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Proudhon, père de l’anarchisme ?

Discussion dans 'Webzine - actualité des luttes et partage d'articles de presse' créé par ninaa, 4 Janvier 2022.

  1. ninaa
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    ninaa Membre du forum Expulsé du forum

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    Fev 2014
    France
  2. anarchiste, anarcho-féministe, individualiste
    Un topic à propos du sexisme, du racisme et de l'homophobie de Proudhon:

    Anarchiste et sexiste, c'est possible?

    Et pour ceux qui prétendent que "c'est normal c'était l'époque":

    Une lettre de Joseph Déjacque au sexiste P.J. Proudhon

    Info Libertaire - Actualité militante et info anarchiste

    ” Proudhon n’est ni socialiste, ni révolutionnaire, ni favorable à la lutte des classes et follement hostile aux femmes. Il est le petit boutiquier dans toute sa splendeur, partisan de l’individualisme à outrance, haineux vis-à-vis des Juifs, jaloux comme nombre de petits bourgeois des deux classes qui ont des perspectives historiques : le prolétariat révolutionnaire et le grand capital.

    Il serait temps que les anarchistes qui sont révolutionnaires et du côté du prolétariat ne craignent plus de s’en démarquer…

    Proudhon, anti-femmes !

    « La femme est un diminutif d’homme L’être humain, complet, adéquat, à sa destinée, je parle du physique, c’est le mâle qui, par sa virilité, atteint le plus haut degré de tension musculaire et nerveuse que comportent sa nature et sa fin, et par là, le maximum d’action dans le travail et le combat. La femme est un diminutif d’homme à qui il manque un organe pour devenir autre chose qu’un éphèbe. Partout éclate la passivité de la femme sacrifiée, pour ainsi dire, à la fonction maternelle : délicatesse de corps, tendresse de chairs, ampleur des mamelles, des hanches, du bassin, jusqu’à la conformation du cerveau. En elle-même, la femme n’a pas de raison d’être ; c’est un instrument de reproduction qu’il a plu à la nature de choisir de préférence à tout autre moyen, mais qui serait une erreur, si la femme ne devait retrouver d’une autre manière sa personnalité et sa fin. Or, quelle que soit cette fin, à quelque dignité que doive s’élever un jour la personne, la femme n’en reste pas moins, de ce premier chef de constitution physique et jusqu’à plus ample informé, inférieure à l’homme, une sorte de moyen terme entre lui et le reste du règne animal. »

    « De la justice dans la Révolution et dans l’Eglise »,
    1858, ” La femme est un joli animal “.

    « L’infériorité intellectuelle de la femme vient de la faiblesse de son cerveau, comme son infériorité physique vient de la faiblesse de ses muscles. La force physique n’est pas moins nécessaire au travail de la pensée qu’à celui des muscles ; de sorte que, sauf le cas de maladie, la pensée, en tout être vivant, est proportionnelle à la force. Si la faiblesse organique de la femme, à laquelle se proportionne naturellement le travail du cerveau, n’avait d’autre résultat que d’abréger dans sa durée l’action de l’entendement, la qualité du produit intellectuel n’étant pas altérée, la femme pourrait parfaitement, sous ce rapport, se comparer à l’homme, elle ne rendrait pas autant, elle ferait aussi bien. La différence purement quantitative, n’entraînant qu’une différence de salaire, ne suffirait peut-être pas pour motiver une différence dans la condition sociale. Elle a l’esprit faux. »

    « De la justice dans la Révolution et dans l’Eglise », 1858.


    Proudhon anti-grèves et contre l’action directe sur le terrain social !

    Le droit de coalition était le droit des ouvriers de se regrouper et d’imposer des augmentations de salaires.

    Proudhon déclare :

    « Non, il n’existe pas plus un droit de coalition qu’il n’y a un droit d’exaction, de brigandage, de rapine, un droit d’inceste, d’adultère. »

    « De la capacité politique des classes ouvrières », 1868.

    « L’augmentation des salaires et la réduction des heures de travail ne peuvent aboutir qu’à l’enchérissement universel. »

    « De la Capacité politique des classes ouvrières »

    « Je disais donc que les ouvriers, de Saint-Étienne et Rive-de-Gier, qui en 1845, sous l’impulsion d’un sentiment de justice que je ne nie pas, se coalisèrent et se mirent en grève, agirent en violation flagrante de la loi ; que pour donner à leur coalition une apparence de droit, ils auraient dû, au lieu de s’assembler tumultueusement, se former préalablement en compagnie ouvrière pour l’extraction des minerais, de même que les maîtres s’étaient formés en société anonyme pour l’exploitation en commun de leurs propriétés et la vente de leurs produits. Sans cette condition, lesdits ouvriers ne pouvaient être regardés que comme une multitude de perturbateurs qu’aucune forme légale ne protégeait contre les présomptions de la justice, et contre lesquels le Pouvoir était appelé à sévir malgré qu’il en eût. »

    « De la Capacité politique des classes ouvrières »

    « Sous menace de grève, les uns, c’est le très-grand nombre, ont exigé une augmentation de salaire, les autres une réduction des heures de travail ; quelques-uns les deux à la fois. Comme si vous ne saviez pas, de longue main, que l’augmentation des salaires et la réduction des heures de travail ne peuvent aboutir qu’à l’enchérissement universel ; comme si vous pouviez ignorer qu’il ne s’agit point ici de réduction ni d’élévation des prix et salaires, mais d’une péréquation générale, condition première de la richesse ! On est allé plus loin. On a prétendu imposer, avec l’augmentation des salaires, leur égalité. Triste réminiscence du Luxembourg, que le Manifeste des Soixante avait pourtant condamnée, en professant hautement la libre concurrence. »

    Même ouvrage cité précédemment…

    Autre citation :

    « Tout mouvement de hausse dans les salaires ne peut avoir d’autre effet que celui d’une hausse sur le blé, le vin, etc., c’est-à-dire l’effet d’une disette. Car qu’est-ce que le salaire ? C’est le prix de revient du blé, etc. ; c’est le prix intégral de toute chose. Allons plus loin encore : le salaire est la proportionnalité des éléments qui composent la richesse et qui sont consommés reproductivement chaque jour par la masse des travailleurs. Or, doubler les salaires, c’est attribuer à chacun des producteurs une part plus grande que son produit, ce qui est contradictoire ; et si la hausse ne porte que sur un petit nombre d’industries, c’est provoquer une perturbation générale dans les échanges, en un mot, une disette… Il est impossible, je le déclare, que les grèves suivies d’augmentation de salaires n’aboutissent pas à un renchérissement général : cela est aussi certain que deux et deux font quatre. »

    « Je trouve que depuis quelque temps les ouvriers anglais ont perdu l’habitude des coalitions, ce qui est assurément un progrès, dont on ne peut que les féliciter : mais que cette amélioration dans le moral des ouvriers vient surtout de leur instruction économique. Ce n’est point des manufacturiers, s’écriait au meeting de Bolton, un ouvrier fileur, que les salaires dépendent. Dans les époques de dépression les maîtres ne sont pour ainsi dire que le fouet dont s’arme la nécessité, et qu’ils le veuillent ou non, il faut qu’ils frappent. Le principe régulateur est le rapport de l’offre avec la demande ; et les maîtres n’ont pas ce pouvoir… A la bonne heure, s’écrie M. Proudhon, voilà des ouvriers bien dressés, des ouvriers modèles, etc., etc. Cette misère manquait à l’Angleterre : elle ne passera pas le détroit. »

    Article, septembre 1845.

