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Parlons révoluton. La pensées des anarchistes de 1789 à nos jours

Discussion dans 'Bibliothèque anarchiste' créé par Marc poïk, 2 Mai 2017.

  1. Marc poïk
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    Marc poïk Sous l'arbre en feuille la vie est plus jolie Membre actif

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    [​IMG] William GODWIN : Après tout, on ne peut oublier que si révolution et violence ne sont pas en connexion nécessaire, la révolution et la violence ont trop souvent été contemporaines de grands changements de système social. (…) Le devoir donc, des hommes éclairés, est de retarder les révolutions quand ils ne peuvent les empêcher. Il est raisonnable de croire que, plus tard elles se produisent, plus les vraies notions politiques sont comprises et moindres sont les inconvénients attachés à la révolution.

    [​IMG] Gracchus BABEUF : Perfides ou ignorants ! vous criez qu'il faut éviter la guerre civile? Qu'il ne faut point jeter parmi le peuple de brandon de discorde? Et quelle guerre civile plus révoltante que celle qui fait voir tous les assassins d'une part, et toutes les victimes sans défense de l'autre? Pouvez faire un crime à celui qui veut armer les victimes contre les assassins? Ne vaut-il pas mieux la guerre civile où les deux partis peuvent se défendre réciproquement?... La discorde vaut mieux qu'une horrible concorde où l'on étrangle la faim. Que les partis en viennent aux prises ; que la rébellion partielle, générale, instante, reculée se détermine ; nous sommes toujours satisfaits. Que l'on conspire contre l'oppression, soit en grand, soit en petit, secrètement ou à découvert, dans cent mille conciliabules ou dans un seul, peu nous importe, pourvu que l'on conspire... Le peuple, dit-on, n'a point de guides : qu'il en apparaisse et le peuple, dès l'instant, brise ses chaînes et conquiert du pain pour lui et pour toutes ses générations. (MP-1795)

    [​IMG] P-Joseph PROUDHON : ...nous ne devons pas poser l'action révolutionnaire comme moyen de réforme sociale, parce que ce prétendu moyen serait un appel à la force, à l'arbitraire, bref une contradiction. Je me pose ainsi le problème : faire rentrer dans la société, par une combinaison économique, les richesses qui sont sorties de la société par une autre combinaison économique. Or je crois savoir le moyen de résoudre à court délai, ce problème. Je préfère donc faire brûler la propriété à petit feu, plutôt que de lui donner une nouvelle force en faisant une Saint-Barthélemy de propriétaires. (COR-1846)

    Une révolution est une explosion de la force organique, une évolution de la société du dedans au dehors ; elle n'est légitime qu'autant qu'elle est spontanée, pacifique (…) Il y a une tyrannie égale à la réprimer comme à lui faire violence. (CR-1849)

    Le principe de la Révolution, nous le connaissons encore, c'est la Liberté. LIBERTÉ! c'est-à-dire,
    — 1°affranchissement politique, par l'organisation du suffrage universel, par la centralisation indépendante des fonctions sociales, par la révision perpétuelle, incessante, de la Constitution;
    —2° affranchissement industriel, par la garantie mutuelle du crédit et du débouché.
    En autres termes, plus de gouvernement de l'homme par l'homme, au moyen du cumul des pouvoirs; plus d'exploitation de l'homme par l'homme, au moyen du cumul des capitaux. (CR-1849)

    Tandis que le peuple, à chaque révolution, croyait réformer, suivant les inspirations de son cœur, les vices de son Gouvernement, il était trahi par ses idées mêmes ; en croyant mettre le pouvoir dans ses intérêts, il l'avait toujours, en réalité, contre soi; au lieu d'un protecteur, il se donnait un tyran.
    L'expérience montre, en effet, que partout et toujours le Gouvernement, quelque populaire qu'il ait été à son origine, s'est rangé du côté de la classe la plus éclairée et la plus riche contre la plus pauvre et la plus nombreuse ; qu'après s'être montré quelque temps libéral, il est devenu peu à peu excep-tionnel, exclusif ; enfin, qu'au lieu de soutenir la liberté et l'égalité entre tous, il a travaillé obstinément à les détruire, en vertu de son inclination naturelle au privilège.
    [...] Il faut sortir de ce cercle infernal. Il faut traverser, de part en part, l'idée politique, l'ancienne notion de justice distributive et arriver à celle de justice commutative qui, dans la logique de l'histoire comme dans celle du droit, lui succède
    [...] Concluons sans crainte que la formule révolutionnaire ne peut plus être ni législation directe, ni gouvernement direct, ni gouvernement simplifié : elle est, plus de gouvernement. (IGR-1851)

    [​IMG] Michel BAKOUNINE : La révolution telle que nous l’entendons devra dès le premier jour détruire radicalement et complètement l'État et toutes les institutions de l'État. Les conséquences naturelles et nécessaires de cette destruction seront :
    a) la banqueroute de l'État ;
    b) la cessation du paiement des dettes privées par l’intervention de l'État, en laissant à chaque débiteur le droit de payer les siennes s’il veut ;
    c) la cessation des paiements de tout impôt et du prélèvement de toutes les contributions, soit directes, soit indirectes ;
    d) la dissolution de l’armée, de la magistrature, de la bureaucratie, de la police et des prêtres ;
    e) l’abolition de la justice officielle, la suspension de tout ce qui juridiquement s’appelait droit [...] Par conséquent abolition et autodafé de tous les titres de propriété, actes d’héritage, de vente, de donation, de tous les procès - de toute la paperasse juridique et civile en un mot. Partout et en toute chose le fait révolutionnaire au lieu du droit créé et garanti par l'État ;
    f) la confiscation de tous les capitaux productifs et instruments de travail au profit des associations de travailleurs, qui devront les faire produire collectivement ;
    g) la confiscation de toutes les propriétés de l'Église et de l'État aussi bien que des métaux précieux des individus au profit de l’Alliance fédérative de toutes les associations ouvrières - Alliance qui constituera la Commune. En retour des biens confisqués la Commune donnera le strict nécessaire à tous les individus ainsi dépouillés, qui pourront plus tard par leur propre travail gagner davantage s’ils le peuvent et s’ils le veulent. [...] ? Pour faire une révolution radicale, il faut donc s’attaquer aux positions et aux choses, détruire la propriété et l'État, alors on n’aura pas besoin de détruire les hommes, et de se condamner à la réaction infaillible et inévitable que n’a jamais manqué et ne manquera jamais de produire dans chaque société le massacre des hommes. (CR-1865)

    Quel a été (le programme) de la philosophie et de la grande révolution du XVIIIe siècle ? Ni plus ni moins que l'émancipation intégrale de l'humanité tout entière ; la réalisation du droit et de la liberté réelle et complète pour chacun, par l'égalisation politique et sociale de tous ; le triomphe de l'humain sur les débris du monde divin ; le règne de la justice et de la fraternité sur la terre. - Le tort de cette philosophie et de cette révolution, c'était de n'avoir pas compris que la réalisation de l'humaine fraternité était impossible, tant qu'il existerait des États, et que l'abolition réelle des classes, l'égalisation politique et sociale des individus ne deviendra possible que par l'égalisation des moyens économiques, d'éducation, d'instruction, du travail et de la vie pour tous. On ne peut reprocher au XVIIIe [siècle] de n'avoir pas compris cela. La science sociale ne se crée et ne s'étudie pas seulement dans les livres, elle a besoin des grands enseignements de l'histoire, et il a fallu faire la révolution de 1789 et de 1793, il a fallu encore passer par les expériences de 1830 et de 1848, pour arriver à cette conclusion désormais irréfragable, que toute révolution politique qui n'a pas pour but immédiat et direct l'égalité économique n'est, au point de vue des intérêts et des droits populaires, qu'une réaction hypocrite et masquée.
    Cette vérité si évidente et si simple était encore inconnue à la fin du XVIIIe siècle, et lorsque Babeuf vint poser la question économique et sociale, la puissance de la révolution était déjà épuisée. Mais il ne lui en reste pas moins l'honneur immortel d'avoir posé le plus grand problème qui ait jamais été posé dans l'histoire, celui de l'émancipation de l'humanité tout entière.
    En comparaison de ce programme immense, voyons quel fut plus tard le programme du libéralisme révolutionnaire, à l'époque de la Restauration et de la monarchie de Juillet ? La prétendue liberté constitutionnelle, une liberté bien sage, bien modeste, bien réglementée, bien restreinte, toute faite pour le tempérament amoindri d'une bourgeoisie à demi rassasiée et qui, lasse de combats et impatiente de jouir, se sentait déjà menacée, non plus d'en haut, mais d'en bas, et voyait [avec] inquiétude poindre à l'horizon, comme une masse noire, ces innombrables millions de prolétaires exploités, las de souffrir et se préparant aussi à réclamer leur droit.
    Dès le début du siècle présent, ce spectre naissant, qu'on a plus tard baptisé du nom de spectre rouge, ce fantôme terrible du droit de tout le monde opposé aux privilèges d'une classe d'heureux, cette justice et cette raison populaire, qui, en se développant davantage, doivent réduire en poussière les sophismes de l'économie, de la jurisprudence, de la politique et de la métaphysique bourgeoises, devinrent, au milieu des triomphes modernes de la bourgeoisie, ses trouble-fête incessants, les amoindrisseurs de sa confiance, de son courage et même de son esprit.
    Et pourtant, sous la Restauration, la question sociale était encore à peu près inconnue, ou pour mieux dire, oubliée. Il y avait bien quelques grands rêveurs isolés, tels que Saint-Simon, Robert Owen, Fourier, dont le génie ou le grand cœur avaient deviné la nécessité d'une transformation radicale de l'organisation économique de la société. Autour de chacun [d'eux] se groupaient un petit nombre d'adeptes dévoués et ardents, formant autant de petites églises, mais aussi ignorés que les Maîtres, et n'exerçant aucune influence au dehors. Il y avait eu en outre encore le testament communiste de Babeuf, transmis par son illustre compagnon et ami, Buonarroti, aux prolétaires les plus énergiques, au moyen d'une organisation populaire et secrète. Mais ce n'était alors qu'un travail souterrain, dont les manifestations ne se firent sentir que plus tard, sous la monarchie de Juillet, et qui sous la Restauration ne fut aucunement aperçu par la classe bourgeoise. - Le peuple, la masse des travailleurs restait tranquille et ne revendiquait encore rien pour elle-même.
    Il est clair que si le spectre de la justice populaire avait une existence quelconque à cette époque, ce ne pouvait être que dans la mauvaise conscience des bourgeois. D'où venait-elle, cette mauvaise conscience ? Les bourgeois qui vivaient sous la Restauration étaient-ils, comme individus, plus méchants que leurs pères qui avaient fait la Révolution de 1789 et de 1793 ? Pas le moins du monde. C'étaient à peu près les mêmes hommes, mais placés dans un autre milieu, dans d'autres conditions politiques, enrichis d'une nouvelle expérience, et par conséquent ayant une autre conscience. (CAIT-1869)

    Les révolutions ne s’improvisent pas. Elles ne se font pas arbitrairement ni par les individus ni même par les plus puissantes associations. Indépendamment de toute volonté et de toute conspiration, elles sont toujours amenées par la force des choses. On peut les prévoir, en pressentir l’approche quelquefois, mais jamais en accélérer l’explosion. (LJL-1869)

    C’est là un signe infaillible auquel les ouvriers peuvent reconnaître un faux socialiste, un socialiste bourgeois si, en leur parlant de révolution, ou, si l’on veut, de transformation sociale, il leur dit que la transformation politique doit précéder la transformation économique ; s’il nie qu’elles doivent se faire toutes les deux à la fois, ou même que la révolution politique ne doit être rien que la mise en action immédiate et directe de la liquidation sociale pleine et entière, qu’ils lui tournent le dos, car ou bien il n’est rien qu’un sot, ou bien un exploiteur hypocrite. (LJL-1869)

    Les révolutions ne sont pas un jeu d'enfants, ni un débat académique où les seules vanités s'entre-tuent, ni une joute littéraire où l'on ne verse que de l'encre. La révolution, c'est la guerre, et qui dit guerre dit destruction des hommes et des choses. Il est sans doute fâcheux pour l'humanité qu'elle n'ait pas encore inventé un moyen plus pacifique de progrès, mais jusqu'à présent tout pas nouveau dans l'histoire n'a été réellement accompli qu'après avoir reçu le baptême du sang. D'ailleurs, la réaction n'a rien à reprocher sous ce rapport à la révolution. Elle a toujours versé plus de sang que cette dernière. À preuve les massacres de Paris en juin 1848 et en décembre 1851, à preuve les répressions sauvages des gouvernements despotiques des autres pays à cette même époque et plus tard, sans parler des dizaines, des centaines de milliers de victimes que coûtent les guerres qui sont les conséquences nécessaires et comme les fièvres périodiques de cet état politique et social qu'on appelle la réaction. Il est donc impossible d'être soit un révolutionnaire, soit un réactionnaire véritable, sans commettre des actes qui au point de vue des codes criminel et civil constituent incontestablement des délits ou même des crimes, mais qui au point de vue de la pratique réelle et sérieuse, soit de la réaction, soit de la révolution, apparaissent comme des malheurs inévitables. (OBOSP-1870)

    Règle générale : Qui veut propager la révolution doit être franchement révolutionnaire lui-même. Pour soulever les hommes, il faut avoir le diable au corps ; autrement on ne fait que des discours qui avortent, on ne produit qu'un bruit stérile, non des actes. Donc, avant tout, les corps-francs propagateurs doivent être, eux-mêmes, révolutionnairement inspirés et organisés. Ils doivent porter la révolution en leur sein, pour pouvoir la provoquer et la susciter autour d'eux. Ensuite, ils doivent se tracer un système, une ligne de conduite conforme au but qu'ils se proposent.
    Quel est ce but ? Ce n'est pas d'imposer la révolution aux campagnes, mais de l'y provoquer et de l'y susciter. Une révolution imposée, soit par des décrets officiels, soit à main armée, n'est plus la révolution, mais le contraire de la révolution, car elle provoque nécessairement la réaction. En même temps, les corps-francs doivent se présenter aux campagnes comme une force respectable et capable de se faire respecter ; non sans doute pour les violenter, mais pour leur ôter l'envie d'en rire et de les maltraiter, avant même de les avoir écoutés, ce qui pourrait bien arriver à des propagateurs individuels et non accompagnés d'une force respectable. Les paysans sont quelque peu grossiers, et les natures grossières se laissent facilement entraîner par le prestige et par les manifestations de la force, sauf à se révolter contre elle plus tard, si cette force leur impose des conditions trop contraires à leurs instincts et à leurs intérêts.
    Voilà ce dont les corps-francs doivent bien se garder. Ils ne doivent rien imposer et tout susciter. Ce qu'ils peuvent et ce qu'ils doivent naturellement faire, c'est d'écarter, dès l'abord, tout ce qui pourrait entraver le succès de la propagande. Ainsi ils doivent commencer par casser, sans coup férir, toute l'administration communale, nécessairement infectée de bonapartisme, sinon de légitimisme ou d'orléanisme ; attaquer, expulser et, au besoin, arrêter MM. les fonctionnaires communaux, aussi bien que tous les gros propriétaires réactionnaires, et M. le curé avec eux, pour aucune autre cause que leur connivence secrète avec les Prussiens. La municipalité légale doit être remplacée par un comité révolutionnaire formé d'un petit nombre de paysans les plus énergiques et les plus sincèrement convertis à la révolution.
    Mais avant de constituer ce comité, il faut avoir produit une conversion réelle dans les dispositions sinon de tous les paysans, au moins de la grande majorité. Il faut que cette majorité se passionne pour la révolution. Comment produire ce miracle ? Par l'intérêt. Le paysan français est cupide, dit-on ; eh bien, il faut que sa cupidité elle-même s'intéresse à la révolution. Il faut lui offrir, et lui donner immédiatement, de grands avantages matériels. (EKG-1871)

