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Un peu de poésie

Discussion dans 'Discussion générale' créé par Barbe_Noire ou l'un de ses multi-comptes, 6 Juin 2017.

  1. Barbe_Noire ou l'un de ses multi-comptes
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    Barbe_Noire ou l'un de ses multi-comptes Pirate & corsaire Expulsé par vote

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    Août 2016
    Dans ce monde de brutes, le plaisir de découvrir un texte, des mots, un monde.



    Oui, j’ai les yeux fermés à votre lumière
    Par Arthur Rimbaud (1873)


    Encore tout enfant, j’admirais le forçat intraitable sur qui se referme toujours le bagne ; je visitais les auberges et les garnis qu’il aurait sacrés par son séjour ; je voyais avec son idée le ciel bleu et le travail fleuri de la campagne ; je flairais sa fatalité dans les villes. Il avait plus de force qu’un saint, plus de bon sens qu’un voyageur — et lui, lui seul ! pour témoin de sa gloire et de sa raison.


    Sur les routes, par des nuits d’hiver, sans gîte, sans habits, sans pain, une voix étreignait mon cœur gelé : "Faiblesse ou force : te voilà, c’est la force. Tu ne sais ni où tu vas ni pourquoi tu vas, entre partout, réponds à tout. On ne te tuera pas plus que si tu étais cadavre." Au matin j’avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut-être pas vu.


    Dans les villes la boue m’apparaissait soudainement rouge et noire, comme une glace quand la lampe circule dans la chambre voisine, comme un trésor dans la forêt ! Bonne chance, criais-je, et je voyais une mer de flammes et de fumées au ciel ; et, à gauche, à droite, toutes les richesses flambant comme un milliard de tonnerres.

    Mais l’orgie et la camaraderie des femmes m’étaient interdites. Pas même un compagnon. Je me voyais devant une foule exaspérée, en face du peloton d’exécution, pleurant du malheur qu’ils n’aient pu comprendre, et pardonnant ! — Comme Jeanne d’Arc ! — "Prêtres, professeurs, maîtres, vous vous trompez en me livrant à la justice. Je n’ai jamais été de ce peuple-ci ; je n’ai jamais été chrétien ; je suis de la race qui chantait dans le supplice ; je ne comprends pas les lois ; je n’ai pas le sens moral, je suis une brute : vous vous trompez…"

    Oui, j’ai les yeux fermés à votre lumière. Je suis une bête, un nègre. Mais je puis être sauvé. Vous êtes de faux nègres, vous maniaques, féroces, avares. Marchand, tu es nègre ; magistrat, tu es nègre ; général, tu es nègre ; empereur, vieille démangeaison, tu es nègre : tu as bu d’une liqueur non taxée, de la fabrique de Satan. — Ce peuple est inspiré par la fièvre et le cancer. Infirmes et vieillards sont tellement respectables qu’ils demandent à être bouillis. — Le plus malin est de quitter ce continent, où la folie rôde pour pourvoir d’otages ces misérables. J’entre au vrai royaume des enfants de Cham.

    Connais-je encore la nature ? me connais-je ? — Plus de mots. J’ensevelis les morts dans mon ventre. Cris, tambour, danse, danse, danse, danse ! Je ne vois même pas l’heure où, les blancs débarquant, je tomberai au néant.

    Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse !​

    Arthur Rimbaud.
    [Extrait d’Une saison en enfer, avril-août 1873, « Mauvais sang » (section 5).
     
  2. Barbe_Noire ou l'un de ses multi-comptes
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    Barbe_Noire ou l'un de ses multi-comptes Pirate & corsaire Expulsé par vote

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    Août 2016
    Et cet autre, de François VILLON, qui m'a frappé en pleine adolescence :
    [CENTER][/CENTER]
    La ballade des pendus

    Frères humains, qui après nous vivez,
    N'ayez les coeurs contre nous endurcis,
    Car, si pitié de nous pauvres avez,
    Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
    Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
    Quant à la chair, que trop avons nourrie,
    Elle est piéça dévorée et pourrie,
    Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
    De notre mal personne ne s'en rie ;
    Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
    Se frères vous clamons, pas n'en devez
    Avoir dédain, quoique fûmes occis
    Par justice. Toutefois, vous savez
    Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis.
    Excusez-nous, puisque sommes transis,
    Envers le fils de la Vierge Marie,
    Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
    Nous préservant de l'infernale foudre.
    Nous sommes morts, âme ne nous harie,
    Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

    La pluie nous a débués et lavés,
    Et le soleil desséchés et noircis.
    Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
    Et arraché la barbe et les sourcils.
    Jamais nul temps nous ne sommes assis
    Puis çà, puis là, comme le vent varie,
    A son plaisir sans cesser nous charrie,
    Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.
    Ne soyez donc de notre confrérie ;
    Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

    Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
    Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :
    A lui n'ayons que faire ne que soudre.
    Hommes, ici n'a point de moquerie ;
    Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !​