïveté enfantine, nous regardions les nuages défiler dans le ciel à vive allure en nous demandant pourquoi nous ne pouvions nous déplacer aussi rapidement ? Le lieu où nous comptions des milliers d’étoiles scintillantes, effrayés à l’idée que chacune d’entre elles puisse être l’un des yeux du Seigneur et fût capable de percer les grands secrets de notre petite âme ? L’endroit où nous écoutions le chant des oiseaux, et désirions ardemment avoir des ailes pour voler, tout comme eux, vers de lointaines contrées ? Ou celui où nous nous asseyions sur les genoux de notre mère, fascinés par des contes merveilleux relatant des exploits inouïs et d’incroyables conquêtes ? En résumé, le patriotisme se définit-il par l’amour pour un morceau de cette terre où chaque centimètre carré représente des souvenirs précieux, chers à notre cœur, et qui nous rappelle une enfance heureuse, joyeuse, espiègle?

    Si c’était cela le patriotisme, il serait difficile de faire appel à ces sentiments aujourd’hui en Amérique : en effet, nos terrains de jeux ont été transformés en usines, en fabriques et en mines, et le vacarme assourdissant des machines a remplacé la musique des oiseaux. Il ne nous est plus possible d’écouter de belles histoires, de rêver à de nobles exploits, car aujourd’hui nos mères ne nous parlent plus que de leurs peines, leurs larmes et leur douleur.

    Alors, qu’est-ce que le patriotisme? «Le patriotisme, monsieur, est l’ultime ressource des vauriens», a déclaré le Dr Johnson. Léon Tolstoï, le plus célèbre des antipatriotes de notre époque, le définit ainsi : le patriotisme est un principe qui justifie l’instruction d’individus qui commettront des massacres de masse ; un commerce qui exige un bien meilleur outillage pour tuer d’autres hommes que la fabrication de produits de première nécessité — chaussures, vêtements ou logements; une activité économique qui garantit de bien meilleurs profits et une gloire bien plus éclatante que celle dont jouira jamais l’ouvrier moyen.

    Gustave Hervé, un autre grand antipatriote (1), considère le patriotisme comme une superstition, bien plus dangereuse, brutale et inhumaine que la religion. La superstition de la religion provient de l’incapacité de l’homme à expliquer les phénomènes naturels. En effet, lorsque les hommes primitifs entendaient le roulement du tonnerre ou voyaient des éclairs, ils ne pouvaient leur trouver d’explication. Ils en concluaient donc que, derrière ces phénomènes, se cachait une force plus puissante qu’eux-mêmes. De même, les hommes ont vu une entité surnaturelle dans la pluie et dans les différentes manifestations de la nature. Le patriotisme, quant à lui, est une superstition créée artificiellement et entretenue par tout un réseau de mensonges et de faussetés; une superstition qui enlève à l’homme tout respect pour lui-même et toute dignité, et accroît son arrogance et son mépris.

    En effet, mépris, arrogance et égoïsme sont les trois éléments fondamentaux du patriotisme. Permettez-moi de vous donner un exemple. Suivant la théorie du patriotisme, notre globe serait divisé en petits territoires, chacun entouré d’une clôture métallique. Ceux qui ont la chance d’être nés sur un territoire particulier se considèrent plus vertueux, plus nobles, plus grands, plus intelligents que ceux peuplent tous les autres pays. Et c’est donc le devoir de tout habitant de ce territoire de se battre, de tuer et de mourir pour tenter d’imposer sa supériorité à tous les autres.

    Les occupants des autres territoires raisonnent de la même façon, bien sûr. Résultat : dès ses premières années, l'esprit de l’enfant est empoisonné par de véritables récits d’épouvante concernant les Allemands, les Français, les Italiens, les Russes, etc. Lorsque l’enfant atteint l’âge adulte, son cerveau est complètement intoxiqué : il croit avoir été choisi par le Seigneur en personne pour défendre sa patrie contre l’attaque ou l’invasion de n’importe quel étranger. C’est pourquoi tant de citoyens exigent bruyamment que l’on accroisse les forces armées, terrestres ou navales, que l’on construise davantage de bateaux de guerre et de munitions. C’est pourquoi l’Amérique a, en une très courte période, dépensé quatre cents millions de dollars. Réfléchissez à ce chiffre: on a prélevé quatre cents millions de dollars sur les richesses produites par le peuple. Car ce ne sont pas, bien sûr, les riches qui contribuent financièrement à la cause patriotique. Eux, ils ont un esprit cosmopolite et sont à l’aise dans tous les pays. Nous, en Amérique, nous connaissons parfaitement ce phénomène. Les riches Américains sont Français en France, Allemands en Allemagne et Anglais en Angleterre. Et ils gaspillent, avec une grâce toute cosmopolite, des fortunes qu’ils ont accumulées en faisant travailler des enfants américains dans leurs usines et des esclaves dans leurs champs de coton. Leur patriotisme leur permet d’envoyer des messages de condoléances à un despote comme le tsar de Russie, quand il lui arrive malheur, comme par exemple lorsque le président Roosevelt, au nom du peuple américain, a présenté ses condoléances après que l’archiduc Serge eut été abattu par les révolutionnaires russes.

    C’est le patriotisme qui aidera le super meurtrier Porfirio Diaz (2) à supprimer des milliers de vies à Mexico, ou fera même arrêter des révolutionnaires mexicains sur notre sol et les enfermera dans des geôles américaines, sans la moindre raison.

    Le patriotisme ne concerne pas ceux qui détiennent la richesse et le pouvoir. C’est un sentiment valable uniquement pour le peuple. Cela me rappelle la phrase historique de Frédéric le Grand, l’ami intime de Voltaire: «La religion est une escroquerie mais il faut l’entretenir pour les masses.»

    Le patriotisme est une institution plutôt coûteuse et personne n’en doutera après avoir lu les statistiques suivantes. La progression des dépenses pour les principales armées du monde durant le dernier quart de siècle est tellement fulgurante que ce seul fait devrait faire réagir toute personne s’intéressant tant soit peu aux problèmes économiques. En l’espace de 24 ans, de 1881 à 1905, les dépenses ont évolué de la façon suivante:

    Grande-Bretagne : de 2 101 848 936 de dollars à 4 143 226 885 de dollars.

    France : de 3 324 500 000 à 3 455 109 900 de dollars.

    Allemagne : de 725 000 200 à 2 700 375 600 de dollars.

    États-Unis : de 1 275 500 750 à 2 650 900 450 de dollars.

    Russie : de 1 900 975 500 à 5 250 445 100 de dollars.

    Italie : de 1 600 975 750 à 1 755 500 100 de dollars.

    Japon : de 182 900 500 à 700 925 475 de dollars.

    De 1881 à 1905, les dépenses militaires de la Grande-Bretagne ont quadruplé, celles des États-Unis ont triplé, celles de la Russie ont doublé ; quant à celles de l’Allemagne, de la France et du Japon elles ont augmenté respectivement de 35, 15 et 500 %. Si nous comparons les dépenses militaires de ces nations avec leurs dépenses totales pendant cette période de 24 années, l’augmentation est la suivante:

    La part des dépenses militaires est passée de 20 à 37 % du budget global en Grande-Bretagne, de 15 à 23 % aux États-Unis, de 16 à 18 % en France, de 12 à 15 % en Italie, de 12 à 14 % au Japon.