    Il n'y a pas de révolution sans destruction profonde et passionnée, destruction salvatrice et féconde parce que précisément d'elle, et seulement par elle, se créent et s'enfantent des mondes nouveaux. (EA-1873)

    [​IMG] Henry David THOREAU : Tous les hommes reconnaissent le droit à la révolution, c'est-à-dire le droit de refuser fidélité et allégeance au gouvernement et le droit de lui résister quand sa tyrannie ou son incapacité sont notoires et intolérables. Il n'en est guère pour dire que c'est le cas maintenant. Mais ce l'était, pense-t-on, à la Révolution de 1775. Si l'on venait me dire que le gouvernement d'alors était mauvais, parce qu'il taxait certaines denrées étrangères entrant dans ses ports, il y aurait gros à parier que je m'en soucierais comme d'une guigne, car je peux me passer de ces produits-là. Toutes les machines ont leur friction et peut-être celle-là fait-elle assez de bien pour contrebalancer le mal. En tout cas., c'est une belle erreur de faire tant d'embarras pour si peu. Mais quand la friction en arrive à avoir sa machine et que l'oppression et le vol sont organisés, alors je dis "débarrassons-nous de cette machine". En d'autres termes, lorsqu'un sixième de la population d'une nation qui se prétend le havre de la liberté est composé d'esclaves, et que tout un pays est injustement envahi et conquis par une armée étrangère et soumis à la loi martiale, je pense qu'il n'est pas trop tôt pour les honnêtes gens de se soulever et de passer à la révolte. Ce devoir est d'autant plus impérieux que ce n'est pas notre pays qui est envahi, mais que c'est nous l'envahisseur. (DC-1849)

    Quand le sujet a refusé obéissance et que le fonctionnaire démissionne, alors la révolution est accomplie. Même à supposer que le sang coule. N'y a-t-il pas effusion de sang quand la conscience est blessée ? Par une telle blessure s'écoulent la dignité et l'immortalité véritable de la personne humaine qui meurt, vidée de son sang pour l'éternité. (DC-1849)

    [​IMG] Anselme BELLEGARRIGUE : Je ne crois point à l'efficacité des révolutions armées... Cependant, dès qu'une révolution de cette sorte est accomplie, dès qu'elle est acceptée, sans conteste, par le pays tout entier, je conçois la possibilité de la faire tourner au profit de la nation.
    Que faut-il pour cela ?
    Il faut que l'action révolutionnaire intervienne dans les choses, il faut qu'elle s'applique aux institutions ? (AFAF-1848)

    En théorie, la Révolution est le développement du bien-être .
    En pratique la Révolution n’a été que l’extension du malaise.
    La Révolution doit enrichir tout le monde : voilà l’IDÉE.
    La Révolution a ruiné tout le monde : voilà le FAIT.
    Savez-vous pourquoi le fait révolutionnaire se trouve aussi fort en dissidence avec l’idée ?
    Rien de plus simple : en théorie, la révolution doit se faire elle-même, c’est-à-dire que chaque intérêt social doit lui fournir sa part d’action ; en pratique, la Révolution a été faite par une poignée d’individus et soumise à l’autorité d’un groupe de rhéteurs.
    Le génie essentiel de la Révolution est l’acquisition de la richesse ; l’instinct dominant des révolutionnaires est la haine des riches, et c’est précisément pour cela qu’en devenant riches, les révolutionnaires cessent d’être révolutionnaire. Pendant que chacun cherche à s’enrichir par le travail et l’industrie, pendant que tout le monde demande à grands cris le calme qui multiplie les transactions et déplace incessamment la richesse en la mobilisant et en la développant ; pendant que, de cette sorte, la véritable Révolution, celle des besoins et des intérêts individuels, lutte avec vigueur contre les embarras et les digues de la réglementation tyrannique des gouvernements, arrivent les révolutionnaires, tribu fatale qui, pour la seule et sordide satisfaction qu’ils veulent se donner de remplacer au pouvoir des hommes déjà débordés par la force des choses, arrêtent la marche des choses, suspendent la solennelle manifestation des intérêts publics, paralysent la Révolution, embrouillent les détails législatifs dont les faits sociaux poursuivaient la suppression et consolident la maîtrise gouvernementale que les affaires étaient en train de subjuguer. (AJO-1850)

    La Révolution de février, comme celle de 1830, n'a tourné qu'au profit de quelques hommes, parce que cette Révolution, comme celle de 1830, n'a aboli que des noms propres. Alors, comme aujourd'hui, la machine gouvernementale garda, comme elle garde, les mêmes rouages, et je n'y vois de changé que la main qui fait tourner la manivelle. (AJO-1850)

    La Révolution c’est le flux des intérêts : nul ne peut représenter les intérêts, ils sont représentés par eux-mêmes la force d’intensité de leur persévérante et calme manifestation est la seule force révolutionnaire raisonnable et possible. Rien n’est plus affligeant, rien n est plus ruineux que de voir dans les assemblées, dans le journalisme ou dans la rue quelques individus se vanter de représenter les intérêts du peuple, et localiser ainsi la Révolution dans un rayon de quelques pieds carrés. L’intérêt est une notion qui ressort du besoin, du goût et de l’aptitude de chacun ; c’est donc un fait purement personnel qui répugne à toute délégation ; nul ne peut être apte à réaliser un autre intérêt que son intérêt propre. Quand un homme se présente qui dît à un autre homme : Je vais faire vos affaires, il est clair qu’en thèse politique ou de non-garantie, l’homme d’affaires fera ses affaires propres de celles du mandant. (AJO-1850)

    La Révolution est l’émancipation de l’individu où elle n’est rien ; elle est le terme de la tutelle politique et sociale ou elle n’a pas de sens. En cela, je dois être et je suis, en effet, d’accord avec tous les hommes, même avec ceux que l’on est convenu d’appeler réactionnaires et qui ne sont, après tout, que des mineurs promis à la tutelle des soi-disant démocrates, comme ceux-ci sont aujourd’hui des mineurs acquis à la tutelle des prétendus réactionnaires. En thèse nationale, la dénomination des partis importe peu ; je ne connais ici que des hommes, lesquels veulent s’emparer les uns des autres, précisément pour s’affranchir les uns des autres. Le moyen est brutal et d’une inefficacité démontrée par l’expérience ; mais un fait certain, c’est que le désir de s’émanciper est partout : la Révolution est donc universelle, et c’est pour cela, c’est parce qu’elle ne veut pas être localisée, qu’elle est la Révolution. (AJO-1850)

    La Révolution étant le terme de la tutelle, quelle doit être la logique révolutionnaire ?
    Sera-ce l’opposition politique ?
    Sera-ce l’opposition insurrectionnelle ?
    Ni la politique, ni l’insurrection, répondrai-je, et je prouve :
    La politique, dans l’acception usuelle du mot et en tant que question sociale ou d’intérieur, est l’art de gouverner les hommes ; elle est la consécration de la minorité publique, le code de la tutelle, la tutelle elle-même. Combattre la politique par la politique, combattre le gouvernement par le gouvernement, c’est faire de la politique et du gouvernement, c’est, au lieu de l’abolir, confirmer la tutelle, c’est arrêter la Révolution, au lieu de l’accomplir. Car, enfin, qu’est-ce que l’opposition, si ce n’est la critique, en d’autres termes, le gouvernement du gouvernement ?
    Devant la Révolution, toutes les politiques, comme tous les gouvernements, se ressemblent et sont égaux, car la Révolution est, par principe, par nature, par caractère et par tempérament. l’ennemie de toute politique et de tout gouvernement social, domestique ou d’intérieur. La Révolution a dévoré les Etats-généraux, la Constituante, la Convention, le Directoire, l’Empire, la Restauration, Louis-Philippe, le gouvernement provisoire et M. Cavaignac, comme elle dévorera M. Louis Bonaparte et tous les tuteurs qui pourront ultérieurement venir, car la Révolution, je le répète, est la négation de la tutelle politique. (AJO-1850)

    Voici maintenant, autant qu’il est possible de l’indiquer, en quoi consiste le mécanisme révolutionnaire :
    Convaincu comme nous le sommes et comme l’expérience et la succession des temps nous ont forcé de l’être, que la politique, théologie nouvelle, est une basse intrigue, un art de roués, une stratégie de caverne, une école de vol et d’assassinat ; persuadé que tout homme qui fait métier de politique, à titre offensif ou défensif, c’est-à-dire comme gouvernant ou opposant, en qualité de directeur ou de critique, n’a pour objet que de s’emparer du bien d’autrui par l’impôt ou la confiscation et se trouve prêt à descendre dans la rue, d’une part avec ses soldats, de l’autre avec ses fanatiques, pour assassiner quiconque voudra lui disputer le butin ; parvenu à savoir, par conséquent, que tout homme politique est, à son insu, sans doute, mais effectivement, un voleur et un assassin ; sûr comme du jour qui nous éclaire que toute question politique est une question abstraite, tout aussi insoluble et, partant, non moins oiseuse et non moins stupide qu’une question de théologie, nous nous séparons de la politique avec le même empressement que nous mettrions à nous affranchir de la solidarité d’un méfait.
    Une fois séparé de la politique qui lui avait appris à haïr, à porter envie, à faire la guerre à ses concitoyens, à rêver leur détroussement, à s’annihiler au point de ne plus compter sur lui et de tout attendre d’un gouvernement qui ne peut lui rien donner qu’il ne l’ait préalablement Soustrait à d’autres, une fois, disons-nous, séparé de la politique, l’individu recouvre l’estime de lui-même et se sent digne de la confiance d’autrui son activité, arrachée aux ténèbres, se déploie au grand jour ; il quitte l’embuscade et passe au travail. (AJO-1850)
    [​IMG]

    [​IMG] Joseph DÉJACQUE : Principes : Liberté, égalité, fraternité
    Conséquences :
    Abolition du gouvernement sous toutes ses formes, monarchique ou républicain, suprématie d’un seul ou des majorités ;
    Mais l’anarchie, la souveraineté individuelle, la liberté entière, illimitée, absolue de tout faire, tout ce qui est dans la nature de l’être humain.
    Abolition de la Religion, religion catholique ou israélite, protestante ou autres. Abolition du clergé et de l’autel, du prêtre, – curé ou pape, ministre ou rabbin ; – de la Divinité, idole en une ou trois personnes, autocratie ou oligarchie universelle ;
    Mais l’homme, – à la fois créature et créateur, – n’ayant plus que la nature pour Dieu, la science pour prêtre, et l’humanité pour autel.
    Abolition de la propriété personnelle, propriété du sol, du bâtiment, de l’atelier, de la boutique, propriété de tout ce qui est instrument de travail, production ou consommation ;
    Mais la propriété collective, une et indivisible, la possession en commun.
    Abolition de la famille, la famille basée sur le mariage, sur l’autorité paternelle et maritale, sur l’hérédité ;
    Mais la grande famille humaine, la famille une et indivisible comme la propriété.
    L’affranchissement de la femme, l’émancipation de l’enfant.
    Enfin, l’abolition de l’autorité, du privilège, de l’antagonisme ;
    Mais la liberté, l’égalité, la fraternité incarnées dans l’humanité ;
    Mais toutes les conséquences de la triple formule passées de l’abstraction théorique dans la réalité pratique, dans le positivisme.
    C’est-à-dire l’Harmonie, cette oasis de nos rêves, cessant de fuir comme un mirage devant la caravane des générations et livrant à tous et à chacun, sous de fraternels ombrages et dans l’unité universelle, les sources du bonheur, les fruits de la liberté : une vie de délices, enfin, après une agonie de plus de dix-huit siècles au désert de sable de la civilisation !

    [​IMG] Ernest COEURDEROY : Pour faire passer la Révolution, comme un fer rouge, à travers ce siècle, une seule chose est à faire:
    Démolir l'Autorité.
    Cette proposition n'a pas besoin d'être démontrée. Que chacun s'interroge et qu'il dise si c'est de gré ou de force qu'il supporte qu'un autre se proclame son maître et agisse comme tel.
    Qu'il dise s'il ne croit pas valoir autant que tout autre.
    Qu'il dise s'il est d'humeur à entretenir toujours des papes, des empereurs, des rois, des représentants, des monopoleurs, des médecins, des instituteurs, des juges, des journalistes, des tribuns, des directeurs, des dictateurs.
    Qu'il dise s'il ne compte pas être délivré bientôt de tout cela.
    Qu'il dise s'il ne comprend pas mieux ses intérêts que tout autre, et si c'est volontiers qu'il les remet à des mains étrangères.
    Qu'il dise s'il n'est pas intimement convaincu que charité bien ordonnée commence par soi-même, et que son affaire passe avant celle des autres.
    Et je dirai à cet homme: tu as raison de faire passer ton intérêt avant celui des autres; la nature te le crie.
    Sache donc pourquoi ton intérêt particulier est toujours absorbé par un intérêt plus fort; apprends enfin ce qui t'isole de tes semblables.
    Et tu verras que c'est la substitution du signe à la chose, de la fiction à la réalité, de la propriété à la possession, de l'héritage à l'usufruit, de l'encombrement à la circulation, du devoir au bonheur.

    La vieille politique, les vieux partis, les vieux intérêts, l'Autocratie, la Démocratie ne sont plus que des mots. Immobilisme ou Révolution ; les sociétés ont à choisir entre ces deux termes du problème social. Et l'Immobilisme, c'est l'Occident, la Civilisation, tout ce qui est déjà, tout ce que nous connaissons, tout ce qui ne nous suffit plus. Tandis que la Révolution, c'est tout ce qui n'est pas civilisé, tout ce qui reste encore à faire, tout ce qui végète, tout ce qui n'a pas accompli sa destinée.