    Ou encore :

    « La grève des ouvriers est illégale, et ce n’est pas seulement le Code pénal qui dit cela, c’est le système économique, c’est la nécessité de l’ordre établi… Que chaque ouvrier individuellement ait la libre disposition de sa personne et de ses bras, cela peut se tolérer : mais que les ouvriers entreprennent par des coalitions de faire violence au monopole, c’est ce que la société ne peut permettre. »

    Proudhon, hostile aux révolutions !

    « Peut-être, conservez-vous encore l’opinion qu’aucune réforme n’est actuellement possible sans un coup de main, sans ce qu’on appelait jadis une révolution, et qui n’est tout bonnement qu’une secousse. Cette opinion que je conçois, que j’excuse, que je discuterais volontiers, l’ayant moi-même longtemps partagée, je vous avoue que mes dernières études m’en ont fait complètement revenir. Je crois que nous n’avons pas besoin de cela pour réussir ; et qu’en conséquence, nous ne devons point poser l’action révolutionnaire comme moyen de réforme sociale, parce que ce prétendu moyen serait tout simplement un appel à la force, à l’arbitraire, bref une contradiction. Je me pose ainsi le problème : faire rentrer dans la société, par une combinaison économique, les richesses qui sont sorties de la société par une autre combinaison économique… Or, je crois savoir le moyen de résoudre à court délai ce problème. »

    Lettre à Karl Marx, le 17 mai 1846.

    « Nous ne devrions pas mettre en avant l’action révolutionnaire comme moyen de réformes sociales, car cela signifie tout simplement faire appel à la force ou à l’arbitraire, en bref une contradiction. Je me suis mis à poser le problème sous cet angle, à favoriser le retour à la société par une combinaison économique, de la richesse tirée de la société… »

    « Nous voulons une révolution pacifique… vous devriez utiliser les institutions qu’on vous pousse à supprimer de telle sorte que la nouvelle société apparaisse comme le développement spontané, naturel et nécessaire de l’ancien. Alors que la révolution veut l’abrogation de l’ordre ancien, le nouvel ordre devrait néanmoins être tirés de l’ancien… »

    Hostile à la transformation sociale radicale

    Proudhon n’est en rien révolutionnaire comme le montrent ces extraits de « La liberté » :

    > légaliste :

    « Le droit à l’insurrection […] ne peut, dans un pays où le suffrage universel a commencé de s’organiser, être reconnu à la minorité contre la majorité. Quelque arbitraires que soient les décisions de celle-ci, si flagrante que paraisse la violation du pacte, une majorité peut toujours nier qu’elle le viole : ce qui ramène le différend à une simple question d’appréciation, et ne laisse, par conséquent, aucun prétexte à la révolte. Et quand la minorité se prévaudrait de certains droits antérieurs ou supérieurs à la Constitution, que la majorité, selon elle, aurait méconnus, il serait facile à celle-ci d’invoquer à son tour d’autres droits antérieurs ou supérieurs, tels que celui du salut public, en vertu desquels elle légitimerait sa volonté : si bien qu’en définitive il faudrait toujours en revenir à une solution par le vote, à la loi du nombre. Admettons donc comme démontrée cette proposition : entre la minorité et la majorité des citoyens, manifestée constitutionnellement par le suffrage universel, le conflit par les armes est illégitime. »

    > croyance dans le caractère naturel du pouvoir :

    « Nous concevons a priori que, l’homme étant un être moral et libre, vivant en société, et soumis à justice, la société ne peut manquer de se constituer un ordre, c’est-à-dire de se donner un gouvernement ; – que ce gouvernement sera confié aux soins d’un élu, appelé prince, empereur, ou roi ; ou de mandataires, formant sénat, patriciat, aristocratie ; à moins qu’il n’y ait possibilité de laisser le pouvoir à l’assemblée du peuple ; – que les fonctions du gouvernement s’exerceront, tantôt ad libitum, par une volonté arbitraire, collective ou individuelle ; tantôt, d’après des traditions et des coutumes ; tantôt enfin suivant des règles positives et des lois raisonnées. On conçoit de plus que tous ces éléments, qui semblent s’exclure, transigeant entre eux, s’associent et se combinent dans des proportions variables : que l’autocratie soit tempérée par une intervention de l’aristocratie ou démocratie ; que le bon plaisir soit limité ou modifié par la coutume, l’initiative du prince par celle du sénat, toutes deux par l’élection populaire et par la loi écrite ; – que la subordination des classes, des fonctions et des prérogatives soit plus ou moins grande, et que parfois elle se déplace, etc. Tout cela peut varier à l’infini ; et c’est pourquoi, entre les deux extrêmes de l’autocratie et de la démocratie, en peut insérer autant de moyens ternies que l’on voudra. Mais tout cela ne fait pas que le système change ; il ne fait que le confirmer ; et tout ce que l’historien peut conclure ici des variations d’un l’État, c’est que la société est en souffrance, qu’elle cherche son assise, souvent même qu’elle décline, et, ne pouvant triompher de son impuissance, tend à la mort. En sorte que le système politique, tel que nous le comprenons maintenant, est élevé au-dessus de toute atteinte, affranchi de toutes les folles entreprises de l’homme, plus solide, plus durable que la race et la nationalité même. Nous pouvons nous livrer en politique à toutes les orgies imaginables, essayer de toutes les hypothèses. […] : nous ne sortirons jamais des [bornes] prescrites, et, de deux choses l’une, ou nous périrons dans nos évolutions insensées, ou nous arriverons à cette synthèse dernière, qui est la paix et la félicité des peuples. »

    > sa croyance dans les nations :