    D’un autre côté, il est intéressant de noter que la proportion en Allemagne a diminué de 58 à 25 %, baisse due à l’énorme augmentation des dépenses impériales dans d’autres domaines, et au fait que les dépenses militaires pour la période 1901-1905 étaient proportionnellement plus élevées que dans toutes les tranches de 5 ans antérieures.

    Les statistiques montrent que les pays où les dépenses militaires représentaient la part la plus importante dans le revenu national total étaient, dans l’ordre, la Grande-Bretagne, les États-Unis, le Japon, la France et l’Italie.

    En ce qui concerne les différentes marines nationales, la progression est également impressionnante. De 1881 à 1905, les dépenses navales ont augmenté de la façon suivante: Grande-Bretagne, 300 % ; France, 60 % ; Allemagne, 600 % ; États-Unis, 525% ; Russie, 300 % ; Italie, 250 % et Japon, 700 %. A l’exception de la Grande-Bretagne, les États-Unis gaspillent plus pour leur marine que n’importe quelle autre nation ; cette dépense représente également une fraction plus importante du budget national que chez toutes les autres puissances. De 1881 à 1905, les dépenses navales des États-Unis sont passées de 6,2 dollars sur 100 consacrés au budget de l’Etat, à 6,6, puis 8,1, 11,7 et enfin 16,4 dollars pour la dernière période (1901-1905). Les chiffres des dépenses pour la période 1905-1910 indiqueront certainement une croissance encore supérieure.

    Le coût de plus en plus élevé du militarisme peut être encore illustré si on le calcule comme un impôt affectant chaque contribuable. De 1889 à 1905, en Grande-Bretagne, les dépenses sont passées de 18,47 dollars par habitant à 52,5 dollars ; en France de 19,66 dollars à 23,62 dollars ; en Allemagne, de 10,17 dollars à 15,51 dollars ; aux États-Unis, de 5,62 dollars à 13,64 dollars ; en Russie, de 6,14 dollars à 8,37 dollars ; en Italie, de 9,59 dollars à 11,24 dollars, et au Japon de 86 cents à 3,11 dollars.

    Ces calculs montrent à quel point le coût économique du militarisme pèse sur la population. Quelle conclusion tirer de ces données ? L’augmentation du budget militaire dépasse la croissance de la population dans chacun des pays cités ci-dessus. En d’autres termes, les exigences croissantes du militarisme menacent d’épuiser les ressources humaines et matérielles de chacune de ces nations.

    L’horrible gâchis qu’entraîne le patriotisme devrait être suffisant pour guérir les hommes, même moyennement intelligents, de cette maladie. Cependant les exigences du patriotisme ne s’arrêtent pas là. On demande au peuple d’être patriote et, pour ce luxe, il paie non pas en soutenant ses «défenseurs», mais en sacrifiant ses propres enfants. Le patriotisme réclame une allégeance totale au drapeau, ce qui implique d’obéir et d’être prêt à tuer son père, sa mère, son frère ou sa sœur.

    «Nous avons besoin d’une armée permanente pour protéger le pays contre une invasion étrangère», affirment nos gouvernants. Tout homme et toute femme intelligents sait pourtant qu’il s’agit d’un mythe destiné à effrayer les gens crédules et les obliger à obéir. Les gouvernements de cette planète connaissent parfaitement leurs intérêts respectifs et ne s’envahissent pas les uns les autres. Ils ont appris qu’ils peuvent gagner bien davantage en recourant à l’arbitrage international pour régler leurs conflits qu’en se faisant la guerre et en essayant de conquérir d’autres territoires. En vérité, comme l’a dit Carlyle, «la guerre est une querelle entre deux voleurs trop lâches pour mener leur propre combat ; c’est pourquoi ils choisissent deux jeunes gens issus de villages différents, leur mettent un uniforme sur le dos, leur donnent un fusil et les lâchent comme des bêtes sauvages pour qu’ils s’entre-tuent».

    Nul besoin d’être très savant pour trouver une cause identique à toutes les guerres. Prenons la guerre hispano-américaine, censée être un grand événement patriotique dans l’histoire des États-Unis. Comme nos cœurs ont brûlé d’indignation en apprenant les atrocités espagnoles ! Reconnaissons que notre indignation n’a pas éclaté spontanément. Elle a été nourrie par la presse, durant des mois et des mois, et longtemps après que le boucher Weyler (3) eut tué de nombreux nobles Cubains et violé de nombreuses Cubaines.

    Néanmoins, rendons justice à la nation américaine : non seulement elle s’est indignée et a montré sa volonté de se battre mais elle a combattu courageusement. Cependant, lorsque la fumée s’est dissipée, que les morts ont été enterrés et que le coût de la guerre est retombé sur le peuple sous la forme d’une augmentation du prix des marchandises et des loyers, lorsque nous avons émergé de notre cuite patriotique, nous avons soudain compris que la véritable cause de la guerre hispano-américaine était le prix du sucre : ou, pour être encore plus explicite, que les vies, le sang et l’argent du peuple américain avaient été utilisés pour protéger les intérêts des capitalistes américains, menacés par le gouvernement espagnol.

    Je n’exagère absolument pas. Mon affirmation se fonde sur des faits et des statistiques incontestables, comme le prouve également l’attitude du gouvernement américain face aux travailleurs cubains. Lorsque Cuba s’est trouvée coincée entre les griffes des États-Unis, les soldats envoyés pour libérer Cuba ont reçu l’ordre de fusiller les travailleurs cubains pendant la grande grève des fabriques de cigares, grève qui s’est déroulée peu après la guerre hispano-américaine.

    Et nous ne sommes pas les seuls à faire la guerre pour de telles raisons. On commence seulement à dévoiler les véritables motifs de la terrible guerre russo-japonaise qui a coûté tant de sang et de larmes.

    Et nous voyons de nouveau que, derrière le cruel Moloch de la Guerre, se tient le dieu encore plus cruel du Commerce. Kouropatkine, le ministre russe de la Guerre durant ce conflit, a révélé le véritable secret qui se cache derrière les apparences. Le tsar et ses grands ducs avaient investi de l’argent dans des concessions coréennes; ils ont imposé la guerre uniquement dans l’intérêt des fortunes qui étaient en train de s’édifier à toute allure.

    La constitution d’une armée permanente est-elle la meilleure façon d’assurer la paix ? Cet argument est absolument illogique : c’est comme si l’on prétendait que le citoyen le plus pacifique est celui qui est le mieux armé. L’expérience montre que des individus armés désirent toujours tester leur force. Il en est de même pour les gouvernements. Les pays véritablement pacifiques ne mobilisent pas leurs ressources et leur énergie dans des préparatifs de guerre, évitant ainsi tout conflit avec leurs voisins.

    Ceux qui réclament l’augmentation des moyens de l’armée et de la marine ne pensent à aucun danger extérieur. Ils observent la croissance du mécontentement des masses et de l’esprit internationaliste parmi les travailleurs. Voilà ce qui les inquiète véritablement. C’est pour affronter leur ennemi intérieur que les gouvernants de différents pays se préparent en ce moment ; un ennemi, qui, une fois réveillé, s’avérera plus dangereux que n’importe quel envahisseur étranger.

    Les puissants qui ont réduit les masses en esclavage pendant des siècles ont soigneusement étudié leur psychologie. Ils savent que les peuples en général sont comme des enfants dont le désespoir, la peine et les pleurs peuvent se transformer en joie à la vue d’un petit jouet. Et plus le jouet est joliment présenté, plus les couleurs sont vives, plus il plaira à des millions d’enfants.