    ...toutes nos révolutions seront inutiles tant que nous serons emprisonnés dans les mêmes frontières et bridés par les mêmes conventions légales. L'histoire des cinquante dernières années, par tous nos pays, témoigne de l'inanité d'un soulèvement qui n'agite qu'une nation. Je conçois que les réformes obtenues par ces émeutes superficielles puissent satisfaire ceux qui définissent la révolution : Liberté de la presse, formation de la garde bourgeoise, suppression des couvents, proclamation d'une constitution, suffrage universel. Mais que ceux qui demandent l'abolition de la propriété, la suppression de l'intérêt, la destruction du monopole, la liberté de la circulation, l'équité de l'échange, le règne du travail, l'empire des passions et du bonheur ; que ceux-là cessent de s'épuiser contre le milieu civilisé. On n'imprime aux cadavres que des secousses forcées. L'Occident est sans âme.
    De par l'organisation sociale il est défendu à la masse bourgeoise de désirer la révolution de l'anarchie, car les intérêts bourgeois succomberaient avec la civilisation. Et cependant l'issue de toute tentative révolutionnaire dépend de l'attitude de la bourgeoisie. Au contraire, de par leur imperceptible minorité, il est défendu aux anarchistes d'avoir une influence décisive sur le résultat des événements révolutionnaires. Et cependant la révolution de l'anarchie, c'est la révolution de la justice, la vraie révolution. Comment briser le collier d'or qui nous étrangle ? ... Instaurons la révolution dans les faits, transfusons-la dans les institutions ; qu'elle soit inoculée par le glaive dans l'organisme des sociétés, afin qu'on ne puisse plus la leur ravir ! Que la mer humaine monte et déborde ! quand tous les déshérités seront pris de famine, la propriété ne sera plus chose sainte ; dans le fracas des armes, le fer résonnera plus fort que l'argent ; quand chacun combattra pour sa propre cause, personne n'aura besoin d'être représenté ; au milieu de la de la confusion des langues, les avocats, les journalistes, les dictateurs de l'opinion perdront leurs discours. entre ses doigts d'acier, la révolution brise tous les nœuds gordiens ; elle est sans entente avec le Privilège, sans pitié pour l'hypocrisie, sans peur dans les batailles, sans frein dans les passions, ardente avec ses amants, implacable avec ses ennemis. Pour Dieu ! laissons-la donc faire et chantons ses louanges comme le matelot chante les grands caprices de la mer, sa maîtresse !

    Voyez ! Tout est partagé, toutes les places sont prises ; dans ce monde trop plein vous arrivez comme des étrangers. Dès le ventre de vos mères, vous êtes vaincus ; Soyez donc révoltés dès le ventre de vos mères. ou bien allez vous-en, comme dit Malthus, un homme que les Anglais ont trouvé choquant de cruauté. Je vous dis, moi, qu'il n'y a de vie pour vous que dans l'universelle ruine.

    Je le répète donc à tout révolutionnaire de bonne volonté et de franchise :
    Sépare-toi des partis. Romps avec la tradition et le nationalisme. Marche ton chemin sans regarder si l'on te précède, si l'on te suit. N'attends de mot d'ordre de personne ; celui qui te le donnerait serait ton maître. Crie ta pensée comme elle te vient, quand elle te vient, dans les termes qui te paraissent justes : proclame-la dans les rues larges et sur les hautes tours. Il n'est pas bon que l'homme soit muet : celui qui écoute est désarmé bien vite. Écris ta réflexion de ta propre main, de ta propre orthographe ; signe-la de ton nom et jette-la aux quatre vents. Ne dis pas que tu n'es ni assez savant ni assez célèbre pour cela. N'as-tu pas mesuré la hauteur des grands hommes de ce jour, et te croirais-tu, par hasard, plus petit qu'eux ? Répands dans l'air tout ce que tu as sur les lèvres, lumière ou flamme. Il nous faut marcher avec la torche d'une main et le flambeau de l'autre.

    [​IMG] Louise MICHEL : Pour nous il n'y a que deux issues : la révolution triomphante ou la tombe.

    J'appartiens toute entière à la révolution.

    La révolution sera la floraison de l'humanité, comme l'amour est la floraison du cœur.

    On a brûlé les étapes ; hier encore, beaucoup croyaient tout cela solide ; aujourd'hui, personne autre que des dupes ou des fripons ne nie l'évidence des faits. -- La Révolution s'impose. L'intérêt de tous exige la fin du parasitisme.
    Quand un essaim d'abeilles, pillé par les frelons, n'a plus de miel dans sa ruche, il fait une guerre à mort aux bandits avant de recommencer le travail.
    Nous, nous parlementons avec les frelons humains, leur demandant humblement de laisser un peu de miel au fond de l'alvéole, afin que la ruche puisse recommencer à se remplir pour eux.
    Les animaux s'unissent contre le danger commun ; les bœufs sauvages s'en vont par bandes chercher des pâtures plus fertiles : ensemble, ils font tête aux loups.
    Les hommes, seuls, ne s'uniraient pas pour traverser l'époque terrible où nous sommes ! Serions-nous moins intelligents que la bête ?
    Que fera-t-on des milliers et des milliers de travailleurs qui s'en vont affamés par les pays noirs dont ils ont déjà tiré tant de richesses pour leurs exploiteurs ?
    Vont-ils se laisser abattre comme des bandes de loup ?
    Les Romains, quand ils n'étaient pas assez riches pour envoyer le trop-plein de leurs esclaves à Carthage, les enfouissaient vivants ; une hécatombe eût fait trop de bruit ; le linceul du sable est muet.
    Est-ce ainsi que procédera la séquelle capitaliste?
    Emplira-t-on les prisons avec tous les crève-de-faim? Elles regorgeraient bientôt jusqu'à la gueule.
    En bâtira-t-on de nouvelles ? Il n'y a plus assez d'argent même pour le mal : les folies tonkinoises et autres ont absorbé les millions, les fonds secrets sont épuisés pour tendre des traquenards aux révolutionnaires.

    La chrysalide humaine évolue : on ne fera plus rentrer ses ailes dans l'enveloppe crevée.
    Il faut que tout s'en aille à l'Océan commun, sollicité par des besoins de renouveau, par des sens jusqu'ici inconnus et dont rien ne peut arrêter le développement fatal.
    Comme la goutte d'eau tient à la goutte d'eau d'une même vague et d'un même océan, l'humanité entière roule dans la même tempête vers le grand but.
    La bête humaine qui, au fond des âges, avait monté de la famille à la tribu, à la horde, à la nation, monte, monte encore, monte toujours ; et la famille devient race entière.
    Les langues, qui ont évolué suivant les vicissitudes humaines, adoptent pour leurs besoins nouveaux des mots semblables, parce que tous les peuples éprouvent ce même besoin : la Révolution.
    Et la révolution dans la science, dans les arts, comme dans l'industrie, rend de plus en plus nécessaire cette langue universelle qui déjà se forme d'elle-même et qui sera le corollaire de la grande éclosion.

    Les crève-de-faim, les dents longues, sortent des bois ; ils courent les plaines, ils entrent dans les villes : la ruche, lasse d'être pillée, bourdonne en montrant l'aiguillon. Eux qui ont tout créé, ils manquent de tout.
    Au coin des bornes, il y a longtemps qu'ils crèvent, vagabonds, devant les palais qu'ils ont bâtis : l'herbe des champs ne peut plus les nourrir, elle est pour les troupeaux des riches.
    Il n'y a de travail que pour ceux qui s'accommodent d'un salaire dérisoire ou qui s'abrutissent dans une tâche quotidienne de huit à dix heures.
    Alors la colère monte : les exploités se sentent, eux aussi, un cœur, un estomac, un cerveau.
    Tout cela est affamé, tout cela ne veut pas mourir ; et ils se lèvent ! Les Jacques allument la torche aux lampes des mineurs : nul prolétaire ne rentrera dans son trou : mieux vaut crever dans la révolte.
    La révolte ! c'est le soulèvement des consciences, c'est l'indignation, c'est la revendication des droits violés... Qui donc se révolte sans être lésé ?
    Plus on aura pesé sur les misérables, plus la révolte sera terrible ; plus ceux qui gouvernent commettront de crimes, plus on verra clair enfin, et plus implacablement on fera justice...

    La marée populaire couvrira-t-elle le monde ?...
    Ce qui est sûr, c'est que le siècle ne se couchera pas sans que se lève enfin l'astre de la Révolution : l'homme, comme tout être, veut vivre, et nul -- pas même l'exploiteur -- ne pourra bientôt plus vivre si le droit ne remplace la force.
    Prolétaires, employés, petits commerçants, petits propriétaires, tous sentent que d'un bout à l'autre de la société, chacun, dans son âpre lutte pour l'existence, est, à la fois, dévorant et dévoré.

    Insectes humains que nous sommes, nous rongeons les mêmes débris, nous roulons dans la même poussière, c'est dans la Révolution que battrons nos ailes. Alors la chrysalide sera transformée, tout sera fini pour nous et des temps meilleurs auront des joies que nous ne pouvons comprendre.

    La Révolution est terrible ; mais son but étant le bonheur de l'humanité, elle a des combattants audacieux, des lutteurs impitoyables, il le faut bien.
    Est-ce que vous croyez qu'on choisit, pour tirer les gens de l'eau où ils se noient, si on les prend par les cheveux ou autrement ? La Révolution agit ainsi pour tirer l'humanité de l'océan de boue et de sang où des milliers d'inconnus servent de pâture à quelques requins.

    Ô révolution ! Mère qui nous dévore
    Et que nous adorons, suprême égalité !
    Prends nos destins brisés pour en faire une aurore.
    Que sur nos morts chéris plane la liberté !
    Quand mai sinistre sonne, éveille-nous encore
    A ta magnifique clarté !

    La révolution n'aura pas de lendemain, les révolutionnaires ne savent pas ce qu'il y aura après mais tant pis pour ceux qui tenteraient de barrer le chemin de la révolution car elle passera sur eux sans faiblesse.

    Nous ne voulons pas de révolution pacifique, le monde appartient à la race humaine, nous n'avons qu'à le prendre !

    [​IMG] Élisée RECLUS : Nous sommes révolutionnaires parce que nous voulons la justice et que partout nous voyons l'injustice régner autour de nous. C'est en sens inverse du travail que sont distribués les produits du travail. L'oisif a tous les droits, même celui d'affamer son semblable, tandis que le travailleur n'a pas toujours le droit de mourir de faim en silence : on l'emprisonne quand il est coupable de grève. Des gens qui s'appellent prêtres essaient de faire croire au miracle pour que les intelligences leur soient asservies ; des gens appelés rois se disent issus d'un maître universel pour être maître à leur tour; des gens armés par eux taillent, sabrent et fusillent à leur aise; des personnes en robe noire qui se disent la justice par excellence condamnent le pauvre, absolvent le riche, vendent souvent les condamnations et les acquittements; des marchands distribuent du poison au lieu de nourriture, ils tuent en détail au lieu de tuer en gros et deviennent ainsi des capitalistes honorés. Le sac d'écus, voilà le maître, et celui qui le possède tient en son pouvoir la destinée des autres hommes. Tout cela nous paraît infâme et nous voulons le changer. Contre l'injustice nous faisons appel à la révolution.
    Mais " la justice n'est qu'un mot, une convention pure ", nous dit-on.
    " Ce qui existe, c'est le droit de la force ! " Eh bien, S'il en est ainsi, nous n'en sommes pas moins révolutionnaires. De deux choses : ou bien la justice est l'idéal humain et, dans ce cas, nous la revendiquons pour tous ; ou bien la force seule gouverne les sociétés et, dans ce cas, nous userons de la force contre nos ennemis. Ou la liberté des égaux ou la loi du talion.
    Mais pourquoi se presser, nous disent tous ceux qui, pour se dispenser d'agir eux-mêmes, attendent tout du temps. La lente évolution des choses leur suffit, la révolution leur fait peur. Entre eux et nous l'histoire a prononcé. Jamais aucun progrès soit partiel, soit général ne s'est accompli par simple évolution pacifique, il s'est toujours fait par la révolution soudaine. Si le travail de préparation s'opère avec lenteur dans les esprits, la réalisation des idées a lieu brusquement: l'évolution se fait dans le cerveau, et ce sont les bras qui font la révolution.
    Et comment procéder à cette révolution que nous voyons se préparer lentement dans la société et dont nous aidons l'avènement par tous nos efforts ?
    Est-ce en nous groupant par corps subordonnés les uns aux autres ? Est-ce en nous constituant comme le monde bourgeois que nous combattons en un ensemble hiérarchique, ayant ses maîtres responsables et ses inférieurs irresponsables, tenus comme des instruments dans la main d'un chef ?
    Commencerons-nous par abdiquer pour devenir libres ? Non, car nous sommes des anarchistes, c'est-à-dire des hommes qui veulent garder la pleine responsabilité de leurs actes, qui agissent en vertu de leurs droits et de leurs devoirs personnels, qui donnent à un être son développement naturel, qui n'ont personne pour maître et ne sont les maîtres de personne.
    Nous voulons nous dégager de l'étreinte de l'Etat, n'avoir plus au-dessus de nous de supérieurs qui puissent nous commander, mettre leur volonté à la place de la nôtre.
    Nous voulons déchirer toute loi extérieure, en nous tenant au développement conscient des lois intérieures de toute notre nature. En supprimant l'Etat, nous supprimons aussi toute morale officielle, sachant d'avance qu'il ne peut y avoir de la moralité dans l'obéissance à des lois incomprises, dans l'obéissance de pratique dont on ne cherche pas même à se rendre compte. Il n'y a de morale que dans la liberté. C'est aussi par la liberté seule que le renouvellement reste possible.Nous voulons garder notre esprit ouvert, se prêtant d'avance à tout progrès, à toute idée nouvelle, à toute généreuse initiative.

    Plus les consciences, qui sont la vraie force, apprendront à s'associer sans abdiquer, plus les travailleurs, qui sont le nombre, auront conscience de leur valeur, et plus les révolutions seront faciles et pacifiques. Finalement, toute opposition devra céder et même céder sans lutte. le jour viendra où l’Évolution et la Révolution, se succédant immédiatement, du désir au fait, de l'idée à la réalisation, se confondront en un seul et même phénomène. C'est ainsi que fonctionne la vie dans un organisme sain, celui d'un homme ou celui d'un monde.