    « Les nations sont au service des idées ; elles n’en sont point maîtresses, propriétaires, encore moins productrices. Elles valent par les idées et rien que par les idées : il se pourrait même que telle nation qui, dans l’histoire, aura joué le plus grand rôle, l’ait dû précisément à sa personnalité moins accusée, à sa facilité à s’emparer des idées et à les mettre en œuvre. Les intérêts viennent ensuite modifier, dans l’application, les données de l’idée ; quant au tempérament et au caractère, leur action est de toutes la plus faible. Il n’y a pas, en un mot, de races initiatrices dans le sens rigoureux du mot ; point de races privilégiées ni de races maudites, point de nations souveraines ni de nations sujettes. Il n’y a que des instruments, plus ou moins dociles, plus ou moins dévoués, selon les intérêts et les circonstances, du Progrès ; des organes plus ou moins explicites de ce que les uns nomment Providence, les autres Destin, et qui pour nous est l’idée, et au-dessus de l’idée, le droit. »

    > sa croyance dans la réconciliation des intérêts contraires :

    « Certes, je ne méconnais ni le fait de l’antagonisme, ou comme il vous plaira de nommer, de l’aliénation religieuse, non plus que la nécessité de réconcilier l’homme avec lui-même ; toute ma philosophie n’est qu’une perpétuité de réconciliation. Vous reconnaissez que la divergence de notre nature est le préliminaire de la société, disons mieux, le matériel de la civilisation. C’est justement le fait, mais, remarquez-le bien, le fait indestructible dont je cherche le sens. Certes, nous serions bien près de nous entendre si, au lieu de considérer la dissidence et l’harmonie des facultés humaines entre deux périodes distinctes, tranchées et consécutives dans l’histoire, vous consentiez à n’y voir avec moi que les deux faces de notre nature, toujours adverses, toujours en œuvre de réconciliation, mais jamais entièrement réconciliées. En un mot, comme l’individualisme est le fait primordial de l’humanité, l’association en est le terme complémentaire ; mais tous deux sont en manifestation incessante, et sur la terre la justice est éternellement la condition de l’amour. »

    > son idéalisme remplaçant la lutte des classes :

    « L’histoire est la succession des états divers par lesquels l’intelligence et la société passent avant d’atteindre, la première à la science pure, la seconde à la réalisation de ses lois. C’est un panorama de créations en train de se produire, qui s’agitent pêle-mêle, se pénètrent d’une influence réciproque, et présentent à l’œil une suite de tableaux plus ou moins réguliers, jusqu’à ce qu’enfin chaque idée ayant pris sa place, chaque élément social étant élaboré et classé, le drame révolutionnaire touche à sa fin, l’histoire ne soit plus que l’enregistrement des observations scientifiques, des formes de l’art et des progrès de l’industrie. Alors le mouvement des générations humaines ressemble aux méditations d’un solitaire ; la civilisation a pris le manteau de l’éternité. »


    Proudhon est pour la collaboration de classes :

    « La concurrence et l’association s’appuient l’une sur l’autre. Bien loin de s’exclure, elles ne sont pas même divergentes. Qui dit concurrence, suppose déjà but commun. La concurrence n’est donc pas l’égoïsme, et l’erreur la plus déplorable du socialisme est de l’avoir regardée comme le renversement de la société. »

    > Proudhon, ami de la propriété bourgeoise et non son adversaire

    Ceux qui ont retenu uniquement sa formule volontairement provocatrice « La propriété, c’est le vol » commettent un contresens.

    Il écrit :

    « La propriété est la plus grande force révolutionnaire qui existe et qui se puisse opposer au pouvoir (…) Où trouver une puissance capable de contrebalancer cette puissance formidable de l’Etat ? Il n’y en a pas d’autre que la propriété (…) La propriété moderne peut être considérée comme le triomphe de la liberté (…) La propriété est destinée à devenir, par sa généralisation, le pivot et le ressort de tout le système social. »

    « Théorie de la propriété », 1862.

    Proudhon a déclaré avoir été mal compris dans ses premiers écrits avec sa célèbre formule : ” la propriété, c’est le vol ” :

    « Dans mes premiers mémoires, attaquant de front l’ordre établi, je disais, par exemple : La propriété, c’est le vol ! Il s’agissait de protester, de mettre pour ainsi dire en relief le néant de nos institutions. Je n’avais point alors à m’occuper d’autre chose. Aussi, dans le mémoire où je démontrais, par A plus B, cette étourdissante proposition, avais-je soin de protester contre toute conclusion communiste. Dans le Système des Contradictions économiques, après avoir rappelé et confirmé ma première définition, j’en ajoute une toute contraire, mais fondée sur des considérations d’un autre ordre, qui ne pouvaient ni détruire la première argumentation, ni être détruites par elle : La propriété, c’est la liberté ! »

    « Confessions d’un Révolutionnaire », 1849.


    Proudhon, hostile à l’intervention directe politique des exploités

    Voyons Proudhon dans le cours d’une réelle révolution…

    En 1847, Proudhon, en prévision des événements qui mûrissent, voudrait avoir une tribune. On trouve dans ses carnets intimes la note suivante :

    « Tâcher de m’entendre avec le Moniteur industriel, journal des maîtres, tandis que le Peuple sera le journal des ouvriers. »

    Au début de 1848, Guizot suspend les cours de Michelet, comme il avait suspendu ceux de Mickiewicz et de Quinet ; Proudhon se félicite qu’on ait imposé silence à ces “ empaumeurs de niais ” et quand les étudiants protestent, il note :

    « Quand est-ce que l’on casernera cette jeunesse débauchée et tapageuse ? courage, Guizot ! »

    La montée révolutionnaire au cours de février 1848 lui inspire cette seule note :

    « Le trouble et le scandale augmentent. La France, si elle ne renvoie pas son opposition, est perdue. »

    Dans un article de journal du 19 février 1849, Proudhon a d’ailleurs retracé son “ anxiété dévorante ” devant les événements :

    « Je me révoltais contre la marche des événements… Mon âme était à l’agonie. Je portais par avance le poids des douleurs de la République et le fardeau des calomnies qui allaient frapper le socialisme. Le 21 février au soir, j’exhortais encore mes amis à ne pas combattre. »

    Il ajoute que la fusillade du 23 “ changea ses dispositions en un instant ”. C’est fort bien dit. Malheureusement c’est inexact puisque le 24 février il notait dans ses carnets intimes :

    « Le gâchis est désormais inextricable… Je n’ai rien à faire là-dedans… Cela va être effroyable… »

    et puisqu’il écrivait le 25 :

    « Mon corps est au milieu du peuple, mais ma pensée est ailleurs. J’en suis venu, par le cours de mes idées, à n’avoir presque plus de communauté d’idées avec mes contemporains. »

    Le 26 septembre 1848, il rendait visite à Louis-Napoléon Bonaparte et le trouvait “ bien intentionné : tête et cœur chevaleresques ”.

    L’indifférence en matière politique l’amènera à écrire quelques semaines après le coup d’État : “ En aucun lieu de la terre, l’esprit qui est tout l’homme n’est aussi libre que chez toi.

    Et encore :

    « Louis-Napoléon est, de même que son oncle, un dictateur révolutionnaire ; mais avec cette différence que le premier consul venait clore la première phase de la révolution, tandis que le président ouvre la seconde. »

    Le 12 janvier 1853, il sollicite du prince Napoléon une intervention pour la concession du chemin de fer de Besançon à Mulhouse. Si la concession était obtenue, il confesse qu’il y trouverait l’occasion de faire une étude sur le thème suivant :

    satisfaire aux justes exigences du prolétariat sans blesser les droits acquis de la classe bourgeoise ”.

    Cette formule lui avait été suggérée par le prince au cours d’un entretien, comme répondant exactement aux vœux de l’empereur. Il importe peu, dans ces conditions, qu’il ait noté, en même temps, dans ses journaux intimes que Louis-Napoléon était…

    « un infâme aventurier, bâtard d’une princesse, débauché, crapuleux… destructeur des libertés publiques, usurpateur du pouvoir, voleur du trésor, mystificateur du peuple. »

    puisqu’à la même date, comme il le dit lui-même dans une lettre :

    « J’ai été aux Tuileries, au Sénat, à la Préfecture, voir quelques connaissances que j’ai parmi les amis de Louis-Napoléon. » (10 novembre 1852)

    Il importe peu qu’il ait été condamné à la prison pour son ouvrage sur la Justice dans la révolution et dans l’Église, prison qu’il ne fit point, pour laquelle il fut gracié deux ans après, ouvrage qu’il présentait au prince Napoléon comme l’explication d’un principe nouveau :

    l’incarnation dans une famille élue du droit humain ou de la pensée rationnelle de la Révolution.

    Quant à son attitude réelle à l’égard du prolétariat, “ j’ai prêché la conciliation des classes, symbole de la synthèse des doctrines ” (lettre du 18 mai 1850) ; “ appuyé sur la réconciliation des classes ” (instructions pour la rédaction de La Voix du Peuple), elle résulte de sa correspondance comme de ses carnets :

    « J’ai assez de la vile multitude et des démagogues… la classe la plus pauvre est, par cela même qu’elle est la plus pauvre, la plus ingrate, la plus envieuse, la plus immorale et la plus lâche. » (Lettre du 26 avril 1852)

    « Ce qu’il y a de plus arriéré, de plus rétrograde, en tous pays, c’est la masse, c’est ce que vous appelez la démocratie. »

    Il ira même jusqu’à reprocher au gouvernement de Napoléon III de “ soutenir secrètement les ouvriers contre les patrons ” (16 mai 1853) ; il définira les tendances du gouvernement dans la formule suivante : « Si nous ne pouvons fonder une nouvelle hiérarchie sociale en nous faisant accepter des prêtres, des bourgeois, etc., nous jetterons la bourgeoisie en pâture à la plèbe. » (27 novembre 1853)

    Il assume parfaitement la révolution bourgeoise mais certainement pas les objectifs du petit peuple ou du prolétariat : « La Révolution française a été faite pour la liberté industrielle autant que pour la liberté politique ; et bien que la France, en 1789, n’eût point aperçu toutes les conséquences du principe dont elle demandait la réalisation, disons-le hautement, elle ne s’est trompée ni dans ses vœux, ni dans son attente. »


    Proudhon antisémite :

    Proudhon est un des premiers penseurs français à utiliser la dimension raciale comme dans sa violente diatribe judéophobe de décembre 1847 :

    « Le Juif est l’ennemi du genre humain. Il faut renvoyer cette race en Asie ou l’exterminer… Par le fer, par le feu ou par l’expulsion il faut que le Juif disparaisse. »

    « Juifs. Faire un article contre cette race qui envenime tout, en se fourrant partout, sans jamais se fondre avec aucun peuple. Demander son expulsion de France, à l’exception des individus mariés avec des Françaises ; abolir les synagogues, ne les admettre à aucun emploi, poursuivre enfin l’abolition de ce culte. Ce n’est pas pour rien que les chrétiens les ont appelés déicides. Le juif est l’ennemi du genre humain. Il faut renvoyer cette race en Asie, ou l’exterminer. H. Heine, A. Weil, et autres ne sont que des espions secrets ; Rothschild, Crémieux, Marx, Fould, êtres méchants, bilieux, envieux, âcres, etc. etc. qui nous haïssent… »

    « Carnets », 24 décembre 1847.

    « Le judaïsme a infesté le christianisme. ».

    « Carnets », 24 mai 1847.

    « …des juifs qui sont éparpillés sur la surface du globe, dont le roi actuel est Rothschild, peuple sangsue, peuple sans territoire, sans agriculteur, sans loi, sans culte, sans gouvernement, n’adorant jamais que Jéhovah c’est- à –dire l’égoïsme, ou Mammon, c‘est-à-dire l’argent. »

    « Carnets », 23 décembre 1847.

    « Le Juif est par tempérament anti-producteur, ni agriculteur, ni industriel, pas même vraiment commerçant. C’est un entremetteur, toujours frauduleux et parasite, qui opère, en affaires, comme en philosophie, par la fabrication, la contrefaçon, le maquignonnage. Il ne sait que la hausse et la baisse, les risques de transport, les incertitudes de la récolte, les hasards de l’offre et la demande. Sa politique en économie est toute négative, c’est le mauvais principe. Satan, Ahriman ( force du mal dans l’ancienne religion des Iraniens ), incarné dans la race de Sem.

    « Césarisme et Christianisme », 1860.

    « Quel est le vrai propriétaire, à votre avis, du détenteur nominal, imposé, taxé, gagé hypothéqué ou du créancier qui perçoit le revenu ? Les prêteurs juifs et Bâlois sont aujourd’hui les vrais propriétaires de l’Alsace… »

    « Système des Contradictions économiques ou Philosophie de la Misère », 1846.


    Proudhon homophobe

    Proudhon, s’indignant que Fourier ait “ sanctifié jusqu’aux unions unisexuelles ”.

    « Sans aller jusqu’à la mort, je regrette que cette infamie qui commence à se propager parmi nous, soit traitée avec tant d’indulgence. Je voudrais qu’elle fût, dans tous les cas, assimilée au viol, et punie de vingt ans de réclusion. »

    « Amour et mariage », 1858.

    On n’en finirait pas citer des passages violemment anti-homo…


    Proudhon misogyne et machiste

    « 99 fois sur cent, vous trouverez que l’homme sera le maître. Voilà un fait… Est-ce la nature qui a établi entre eux cette différence ? Il est facile d’en juger : il suffit des yeux. »

    « La pornocratie, ou Les femmes dans les temps modernes », 1875.