    L’armée et la marine sont les jouets du peuple. Afin de les rendre encore plus attrayants et acceptables, on dépense des centaines et des milliers de dollars pour les exhiber un peu partout. C’est l’objectif que recherchait le gouvernement américain lorsqu’il a équipé une flotte et l’a envoyée croiser le long des côtes du Pacifique, afin que chaque citoyen américain puisse être fier des exploits techniques des Etats-Unis. La ville de San Francisco a dépensé cent mille dollars pour l’amusement de la flotte, Los Angeles soixante mille, Seattle et Tacoma environ cent mille dollars. Pour amuser la flotte, ai-je dit ? Pour offrir de la bonne chère et des vins fins à quelques officiers supérieurs pendant que les «braves trouffions» devaient se mutiner pour obtenir une nourriture décente. Oui, deux cent soixante mille dollars ont été dépensés pour financer des feux d’artifice, des spectacles et des festivités, à un moment où des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, dans tout le pays, crevaient de faim dans les rues, à un moment où des centaines de milliers de chômeurs étaient prêts à vendre leur travail à n’importe quel prix.

    Deux cent soixante mille dollars ! Que de choses on aurait pu accomplir avec une somme aussi énorme ! Mais, plutôt que de leur donner un toit et de les nourrir correctement, on a préféré emmener les enfants de ces villes assister aux manœuvres de la flotte, car ce spectacle, comme l’a dit un journaliste, laissera «un souvenir ineffable dans leur mémoire».

    Quel merveilleux souvenir, n’est-ce pas ! Tous les ingrédients nécessaires à un massacre civilisé. Si l’esprit des enfants est intoxiqué par de tels souvenirs, quel espoir y a-t-il pour l’avènement d’une véritable fraternité humaine ?

    Nous, les Américains, prétendons aimer la paix. Il paraît que nous détestons verser le sang, que nous sommes opposés à la violence. Et pourtant nous sautons de joie lorsque nous apprenons que des machines volantes pourront balancer des bombes bourrées de dynamite sur des citoyens sans défense. Nous sommes prêts à pendre, électrocuter ou lyncher toute personne qui, poussée par la nécessité économique, risquera sa propre vie en attentant à celle d’un magnat industriel. Cependant nos cœurs se gonflent d’orgueil à la pensée que l’Amérique deviendra la nation la plus puissante de la terre, et qu’elle écrasera de son talon de fer les autres nations.

    Telle est la logique du patriotisme.

    Si le patriotisme nuit au commun des mortels, ce n’est rien en comparaison des dommages et blessures qu’il inflige au soldat lui-même, cet homme trompé, victime de la superstition et de l’ignorance. Qu’offre le patriotisme au sauveur de son pays, au protecteur de sa nation ? Une vie d’esclave soumis, de dépravation durant la paix; une vie de danger, de risques mortels et de mort durant la guerre.

    Au cours d’une récente tournée de lectures à San Francisco, j’ai visité le Presidio,un endroit merveilleux qui surplombe la baie et le parc du Golden Gate.On aurait pu y installer des terrains de jeux pour les enfants, des jardins et des orchestres pour divertir la population. Au lieu de cela, on y a bâti une caserne constituée de bâtiments horribles, gris et ternes, bâtiments dans lesquels les riches ne laisseraient même pas leurs chiens dormir.

    Dans ces misérables baraquements on entasse des soldats comme du bétail ; ils perdent leur temps et leur jeunesse à cirer les bottes et les boutons de leurs officiers supérieurs. Là, aussi, j’ai pu observer les différences de classes : les robustes fils d’une République libre, disposés en rang comme des prisonniers, sont obligés de saluer chaque fois qu’un avorton galonné passe devant eux. Ah ! comme l’égalité américaine dégrade l’humanité et exalte l’uniforme !

    La vie de caserne tend à développer la perversion sexuelle (4). Elle produit graduellement des résultats semblables dans les armées européennes. Havelock Ellis, spécialiste renommé en matière de psychologie sexuelle, a mené une étude détaillée à ce sujet.

    «Certains baraquements sont de véritables bordels pour les prostitués mâles… Le nombre de soldats qui veulent se prostituer est bien plus grand que nous sommes prêts à l’admettre. Dans certains régiments, la majorité des conscrits sont disposés à se vendre… En été, on voit des soldats de la Garde royale et d’autres régiments exercer leur commerce dès la fin de l’après-midi, à Hyde Park et aux alentours d’Albert Gate, ils ne se cachent pas, certains se baladent même en uniforme. (…) Le bénéfice de ces activités rapporte une somme confortable qui vient renflouer leur maigre solde.»

    Cette perversion a progressé dans l’armée, au point que des maisons spécialisées ont été créées pour cette forme de prostitution. La pratique ne se limite pas à l’Angleterre, elle est universelle. «Les soldats sont aussi recherchés en France qu’en Angleterre ou en Allemagne, et des bordels spécialisés dans la prostitution militaire existent à la fois à Paris et dans les villes de garnison.»

    Si M. Havelock Ellis avait enquêté sur la perversion sexuelle en Amérique, il aurait découvert que la même situation existe dans notre armée. La croissance d’une armée permanente ne peut qu’accroître l’étendue de la perversion sexuelle; les casernes en sont les incubateurs.

    En dehors des conséquences sexuelles déplorables de la vie commune dans les casernes, l’armée tend à rendre le soldat inapte à travailler lorsqu’il quitte ses rangs. Il est rare que des hommes qualifiés s’engagent mais quand il arrive qu’ils le fassent, au bout de quelques années d’expérience militaire, ils ont du mal à reprendre leurs occupations antérieures. Ayant pris goût à l’oisiveté, à certaines formes d’excitation et d’aventure, aucune occupation pacifique ne peut plus les satisfaire. Dégagés de leurs obligations militaires, ils deviennent incapables d’effectuer le moindre travail utile. Mais habituellement le recrutement se fait surtout parmi la racaille ou est proposé à des prisonniers que l’on libère dans ce but. Ceux-ci acceptent soit pour survivre, soit parce qu’ils sont poussés par leurs inclinations criminelles. Il est bien connu que nos prisons regorgent d’ex-soldats, tandis que, d’un autre côté, l’armée et la marine accueillent beaucoup d’ex-condamnés. Ces individus-là, lorsqu’ils ont fini leur temps, retournent à leur vie criminelle antérieure, encore plus violents et dépravés qu’avant.

    De tous les phénomènes négatifs que je viens de décrire, aucun ne me semble plus nuisible à l’intégrité humaine que les conséquences du patriotisme pour le deuxième classe Willam Buwalda. Parce qu’il a commis la folie de croire que l’on peut être un soldat et exercer ses droits d’être humain, les autorités militaires l’ont sévèrement puni. Certes, il avait servi son pays pendant quinze ans, pendant lesquels son dossier avait été impeccable.

    Selon le général Funston, qui a réduit la condamnation de Buwalda à trois ans de prison, «le premier devoir d’un officier ou d’un engagé est d’obéir aveuglément et loyalement au gouvernement. Le fait qu’il approuve ou non le gouvernement n’entre pas en ligne de compte». Cette déclaration éclaire le véritable caractère de l’allégeance patriotique. Selon le général Funston, le fait d’entrer dans l’armée annule les principes de la Déclaration d’indépendance.