    Les révolutions furent toujours à double effet : on peut dire que l'histoire offre en toutes choses son endroit et son revers. Ceux qui ne veulent pas se payer de mots doivent donc étudier avec une critique attentive, interroger avec soin les hommes qui prétendent s'être dévoués pour notre cause. Il ne suffit pas de crier : « Révolution, révolution ! » pour que nous marchions aussitôt derrière celui qui sait nous entraîner. Sans doute il est naturel que l'ignorant suive son instinct : le taureau affolé se précipite sur un chiffon rouge et le peuple toujours opprimé se rue avec fureur contre le premier venu qu'on lui désigne. Une révolution quelconque a toujours du bon quand elle se produit contre un maître ou contre un régime d'oppression ; mais si elle doit susciter un nouveau despotisme, on peut se demander s'il n'eût pas mieux valu la diriger autrement. Le temps est venu de n'employer que des forces conscientes ; les évolutionnistes, arrivant enfin à la parfaite connaissance de ce qu'ils veulent réaliser dans la révolution prochaine, ont autre chose à faire qu'à soulever les mécontents et à les précipiter dans la mêlée, sans but et sans boussole.
    On peut dire que jusqu'à maintenant aucune révolution n'a été absolument raisonnée, et c'est pour cela qu'aucune n'a complètement triomphé. Tous ces grands mouvements furent sans exception des actes presque inconscients de la part des foules qui s'y trouvaient entraînées, et tous, ayant été plus ou moins dirigés, n'ont réussi que pour les meneurs habiles à garder leur sang-froid. C'est une classe qui a fait la Réforme et qui en a recueilli les avantages ; c'est une classe qui a fait la Révolution française et qui en exploite les profits, mettant en coupe réglée les malheureux qui l'ont servie pour lui procurer la victoire. Et, de nos jours encore, le « Quatrième État », oubliant les paysans, les prisonniers, les vagabonds, les sans-travail, les déclassés de toute espèce, ne court-il pas le risque de se considérer comme une classe distincte et de travailler non pour l'humanité mais pour ses électeurs, ses coopératives et ses bailleurs de fonds ?
    Aussi chaque révolution eut-elle son lendemain. La veille on poussait le populaire au combat, le lendemain on l'exhortait à la sagesse ; la veille on l'assurait que l'insurrection est le plus sacré des devoirs, et le lendemain on lui prêchait que « le roi est la meilleure des républiques », ou que le parfait dévouement consiste à « mettre trois mois de misère au service de la société », ou bien encore que nulle arme ne peut remplacer le bulletin de vote. De révolution en révolution le cours de l'histoire ressemble à celui d'un fleuve arrêté de distance en distance par des écluses. Chaque gouvernement, chaque parti vainqueur essaie à son tour d'endiguer le courant pour l'utiliser à droite et à gauche dans ses prairies ou dans ses moulins. L'espoir des réactionnaires est qu'il en sera toujours ainsi et que le peuple moutonnier se laissera de siècle en siècle dévoyer de sa route, duper par d'habiles soldats, ou des avocats beaux parleurs.
    Cet éternel va-et-vient qui nous montre dans le passé la série des révolutions partiellement avortées, le labeur infini des générations qui se succèdent à la peine, roulant sans cesse le rocher qui les écrase, cette ironie du destin qui montre des captifs brisant leurs chaînes pour se laisser ferrer à nouveau, tout cela est la cause d'un grand trouble moral, et parmi les nôtres nous en avons vu qui, perdant l'espoir et fatigués avant d'avoir combattu, se croisaient les bras, et se livraient au destin, abandonnant leurs frères. C'est qu'ils ne savaient pas ou ne savaient qu'à demi : ils ne voyaient pas encore nettement le chemin qu'ils avaient à suivre, ou bien ils espéraient s'y faire transporter par le sort comme un navire dont un vent favorable gonfle les voiles : ils essayaient de réussir, non par la connaissance des lois naturelles ou de l'histoire, non de par leur tenace volonté, mais de par la chance ou de vagues désirs, semblables aux mystiques qui, tout en marchant sur la terre, s'imaginent être guidés par une étoile brillant au ciel.

    La révolution tiendra plus que ses promesses ; elle renouvellera les sources de la vie en nous lavant du contact impur de toutes les polices et en nous dégageant enfin de ces viles préoccupations de l'argent qui empoisonnent notre existence. C'est alors que chacun pourra suivre librement sa voie : le travailleur accomplira l'oeuvre qui lui convient ; le chercheur étudiera sans arrière-pensée ; l'artiste ne prostituera plus son idéal de beauté pour son gagne-pain et tous désormais amis, nous pourrons réaliser de concert les grandes choses entrevues par les poètes. Alors sans doute on se rappellera quelquefois les noms de ceux qui, par leur propagande dévouée, payée de l'exil ou de la prison, auront préparé la société nouvelle.

    [​IMG] Pierre KROPOTKINE : La part du peuple dans la révolution doit être positive, en même temps que destructive. Car lui seul peut réussir à réorganiser la société sur des bases d'égalité et de liberté pour tous. Remettre ce soin à d'autres, serait trahir la cause même de la révolution.

    Dans la vie des sociétés, il est des époques où la Révolution devient une impérieuse nécessité, où elle s'impose d'une manière absolue. Des idées nouvelles germent de partout, elles cherchent à se faire jour, à trouver une application dans la vie, mais elles se heurtent continuellement à la force d'inertie de ceux qui ont intérêt à maintenir l'ancien régime, elles étouffent dans l'atmosphère suffocante des anciens préjugés et des traditions. Les idées reçues sur la constitution des États, sur les lois d'équilibre social, sur les relations politiques et économiques des citoyens entre eux, ne tiennent plus devant la critique sévère qui les sape chaque jour, à chaque occasion, dans le salon comme dans le cabaret, dans les ouvrages du philosophe comme dans la conversation quotidienne. Les institutions politiques, économiques et sociales tombent en ruine ; édifice devenu inhabitable, il gêne, il empêche le développement des germes qui se produisent dans ses murs lézardés et naissent autour de lui.

    L'étude attentive de la situation actuelle, économique et politique, nous amène à la conviction que l'Europe marche rapidement vers une Révolution : que cette révolution ne se bornera pas à un seul pays, mais que, éclatant quelque part, elle s'étendra, comme en 1848, aux pays voisins et embrasera plus ou moins l'Europe entière ; … elle ne sera pas seulement politique, elle sera aussi, et surtout, une Révolution économique.

    Si la Révolution met immédiatement en exécution l'expropriation, elle en recevra une force intérieure qui lui permettra de résister, aussi bien aux tentatives de former un gouvernement qui chercherait à l'étrangler qu'aux attaques qui pourraient se produire du dehors.

    Pour que la Révolution apporte tous les fruits que le prolétariat a le droit d'attendre après des siècles de luttes incessantes et des holocaustes de victimes sacrifiées, il est nécessaire que la période révolutionnaire dure plusieurs années, afin que la propagande des idées nouvelles ne se borne pas seulement aux grands centres intellectuels, mais pénètre jusque dans les hameaux les plus isolés, afin de vaincre l'inertie qui se manifeste nécessairement dans les masses avant qu'elles se lancent vers une réorganisation fondamentale de la société, pour que, enfin, les idées nouvelles aient le temps de recevoir le développement ultérieur, nécessaire au progrès réel de l'humanité.

    Vous tous, jeunes gens, sincères, hommes et femmes, paysans, ouvriers, employés et soldats, vous comprendrez vos droits et vous viendrez avec nous ; vous viendrez travailler avec vos frères à préparer la révolution qui, abolissant tout esclavage, brisant toutes les chaînes, rompant avec les vieilles traditions et ouvrant à l'humanité entière de nouveaux horizons, viendra enfin établir dans les sociétés humaines, la vraie Égalité, la vraie Liberté ; le travail pour tous, et pour tous la pleine jouissance de toutes leurs facultés ; la vie rationnelle, humanitaire et heureuse !

    Lorsque nous étudions chez nos meilleurs historiens la genèse et le développement des grandes secousses révolutionnaires, nous trouvons ordinairement sous ce titre : «Les Causes de la Révolution», un tableau saisissant de la situation à la veille des évènements. La misère du peuple, l'insécurité générale, les mesures vexatoires du gouvernement, les scandales odieux qui étalent les grands vices de la société, les idées nouvelles cherchant à se faire jour et se heurtant contre l'incapacité des suppôts de l'ancien régime, rien n'y manque. En contemplant ce tableau, on arrive à la conviction que la Révolution était inévitable en effet, qu'il n'y avait pas d'autre issue que la voie des faits insurrectionnels.

    La direction que prendra la Révolution dépend certainement de toute la somme des circonstances variées qui ont déterminé l'arrivée du cataclysme. Mais elle peut être prévue à l'avance, d'après la force d'action révolutionnaire déployée dans la période préparatoire par les divers partis avancés.

    Dans une révolution, démolir n'est qu'une partie de la tâche du révolutionnaire. Il faut reconstruire, et la reconstitution se fera, ou bien selon les formules du passé, apprises dans les livres, et que l'on cherchera à imposer au peuple; ou bien, selon le génie populaire qui, spontanément, dans chaque petit village et dans chaque centre urbain, se mettra à l’œuvre pour bâtir la société socialiste. Mais pour cela, il faut surtout qu'il y ait des hommes d'initiative dans son sein.
    Or, c'est précisément l'initiative du travailleur et du paysan que tous les partis — le parti socialiste autoritaire y compris — ont toujours étouffé, sciemment ou non, par la discipline du parti. Les comités, le centre ordonnant tout, les organes locaux n'avaient qu'à obéir, afin de ne plus mettre en danger l'unité de l'organisation. Tout un enseignement, toute une histoire fausse, oute une science incompréhensible furent élaborés dans ce but.
    Eh bien, ceux qui travailleront à briser cette tactique surannée, ceux qui sauront réveiller l'esprit d'initiative dans les individus et dans les groupes, ceux qui arriveront à créer dans leurs rapports mutuels une action et une vie basées sur ces principes, ceux qui comprendront que la variété, le conflit même, sont la vie, et que l'uniformité c'est la mort, travailleront non pour les siècles à venir, mais bel et bien pour la prochaine révolution.

    Nous sommes d'avis que notre première obligation, quand la révolution aura brisé la force qui maintient le système actuel, sera de réaliser immédiatement le communisme.
    Mais notre communisme n'est ni celui des phalanstériens, ni celui des théoriciens autoritaires allemands. C'est le communisme anarchiste, le communisme sans gouvernement, - celui des hommes libres. C'est la synthèse des deux buts poursuivis par l'humanité à travers les âges - la liberté économique et la liberté politique.

    ...le plus grand service que la prochaine Révolution pourra rendre à l'humanité sera de créer une situation dans laquelle tout système de salariat deviendra impossible, inapplicable, et où s'imposera comme seule solution acceptable, le Communisme, négation du salariat.

    Sachons qu'une révolution qui s'enivrerait des plus belles paroles de Liberté, d'Egalité et de Solidarité, tout en maintenant l'esclavage du foyer, ne serait pas la révolution. La moitié de l'humanité, subissant l'esclavage du foyer de cuisine, aurait encore à se révolter contre l'autre moitié.

    Ah, si l'humanité avait seulement le conscience de ce qu'elle peut, et si cette conscience lui donnait seulement la force de vouloir !
    Si elle savait que la couardise de l'esprit est l'écueil sur lequel toutes les révolutions ont échoué jusqu'à ce jour !

    La seule chose qui puisse manquer à la révolution, c’est la hardiesse de l'initiative.

    La révolution ne se crée ni ne s'improvise, c'est un fait acquis pour les anarchistes ; pour eux, c'est un fait mathématique, découlant de la mauvaise organisation sociale actuelle ; leur objectif est que les travailleurs soient assez instruits des causes de leur misère pour qu'ils sachent profiter de cette révolution qu'ils seront fatalement amenés à accomplir, et ne s'en laissent pas arracher les fruits par les intrigants qui chercheront à se substituer aux gouvernants actuels et à substituer, sous des noms différents, un pouvoir qui ne serait que la continuation de celui que le peuple aurait renversé.

    Oui, la révolution sera une fête, si elle travaille à l'affranchissement de tous ; mais pour que cet affranchissement s'accomplisse, le révolutionnaire devra déployer une audace de pensée, une énergie d'action, une sûreté de jugement, et une âpreté au travail dont le peuple a rarement fait preuve dans les révolutions précédentes, mais dont les précurseurs commencèrent déjà à se dessiner dans les derniers jours de la Commune de Paris et dans les premiers jours des grèves de ces dernières vingt années.

    Si l'action s'était bornée à attaquer les hommes et les institutions du gouvernement, la grande Révolution eût-elle jamais été ce qu'elle fût en réalité, c'est-à-dire un soulèvement général de la masse populaire, paysans et ouvriers, contre les classes privilégiées ? La Révolution eût-elle duré quatre ans ? eût-elle remué la France jusqu'aux entrailles ? eût-elle trouvé ce souffle invincible qui lui a donné la force de résister aux «rois conjurés» ?

    Faire en sorte que, dès le premier jour de la Révolution, le travailleur sache qu'une ère nouvelle s'ouvre devant lui : que désormais personne ne sera forcé de coucher sous les ponts, à côté des palais de rester à jeun tant qu'il y aura de la nourriture ; de grelotter de froid auprès des magasins de fourrures. Que tout soit à tous, en réalité comme en principe, et qu'enfin dans l'histoire il se produise une révolution qui songe aux besoins du peuple avant de lui faire la leçon sur ses devoirs.
    Ceci ne pourra s'accomplir par décrets, mais uniquement par la prise de possession immédiate, effective, de tout ce qui est nécessaire pour assurer la vie de tous : telle est la seule manière vraiment scientifique de procéder, la seule qui soit comprise et désirée par la masse du peuple.
    Prendre possession, au nom du peuple révolté, des dépôts de blé, des magasins qui regorgent de vêtements, des maisons habitables. Ne rien gaspiller, s'organiser tout de suite pour remplir les vides, faire face à toutes les nécessités, satisfaire tous les besoins, produire, non plus pour donner des bénéfices à qui que ce soit, mais pour faire vivre et se développer la société.

    Ce qui effraie un grand nombre de travailleurs et les éloigne des idées anarchistes, c'est ce mot de révolution qui leur fait entrevoir tout un horizon de luttes, de combats et de sang répandu, qui les fait trembler à l'idée qu'un jour ils pourront être forcés de descendre dans la rue et se battre contre un pouvoir qui leur semble un colosse invulnérable contre lequel il est inutile de lutter violemment et qu'il est impossible de vaincre.
    Les révolutions passées, qui ont toutes tourné contre leur but et l'ont laissé toujours aussi misérable qu'avant, ont contribué pour beaucoup aussi à rendre le peuple sceptique à l'égard d'une révolution nouvelle. A quoi bon aller se battre et aller se faire casser la figure, se dit-il, pour qu'une bande de nouveaux intrigants nous exploitent aux lieu et place de ceux qui sont au pouvoir actuellement ; je serai bien bête. Et tout en geignant sur sa misère, tout en murmurant contre les hâbleurs qui l'ont trompé par des promesses qu'ils n'ont jamais tenues, il se bouche les oreilles contre les faits qui lui crient la nécessité d'une action virile, il ferme les yeux pour ne pas avoir à envisager l'éventualité de la lutte qui se prépare, il se terre dans son effroi de l'inconnu, voudrait un changement qu'il reconnaît inévitable. Il sait bien que la misère qui frappe autour de lui l'atteindra demain et l'enverra, lui et les siens, grossir le tas d'affamés qui vivent de la charité publique, mais il espère dans des à-coups providentiels qui lui éviteront de descendre dans la rue et alors il se raccroche de toutes ses forces à ceux qui lui font espérer ce changement sans lutte et sans combat ; il acclame ceux qui daubent sur le pouvoir, lui font espérer des réformes, lui font entrevoir toute une législation en sa faveur, le plaignent de sa misère et lui promettent de l'alléger. Croit-il davantage en eux qu'en ceux qui lui parlent de la révolution ? Il est probable que non, mais ils lui font espérer un changement sans qu'il ait à prendre part directement à la lutte. Cela lui suffit à l'heure actuelle. Il s'endort dans sa quiétude, attendant de les voir à l'œuvre, pour recommencer ses plaintes lorsqu'il verra éluder les promesses, s'éloigner l'heure de leur réalisation. Jusqu'au jour où, acculé à la faim, le dégoût et l'indignation étant à leur comble, on verra descendre dans la rue ceux qui, à l'heure actuelle, semblent les plus éloignés de se révolter.
    Pour qui réfléchit et étudie les phénomènes sociaux, en effet, la Révolution est inévitable, tout y pousse, tout y contribue et la résistance gouvernementale peut aider à en éloigner la date, à en enrayer les effets, mais ne peut l'empêcher ; de même que la propagande anarchiste peut en hâter l'explosion, contribuer à la rendre efficace, en instruisant les travailleurs des causes de leur misère et en les mettant à même de les supprimer, mais serait impuissante à l'amener si elle n'était le fait de l'organisation sociale vicieuse dont nous souffrons.