    « Une femme qui exerce son intelligence devient laide, folle et guenon. »

    Même texte . « De même que la civilisation doit nous guérir de l’esclavage, du prolétariat, de la polygamie, de la prostitution, elle doit nous guérir encore de la confusion des sexes, en donnant à l’homme une éducation de plus en plus mâle, et à la femme une éducation plus féminine. »

    « La pornocratie, ou Les femmes dans les temps modernes », 1875.

    « J’ai démontré, par d’illustres exemples, que la femme qui s’éloigne de son sexe, non seulement perd les grâces que la nature lui a données, sans acquérir les nôtres, mais retombe à l’état de femelle, bavarde, impudique, paresseuse, sale, perfide, agent de débauche, empoisonneuse publique, une Locuste, une peste pour sa famille et la société. »

    « La pornocratie, ou Les femmes dans les temps modernes », 1875.

    Proudhon, adepte fervent de la petite économie marchande précapitaliste :

    « La concurrence est aussi essentielle au travail que la division. Elle est nécessaire à l’avènement de l’égalité. »

    « Il ne saurait donc être ici question de détruire la concurrence, chose aussi impossible que de détruire la liberté ; il s’agit d’en trouver l’équilibre, je dirais volontiers la police. »

    > son éloge du libéralisme marchand :

    « Deux nations sont séparées par un bras de mer ou une chaîne de montagnes. Elles sont respectivement libres, tant qu’elles ne communiquent point entre elles, mais elles sont pauvres ; c’est de la liberté simple : elles seront plus libres et plus riches si elles échangent leurs produits ; c’est ce que j’appelle liberté composée. L’activité particulière de chacune des deux nations prenant d’autant plus d’extension qu’elles se fournissent mutuellement plus d’objets de consommation et de travail, leur liberté devient aussi plus grande : car la liberté, c’est l’action. Donc l’échange crée entre nations des rapports qui, tout en rendant leurs libertés solidaires, en augmentent l’étendue : la liberté croît, comme la force, par l’union, Vis unita major. Ce fait élémentaire nous révèle tout un système de développements nouveaux pour la liberté, système dans lequel l’échange des produits n’est que le premier pas. […] Ainsi donc l’homme qui travaille, c’est-à-dire qui se met en rapport d’échange avec la nature, est plus libre que celui qui la ravage, qui la vole, comme le barbare. – Deux travailleurs qui échangent leurs produits, sans autrement s’associer, sont plus libres que s’ils ne les échangeaient pas ; ils le deviendront davantage encore, si, au lieu de l’échange en nature, ils adoptent, d’accord avec un grand nombre d’autres producteurs, un signe commun de circulation, tel que la monnaie. Leur liberté croît à mesure, je ne dis pas qu’ils s’associent ; mais qu’ils font une permutation de leurs services : c’est encore une fois ce que j’appelle tour à tour liberté simple et liberté composée. »

    « La concurrence est nécessaire à la constitution de la valeur, c’est-à-dire au principe même de la répartition, et par conséquent à l’avènement de l’égalité. Tant qu’un produit n’est donné que par un seul et unique fabricant, la valeur réelle de ce produit reste un mystère, soit dissimulation de la part du producteur, soit incurie ou incapacité à faire descendre le prix de revient à son extrême limite. Ainsi, le privilège de la production, est une perte réelle pour la société ; et la publicité de l’industrie comme la concurrence des travailleurs un besoin. Toutes les utopies imaginées et imaginables ne peuvent se soustraire à cette loi… La concurrence, en effet, est l’expression de l’activité collective : de même que le salaire, considéré dans son acception la plus haute, est l’expression du mérite et du démérite, en un mot de la responsabilité du travailleur. En vain l’on déclame et l’on se révolte contre ces deux formes essentielles de la liberté et de la discipline dans le travail. »


    « La liberté »
    Proudhon, adversaire du gouvernement direct par le peuple


    « M. Rittinghausen suppose donc que le vote de la loi par tout le peuple donnera une approximation plus grande que le vote d’une simple majorité de représentants… Mais cette supposition en implique nécessairement une autre, à savoir, qu’il y a dans la collectivité du peuple une pensée sui generis, capable de représenter à la fois l’intérêt collectif et l’intérêt individuel, et que l’on peut dégager avec plus ou moins d’exactitude, par un procédé électoral ou scrutatoire quelconque… Comment avez-vous pu croire qu’une pensée à la fois particulière et générale, collective et individuelle, en un mot synthétique, pouvait s’obtenir par la voie d’un scrutin, c’est-à-dire, précisément, par la formule officielle de la diversité ? 100.000 voix, chantant à l’unisson, vous donneraient à peine le sentiment vague de l’être populaire. Mais 100.000 voix individuellement consultées, et répondant chacune d’après l’opinion qui lui est particulière ; 10.000 voix qui chantent à part, sur des tons différents, ne peuvent vous faire entendre qu’un épouvantable charivari ; et plus, dans ces conditions, vous multiplierez les voix, plus la confusion augmentera… On conclut que c’est à la nation, tout entière, à nommer ses représentants. Mais, s’il est ainsi d’une classe d’hommes que le libre essor de la société, le développement spontané des sciences, des arts, de l’industrie, du commerce ; la nécessité des institutions, le consentement tacite ou l’incapacité notoire des classes inférieures ; d’une classe enfin que ses talents et ses richesses désignaient comme l’élite naturelle du peuple ; qu’attendre d’une représentation qui, sortie de comices plus ou moins complets, plus ou moins éclairés et libres, agissant sous l’influence de passions locales, de préjugés d’état, en haine des personnes et des principes, ne sera, en dernière analyse, qu’une représentation factice, produit du bon plaisir de la cohue électorale ? »

    la liberté mais la liberté bourgeoise… “


    Robert Paris
     
  3. ninaa
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    ninaa Membre du forum Expulsé du forum

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    France
  4. anarchiste, anarcho-féministe, individualiste
    Pierre-Joseph Proudhon – La peur d’un homme

    Octobre 6, 2022 – Par Partage Noir

    Les hommes en général n’aiment point les femmes d’esprit et cela probablement par la même raison que les prêtres et les tyrans haïssent les philosophes. Un instinct secret les avertit les uns et les autres que le règne des préjugés cesse quand celui de la raison s’établit. Constance de Salm.

    Proudhon et les femmes…, vaste sujet d’autant qu’il s’inscrit dans un siècle où «la

    question» des femmes occupe nombre d’esprits. Romanciers, poètes, philosophes ou hommes politiques l’aborderont en effet comme une nécessité brillante. Proudhon sera de ceux-là et, d’une note en bas de page dans Qu’est-ce que la Propriété? en 1840 à la publication posthume en 1875 de De la Pornocratie ou les Femmes dans les temps modernes, la question de la destinée sociale des femmes restera présente dans ses écrits; dans le Système des contradictions économiques en 1846, mais aussi dans deux études de De la Justice dans la Révolution et dans l’Eglise en 1858.

    A ces réflexions s’ajouteront nombreux articles de journaux où Proudhon sera mis en demeure de s’expliquer tant bien que mal face aux attaques en règle des féministes… Devant l’ampleur des débats et des études, nous nous bornerons à exposer brièvement l’analyse proudhonienne. Aussi conviendra-t-il de «replacer» l’idée de la femme dans le système proudhonien et dans les pratiques sociales de son époque; ne pas négliger, enfin, les réactions suscitées par le discours masculin. Le féminisme qui retrouve alors un nouveau souffle (Seconde République) ne manquera pas de répliquer aux contradictions masculines.

    Proudhon et ses contemporains
    Avant d’aborder point par point l’idéal proudhonien, il nous semble utile de resituer Proudhon parmi les hommes de son époque. Force est de constater en effet que de Proudhon à Hegel, du père de l’anarchisme au théoricien de l’État, unanimité est faite autour de la question des femmes. Le principe d’une «essence», d’une «identité» féminine est admis par tous. Si la fonction sociale de la femme est restreinte à «sa» vocation maternelle et nourricière, c’est que son corps la condamne à être l’unique instrument de reproduction. L’humanité est mâle et, du même coup, l’homme définit la femme relativement à lui : jamais concurrente, donc jamais équivalente, la femme est l’autre de l’homme; ses fonctions «complètent» celles de l’homme : il pense, elle aime, il conçoit, elle met au monde.

    Pierre-Joseph Proudhon – La peur d’un homme – Info Libertaire

    A ce titre, le partage des rôles se fait non selon les compétences individuelles (ce qui constituera le leurre de Fourier), mais selon l’appartenance à l’un ou l’autre des sexes. La fonction naturelle de la femme — la maternité — lui interdit du même coup de participer à tout acte «social». La justification de cette partition repose sur cette «identité» naturelle entre mythes et réalités. Ainsi du procureur Chaumette qui s’adressait aux femmes venues assister aux discussions de la Convention nationale : Femmes imprudentes qui voulez devenir des hommes n’êtes-vous pas assez bien partagées? Que vous faut-il de plus? Au nom de la nature restez ce que vous êtes, et loin de nous envier les périls d’une vie orageuse, contentez-vous de nous la faire oublier au sein de nos familles [1]. Le mot est lancé! Et pourtant, l’épisode révolutionnaire est marqué par l’émergence des femmes sur la scène publique. Leur participation active au mouvement bousculera l’univers masculin : il est vrai qu’elles réclameront plus pour l’amélioration de leur condition qu’elles n’en avaient jamais sollicité en plusieurs siècles. En septembre 1791 paraissent sous l’égide d’Olympes de Gouges les Droits de la femme et de la citoyenne où elle clame pour les femmes le droit de monter à la tribune comme celui de périr sur l’échafaud (pour toute réponse, elle sera guillotinée le 3 novembre 1793!).

    Le 20 octobre 1793, les clubs féminins liés à la fraction la plus radicale de la révolution sont interdits. Le 4 prairial an 111 (1795) enfin la Convention nationale décrète : Toutes les femmes se retireront jusqu’à ce qu’autrement soit ordonnées dans leur domicile respectif, celles qui une heure après le présent décret seront trouvées dans les rues attroupées au-dessus d’un nombre de cinq seront dispersées et mises en état d’arrestation jusqu’à ce que la tranquillité publique soit rétablie dans Paris [2]

    Les lendemains de la Révolution française marqueront ainsi les jours les plus sombres de l’histoire des femmes : interdites de cité, leur sort est désormais réglé par le Code civil. Napoléon, aidé et entouré d’une commission de quatre membres, y stigmatise le rôle de la femme. Code civil que Proudhon saluera en ces termes : Le Code civil, interprète de la Révolution, est admirable en la matière; et de citer :

    Art. 212 : les époux se doivent mutuellement fidélité, secours et assistance.

    Art. 213 : le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari

    Art. 214 : la femme est obligée d’habiter avec le mari et de le suivre partout où il juge à propos de résider [3].

    Très peu d’hommes s’opposeront en fait à cette conception de la femme éternelle mineure. Seuls quelques-uns, de Condorcet aux disciples de Saint-Simon ou de Fourier, préconiseront une voie nouvelle pour les femmes. Les autres s’attacheront à une image mythique où l’individualité sera niée, mais où l’entité féminine sera adulée. Cette croyance en une inégalité naturelle de l’homme et de la femme va entraîner dans son sillage une consécration de la «féminité». Ainsi du discours proudhonien qui se veut être celui d’une célébration de la nature.

    Raillant les penseuses qui tuent leur progéniture par leurs baisers qui sentent l’homme [4], il ne cesse de célébrer les femmes pour leur beauté, leur sensibilité. A celles qui s’opposent, il répond : Mesdames, si le droit de la femme était la seule chose qui vous tint au cœur, voici tout ce que vous aviez à me dire : Monsieur Proudhon, vous êtes jusqu’à présent le premier de nos défenseurs et nous sommes heureuses de vos excellentes dispositions. (…) Il y a en vous l’étoffe d’un fervent adorateur de la femme, d’un féal chevalier de la reine du ciel [5].

    De nombreux auteurs seront très proches de Proudhon sur la question des femmes. A propos de Michelet, Jeanne Calo remarque : Le misogyne est par définition celui qui hait la femme tandis que l’antiféministe peut l’admirer sous ses aspects essentiellement féminins et même en faire une idole. Il la cantonne pourtant dans ses rôles de procréatrice et d’épouse dévouée (…). S’il lui attribue des qualités de cœur et de sensibilité, il lui refuse les facultés intellectuelles qu’il croit propres à l’autre sexe. Il est toujours de manière plus ou moins consciente imbu de la suprématie masculine, convaincu que la femme a été créée pour le bonheur de l’homme et que c’est à ce dernier qu’incombe la tâche de diriger la famille et la nation [6].

    Proudhon, d’ailleurs en correspondance avec Michelet, note :

    Bruxelles, 23 janvier 1859,

    Cher maître,

    J’ai reçu, chacune en son temps, vos bonnes lettres et votre Amour, La Femme ne m’est pas encore parvenue et je garde l’exemplaire de notre ami, M. Jonquières.

    Vous êtes toujours vous-même, fidèle dans votre vie et marchant toujours dans votre progrès. (…) J’ai lu l’Amour, ce n’était pas la peine que vous prétendissiez différer d’opinion avec moi. Nous voulons tous les deux la même femme forte, la famille sacrée, le mariage inviolable. L’époux et le père souverains parce qu’il est dévoué comme le Christ, Deus quia passus [7].

    L’idéal proudhonien
    Si Proudhon aborde régulièrement ce qu’il est convenu d’appeler la «question» des femmes, c’est dans De la Justice qu’il s’explique le plus clairement. A ce titre, les dixième et onzième études (Amour et Mariage) ne se veulent pas être uniquement consacrées aux femmes. Proudhon y souhaite à la fois justifier son opinion et replacer le rôle dévolu aux femmes au travers d’une problématique beaucoup plus large… vers la Justice. Son discours se fera moins coupant : il s’agit pour lui de faire la démonstration du bien-fondé du statut féminin. Aussi s’il conclut dans le premier chapitre de la onzième étude à la triple infériorité des femmes, du point de vue physique, moral et intellectuel (p. 181), c’est pour affirmer que la femme est supérieure à l’homme non par le travail, le génie et la justice où l’homme est à la femme comme 27 est à 8 mais par les grâces de la figure et de l’esprit, par l’aménité du caractère et la tendresse du cœur, où elle est à l’homme comme 27 est à 8 (p. 271) [8].

    Affirmant donc l’infériorité féminine et son incapacité à s’illustrer dans le domaine de la pensée ou de l’action, Proudhon applaudit bien fort aux qualités d’amour et de tendresse qui la caractérisent. Son propos consiste ainsi à opposer inlassablement des aptitudes dites féminines et masculines. De la même façon, il déclare que du côté masculin on note brutalité, paresse égoïste, lâche tyrannie; que de crapule! et chez la femme on remarque légèreté, folie, parfois insolence!, mais aussi ineptie et bavardage et noblesse, ordure sous sa vaine coquetterie (p. 279).

    Son but est de prouver que si l’un a reçu de la nature la puissance et l’autre la beauté, ils peuvent à eux deux exprimer une forme achevée de l’humanité. Point d’égalité et d’équivalence, mais complémentarité qui mène à l’union naturelle. Tout en rénovant d’avec le mythe platonicien de l’androgynie selon lequel l’humanité aurait compté un être androgyne avec deux têtes, quatre bras et quatre jambes, Proudhon cherche à garantir et la nécessité du mariage et l’incommutabilité des «qualités» masculines et féminines. (D’autres comme Fourier et Enfantin y verront au contraire un facteur de mobilité sexuelle!)

    Le mariage devient ainsi l’union de deux éléments hétérogènes, la puissance et la grâce car toute la création qui, de la mousse aux mammifères, a préparé, par la distinction des sexes, l’ineffable mystère, applaudit au mariage (p. 275). Si l’homme et la femme ne sont pas égaux devant la société, dans la pratique extérieure et dans tout ce qui concerne les travaux et la direction de la vie, l’administration et la défense de la République reste néanmoins qu’au point de vue de leur dignité et de la félicité, dans le secret de la chambre nuptiale et dans leur for intérieur, oui! ils sont égaux! (p. 278).

    Cet être familial est, selon Proudhon, le garant de la justice dans la mesure où il faut une dualité formée de qualités dissemblables et complémentaires (p. 264). La justice s’exprimerait en fait par trois degrés de juridiction : le mariage, qui unit deux êtres complémentaires, en est le premier degré. Vient ensuite la famille où l’enfant recevrait par l’amour la révélation de la justice. Cette communauté de conscience serait l’embryon de toute république. Au troisième degré enfin se trouve la cité. Au bout du compte, Proudhon cherche à se laver des attaques et des accusations des féministes. Dans De la Justice, il justifie la subordination de la femme sans cesser cependant de la louer. Quand il s’interroge sur le sort de la femme (chapitre III de la 11e étude), il ne peut que conclure à une destination «domestique».

    La nature de la femme, contre laquelle elle ne peut lutter, la conduit à la maternité où elle «excelle» par définition. Malheur donc à celles qui chercheront une voie nouvelle ou rivaliseront avec l’homme car s’il y a antagonisme, joute, agiotage, discorde, guerre (p. 258), il n’y a plus d’entité androgyne, plus de famille et enfin la justice se trouverait compromise.

    Proudhon polémique
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    Jeanne Deroin.
    Fidèle à ses écrits, Proudhon ne manquera pas de réagir dès qu’objection lui sera faite. Son fameux ménagères ou courtisanes des Contradictions illustrera, jusqu’à sa mort, son propos. L’année 1848 fera date dans l’histoire des femmes. Il s’agit tout d’abord de leur «retour» sur la scène révolutionnaire où elles seront présentes comme en 1789. Mais la question du droit de vote universel va raviver débats et polémiques. Dès février, certaines journalistes de la Voix des femmes, organe des intérêts de toutes, vont réclamer le droit de cité. Le 28 mars, Jeanne Deroin publie une Pétition au gouvernement provisoire pour demander les droits politiques des femmes.

    En 1849, après avoir fondé son propre journal, la première «suffragette» clame que le moment est venu pour la femme de prendre part au mouvement social et à l’œuvre de régénération sociale [9]. Elle revendique enfin le droit de participer aux travaux de l’Assemblée législative et pose sa candidature. Le 10 avril 1849, elle proteste : Vous êtes démocrates socialistes, vous voulez l’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme et de la femme par l’homme, vous voulez l’abolition de tous les privilèges de sexe, de race, de naissance, de caste et de fortune, vous voulez sincèrement toutes les conséquences de nos grands principes : liberté, égalité, fraternité? C’est au nom de ces principes qui n’admettent pas d’exclusion injuste que je me présente candidat à l’Assemblée législative et que je viens demander votre appui au moins pour obtenir de votre justice que je ne sois point écartée de cette liste au nom d’un privilège de sexe qui est une violation manifeste des principes d’égalité et de fraternité [10].

    Parmi ses nombreux détracteurs, nous trouvons tout naturellement Proudhon qui s’expliquera dans deux articles du Peuple sur cette candidature qui fut, malgré un long et acharné combat, jugée inconstitutionnelle. Proudhon y affirmera une fois de plus que le rôle de la femme est au foyer et que, quoi qu’il en soit, le vote ne saurait uniquement résoudre la question sociale. D’autres comme Michelet notent que la femme est un être superstitieux, naturellement «conservateur» et craignent ainsi que donner le droit de vote aux femmes revienne à faire tomber dans l’urne 80 000 bulletins pour les prêtres [11].