    A quel étrange résultat aboutit ce patriotisme qui transforme un être pensant en une machine loyale !

    Pour justifier la scandaleuse condamnation de Buwalda, le général Funston explique aux Américains que ce soldat a commis «un crime grave qui équivaut à la trahison». De quoi s’agit-il exactement? William Buwalda a assisté à un meeting de 1 500 personnes qui s’est déroulé à San Francisco. Après quoi — ô horreur ! — il a serré la main de l’oratrice : Emma Goldman. Un terrible crime, effectivement, que le général Funston qualifie de «grave crime militaire, infiniment plus grave que la désertion» !

    Quel argument plus accablant peut-on invoquer contre le patriotisme que le fait de stigmatiser cet homme comme un criminel, de le jeter en prison et de lui dérober le fruit de quinze années de bons et loyaux services ?

    Buwalda a donné à son pays les meilleures années de sa vie adulte. Mais tout cela ne compte pas. Comme tous les monstres insatiables, le patriotisme inflexible exige un dévouement absolu. Il n’admet pas qu’un soldat est aussi un être humain, qu’il a le droit d’avoir ses opinions et sentiments personnels, ses penchants et ses idées propres. Non, le patriotisme ne l’admet pas. Buwalda a dû apprendre cette leçon, à un prix élevé, mais pas inutile. Lorsqu’il est sorti de prison, il avait perdu sa position dans l’armée, mais il avait reconquis le respect de lui-même. Après tout, cela vaut bien trois ans de prison.

    Un journaliste a récemment publié un article sur le pouvoir qu’exercent les militaires allemands sur les civils. Ce monsieur pense, notamment, que si notre République n’avait pas d’autre fonction que de garantir à tous les citoyens des droits égaux, son existence serait déjà pleinement justifiée. Je suis convaincue que ce journaliste ne se trouvait pas dans le Colorado, pendant le régime patriotique du général Ball. Il aurait probablement changé d’avis s’il avait vu la façon dont, au nom du patriotisme et de la République, on jetait des hommes dans des cellules communes, puis on les en faisait sortir pour leur faire traverser la frontière et les soumettre à toutes sortes de traitements indignes. Et l’incident survenu au Colorado n’est pas un incident isolé dans le développement du pouvoir militaire aux États-Unis. Il est rarement qu’une grève survienne sans que l’armée ou les milices ne viennent au secours des possédants, et alors ces hommes agissent de façon aussi arrogante et brutale que ceux qui portent l’uniforme du Kaiser. De plus nous avons la loi militaire Dick. Ce journaliste l’a-t-il oublié?

    Le grand problème avec les journalistes est que, généralement, ils ignorent les événements courants ou que, manquant d’honnêteté, ils ne les évoquent jamais. Et c’est ainsi que la loi militaire Dick a été introduite précipitamment devant le Congrès, sans être vraiment discutée et sans qu’on en parle dans la presse. Cette loi donne au Président le droit de transformer un paisible citoyen en un tueur assoiffé de sang, en théorie pour défendre son pays, en réalité pour protéger les intérêts du parti dont le Président est le porte-parole.

    Notre journaliste prétend que le militarisme ne pourra jamais acquérir autant de pouvoir en Amérique que dans d’autres pays, puisque que nous ne connaissons pas la conscription obligatoire comme dans l’Ancien Monde. Ce monsieur oublie deux faits très importants. Tout d’abord cet enrôlement a créé en Europe une profonde haine contre le militarisme, haine enracinée dans toutes les classes de la société. Des milliers de jeunes recrues protestent au moment de leur incorporation et, une fois dans l’armée, ils essaient souvent, par tous les moyens, de déserter. Deuxièmement, notre journaliste ne tient pas compte du fait que la conscription obligatoire a créé un mouvement antimilitariste très important, que les puissances européennes craignent plus que tout. En effet, le militarisme est le rempart le plus solide du capitalisme. Dès qu’il sera ébranlé, le capitalisme vacillera sur ses bases. Certes, en Amérique, nous n’avons pas de service militaire obligatoire, les hommes ne sont pas obligés de s’enrôler dans l’armée, mais nous avons développé une force bien plus exigeante et rigide : la nécessité. Durant les crises économiques, le nombre d’engagés ne monte-t-il pas en flèche ? Le métier de militaire est peut-être moins lucratif ou honorable que d’autres, mais il vaut mieux être soldat que d’errer dans tout le pays à la recherche d’un travail, de faire la queue dans une soupe populaire, ou de dormir dans des asiles de nuit. Après tout, un soldat touche actuellement 13 dollars par mois, mange trois repas par jour et bénéficie d’un endroit où dormir. Cependant la nécessité n’est pas un facteur assez puissant pour humaniser l’armée. Pas étonnant que nos autorités militaires se plaignent de la «mauvaise qualité» des éléments qui s’engagent. Cet aveu est très encourageant. Il prouve que l’esprit d’indépendance et l’amour de la liberté sont encore suffisamment répandus chez les Américains pour les inciter à préférer crever de faim plutôt que d’endosser l’uniforme.

    Les hommes et les femmes qui réfléchissent dans ce monde commencent à comprendre que le patriotisme est une conception trop étroite et limitée pour répondre aux besoins de notre époque. La centralisation du pouvoir a créé un sentiment international de solidarité parmi les nations opprimées du monde, solidarité qui révèle une plus grande communauté d’intérêts entre les ouvriers américains et leurs frères de classe à l’étranger, qu’entre un mineur américain et son compatriote qui l’exploite, une solidarité qui ne craint aucune invasion étrangère, parce qu’elle amènera tous les ouvriers à dire un jour à leurs patrons: «Allez vous faire tuer, si vous en avez envie. Nous, cela fait trop longtemps que nous nous battons à votre place.»

    Cette solidarité éveille également la conscience des soldats, qui font aussi partie de la grande famille humaine. Cette solidarité s’est avérée infaillible plus d’une fois durant les luttes passées, et elle a poussé les soldats parisiens, durant la Commune de 1871, à refuser d’obéir quand on leur a ordonné de tirer sur leurs frères. Elle a donné du courage aux marins qui se sont récemment mutinés sur les bateaux de guerre russes. Et elle provoquera un jour le soulèvement de tous les opprimés et la révolte contre leurs exploiteurs internationaux.

    Le prolétariat européen a compris la grande force de cette solidarité et a donc commencé une guerre contre le patriotisme et son spectre, le nihilisme. Des milliers d’hommes remplissent les prisons de France, d’Allemagne, de Russie et des pays scandinaves parce qu’ils ont osé défier une très ancienne superstition. Et ce mouvement ne se limite pas à la classe ouvrière, il concerne toutes les catégories sociales, ses principaux porte-parole sont des hommes et des femmes éminents dans le domaine des arts, des sciences et des lettres.

    L’Amérique empruntera un jour le même chemin. L’esprit du militarisme envahit déjà tous les domaines de la vie sociale. Je suis convaincue que le militarisme deviendra un danger plus important en Amérique que n’importe où dans le monde, parce que le capitalisme sait corrompre ceux qu’il souhaite détruire.

    Le processus est déjà enclenché dans les écoles. Évidemment, le gouvernement défend la vieille conception jésuitique: «Donnez-moi l’esprit d’un enfant et je le façonnerai.» On apprend aux enfants l’intérêt des tactiques militaires, on leur vante les grandes victoires, et les esprits jeunes sont pervertis dans l’intérêt du gouvernement. De plus, on édite de superbes affiches pour inciter les jeunes du pays à s’engager. «Une occasion de parcourir le monde !» crient les larbins du gouvernement. Et c’est ainsi que l’on force moralement des jeunes innocents à se fourvoyer dans le patriotisme et que le Moloch militaire continue à conquérir la nation.

    Lors des grèves, l’ouvrier américain a terriblement souffert des interventions des soldats, qu’ils soient envoyés contre lui par l’État local ou par le gouvernement fédéral. Il est donc tout à fait normal que l’ouvrier méprise les parasites en uniforme et manifeste son opposition contre eux. Cependant, il ne suffira pas d’une simple diatribe pour résoudre ce grave problème. Nous avons besoin d’une propagande qui fasse l’éducation du soldat : une littérature antipatriotique qui l’éclaire sur les véritables horreurs de son métier, et lui fasse prendre conscience de sa relation avec ceux dont le travail lui permet d’exister. C’est précisément ce dont les autorités ont le plus peur. Un soldat qui assiste à une réunion révolutionnaire commet déjà un crime de haute trahison. Il est certain qu’ils condamneront également à la même peine un soldat qui lira une brochure révolutionnaire. L’autorité n’a-t-elle pas, depuis des temps immémoriaux, dénoncé comme une trahisontout pas vers le progrès ? Ceux qui luttent sérieusement pour la reconstruction sociale sont parfaitement capables de mener à bien cette tâche, car il est probablement plus important de porter le message de la vérité dans les casernes que dans les usines.

    Une fois que nous aurons dévoilé le mensonge patriotique, nous aurons ouvert la voie à l’avènement de la grande structure où toutes les nationalités s’uniront dans une fraternité universelle: une société véritablement libre.





    Emma Goldman



    Notes du traducteur

    1. Gustave Hervé (1871-1944). Radié de l’université pour ses positions antimilitaristes en 1901, il fonde l’hebdomadaire La Guerre socialeen 1906, publication qui tire jusqu’à 60 000 exemplaires avant-guerre. En 1914 il devient ultrapatriote, puis glisse de plus en plus à droite jusqu’à fonder un petit parti fasciste favorable à Mussolini !

    2. Porfirio Diaz (1830-1915). Colonel qui se couvre de gloire en luttant contre l’invasion française et l’Empire de Maximilien entre 1862 et 1867. Dictateur-président élu plusieurs fois entre 1884 et 1910. Démissionne face à la révolution en mai 1911.

    3. Valeriano Weyler y Nicolau (1838-1930). Général espagnol qui écrasa à deux reprises des mouvements dirigés contre la domination espagnole, à Cuba (1868-1872 et 1896-1897) mais aussi aux Philippines en 1888. Ses méthodes sanguinaires servirent de prétexte à la guerre hispano-américaine. Commandant en chef de l’armée espagnole en 1921-1923.

    4. Se réfugiant derrière l’autorité d’Havelock Ellis, qui appartient à une longue lignée de psychologues ou de psychanalystes hostiles aux gays, Emma Goldman juge ici que l’homosexualité masculine est une «perversion», un «vice», etc. !!! Celle-ci n’est plus considérée comme une «maladie» par les psy américains depuis les années 1970. On se demande quelle découverte «scientifique» a pu motiver leur décision! Notons d’autre part que tout ce passage sur les bordels militaires composés de prostitués mâles semble assez invraisemblable quand on sait que la sodomie était considérée comme un crime à l’époque, et à plus forte raison dans l’armée.
     
    Camusard apprécie ceci.
  2. ninaa
    Offline

    ninaa Membre du forum Expulsé du forum

    11 199
    1 856
    499
    Fev 2014
    France
  3. anarchiste, anarcho-féministe, individualiste
    Emma Goldman
    La préparation militaire nous conduit tout droit au massacre universel
    (Publié pour la première fois en anglais dans Mother Earth, vol. X, N° 10, décembre 1915.)

    [​IMG]


    Depuis le début de la conflagration européenne, l’humanité a été presque entièrement anesthésiée par la mortelle folie du bellicisme, enivrée par les vapeurs délétères d’un chloroforme imprégné de sang, qui a obscurci sa vision et paralysé son cœur. En effet, à l’exception de quelques tribus sauvages qui ne connaissent ni la religion chrétienne, ni l’amour fraternel, ni les dreadnaughts, les sous-marins, les usines de munitions et les emprunts de guerre, le reste de l’humanité est plongé dans une terrible narcose. L’esprit humain ne semble s’intéresser qu’à une chose, la spéculation sur le meurtre. Toute notre civilisation, toute notre culture est concentrée sur la folle demande d’armes de destruction, si possible les plus perfectionnées.

    « Munitions ! Munitions ! O, Seigneur, toi qui règnes sur la terre et dans les cieux, toi le Dieu de l’amour, de la pitié et de la justice, procure-nous assez de munitions pour détruire notre ennemi ! » Telle est la prière qui monte chaque jour vers le ciel chrétien. Le bétail, lorsqu’il est épouvanté par le feu se jette dans les flammes. Les peuples européens agissent de la même façon : ils se précipitent dans les flammes dévorantes de la guerre, en s’entre-tuant. Quant à l’Amérique, poussée au bord de l’abîme par des politiciens sans scrupules, des démagogues braillards, et d’avides requins militaires, elle se prépare à un destin funeste identique.

    Face à ce désastre qui approche, il appartient aux hommes et aux femmes qui ne sont pas encore emportés par la folie guerrière d’élever la voix, de protester, d’attirer l’attention de la population sur les crimes et les atrocités qui vont être perpétrés contre eux.
    L’Amérique est essentiellement un melting-pot. Dans ce pays, aucun groupe national ne peut se vanter d’appartenir à une race pure et supérieure, d’être détenteur d’une mission historique particulière ou d’une culture plus spirituelle. Et pourtant les chauvins et les spéculateurs bellicistes n’arrêtent pas d’ânonner les slogans sentimentaux du nationalisme hypocrite : « L’Amérique aux Américains », « L’Amérique d’abord, avant tout et toujours. » Ces slogans sont populaires partout. A les en croire, pour sauver l’Amérique, il faudrait que tout le monde suive immédiatement une formation militaire. Un million de dollars prélevés sur la sueur et le sang du peuple vont être dépensés pour des dreadnoughts et des sous-marins, pour l’armée et la marine, tout cela pour protéger cette précieuse Amérique.

    Ces discours pleins de pathos dissimulent le fait que l’Amérique qui sera protégée par une énorme force militaire ne sera pas l’Amérique du peuple, mais celle des privilégiés; de la classe qui vole et exploite les masses, et contrôle leur vie, du berceau à la tombe. Il est pathétique que si peu de gens se rendent compte que la préparation militaire ne conduit jamais à la paix, mais mène tout droit au massacre universel.

    Avec les méthodes et la ruse qu’emploient les diplomates conspirateurs et les cliques dirigeantes de l’armée allemande pour imposer le militarisme prussien aux masses de leur pays, les cercles bellicistes américains, aidés par les Roosevelt, les Garrison et les Daniels, rejoints maintenant par les Wilson, se dépensent sans compter pour écraser le peuple américain sous le talon de fer du militarisme. S’ils réussissent, ils lanceront l’Amérique dans la tempête de sang et de larmes qui dévaste déjà l’Europe.
    Il y a quarante ans, l’Allemagne a entonné les mêmes discours : « L’Allemagne au-dessus de tout, l’Allemagne aux Allemands, l’Allemagne d’abord, avant tout et toujours. Nous voulons la paix, c’est pourquoi nous devons nous préparer à faire la guerre. Seule une nation bien armée et parfaitement préparée peut maintenir la paix, exiger le respect et être sûre de conserver son intégrité nationale. » Et l’Allemagne a continué à se préparer à la guerre, obligeant ainsi les autres nations à l’imiter. La terrible guerre européenne actuelle n’est que la conséquence ultime des prédications de cet Evangile à tête d’hydre : la préparation militaire.

    Depuis le commencement de cette guerre mondiale, des kilomètres de papier et des océans d’encre ont été utilisés pour prouver la barbarie, la cruauté, l’oppression du militarisme prussien. A l’unisson, conservateurs et socialistes appuient les Alliés pour une seule raison : écraser ce militarisme qui empêche, selon eux, toute paix et tout progrès en Europe. L’Amérique s’est enrichie en fabriquant des tonnes de munitions et en prêtant de l’argent aux Alliés pour les aider à écraser les Prussiens. Et maintenant les mêmes slogans retentissent en Amérique. Et s’ils se traduisent par une mobilisation nationale, ils créeront un militarisme américain bien plus terrible que le militarisme allemand ou prussien. Pourquoi ? Parce que nulle part dans le monde le capitalisme n’est aussi effrontément avide qu’aux Etats-Unis et nulle part l’Etat n’est aussi disposé à s’agenouiller aux pieds du Capital.

    Comme une épidémie, une vague de folie gagne le pays, le germe mortel du militarisme contamine les esprits les plus lucides et les cœurs les plus braves. Les Ligues de défense de la sécurité nationale, qui arborent un canon sur leurs emblèmes, les sections de la Navy League (1), dont les dirigeantes se sont éparpillées aux quatre coins du pays, des femmes qui se vantent d’appartenir au « sexe faible », des femmes qui donnent la vie dans la souffrance et le danger, eh bien ces femmes sont prêtes à sacrifier leur progéniture au Moloch de la Guerre. Les sociétés pour l’américanisation (2), auxquelles appartiennent des gens aux idées très libérales, et qui hier encore dénonçaient les âneries patriotiques, acceptent aujourd’hui d’embrouiller l’esprit de l’opinion publique et d’aider à construire les mêmes forces de destruction en Amérique qu’elles essaient, directement et indirectement, de détruire en Allemagne — le militarisme fauche la jeunesse, viole les femmes, extermine le meilleur de l’humanité, anéantit la vie même.

    Même Woodrow Wilson (3) qui, il y a peu, déclarait encore : « Une nation est trop fière pour se battre » ; qui, au début de la guerre, a ordonné que l’on prie pour la paix ; lui qui, dans ses discours, parlait de la nécessité d’attendre avec prudence, eh bien, même Woodrow Wilson est rentré dans le rang. Il a maintenant rejoint ses collègues ultra-chauvins, il a fait écho à leurs clameurs pour instaurer la préparation militaire et braille désormais lui aussi : « L’Amérique aux Américains ». La différence entre Wilson et Roosevelt est la suivante : Roosevelt, une brute-née, utilise la matraque. Wilson, l’historien, le professeur, porte le masque soigneusement poli des universitaires, mais sous ce masque, comme Roosevelt, il n’a qu’un seul but : servir les intérêts du grand capital, pour aider ceux qui sont en train de devenir phénoménalement riches en produisant encore davantage de fournitures militaires.

    Woodrow Wilson, dans son discours devant les Filles de la Révolution américaine (4) s’est démasqué lorsqu’il s’est écrié : « Je préférerais être tabassé que mis à l’index. » Effectivement, se dresser contre les fabricants de munitions et d’armes, les Bethlehem, du Pont, Baldwin, Remington, et autres Winchester, mène à l’ostracisme et à la mort politiques. Wilson le sait, donc il trahit sa position originelle, rejette sa prétention passée à être « trop fier pour combattre » et hurle aussi fort que n’importe quel politicien minable qu’il faut généraliser la préparation militaire et porter la nation aux nues. Il va même jusqu’à soutenir la stupide revendication avancée par les femmes de la Navy League qui veulent imposer dans chaque école le serment suivant : « Je m’engage à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour servir les intérêts de mon pays, à soutenir ses institutions et à défendre l’honneur de son nom et de son drapeau.

    Comme je dois tout à mon pays, je consacrerai mon cœur, mon esprit et mon corps à son service et je promets de travailler à son progrès et à sa sécurité en temps de paix. Je m’engage à n’hésiter devant aucun sacrifice ni aucune privation pour sa cause si j’étais appelé à agir pour défendre la liberté, la paix et le bonheur de notre peuple. »

    Défendre les institutions de notre pays, c’est défendre les institutions qui protègent et soutiennent une poignée d’individus pour qu’ils volent et pillent les masses, les institutions qui pompent le sang des autochtones comme celui des étrangers et le transforment en richesses et en pouvoir, les institutions qui dépouillent chaque immigré de la culture originale qu’il a amenée avec lui et lui imposent, en échange, cet américanisme bon marché, dont l’unique gloire est la médiocrité et l’arrogance.

    Ceux qui proclament « L’Amérique d’abord ! » ont trahi depuis longtemps les principes fondamentaux des vraies valeurs américaines, celles que Jefferson avait en tête lorsqu’il a déclaré que le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins possible ; celles pour lesquelles lutta David Thoreau (5) lorsqu’il proclama que le meilleur gouvernement est celui qui ne gouverne pas ; ou celles de tous les grands Américains qui ont voulu faire de ce pays un refuge, en espérant que les déshérités et les opprimés qui y viendraient pourraient lui apporter un peu plus de personnalité, de qualité et de sens. Ce n’est pas l’Amérique des politiciens et des spéculateurs de l’industrie d’armement. Leur Amérique a été puissamment représentée par un jeune sculpteur new-yorkais : une main cruelle aux longs doigts fins qui écrasent sans pitié la tête d’un immigrant, faisant couler le sang pour en faire des dollars et bercer l’immigrant d’espoirs brisés et d’aspirations étouffées.

    Etant donné sa position, Woodrow Wilson a raison de défendre ces institutions. Mais quel idéal offre-t-il à la nouvelle génération ? Comment forme-t-on un militaire à défendre la liberté, la paix et le bonheur ? Écoutons le Major-General O’Ryan : « Tout soldat doit être entraîné à devenir un simple automate, privé d’initiative individuelle, transformé en machine. Il doit passer de force la tête dans le nœud coulant militaire, être dynamisé, dirigé par des supérieurs qui ont le pistolet à la main. »

    Ce discours n’a pas été prononcé par un junker prussien, ni par un barbare germanique, ni par Treitschke (6) ou Bernhardi (7), mais par un Major General américain ! Et cet homme a raison. On ne peut conduire une guerre avec des hommes égaux, on ne peut imposer le militarisme à des hommes libres. Il faut avoir à sa disposition des esclaves, des automates, des machines, des créatures obéissantes et disciplinées, qui se déplaceront, agiront, tueront et tireront sur l’ordre de leurs supérieurs. Voilà à quoi aboutira la préparation militaire, à rien d’autre.