    Une des principales objections que l'on fait aux idées anarchistes est celle-ci : c'est qu'il ne serait pas possible à une nation de vivre en anarchie, vu qu'elle aurait d'abord à se défendre contre les autres puissances coalisées contre elle et aussi à combattre les bourgeois qui tenteraient sûrement de ressaisir l'autorité afin de rétablir à nouveau leur domination. Que pour parer à cet état de choses il faudrait absolument conserver l'armée et un pouvoir centralisateur qui seul pourrait mener à bien cette besogne. C'est une période transitoire, disent-ils, qu'il faut absolument traverser car, seule, elle peut amener la possibilité aux idées anarchistes de s'implanter.
    Si ceux qui font ces objections voulaient bien se rendre compte de ce que pourrait être, de ce que doit être une révolution sociale, ils verraient que leur objection tombe à faux et que les moyens transitoires qu'ils prêchent auraient justement pour effet d'enrayer cette révolution qu'ils auraient à charge de faire aboutir.
    Etant donné toutes les institutions, tous les préjugés que la révolution sociale devra abattre, il est bien évident qu'elle ne pourra être l'oeuvre de deux ou trois jours de lutte suivis d'une simple transmission de pouvoirs, comme l'ont été les révolutions politiques précédentes. Pour nous, la révolution sociale à faire se présente sous l'aspect d'une longue suite de luttes, de transformations incessantes qui pourront durer une période plus ou moins longue d'années, où les travailleurs, battus d'un côté, vainqueurs d'un autre, arriveront graduellement à éliminer tous les préjugés, toutes les institutions qui les écrasent et où la lutte, une fois commencée, ne pourra prendre fin que lorsque ayant enfin abattu tous les obstacles, l'humanité pourra évoluer librement.
    Pour nous, cette période transitoire que les assoiffés de gouvernementalisme veulent à toute force passer pour justifier l'autorité dont ils prétendent avoir besoin pour assurer le succès de la révolution sera justement cette période de lutte qu'il faudra soutenir du jour où les idées ayant pris assez de force tenteront de passer dans le domaine des faits. Tous les autres moyens transitoires que l'on nous préconise ne sont qu'une manière déguisée de se raccrocher à ce passé que l'on fait semblant de combattre, mais que l'on voit fuir avec peine devant les idées de justice et de liberté.

    [...] c'est se faire fausse conception de la révolution sociale que de croire qu'elle puisse s'imposer d'un coup ; c'est s'en faire une bien plus grande que de croire qu'elle puisse se localiser et surtout - si cela se produisait - de croire qu'elle pourrait triompher.
    La révolution sociale ne pourra triompher qu'à condition de se propager par toute l'Europe. Elle ne pourra empêcher l'alliance des bourgeois qu'à condition de leur donner à chacun assez d'ouvrage chez eux pour leur ôter l'envie de s'occuper de ce qui se passe chez leurs voisins. Les travailleurs d'une nationalité ne pourront triompher et s'émanciper chez eux qu'à la condition que les travailleurs voisins s'émancipent aussi. Ils ne pourront arriver à se débarrasser de leurs maîtres qu'à condition que les maîtres de leurs frères voisins ne puissent venir prêter la main aux leurs. La solidarité internationale de tous les travailleurs, voilà une des conditions sine qua non du triomphe de la révolution. Telle est la rigoureuse logique des idées anarchistes que cette union idéale des travailleurs de tous les pays, qu'elles posent en principe, qu'elles reconnaissent comme vérité, se pose dès le début comme moyen de lutte aussi bien que d'idéal.
    Donc, le premier travail des anarchistes, lorsqu'un mouvement révolutionnaire éclatera quelque part, devra être de chercher à en faire éclater d'autres plus loin. Non par des décrets auxquels devraient se soumettre ceux auxquels ils seraient adressés, mais en prêchant d'exemple, en cherchant à les intéresser dès le début au nouvel état de choses qui se produirait.

    La révolution sociale est une route à parcourir, s'arrêter en chemin équivaudrait à retourner en arrière. Elle ne pourra s'arrêter que lorsqu'elle aura accompli sa course et aura atteint le but à conquérir : l'individu libre dans l'humanité libre.

    [​IMG] James GUILLAUME : Ce n'est pas en un jour que le flot grossit au point de rompre la digue qui le contient ; l'eau monte par degrés, lentement ; mais une fois qu'elle a atteint le niveau voulu, la débâcle est soudaine, et la digue s'écroule en un clin d'œil.
    Il y a donc deux faits successifs, dont le second est la conséquence nécessaire du premier : d'abord, la transformation lente des idées, des besoin, des moyens d'action au sein de la société ; puis, quand le moment est venu où cette transformation est assez avancée pour passer dans les faits d'une manière complète, il y a la crise brusque et décisive, la révolution, qui n'est que le dénouement d'une longue évolution, la manifestation subit d'un changement dès longtemps préparé et devenu inévitable.
    Il ne viendra à l'esprit d'aucun homme sérieux d'indiquer à l'avance les voies et moyens par lesquels doit s'accomplir la révolution, prologue indispensable de la rénovation sociale. Une Révolution est un fait naturel, et non l'acte d'une ou de plusieurs volontés individuelles : elle ne s'opère pas en vertu d'un plan préconçu, elle se produit sous l'impulsion incontrôlable de nécessités auxquelles nul ne peut commander.

    Qu'on n'attende pas de nous l'indication d'un plan de campagne révolutionnaire ; nous laissons cet enfantillage à ceux qui croient encore à la possibilité et à l'efficacité d'une dictature personnelle pour accomplir oeuvre de l'émancipation humaine.
    Nous nous bornerons à dire brièvement quel est le caractère que nous désirons voir prendre la révolution, pour éviter qu'elle ne retombe dans les errements du passé. Ce caractère doit avant tout être négatif, destructif. Il ne s'agit pas d'améliorer certaines institutions du passé pour les adapter à une société nouvelle, mais de les supprimer. Ainsi, suppression radicale du gouvernement, de l'armée, des tribunaux, de l'Église, de l'école, de la banque et de tout ce qui s'y rattache.
    En même temps, la Révolution a un côté positif : c'est la prise de possession des instruments de travail et de tout le capital des travailleurs.

    Comment la Révolution fera-t-elle pour enlever la terre à la bourgeoisie, aux exploiteurs, et pour la donner aux paysans ?
    Jusqu'à présent, quand les bourgeois faisaient une Révolution politique, quand ils exécutaient un de ces mouvements dont le résultat était seulement un changement de maîtres pour le peuple, ils avaient l'habitude de publier des décrets, annonçaient au pays la volonté du nouveau gouvernement ; le décret était affiché dans les communes, et le préfet, les tribunaux, le maire, les gendarmes les faisaient exécuter.
    La Révolution vraiment populaire ne suivra pas cet exemple ; elle ne rédigera pas de décrets, elle ne réclamera pas les services de la police et de l'administration gouvernementale. Ce n'est pas avec des décrets, avec des paroles écrites sur du papier, qu'elle veut émanciper le peuple, mais avec des actes.

    La Révolution ne peut pas être restreinte à un seul pays ; elle est obligée, sous peine de mort, d'entraîner dans son mouvement, sinon l'univers tout entier, du moins une partie considérable des pays civilisés. En effet, aucun pays ne peut, aujourd'hui, se suffire à lui-même ; les relations internationales sont une nécessité de la production et de la consommation, et elles ne sauraient être interrompues. Si, autour d'un pays révolutionné, les États voisins parvenaient à établir un blocus hermétique, la Révolution restant isolée serait condamnée à s'éteindre. Ainsi, comme nous raisonnons dans l'hypothèse du triomphe de la Révolution dans un pays donnée, nous devons supposer que la plupart des autres pays de l'Europe auront fait leur Révolution en même temps.
    Il n'est pas indispensable que, dans tous les pays où le prolétariat aura renversé la domination de la bourgeoisie, la nouvelle organisation sociale installée par la Révolution soit la même dans tous ses détails. Étant données les divergences d'opinion que sont manifestées jusqu'à ce jour entre les socialistes des pays germaniques, (Allemagne, Angleterre), et ceux des pays latins et slaves (Italie, Espagne, France, Russie), il est probable que l'organisation sociale adoptée par les révolutionnaires allemands, par exemple, différera sur plus d'un point de celle que se seront donnée les révolutionnaires italiens ou français. Mais ces différences n'ont pas d'importance pour les relations internationales : les principes fondamentaux étant les mêmes de part et d'autre, des rapports d'amitié et de solidarité ne peuvent manquer de s'établir entre les peuples émancipés des divers pays.

    [​IMG] Serge NETCHAÏEV : ATTITUDE DU RÉVOLUTIONNAIRE ENVERS LUI-MÊME
    - Le révolutionnaire est un homme condamné d'avance : il n'a ni intérêts personnels, ni affaires, ni sentiments ni attachements, ni propriété, ni même de nom. Tout en lui est absorbé par un seul intérêt, une seule pensée, une seule passion - la Révolution.
    - Au fond de lui-même, non seulement en paroles mais en pratique, il a rompu tout lien avec l'ordre public et avec le monde civilisé, avec toute loi, toute convention et condition acceptée, ainsi qu'avec toute moralité. En ce qui concerne ce monde civilisé, il en est un ennemi implacable, et s'il continue à y vivre, ce n'est qu'afin de le détruire plus complètement.
    - Le révolutionnaire méprise tout doctrinarisme, il a renoncé à la science pacifique qu'il abandonne aux générations futures. Il ne connaît qu'une science - celle de la destruction. C'est dans ce but et dans ce but seulement qu'il étudie la mécanique, la physique, peut-être la médecine, c'est dans ce but qu'il étudie jour et nuit la science vivante des hommes, des caractères, des situations, et de toutes les modalités de l'ordre social tel qu'il existe dans les différentes classes de l'humanité. Quant à son but, il n'en a qu'un : la destruction la plus rapide et la plus sûre de cet ordre abject.
    - Il méprise l'opinion publique. Il méprise et hait dans tous ses motifs et toutes ses manifestations la moralité sociale actuelle. A ses yeux il n'y a de moral que ce qui contribue au triomphe de la Révolution ; tout ce qui l'empêche est immoral.
    - Le révolutionnaire est un homme condamné d'avance. Implacable envers l'État et envers tout ce qui représente la société, il ne doit s'attendre à aucune pitié de la part de cette société. Entre elle et lui c'est la guerre incessante sans réconciliation possible, une guerre ouverte ou secrète, mais à mort. Il doit chaque jour être prêt à mourir. Il doit s'habituer à supporter les tortures.
    - Sévère envers lui-même, il doit l'être envers les autres. Tout sentiment tendre et amollissant de parenté, d'amitié, d'amour, de gratitude et même d'honneur doit être étouffé en lui par l'unique et froide passion révolutionnaire. Il n'existe pour lui qu'une seule volupté, une seule consolation, récompense ou satisfaction - le succès de la Révolution. Jour et nuit, il ne doit avoir qu'une pensée, qu'un but - la destruction la plus implacable. Travaillant froidement et sans répit à ce but, il doit être prêt à périr lui-même, et à faire périr de sa main tout ce qui empêche cet accomplissement.
    - Le caractère du véritable révolutionnaire exclut tout romantisme, toute sensibilité, tout enthousiasme ou élan. Il exclut même la haine et la vengeance personnelles. La passion révolutionnaire étant devenue sa seconde nature, doit s'appuyer sur le calcul le plus froid. Partout et toujours, il doit incarner non pas ce à quoi le poussent ses entraînements personnels, mais ce que lui prescrit l'intérêt de la révolution.

    ATTITUDE DU RÉVOLUTIONNAIRE ENVERS SES CAMARADES
    - Le révolutionnaire ne peut chérir et traiter en ami que celui qui a réellement fait preuve d'une activité révolutionnaire égale à la sienne. La mesure de l'amitié, du dévouement et autres devoirs envers un camarade, est déterminée exclusivement par le degré d'utilité de celui-ci au point de vue des effets pratiques de la révolution destructrice.
    - Nous n'avons pas à insister sur la solidarité des révolutionnaires entre eux. C'est en cette solidarité que réside toute la force de l'action révolutionnaire. Les camarades révolutionnaires qui possèdent au même degré la passion révolutionnaire, doivent autant que possible discuter en commun et résoudre à l'unanimité toutes les affaires importantes. Mais en ce qui concerne l'exécution du plan conçu, chacun doit travailler seul à la réalisation de l'action destructrice, et n'avoir recours aux conseils et à l'aide de ses camarades qu' au cas où cela serait indispensable pour le succès de l'entreprise.
    - Chaque camarade doit avoir sous la main plusieurs révolutionnaires de seconde et de troisième catégorie, c'est à-dire à moitié initiés. Il doit les considérer comme faisant partie du capital révolutionnaire mis à sa disposition. Il dépensera avec économie la partie du capital qui lui est échue, cherchant toujours à en tirer le plus grand profit. Il doit être dépensé pour le triomphe de la cause révolutionnaire, un capital dont il ne pourra disposer sans le consentement de toute la confrérie des initiés.
    - Lorsqu'un malheur arrive à quelque camarade, et que le révolutionnaire doit décider s'il faut, oui ou non, lui porter secours, il ne devra tenir compte des sentiments personnels, mais uniquement de l'intérêt de la cause révolutionnaire. Aussi devra-t-il peser d'une part l'utilité que présente le camarade en question, d'autre part la dépense des forces révolutionnaires nécessaires pour le sauver; il prendra sa décision en conséquence.

    ATTITUDE DU RÉVOLUTIONNAIRE ENVERS LA SOCIÉTÉ
    - L'admission d'un nouveau membre, dont le zèle ne se serait manifesté qu'en paroles et non en action, ne peut être votée qu'à l'unanimité.
    - Le révolutionnaire ne pénètre dans les sphères de l'État, des castes et de la société dite civilisée, et n'y vit, que dans le but de leur destruction aussi totale que rapide. Il n'est pas un vrai révolutionnaire s'il regrette quelque chose dans ce monde, si la situation et les relations d'un homme appartenant à ce monde (où tout doit lui être également haïssable) le font hésiter. Tant pis pour lui s'il a gardé dans ces sphères des relations de parenté, d'amitié ou d'amour; il n'est pas un vrai révolutionnaire si elles peuvent faire hésiter sa main.
    - Dans le but d'une destruction implacable, le révolutionnaire peut et doit vivre au sein de la société et chercher à paraître tout différent de ce qu'il est en réalité. Le révolutionnaire devra pénétrer partout, dans toutes les classes moyennes ou supérieures - dans la boutique du commerçant, dans l'église, dans l'hôtel du noble, dans le monde bureaucratique, militaire, ainsi que dans celui des lettres, dans le IIIe Bureau et même au Palais d'Hiver.
    - Toute cette société abjecte doit, être divisée en plusieurs catégories : première catégorie : elle est condamnée à mort sans délai. Qu'on établisse une liste de ces personnes selon le degré auquel elles peuvent être nuisibles au succès de la cause révolutionnaire, afin que ceux qui portent les premiers numéros périssent avant les autres.
    - En établissant l'ordre de cette liste, il ne faudra pas s'inspirer des méfaits personnels de tel ou tel individu, ni même de la haine que ces méfaits ont provoquée chez le peuple. Provisoirement, ces méfaits et cette haine peuvent même être utiles, car ils aident à éveiller la révolte populaire. Il faudra donc s'inspirer du degré d'utilité qui pourra résulter de la mort de cet individu, pour la cause révolutionnaire. Aussi, faudra-t-il supprimer en premier lieu les hommes tout particulièrement nuisibles à l'organisation révolutionnaire, ainsi que ceux dont la mort violente et subite pourra inspirer le plus de terreur au gouvernement. En privant celui-ci d'hommes fermes et intelligents on arrivera à ébranler son pouvoir.
    - La seconde catégorie devra précisément comprendre les hommes auxquels on confère la vie provisoirement, afin qu'ils provoquent la révolte inéluctable du peuple par une série d'actes féroces.
    - La troisième catégorie comprend un nombre considérable de brutes haut placées et de personnalités qui, grâce à leur situation, bénéficient de la richesse, des relations puissantes, de l'influence et du pouvoir. Il faut les exploiter de toutes les manières, leur faire perdre pied, les rendre bredouilles, et en faire ses esclaves en mettant la main sur leurs vils secrets. Leur influence, leurs relations, leur pouvoir, leurs richesses et leur force deviendront ainsi un trésor inépuisable et un puissant secours pour les organisations révolutionnaires.
    - La quatrième catégorie comprend les hommes d'État ambitieux et les libéraux de toute nuance. Il est permis de conspirer en leur compagnie et selon leur programme, en faisant semblant de leur obéir aveuglément, tandis qu'en réalité on les asservit, on s'empare de leurs secrets, on les compromet définitivement, afin de leur couper la retraite et jeter le trouble dans l'État par leur entremise.
    - La cinquième catégorie comprend les doctrinaires, les conspirateurs et les révolutionnaires, se livrant à des vaines palabres dans les cercles politiques et dans leurs écrits. Il faut sans cesse les pousser, les entraîner, les obligeant à faire des déclarations concrètes et dangereuses, dont le résultat sera la faillite définitive de la majorité et l'éducation révolutionnaire de quelques-uns.
    - La sixième catégorie, fort importante, comprend les femmes, qu'il faut diviser en trois sous-catégories : les unes légères, stupides et sans âme, dont on pourra user de même que de la troisième et de la quatrième catégorie des hommes; les autres - passionnées, dévouées, mais n'étant pas des nôtres, parce qu'elles n'ont pas encore élaboré une conception réelle, pratique et sans phrases de la cause révolutionnaire. Il faudra en tirer parti de même que des hommes de la cinquième catégorie. Enfin, les femmes qui sont entièrement des nôtres, c'est à dire pleinement initiées et ayant accepté l'ensemble de notre programme. Celles-ci sont nos camarades, et nous devons les envisager comme notre plus précieux trésor, car nous ne saurions nous en passer.

    ATTITUDE DE LA CONFRÉRIE ENVERS LE PEUPLE
    - La Confrérie n'a pas d'autre but que l'entière libération et le bonheur du peuple - c'est-à-dire des travailleurs. Mais convaincue que cette libération et ce bonheur ne sont possibles qu'au moyen d'une révolution populaire qui balayerait tout sur son passage, la Confrérie contribuera de toutes ses forces et de toutes ses ressources au développement et à l'extension des souffrances qui épuiseront la patience du peuple et le pousseront à un soulèvement général.
    - La Confrérie n'entend pas sous "révolution populaire" un mouvement réglé selon les idées de l'Occident, et qui s'arrêterait respectueusement devant la propriété et les traditions de l'ordre social, et devant ce qu'on appelle la civilisation et la moralité. Ce genre de mouvement s'est borné jusqu'ici à renverser une forme politique, afin de la remplacer par une autre et de créer l'État dit révolutionnaire. Seule peut être salutaire au peuple une révolution qui détruira jusqu'aux racines de l'État, et supprimera toutes les traditions, les classes et l'ordre même existant en Russie.
    - Aussi, la Confrérie n'a nulle intention d'imposer au peuple une organisation venant d'en haut. La future organisation sera sans aucun doute élaborée par le mouvement et la vie populaire elle-même - mais c'est là l'affaire des générations futures. Notre oeuvre à nous est une destruction terrible, entière, générale et implacable.
    - Aussi, en cherchant un rapprochement avec le peuple, nous devons tout d'abord nous joindre aux éléments populaires qui, depuis la fondation de l'État moscovite, n'ont pas cessé de protester non seulement en paroles, mais en actes, contre tout ce qui est lié directement et indirectement au pouvoir : la noblesse, les fonctionnaires, les corporations, le commerçant exploiteur. Joignons-nous aux brigands hardis, qui sont les seuls véritables révolutionnaires de la Russie.
    - Fondre ces bandes en une force invincible qui détruira tout sur son passage - telle sera l'œuvre de notre organisation, de notre conspiration, tel sera notre but.

    [​IMG] Frédéric STACKELBERG : Le premier devoir de la prochaine Révolution, son to be or not to be, est la suppression de l'armée.
    L'armée a été de tous temps l'école de la dépravation et du meurtre, un moyen de défense nationale absolument inefficace, le plus abominable instrument de répression dans les mains des dirigeants, en un mot, l'antithèse vivante de la République et de la Démocratie.

    Une révolution économique n'est pas une invasion.
    La guerre ou l'invasion étrangère ne mettent pas la forme de production, le tréfonds propriétaire de la société en question et trouvent généralement pour la défense du pays ou du territoire envahi l'unanimité des nationaux d'accord. Tandis que la grève générale ou généralisée tendrait à rompre le cadre traditionnel des nationalités, dans lequel nos seigneurs et maîtres ont jusqu'ici parqué le bétail humain, pour mettre internationalement en présence, sur un champ de bataille encore inédit, les salariés et les possédants.

    La prochaine révolution prolétarienne et internationale, sous peine de faillir à sa mission et de voir ses défenseurs étouffés dans le sang, devra briser le cercle vicieux de la production capitaliste.
    La prise de possession et la mise en commun du sol et des instruments de production rendra le peuple travailleur maître des incalculables richesses que recèle la Terre.
    Ces richesses, mises égalitairement à la disposition de tous, suffiront, dès le début de la Révolution, à assurer une large aisance à chacun.

    Nous n'avons pas la prétention de dire ce que sera, dans ses détails, la prochaine Révolution et comment elle procédera. Cela dépendra des événements, que nous ne saurions prévoir, et de la force de résistance qu'offrira la réaction. Néanmoins il n'est pas téméraire d'affirmer que la clef de voûte de la société nouvelle est dans la prise de possession totale du sol et des instruments de production par les travailleurs et que seule l'organisation communiste de la distribution des richesses assurera, avec la fin du salariat, l'émancipation intégrale du Travail.

    Il n'appartient à personne ni de préciser l'heure ni de tracer de programme à la prochaine Révolution qui sera l'aboutissant fatal de l'évolution économique et de la pensée matérialiste du dix-neuvième siècle.
    Tout ce que nous pouvons dès maintenant affirmer avec certitude, c'est que l'action révolutionnaire sera nécessairement appelée à porter simultanément ses coups de hache sur l'ensemble des institutions de la société actuelle.
    Pour que l'expropriation capitaliste et l'organisation de la production communiste sur la base de l'équivalence des fonctions puisse s'effectuer pleinement, il est indispensable que l'Armée, l'Église et la Magistrature disparaissent dans la tourmente révolutionnaire.
    L'énorme dépense que nécessite ce service répressif de la bourgeoisie pourra, avec les ressources qui sont actuellement distraites au travail par le payement de la rente, être intégralement utilisée, dès le lendemain de la victoire populaire, pour la Socialisation de l'Éducation et la Retraite ouvrière.

    [​IMG] Errico MALATESTA : En abolissant le gouvernement et la propriété individuelle, la révolution ne créera pas de forces qui n'existent pas. Mais elle laissera à toutes les forces et à toutes les capacités qui existent le champ libre pour se déployer ; elle détruira toute classe intéressée à maintenir les masses dans l'abrutissement ; et elle fera en sorte que chacun pourra agir et avoir une influence en proportion de ses capacités et conformément à ses passions et à ses intérêts.

    La cause de la révolution, la cause de l'élévation morale des travailleurs et de leur émancipation ne peuvent que gagner du fait que les ouvriers s'unissent et luttent pour leurs intérêts.

    Nous luttons pour l'anarchie et pour le socialisme parce que nous pensons que l'anarchie et le socialisme doivent se réaliser immédiatement ; autrement dit nous pensons que, dans l'acte même de la révolution, il faut chasser le gouvernement, abolir la propriété et confier tous les services publics - l'ensemble de la vie sociale, dans ce cas-là - à l'action spontanée, libre, non officielle ni autorisée de tous les intéressés et de tous les volontaires.

    Nous ne savons pas si la prochaine révolution verra le triomphe de l'anarchie et du socialisme ; mais ce qui est certain, c'est que si des programmes prétendus de compromis devaient triompher, ce serait parce que nous aurions été vaincus, cette fois, et non pas parce que nous aurions cru utile de laisser en vie une partie de ce système mauvais sous lequel l'humanité gémit.

    L'insurrection victorieuse est le fait le plus efficace pour l'émancipation populaire, parce que le peuple, après avoir rompu le joug, devient libre de se donner les institutions qu'il croit les meilleures. La distance, qu'il y a entre la loi (toujours retardataire) et le niveau de civisme auquel est parvenue la masse de la population, peut-être franchie d'un saut. L'insurrection détermine la révolution, c'est-à-dire l'activité rapide des forces latentes accumulées durant l'évolution précédente.
    Tout dépend de ce que le peuple est capable de vouloir.
    Dans les insurrections passées, le peuple, inconscient des véritables causes de ses maux, a toujours voulu bien peu et a obtenu bien peu.
    Que voudra-t-il dans les prochaines insurrections ?
    Cela dépend en grande partie de la valeur de notre propagande et de l'énergie que nous saurons déployer.
    Nous devrons inciter le peuple à exproprier les possédants et à mettre en commun leurs biens, à organiser la vie sociale lui-même, par des associations librement constituées, sans attendre l'ordre de personne, à refuser de nommer ou de reconnaître un gouvernement quelconque et tout corps constitué (Assemblée, Dictature, etc.) qui s'attribuerait, même à titre provisoire, le droit de faire la loi et d'imposer aux autres leur volonté par la force.
    Si la masse du peuple ne répond pas à notre appel, nous devrons, au nom du droit que nous avons d'être libres même si les autres veulent demeurer esclaves, et pour montrer l'exemple, appliquer le plus possible nos idées : ne pas reconnaître le nouveau gouvernement, maintenir vive la résistance, faire que les communes, où nos idées sont reçues avec sympathie, repoussent toute ingérence gouvernementale et continuent à vivre à leur manière.
    Nous devrons surtout nous opposer par tous les moyens à la reconstitution de la police et de l'armée, et profiter de toute occasion propice pour inciter les travailleurs à utiliser le manque de forces répressives pour imposer le maximum de revendications.
    Quelle que soit l'issue de la lutte, il faut continuer à combattre sans répit, les possesseurs, les gouvernants, en ayant toujours en vue l'émancipation complète économique et morale de toute l'humanité.

    On parle souvent de révolution et on croit par ce mot résoudre toutes les difficultés. Mais que doit être, que peut être cette révolution à laquelle nous aspirons?
    Abattre les pouvoirs constitués et déclarer déchu le droit de propriété, c'est bien : une organisation politique peut le faire... et encore, il faut que cette organisation, en dehors de ces forces, compte sur la sympathie des masses et sur une suffisante préparation de l'opinion publique.
    Mais après? La vie sociale n'admet pas d'interruptions. Durant la révolution ou l'insurrection, comme on voudra, et aussitôt après, il faut manger, s'habiller, voyager, imprimer, soigner les malades, etc., et ces choses ne se font pas d'elles-mêmes. Aujourd'hui le gouvernement et les capitalistes les organisent pour en tirer profit, lorsqu'ils auront été abattus, il faudra que les ouvriers le fassent eux-mêmes au profit de tous, ou bien ils verront surgir, sous un nom ou un autre de nouveaux gouvernants et de nouveaux capitalistes.
    Et comment les ouvriers pourraient-ils pourvoir aux besoins urgents s'ils ne sont pas déjà habitués à se réunir et à discuter ensemble des intérêts communs et ne sont pas déjà prêts, d'une certaine façon, à accepter l'héritage de la vieille société?
    Dans une ville où les négociants en grain et les patrons boulangers auront perdu leurs droits de propriété et, donc, l'intérêt à approvisionner le marché, dès le lendemain il faudra trouver dans les magasins le pain nécessaire à l'alimentation du public. Qui y pensera si les ouvriers boulangers ne sont pas déjà associés et prêts à travailler sans les patrons et si en attendant la révolution, ils n'ont pas pensé par avance à calculer les besoins de la ville et les moyens d'y pourvoir?
    Nous ne voulons pas dire pour autant que pour faire la révolution, il faut attendre que tous les ouvriers soient organisés. Ce serait impossible, vu les conditions du prolétariat, et heureusement ce n'est pas nécessaire. Mais il faut du moins qu'il y ait des noyaux autour desquels les masses puissent se regrouper rapidement, dès qu'elles seront libérées du poids qui les opprime. Si c'est une utopie de vouloir faire la révolution seulement lorsque nous serons tous prêts et d'accord, c'en est une plus grande encore que de vouloir la faire sans rien et personne. Il faut une mesure en tout. En attendant, travaillons pour que les forces conscientes et organisées du prolétariat s'accroissent autant que possible. Le reste viendra de lui-même.

    [​IMG] Jean GRAVE : Bien souvent on a comparé la révolution sociale à une invasion de barbares venant infuser un sang nouveau et régénérateur au monde bourgeois anémié. Nous sommes, en effet, les barbares de son luxe inutile, de sa politesse raffinée artificielle, basée sur le mensonge. Nous voulons détruire sur notre passage tout ce qui constitue une entrave à la libre expansion de l'individu ; mais loin de vouloir faire reculer la civilisation, c'est un idéal plus grand, plus généreux et plus naturel que nous lui apportons.
    Seulement comme une société ne se retourne pas comme un gant, nous savons que cet idéal ne peut se réaliser du jour au lendemain, nous savons, que, pour se traduire en faits, il faut que la révolution soit préparée par une période évolutive. Et c'est pour imprimer notre idéal à cette évolution que nous ne voulons pas apporter de restrictions à notre programme, que nous voulons le développer et essayer de le réaliser dans toute son intégralité.
    D'autre part, la société égalitaire que nous désirons, ne peut s'imposer. Elle doit être la résultante libre de la libre évolution de tous. Il faudra donc que ceux qui formeront la minorité agissante qui doit entraîner la masse dans son évolution, soient bien conscients de ce qu'ils voudront pour que le nouvel ordre puisse s'établir par la seule force des choses, sans coercition.
    A chaque obstacle renversé, doit surgir une action nouvelle nous rapprochant du but entrevu. L'initiative individuelle doit, graduellement, remplacer les rouages politiques mis hors d'usage. Il ne faut donc pas avoir crainte de remuer trop d'idées, mais peur, au contraire de ne pas en remuer assez.
    C'est beaucoup plus facile de dire aux individus qu'ils sont malheureux, qu'ils sont exploités, opprimés, et qu'ils ne doivent plus souffrir l'arbitraire, l'exploitation, se révolter contre l'état de choses qui les réduits à la misère.
    Outre que les individus ne se révoltent pas parce qu'on les y incite du haut d'une tribune ou par la voie d'un morceau de papier, ils savent bien qu'ils sont misérables et exploités (sans même que l'on ait besoin de le leur dire), on ne les convainc pas davantage de la nécessité d'une transformation sociale.

    Pour que s'opère la véritable transformation sociale où ne seront plus possibles l'autorité et l'exploitation, il faut changer les conceptions des individus, et cela n'est possible qu'en leur développant sans cesse les idées telles que nous les comprenons, jusqu'à ce qu'ils se les soient assimilées.

    Les révolutions passées ont avorté parce que les travailleurs ignoraient, parce qu'ils ne voyaient que le présent, se laissant escamoter l'avenir, n'ayant pas su le prévoir. La révolution économique qui se prépare doit avoir un lendemain. Il ne faut pas que la société qui aura été disloquée par la commotion puisse se reformer sous une nouvelle étiquette.
    Et pour cela, à côté de la propagande qui dit aux individus qu'ils ont le droit de se révolter contre ce qui les entrave, il faut celle, ardente et continue qui leur enseigne comment ils sont exploités, comment ils l'empêcheront.
    Une révolution qui n'aurait que pour objectif (et c'est ce qui est à craindre avec une propagande qui se contente de faire appel au ventre, sans le cerveau) que de faire main-basse sur les produits accumulés, et de jouir sur le tas de tout ce dont ils ont été sevrés depuis toute leur existence, cette révolution risquerait fort de n'être qu'une immense saoûlerie sans être une révolution sociale ; car, une fois gavés les inconscient se laisseraient encore berner par les phraseurs et les ambitieux.

    Peut-être, la prochaine révolution ne réalisera t-elle pas tout ce que nous désirons. Peut-être ? Nous n'en savons rien ; qui peut prévoir ce que nous réserve l'avenir ? Elle sera ce que seront les individus qui l'accompliront. Mais en tous cas, elle doit apporter une amélioration sur l'état présent. Pour qu'elle ait des effets durables, il faut qu'elle apporte des réalisations immédiates et des soulagements aux meurts-de-faim, qu'ils s'emparent de tout ce dont ils auront besoin, mais qu'ils sachent aussi s'organiser pour en continuer la production, en supprimant les intermédiaires parasites.
    Il faut que ces idées leur soient fourrées dans le cerveau pendant la phase préparatoire. Si nous ne voulons pas, après une orgie de quelques heures, nous trouver à nouveau enchaînés pour des années, il nous faut nous exercer à être conscients.

    [​IMG] Caroline REMY : Il est rare, très rare même, qu'on naisse révolutionnaire, hors le milieu bourgeois. On le devient.
    Dans le peuple, la conception, l'éducation, préparent au servage ; l'anémie physique, résultant de l'excès de travail, d'une hygiène lamentable, de privations incessantes, entraîne l'anémie cérébrale ; l'anémie cérébrale enfante la résignation...
    Que si, par hasard, les parents, créatures d'élite, ont sauvé du naufrage leur patrimoine intellectuel, ce ne peut être qu'au prix d'efforts inouïs, en raison d'une lutte constante, au péril de leur vie !
    La femme, être plus faible, moins cuirassée d'orgueil, atteinte davantage - car elle est l'intermédiaire souvent malmené entre l'homme et la vie matérielle ; car, intendante de celui-ci, elle se trouve la débitrice indirecte de celle-là ; car elle assume toutes les responsabilités si elle ne supporte pas toutes les charges ; car elle encourt tous les affronts, tandis que le mâle s'en va au loin gagner ou chercher la pâture, plus las, moins humilié - la femme, dis-je, se soumet plus vite, courbe le front la première... ne serait-ce que pour pleurer !
    Le militant, hypnotisé par son rêve, s'irrite, crie à la défection ; des mots aigres sont échangés, qu'écoutent, sans les comprendre, les enfants interdits ; les enfants portés d'instinct vers celle qui les a nourris, qui parle en leur nom ; portés d'instinct aussi vers les réalités de l'existence, la soupe chaude, le dodo frais, en naïfs petits animaux qu'ils sont.
    Si bien que l'Idée - l'Idée avec majuscule - devient pour eux une espèce de fée méchante qui vide les assiettes ; chipe les bas de laine ; joue toutes sortes de vilains tours aux mômes ; rend la maman triste et le papa furieux. C'est elle qui lui fait retirer son ouvrage ; qui est cause qu'on a froid, qu'on a faim, que le propriétaire donne congé, qu'il arrive de méchants types qui, après avoir tout mis sens dessus dessous, emmènent le père, menottes aux mains... comme un voleur !
    Parfois, on ne le revoit plus ! Il navigue, aux frais de l'État, vers quelque bagne d'où l'on ne revient guère, d'où l'on ne revient point ! Ou, si c'est au moment des vastes fratricides, il est tué en quelque émeute, dans le tas ; sans qu'on sache au juste où.
    La mère alors, couveuse angoissée, ramène tous ses poussins sous elle ; trime seule pour subvenir à leur becquée ; se tue à la peine - mais leur inspire, par l'exemple de son malheur et de son dévouement, la crainte des "errements" paternels. Dans la quiète chaleur de sa tendresse, ils reprennent vie et confiance. Plus tard, ils voudront eux aussi que ceux dont elle sera l'aïeule connaissent cette douceur tiède sans avoir passé par les affres du début.
    Je le répète, il est peu de familles où se transmettent, intactes, les traditions de résistance, de lutte à mort, de combat sans trêve ni merci. Dans les états-majors (et encore !) on cite quelque cas d'hérédité. Il y a là, à mon avis, peut-être moins atavisme qu'héritage ; legs d'un renom dont on s'honore ou qu'on se croit obligé de maintenir.
    Mais la grande masse !... Si tous les fils, toutes les filles, des trente mille fusillés de la Commune, se retrouvaient, au 28 mai, devant le mur du Père-Lachaise, le cimetière ne serait pas assez large pour les contenir !

    Le recrutement s'opère autrement : par la génération spontanée, pourrait-on dire ; tant les fleurs de représailles éclosent en des jardinières où l'on ne s'attendait pas à les rencontrer !
    Alors que l'enfant de misère, né comme je l'ai dit d'atrophiés intellectuels - parce que le surmenage use leur cerveau comme la netteté de leur vision, comme la paume de leur main - ou né de rebelles (c'est-à-dire ayant pâti de la rébellion avant que de pouvoir la comprendre, donc à jamais éloigné d'elle) - alors que cet enfant-là ne sera un combatif que si la société l'y force, voici que, dans les berceaux cossus, germe, semée là par on ne sait quelle tourmente, la race des révoltés.
    Il se passe en ce moment, voyez-le, identiquement le même phénomène qui marqua la fin de l'autre siècle. Il est bien porté de se dire socialiste, aujourd'hui, dans les salons du Tiers-État, comme il y a cent ans, tout gentilhomme de bonne marque et de bel esprit, se piquant d'élégance, devait s'affirmer encyclopédiste, dans les salons de l'aristocratie.
    Les dieux aveuglent ceux qu'ils veulent perdre, dit le vieil Euripide... Chaque classe, à tour de rôle, ausculte le volcan qui la doit engloutir.
    Et, de même que la révolution de 1789 fut faite, fut suscitée plutôt, au profit de la bourgeoisie, par les réfractaires, les irréguliers de la noblesse, de même, en avant de la révolution plébéienne, forçant le passage, il n'est que rejetons bourgeois.
    Comment en sont-ils venus là ? Qui les y a poussés ? A quel sein de pauvresse ont-ils tété le goût des larmes ; et la rancœur de la bile, de tous les poisons qui leur font les joues si creuses, le teint si pâle, à ces enfants "bien nés" ? Nul n'en sait rien. Ils ont, sans qu'on sache pourquoi, renoncé à leurs prérogatives, à leur privilèges - étranges adolescents qui semblent tous éclos dans la nuit du 4 août ! La nature paraît leur avoir donné une ombre différente de leur geste ; doué leur ouïe d'un écho différent de leur voix. Au rire, répond un sanglot ; la joyeuse mimique est décomposée, sur le mur, en une série de mouvements tristes, disant la fatigue et le désespoir.
    Tout petits, ils ont vu cela (visible à leurs yeux) et ils sont devenus graves, songeant, lorsqu'ils mangeaient, que d'autres avaient faim. Alors, le contentement ambiant, la joie de vivre éclatant autour d'eux, tout ce bien-être, leur est devenu abominable. Ils ont taxé d'égoïsme l'inconscience de qui ne partageait point leur mal ; ils ont méprisé leur père, ingrats malgré eux - et ils sont partis à l'aventure vers les sphères basses où ils se sentaient le devoir d'agir !
    La caste qu'ils abandonnaient n'a rien fait pour les ramener à elle, pour modérer leur action. Elle n'a point compris que ces déserteurs portaient aux pauvres leur bagage d'audace ; leurs armes d'instruction ; toute la force dont elle les avait investis, dans le but contraire ; tout le fond de ses arsenaux !
    Elle les a traités en ennemis, d'emblée ; dès la première insubordination. Et l'autorité paternelle, au sens légal du mot, a fait, à elle seule, plus d'anarchistes que toute la propagande en bloc !...
    Envers ceux qui n'étaient point de son sang, la bourgeoisie a agi de même, également implacable, également illogique, également préparatrice de sa propre destruction. Sur ces indifférents, dont je parlais tout à l'heure, elle a, à propos d'une vétille, une bêtise, un rien, une querelle de gamin avec un agent, frappé si fort qu'elle a cessé de frapper juste. De neutres, elle fait des adversaires - elle crée des troupes à ses fils !

    [​IMG] PARAF-JAVAL : La révolution se fera quand les hommes cesseront d'abdiquer leur activité.
    La révolution se fera quand les hommes cesseront de déléguer leurs pouvoirs, quand ils cesseront de se nommer des maîtres, quand ils cesseront de permettre à des gens pareils à eux de dire : «Vous m'avez donné le droit d'agir pour vous».
    L'autorité tombera le jour où les hommes cesseront de se l'imposer à eux-mêmes, le jour où ils cesseront de créer des catégories de privilégiés, de gouvernants, d'oppresseurs.
    La révolution commencera au moment précis où les hommes abandonneront la politique.
    Toutes les révolutions ont été des moments où les hommes ont abandonné la politique, où ils se sont occupés eux-mêmes de leur sort.
    Tout homme qui abandonne la politique commence la révolution, car il reprend son activité abdiquée jusque là.

    [​IMG] Francisco FERRER : ... nous croyons, comme le manifeste de la Fédération barcelonaise du 23 février 1886, que le but final de la Révolution embrasse ces trois termes :
    - 1) Dissolution de l'État.
    - 2) Expropriation des détenteurs du patrimoine universel.
    - 3) Organisation de la société sur la base du travail pour tous ceux qui seront aptes à la production ; distribution rationnelle du produit du travail ; assistance à tous ceux qui ne seront pas encore aptes à la production ou qui ont cessé de l'être ; éducation physique et scientifique intégrale aux futurs producteurs.

    [​IMG] Ricardo MELLA : La révolution est un absolutisme inévitable, absolutisme des lois naturelles, sans lequel le progrès serait vide de sens. Une montagne, une éruption volcanique surgissent soudain au milieu de la mer à cause d'un absolutisme de 1a nature, une révolution de la matière. De semblables révolutions changent également la société sans qu'aucune force et aucun obstacle ne puisse l'éviter. La vie humaine justifie, donc, pleinement la vérité selon laquelle les rénovations sont une nécessité de la loi générale de l'évolution, des phases ou des accidents de l'évolution elle-même qui en devenant consciente brise toutes les entraves, tous les freins qu'on lui oppose et complète le développement libre des sociétés.
    On peut également dire que les révolutions sont les points culminants qui déterminent la courbe de l'évolution, les diverses altitudes qui marquent le passage de cette courbe en modifiant la monotonie du plan. Toute secousse est précédée par une période rapide d'initiation qui est comme le terme de la courbe évolutive, comme la fin de la trajectoire parcourue par de multiples ondulations. La révolution détermine la hauteur maximum du perfectionnement, du progrès et du développement. Elle brise les dernières couches qui résistent à l'évolution. Elle annihile tous les forces opposées au progrès. Elle rend, enfin, possible et variable le progrès humain.
    Ainsi, ce que les hommes de science ne font pas, ce sont les hommes de parti qui le mènent à bien, ceux qui se passionnent pour l'idéal, ceux qui mettent non seulement leur intelligence, mais aussi leur force au service des aspirations modernes, ce qui constitue un nouvel aspect de l'évolution, le plus important assurément, car par là même elle devient consciente et révolutionnaire, ce qui prouve une fois de plus notre affirmation selon laquelle les révolutions sont des accidents nécessaires de l'évolution.

    [​IMG] Han RYNER : Le sage est-il révolutionnaire ?
    L'expérience prouve au sage que les révolutions n'ont jamais de résultats durables. La raison lui dit que le mensonge ne se réfute pas par le mensonge et que la violence ne se détruit pas par la violence.