    Au bout du compte, la polémique ne s’arrête pas là : exclu en 1848 comme en 1789, le mouvement féminin, alors proche des révolutionnaires, va peu à peu s’organiser en mouvement autonome pour finir par se désolidariser d’avec les luttes ouvrières. Invitées à subordonner leurs revendications à la lutte des classes, les femmes vont se lancer dans un militantisme féministe, début d’un long malentendu comme le signale Michelle Perrot : le féminisme est alors condamné à être bourgeois quasi par essence [12].

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    Jenny d’Héricourt
    La rupture consommée, les féministes vont désormais lancer des attaques en règle. La théorie proudhonienne sur la femme et l’amour se révèle être une cible offerte tant Proudhon y brasse paradoxes, aberrations scientifiques et misogynie exemplaire. Deux femmes, deux insurgées aux doigts tachés d’encre selon ses propres termes, vont lui tenir tête. En décembre 1856, Jenny d’Héricourt publie dans la Revue philosophique (dont elle est la collaboratrice) un article, «M. Proudhon et les femmes». Un mois plus tard, il lui répond, suscitant une nouvelle réplique de d’Héricourt en février 1857. Si bien qu’en mars Proudhon s’adresse aux rédacteurs de la revue en leur signifiant ne plus vouloir poursuivre la polémique.

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    Juliette Lamber
    En 1858, Proudhon publie De la Justice dans la Révolution et dans l’Eglise où deux études sont entièrement consacrées à la question des femmes. Il n’aborde cependant rien de la polémique et des débats qui l’oppose à elles. Cette année-là paraissent les Idées antiproudhoniennes de Juliette Lamber (Juliette La Messine). La jeune romancière va, dans un style alerte et incisif, mettre en difficulté le vieux Proudhon. Elle s’inquiète de ce que ses doctrines sur la femme (…) expriment le sentiment général des hommes, qui à quelque parti qu’ils appartiennent, progressistes ou réactionnaires, monarchistes ou républicains, chrétiens ou païens, athées ou dévots seraient enchantés qu’on trouvât le moyen de concilier à la fois leur égoïsme et leur conscience en un système qui leur permît de conserver les bénéfices de l’exploitation appuyée sur la force, sans avoir à craindre les protestations fondées sur le droit [13].

    La saint-simonienne Jenny d’Héricourt publie en 1860 à Bruxelles deux volumes intitulés La Femme affranchie, réponse à MM. Michelet, Proudhon, E. de Girardin et autres novateurs modernes.

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    Jenny d’Héricourt
    Et ses deux insurgées vont se «moquer» des arguments avancés par Proudhon. En particulier de son argumentation prétendument scientifique : Jenny d’Héricourt l’enjoint à se mettre au courant des derniers résultats de la phrénologie, de l’anatomie, etc. Que si, comme il l’affirme dans De la Justice, la pensée en tout être vivant est proportionnelle à la force (p. 191), il ne doit pas être difficile de prouver grâce à un dynamomètre qu’un portefaix pense mieux qu’un philosophe [14].

    Enfin, elles lui reprochent sévèrement d’être en contradiction avec ses écrits car s’il soutient que ni la figure, ni la naissance, ni les facultés, ni la fortune, ni le rang, ni la profession, ni le talent, ni rien de ce qui distingue les individus, n’établit entre eux une différence d’espèce, tous étant hommes et la loi ne réglant que des rapports humains, elle est la même pour tous [15], reste à prouver que la femme est hors de l’espèce humaine!

    Proudhon, victime et bourreau
    Ces attaques, fort bien menées au demeurant, agaceront Proudhon. Il s’en expliquera dans De la Pornocratie, publication posthume. Dans cet ouvrage, Proudhon s’accrochera à ses thèses jusqu’à en sombrer! Sa réponse sera donc presque parfois injurieuse et, sous une apparence d’argumentation méthodique et ordonnée, elle demeure confuse, malveillante et sans nulle grâce [16]. Ainsi de l’introduction :

    A Mmes J*** L** et Jenny d’H***,

    Je possède vos trois volumes et je les ai lus : ce n’a pas été sans effort. Jamais je n’éprouverai pareil mécompte, jamais plus détestable cause ne fut servie par de si pauvres moyens. (…) et ce qui m’affecte de votre part, c’est l’effronterie même de la déraison (…). Vous figurez, comme dames patronesses, au premier rang de cette pornocratie qui, depuis plus de trente ans, a fait reculer en France la pudeur publique (pp. 326-328).

    La pensée proudhonienne se divise en différentes époques : la première, constituée des Contradictions et De la Justice, où il s’exprime sur la destinée sociale de la femme; la seconde, celle des polémiques qui ternissent sa philosophie auprès de la population féminine émancipée; et enfin celle de la Pornocratie où il perd, semble-t-il, sa cohérence et sa crédibilité. Une constante demeure cependant : l’antiféminisme, voire la misogynie.

    Aussi révoltantes que soient ses théories en la matière, il s’agit là d’opinions largement répandues et partagées par la plupart des hommes de son époque. Le nombre impressionnant d’ouvrages masculins traitant de la question des femmes est là pour en attester; ce qui fera dire en 1929 à Virginia Woolf que de tous les animaux de la création, la femme est celui dont on discute le plus. Ces écrits qui sont aussi bien le fait de médecins, de biologistes ou d’hommes que rien ne semble qualifier en apparence pour parler des femmes, sinon qu’ils n’en sont pas [17], oscillent entre deux opinions contradictoires qui vont du sentiment d’admiration pour la «chose» femme (plus particulièrement mère) au mépris de l’individu «femelle». A ce titre, Proudhon n’a rien inventé : il a été autant victime d’une tradition séculaire d’antiféminisme que bourreau de la condition féminine. Son audience dans le public militant et ouvrier est «réelle» dans la mesure où elle répond à une volonté, à un besoin : garder une image «pure», quasi mythique, de la femme.

    A la fin du siècle, le mouvement anarchiste s’entredéchirera sur ce sujet selon le même schéma, parfois nous trouvons dans le Libertaire des articles qui dénoncent l’égoïsme masculin en s’attaquant aux idées de Proudhon [18] et d’autres, comme celui de Rodolphe Véris, affirmant : Que la femme suive donc les instincts de sa nature en demeurant au foyer pour élever les tout-petits, qu’elle garde intacte à l’abri des vulgaires compromissions sa belle fonction de première éducatrice de tous les hommes [19]. Tous s’accorderont à multiplier des attaques parfois violentes contre les féministes qu’ils rangent d’emblée parmi les bourgeoises et les intellectuelles. Ceux qui adhèrent aux luttes de leurs compagnes ne pourront s’empêcher de combattre les femmes qui veulent construire un mouvement spécifique… Ayant mis à l’écart la femme durant tous les combats du XIXe siècle, ils n’admettront pas que celles qu’ils ont exclues du genre humain puissent salutairement leur livrer bataille.
     
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