    Il paraît que Samuel Gompers (8) faisait partie des orateurs qui ont pris la parole devant la Navy League. Si cette information est exacte, alors jamais plus grand outrage n’a été infligé au mouvement ouvrier par l’un de ses dirigeants. La préparation militaire n’est pas dirigée principalement contre l’ennemi extérieur, elle vise surtout l’ennemi intérieur, tous les éléments du mouvement ouvrier qui ont appris à ne rien attendre de nos institutions ; les travailleurs conscients qui ont compris que la guerre de classes sous-tend toutes les guerres entre les nations ; ceux qui savent que, si une guerre est justifiée, il s’agit de la guerre contre la dépendance économique et l’esclavage politique, les deux principaux problèmes concernés par la lutte des classes.

    Le militarisme a déjà joué son rôle sanguinaire dans chaque conflit économique, avec l’approbation et le soutien de l’Etat. Washington a-t-il protesté lorsque « nos hommes, nos femmes et nos enfants » ont été tués à Ludlow (9) ? La note adressée à l’Allemagne exprimait-elle une protestation virulente ? Ou bien existe-t-il une différence entre tuer « nos hommes, nos femmes et nos enfants » à Ludlow et en haute mer ? Oui, c’est bien le cas. Les hommes, les femmes et les enfants de Ludlow étaient des travailleurs, des déshérités, des damnés de la terre, des immigrants à qui il fallait donner un petit goût des splendeurs de l’américanisme, tandis que les passagers du Lusitania (10) représentaient la richesse et occupaient une haute position sociale — voilà la différence.

    La préparation militaire, donc, ne fera que renforcer le pouvoir d’une minorité privilégiée et l’aidera à dominer, réduire en esclavage et écraser le mouvement ouvrier. Samuel Gompers le sait très bien et, s’il se joint aux cris de la clique militaire, il doit être condamné comme un traître au mouvement ouvrier.

    Il en est de même pour toutes les autres institutions prétendument créées pour le bien du peuple et qui ont abouti au résultat inverse. Et il en sera de même pour la préparation militaire. L’Amérique prétend se préparer à la paix, mais en réalité la préparation militaire provoquera la guerre. Il en a toujours été ainsi au cours de l’histoire sanglante de l’humanité, et cela continuera jusqu’à ce que chaque nation refuse de combattre contre une autre nation, jusqu’à ce que les peuples du monde cessent de se préparer au massacre. La préparation militaire est comme la graine d’une plante vénéneuse : une fois plantée en terre, elle donnera des fruits empoisonnés. Les massacres en Europe sont le fruit de cette graine vénéneuse. Il faut absolument que les ouvriers américains s’en rendent compte avant qu’ils ne soient emportés par les discours chauvins dans la folie guerrière, folie toujours hantée par le spectre du danger et de l’invasion. Les ouvriers américains doivent savoir que se préparer à la paix signifie inciter à la guerre, laisser se déchaîner les furies de la mort sur terre et sur mer.

    Les masses européennes qui se battent dans les tranchées et sur les champs de bataille ne sont pas motivées par un désir profond de faire la guerre ; ce qui les a poussées sur les champs de bataille, c’est la compétition impitoyable entre d’infimes minorités de profiteurs soucieux de développer les équipements militaires, des armées plus efficaces, des bateaux de guerre plus grands, des canons de plus longue portée. On ne peut construire une armée puis la ranger dans une boîte comme on le fait avec des soldats de plomb. Lorsqu’une armée est équipée jusqu’aux dents, avec des outils meurtriers sophistiqués, lorsqu’elle est soutenue par les intérêts d’une clique belliciste, la dynamique devient autonome. Nous devons donc examiner la nature du militarisme pour comprendre pourquoi la préparation militaire est un truisme.

    Le militarisme détruit les éléments les plus sains et les plus productifs de chaque nation. Il gaspille la plus grande part du revenu national. L’Etat ne dépense presque rien pour l’enseignement, l’art, la littérature et la science en comparaison avec les sommes considérables qu’il consacre à l’armement en temps de paix. Et en temps de guerre tout le reste n’a aucune importance ; la vie stagne, tous les efforts sont bloqués ; la sueur et le sang des masses servent à nourrir le monstre insatiable du militarisme. Il devient alors de plus en plus arrogant, agressif, imbu de son importance. Pour rester en vie, le militarisme a constamment besoin d’énergie supplémentaire ; c’est pourquoi il cherchera toujours un ennemi ou, s’il en manque, il en créera un artificiellement. Dans ses objectifs et ses méthodes civilisés, il est soutenu par l’Etat, protégé par les lois, entretenu par les parents et les enseignants, et glorifié par l’opinion publique. En d’autres termes, la fonction du militarisme est de tuer. Il ne peut vivre que grâce au meurtre.

    Mais la préparation militaire conduit inévitablement à la guerre pour une autre raison, encore plus fondamentale. Elle encourage la création de groupes d’intérêts, qui travaillent consciemment et délibérément à augmenter la production d’armements et à entretenir une hystérie belliciste. Ce lobby inclut tous ceux qui sont engagés dans la fabrication et la vente de munitions et d’équipements militaires en vue d’accumuler gains et profits personnels. Prenons par exemple le cas de la famille Krupp, qui possède la plus grande usine de munitions du monde ; sa sinistre influence en Allemagne et dans beaucoup d’autres pays s’étend à la presse, aux écoles, aux Églises et aux hommes d’Etat chargés des plus hautes responsabilités. Peu avant la guerre, Karl Liebknecht, le seul homme politique courageux en Allemagne aujourd’hui, attira l’attention du Reichstag : la famille Krupp payait les services de fonctionnaires occupant des fonctions militaires très élevées, non seulement en Allemagne mais en France et dans d’autres pays. Partout ses émissaires s’activaient, et ils attisaient systématiquement les haines et les antagonismes nationaux. Liebknecht a ainsi démasqué un trust international spécialisé dans la fabrication d’armements. Ce trust se moque complètement du patriotisme, de l’amour du peuple, mais utilise ces deux sentiments pour inciter à la guerre et empocher des millions de profits dans le cadre de ce terrible marché.

    Il n’est pas du tout impossible que les historiens de la guerre actuelle découvrent un jour que ce trust international du meurtre est à l’origine du conflit mondial en cours. Mais faut-il toujours que chaque génération traverse des océans de sang et édifie des montagnes de cadavres pour que la génération suivante en tire quelques leçons ? Ne pouvons-nous pas, dès aujourd’hui, en profiter pour dévoiler la cause qui a conduit à la guerre européenne ? C’est la préparation militaire qui est la cause de la guerre, au terme d’une préparation approfondie et efficace de la part de l’Allemagne et d’autres pays qui ont cherché à renforcer leurs armées et à en tirer des profits matériels ? La préparation militaire en Amérique doit conduire et conduira au même résultat, à la même barbarie, au même sacrifice absurde de la vie. Si l’Amérique emprunte ce chemin, cela ne profitera-t-il pas uniquement aux Krupp américains, aux cliques militaires américaines ? Cela semble vraisemblable lorsque l’on entend les cris chauvins de la presse, les tirades tonitruantes de Roosevelt, le baratin sentimental de notre universitaire-président.

    Raison de plus, pour ceux qui aiment encore la liberté et l’humanité, de protester contre ce crime gigantesque, contre les atrocités qui se préparent aujourd’hui et sont imposées au peuple américain. Il ne suffit pas de se prétendre neutre ; une neutralité qui verse des larmes de crocodile d’un œil et garde l’autre œil rivé sur les profits qu’il tirera des fournitures militaires et des emprunts de guerre, une telle neutralité est une escroquerie, elle ne sert qu’à couvrir d’un manteau hypocrite les crimes des autres pays. Il ne suffit pas de se joindre aux pacifistes bourgeois, qui proclament la paix entre les nations tout en contribuant à perpétuer la guerre entre les classes, guerre qui, en réalité, sous-tend toutes les autres guerres.

    C’est sur cette guerre des classes que nous devons nous concentrer. Nous devons dénoncer les fausses valeurs, les institutions malfaisantes et toutes les atrocités commises par la société bourgeoise. Ceux qui sont conscients de la nécessité vitale de participer à de grandes luttes doivent s’opposer à la préparation militaire imposée par l’Etat et le capitalisme pour la destruction des masses. Ils doivent inciter les masses à renverser à la fois le capitalisme et l’Etat. Une préparation syndicale et sociale, voilà ce dont les travailleurs ont besoin. Cela seul mène à la révolution de la base contre la destruction de masse planifiée par les élites. Cela seul renforce le véritable internationalisme du mouvement ouvrier contre les empereurs, les rois, les diplomates, les cliques et bureaucraties militaires. Seule cette préparation donnera au peuple le moyen de sortir les enfants des taudis, des ateliers insalubres et des filatures de coton. Seule cette préparation leur permettra d’inculquer à la nouvelle génération un idéal de fraternité, de leur apprendre à jouer, à chanter et à apprécier la beauté, à élever des garçons et des filles qui deviendront des adultes libres — pas des automates. Seule cette préparation permettra aux femmes d’être les vraies mères de l’humanité, aux hommes et aux femmes de se montrer créatifs pour la race humaine et non de devenir des soldats qui la détruisent. Seule cette préparation conduira à la liberté économique et sociale, et en mettre un terme à toutes les guerres, tous les crimes et toutes les injustices.

    Notes du traducteur

    1. Ligues navales (ou Navy League). Fondée en 1902, avec les encouragements du président Theodore Roosevelt, la Navy League existe toujours et compte actuellement 75 000 membres. Le rôle de cette association de bons patriotes est « d’éduquer » leurs concitoyens et de « soutenir le personnel de la Marine », qui regroupe aussi le corps des Marines, les Gardes-côtes et la marine marchande.

    2. Société pour l’américanisation : association de bénévoles (ou programme financé par le gouvernement fédéral) enseignant les « valeurs fondamentales » de l’Amérique aux immigrés désirant obtenir la nationalité américaine. Cours d’anglais, d’histoire du pays et de ses institutions, mais aussi cours de cuisine, conseil pour l’éducation des enfants, etc. Ce mouvement assez puissant avant et pendant la Première Guerre mondiale ne résista pas aux lois limitant l’immigration et à la montée de la xénophobie au début des années 1920.

    3. Thomas Woodrow Wilson (1856-1924). Avocat, professeur de science politique, gouverneur du New Jersey en 1911, président (démocrate) élu en 1912 et réélu en 1916. En partie à l’origine de la Société des Nations (l’ancêtre de l’ONU actuel) dont il imposa la création après la Première Guerre mondiale en menaçant de conclure une paix séparée avec l’Allemagne. Comme quoi, les problèmes entre la « vieille Europe » et les Etats-Unis ne datent pas d’hier. Il est cocasse que, dans les dictionnaires et les livres d’histoire, Wilson soit toujours présenté comme un grand « anticolonialiste »: en effet, il envoya l’armée américaine à trois reprises contre les peuples haïtien, dominicain et mexicain lorsqu’il était président des Etats-Unis.

    4. Filles de la Révolution Américaine : association patriotique et snob créée en 1891. Réservée aux descendants des soldats ou des civils ayant participé à la lutte pour l’indépendance américaine. Dans les années 1980, cette organisation regroupait encore 200 000 membres.

    5. Henry David Thoreau (1817-1862). Ecrivain qui, au nom de l’individualisme, s’opposait à toute contrainte abusive de la communauté. Il passa une nuit en prison pour avoir refusé de payer ses impôts car il s’opposait à la guerre contre le Mexique Considéré comme un des précurseurs de la non-violence par Gandhi et Luther King, il défendit le raid de John Brown et ses partisans contre l’arsenal de Harpers Ferry en vue de distribuer des armes aux esclaves noirs. Penseur inclassable, ses textes peuvent être utilisés aussi bien par les écologistes, les milices patriotiques d’extrême droite ou les anarchistes qui oublient qu’il écrivit un jour : «Néanmoins, pour m’exprimer de façon concrète, en citoyen et non à la façon de ceux qui se proclament hostiles à toute forme de gouvernement, je ne réclame pas sur-le-champ sa disparition mais son amélioration immédiate. » (N.d.T)

    6. Treitschke (1834-1896). Historien et écrivain politique allemand réactionnaire. Député au Reichstag. Partisan de l’unité allemande sous la coupe de la Prusse, il considérait l’Allemagne comme la véritable héritière du Saint Empire Romain germanique et pensait que son pays devait devenir une grande puissance impérialiste dotée d’un Etat fort, dirigé par une élite qui ne soit pas paralysée par un Parlement pusillanime.

    7. Bernhardi, Friedrich von (1849-1930). Général allemand et auteur de deux ouvrages aux titres prophétiques : L’Allemagne et la prochaine guerre (1912) et Notre avenir (1913).

    8. Samuel Gompers (1850-1924). A l’origine de l’American Federation of Labor, syndicat fondé sur les métiers et qui s’adresse aux ouvriers qualifiés. Prônait la collaboration avec le patronat en vue d’obtenir de « bons » contrats collectifs. Soutint Wilson pendant la Première Guerre mondiale.

    9. Le 20 avril 1914, 20 hommes, femmes et enfants furent assassinés à Ludlow, Colorado. Les mineurs de cet Etat et d’autres États de l’Ouest essayaient d’adhérer à l’UMWA (syndicat des mineurs) depuis plusieurs années. En grève, ils furent expulsés des maisons qu’ils louaient à la société minière. Les mineurs en lutte et leurs familles dormaient donc sous des tentes plantées sur un terrain communal. Un groupe formé de miliciens, de gardiens de la société minière et d’hommes de main engagés au titre de détectives privés et de briseurs de grève jetèrent du kérosène sur les tentes, y mirent le feu et tirèrent sur ceux qui s’échappaient en se servant d’une auto-mitrailleuse blindée. Le jour du massacre, à 10 heures du matin, les mineurs célébraient la Pâques orthodoxe — raison pour laquelle Emma Goldman fait allusion au « bon accueil » que reçoivent les immigrés (sans doute grecs, dans ce cas) en Amérique. Aucun des responsables du massacre ne fut jamais condamné, mais par contre de nombreux mineurs et militants syndicaux furent emprisonnés et licenciés.
    10. Lusitania : paquebot coulé par les Allemands. 1100 personnes périrent dont 128 Américains mais Wilson ne déclara pas pour autant la guerre à l’Allemagne.
     
Chargement...

Les membres qui ont lu cette discussion dans le dernier mois (Total: 2)

  1. ninaa
  2. bigteuf