    [​IMG] Georges DARIEN : Autrefois, quand on était las et dégoûté du monde, on entrait au couvent; et lorsqu'on avait du bon sens, on y restait. Aujourd'hui, quand on est las et dégoûté du monde, on entre dans la révolution, et lorsqu'on est intelligent, on en sort..

    [​IMG] Adolphe RETTÉ : Rien désormais ne peut empêcher la révolution sociale d'éclater. Aveugle qui ne la voit pas venir.
    Une des causes les plus déterminantes de la révolution, ce sera le machinisme. Nous assistons en effet à ce singulier phénomène : la machine produisant davantage et en moins de temps que le travail manuel devrait être un moyen de développer le bien-être général. Or, grâce au régime de propriété individuelle, il en va tout autrement. A mesure qu'une nouvelle machine est inventée qui per met de produire plus vite, beaucoup et avec moins d'efforts, les salariés qu'elle supplée voient leur salaire, déjà insuffisant, se réduire encore - à moins qu'on ne les congédie. Mal rétribués ou mis sur le pavé, ils consomment moins. Et, comme ils sont le plus grand nombre, on aboutit à ce bizarre résultat que : plus la production augmente, plus la consommation diminue. En outre, la concurrence entre salariés, se portant sur un nombre d'emplois beaucoup moindre, devient de plus en plus désespérée. Déjà dévorés par les riches qui jetteraient leurs marchandises à l'eau plutôt que de leur abandonner le surplus de la production, ils se dévorent encore entre eux. Et naturellement, chaque jour, le nombre des sans-travail augmente.

    Bernard LAZARE : L'heure est telle que, désormais, le capital, comme le travail, sont des agents de révolution.

    Fernand PELLOUTIER : Personne ne croit ou n'espère que la prochaine Révolution, si formidable qu'elle doive être, réalise le communisme anarchiste pur. Par le fait qu'elle éclatera, sans doute, avant que soit achevée l'éducation anarchiste, les hommes ne seront point assez mûrs pour pouvoir s'ordonner absolument eux-mêmes, et longtemps encore les exigences des caprices étoufferont en eux la voix de la raison. Par conséquent (l'occasion est bonne pour le dire), si nous prêchons le communisme parfait, ce n'est ni avec la certitude ni même avec l'esprit que le communisme sera la forme sociale de demain ; c'est pour avancer, approcher le plus possible de la perfection, l'éducation humaine, pour avoir, en un mot, le jour venu de la conflagration, atteint le maximum d'affranchissement. Mais l'état transitoire à subir doit-il être nécessairement, fatalement la geôle collectiviste ? Ne peut-il consister en une organisation libertaire limitée exclusivement aux besoins de la production et de la consommation, toutes institutions politiques ayant disparu ? Tel est le problème qui, depuis de longues années, préoccupe et à juste titre beaucoup d'esprits.
    Or, qu'est-ce que le syndicat ? Une association, d'accès ou d'abandon libre, sans président, ayant pour tout fonctionnaire un secrétaire et un trésorier révocables dans l'instant, d'hommes qui étudient et débattent des intérêts professionnels semblables. Que sont-ils, ces hommes ? Des producteurs, ceux-là mêmes qui créent toute la richesse publique. Attendent-ils, pour se réunir, se concerter, agir, l'agrément des lois ? Non : leur constitution légale n'est pour eux qu'un amusant moyen de faire de la propagande révolutionnaire avec la garantie du gouvernement, et d'ailleurs combien d'entre eux ne figurent pas et ne figureront jamais sur l'annuaire officiel des syndicats ? Usent-ils du mécanisme parlementaire pour prendre leurs résolutions ? Pas davantage : ils discutent, et l'opinion la plus répandue fait loi, mais une loi sans sanction, exécutée précisément parce qu'elle est subordonnée à l'acceptation individuelle, sauf le cas, bien entendu, où il s'agit de résister au patronat. Enfin, s'ils nomment à chaque séance un président, un délégué à l'ordre, ce n'est plus que par l'effet de l'habitude car, une fois nommé, ce président est parfaitement oublié et oublie fréquemment lui-même la fonction dont ses camarades l'ont investi.
    Laboratoire des luttes économiques, détaché des compétitions électorales, favorable à la grève générale avec toutes ses conséquences, s'administrant anarchiquement, le syndicat est donc bien l'organisation à la fois révolutionnaire et libertaire qui pourra seule contrebalancer et arriver à réduire la néfaste influence des politiciens collectivistes. Supposons maintenant que, le jour où éclatera la Révolution, la presque totalité des producteurs soit groupée dans les syndicats : n'y aura-t-il pas là, prête à succéder à l'organisation actuelle, une organisation quasi libertaire, supprimant de fait tout pouvoir politique, et dont chaque partie, maîtresse des instruments de production, réglerait toutes ses affaires : elle-même, souverainement et par le libre consentement de ses membres ? Et ne serait-ce pas "l'association libre des producteurs libres" ? (ASO-1895)

    La Révolution sociale doit donc avoir pour objectif de supprimer la valeur d'échange, le capital qu'elle engendre, les institutions qu'elle crée. Nous partons de ce principe que l'œuvre révolutionnaire doit être de libérer également et simultanément les hommes et toute autorité, et de toute institution qui n'a pas essentiellement pour but le développement de la production matérielle et intellectuelle. Par conséquent, nous ne pouvons imaginer la société future (société transitoire, car, si vive que soit notre imagination, le progrès l'est plus encore, et demain peut-être notre idéal présent nous paraîtra bien vulgaire), nous ne pouvons imaginer la Société future que comme l'association volontaire, libre, des producteurs. (OCA-1896)

    Emma GOLDMAN : Ce ne sont pas seulement le bolchevisme, le marxisme et l'étatisme qui sont fatals à la révolution ainsi qu'au progrès vital de l'humanité. La principale cause de la défaite de la révolution russe est beaucoup plus profonde. Elle réside dans la conception socialiste de la révolution elle-même.
    La conception dominante, la plus répandue, de la révolution - particulièrement chez les socialistes - est que la révolution provoque un violent changement des conditions sociales au cours duquel une classe sociale, la classe ouvrière, devient dominante et triomphe d'une autre classe, la classe capitaliste. Cette conception est centrée sur un changement purement matériel, et donc implique surtout des manœuvres politiques en coulisse et des rafistolages institutionnels. La dictature de la bourgeoisie est remplacée par la "dictature du prolétariat" - ou celle de son "avant-garde", le Parti communiste. Lénine prend la place des Romanoff, le cabinet impérial est rebaptisé Conseil des commissaires du peuple, Trotsky est nommé ministre de la Guerre et un travailleur devient gouverneur militaire général de Moscou. Voilà à quoi se réduit, essentiellement, la conception bolchevik de la révolution, du moins lorsqu'elle est mise en pratique. Et, à quelques détails près, c'est aussi l'idée de la révolution que partagent les autres partis socialistes.
    Cette conception est, par nature, fausse et vouée à l'échec. La révolution est certes un processus violent. Mais si elle n'aboutit qu'à une nouvelle dictature, à un simple changement des noms et des personnalités au pouvoir, alors elle n'a aucune utilité. Un résultat aussi limité ne justifie pas tous les combats, les sacrifices, les pertes en vies humaines et les atteintes aux valeurs culturelles provoquées par toutes les révolutions. Si une telle révolution amenait un plus grand bien-être social (ce qui n'a pas été le cas en Russie), elle ne vaudrait pas davantage le terrible prix à payer; on peut améliorer la société sans avoir recours à une révolution sanglante. Le but de la révolution n'est pas de mettre en place quelques palliatifs ni quelques réformettes.
    L'expérience de la révolution russe a puissamment renforcé ma conviction que la grande mission de la révolution, de la RÉVOLUTION SOCIALE, est un changement fondamental des valeurs sociales et humaines. Les valeurs humaines sont encore plus importantes parce qu'elles fondent toutes les valeurs sociales. Nos institutions et nos conditions sociales reposent sur des idées profondément ancrées. Si l'on change ces conditions sans toucher aux idées et valeurs sous-jacentes, il ne s'agira alors que d'une transformation superficielle, qui ne peut être durable ni amener une amélioration réelle. Il s'agit seulement d'un changement de forme, pas de substance, comme la Russie l'a tragiquement montré.

    Rien n'est plus faux que de croire que les objectifs et les buts sont une chose, les méthodes et les tactiques une autre. Cette conception menace gravement la régénération sociale. Toute l'expérience de l'humanité nous enseigne que les méthodes et les moyens ne peuvent être séparés du but ultime. Les moyens employés deviennent, à travers les habitudes individuelles et les pratiques sociales, partie intégrante de l'objectif final; ils l'influencent, le modifient, puis les fins et les moyens finissent par devenir identiques. Dès le premier jour de mon retour en Russie je l'ai senti, d'abord de façon vague, puis de plus en plus clairement et consciemment. Les grands objectifs qui inspiraient la Révolution ont été tellement obscurcis par les méthodes utilisées par le pouvoir politique dominant qu'il est devenu difficile de distinguer entre les moyens temporaires et l'objectif final. Sur le plan psychologique et social, les moyens influencent nécessairement les objectifs et les modifient. Toute l'histoire de l'humanité prouve que, dès que l'on se prive des méthodes inspirées par des concepts éthiques on s'enfonce dans la démoralisation la plus aiguë. Telle est la véritable tragédie de la philosophie bolchevik appliquée à la révolution russe. Espérons que l'on saura en tirer les leçons.
    Aucune révolution ne deviendra jamais un facteur de libération si les MOYENS utilisés pour l'approfondir ne sont pas en harmonie, dans leur esprit et leur tendance, avec les OBJECTIFS à accomplir. La révolution représente la négation de l'existant, une protestation violente contre l'inhumanité de l'homme envers l'homme et les milliers d'esclavages qu'elle implique. La révolution détruit les valeurs dominantes sur lesquelles a été construit un système complexe d'injustice et d'oppression, reposant sur l'ignorance et la brutalité. La révolution est le héraut de NOUVELLES VALEURS, car elle débouche sur la transformation des relations fondamentales entre les hommes, ainsi qu'entre les hommes et la société. La révolution ne se contente pas de soigner quelques maux, de poser quelques emplâtres, de changer les formes et les institutions, de redistribuer le bien-être social. Certes, elle fait tout cela, mais elle représente plus, beaucoup plus. Elle est d'abord et avant tout LE VECTEUR d'un changement radical, PORTEUR de valeurs NOUVELLES. Elle ENSEIGNE UNE NOUVELLE ÉTHIQUE qui inspire l'homme en lui inculquant une nouvelle conception de la vie et des relations sociales. La révolution déclenche une régénération mentale et spirituelle.
    Son premier précepte éthique est l'identité entre les moyens utilisés et les objectifs recherchés. Le but ultime de tout changement social révolutionnaire est d'établir le caractère sacré de la vie humaine, la dignité de l'homme, le droit de chaque être humain à la liberté et au bien-être. Si tel n'est pas l'objectif essentiel de la révolution, alors les changements sociaux violents n'ont aucune justification. Car des bouleversements sociaux externes peuvent être, et ont été, accomplis dans le cadre du processus normal de l'évolution. La révolution, au contraire, ne signifie pas seulement un changement externe, mais un changement interne, fondamental, essentiel. Ce changement interne des conceptions et des idées, se diffuse dans des couches sociales de plus en plus larges, pour finalement culminer dans un soulèvement violent qu'on appelle une révolution. Une telle apogée peut-elle inverser le changement radical de valeurs, se retourner contre lui, le trahir? C'est ce qui s'est produit en Russie. La révolution doit accélérer et approfondir le processus dont elle est l'expression cumulative; sa principale mission est de l'inspirer, de l'emporter vers de plus grandes hauteurs, de lui donner le maximum d'espace pour sa libre expression. Ce n'est que de cette façon que la révolution est fidèle à elle-même.

    En pratique, cela signifie que la prétendue "étape transitoire" doit introduire de nouvelles conditions sociales. Elle représente le seuil d'une NOUVELLE VIE, de la nouvelle MAISON DE L'HOMME ET DE L'HUMANITE. Elle doit être animée par l'esprit de la nouvelle vie, en harmonie avec la construction du nouvel édifice.
    Aujourd'hui engendre demain. Le présent projette son ombre très loin dans le futur. Telle est la loi de la vie, qu'il s'agisse de l'individu ou de la société. La révolution qui se débarrasse de ses valeurs éthiques pose les prémices de l'injustice, de la tromperie et de l'oppression dans la société à venir. Les moyens utilisés pour préparer l'avenir deviennent sa pierre angulaire. Il suffit d'observer la tragique condition actuelle de la Russie. Les méthodes de la centralisation étatique ont paralysé l'initiative et l'effort individuels; la tyrannie de la dictature a effrayé le peuple, l'a plongé dans une soumission servile et a totalement éteint la flamme de la liberté; la terreur organisée a corrompu et brutalisé les masses, étouffant toutes les aspirations idéalistes; le meurtre institutionnalisé a déprécié le prix de la vie humaine; toutes les notions de dignité humaine, de valeur de la vie ont été éliminées; la coercition a rendu chaque effort plus dur, transformant le travail en une punition; la vie sociale se réduit désormais à une succession de tromperies mutuelles, les instincts les plus bas et les plus brutaux de l'homme se sont à nouveau réveillés. Triste héritage pour commencer une nouvelle vie fondée sur la liberté et la fraternité.
    On ne soulignera jamais assez que la révolution ne sert à rien si elle n'est pas inspirée par son idéal ultime. Les méthodes révolutionnaires doivent être en harmonie avec les objectifs révolutionnaires. Les moyens utilisés pour approfondir la révolution doivent correspondre à ses buts. En d'autres termes, les valeurs éthiques que la révolution infusera dans la nouvelle société doivent être disséminées par les activités révolutionnaires de la "période de transition". Cette dernière peut faciliter le passage à une vie meilleure mais seulement à condition qu'elle soit construite avec les mêmes matériaux que la nouvelle vie que l'on veut construire. La révolution est le miroir des jours qui suivent; elle est l'enfant qui annonce l'Homme de demain..

    Gustav LANDAUER : La révolution concerne toute la vie sociale des hommes. C'est-à-dire non seulement l'État, le système des ordres, les institutions religieuses, la vie économique, les courants spirituels et leurs expressions, l'art la culture et l'instruction, mais un amalgame de toutes ces représentations de la vie sociale, mélange qui se trouve pendant un certain laps de temps dans un état particulier de stabilité qui fait autorité. Ce mélange général et englobant de la vie sociale en état de stabilité relative, donnons-lui le nom de topie.
    La topie est à l'origine de tout bien-être, de toute satiété er de toute faim, de toute demeure et de toute absence d'abri ; la topie organise toutes les affaires de la vie collective des hommes, mène des guerres contre l'extérieur, exporte et importe, ferme ou ouvre les frontières. La topie forme l'esprit er la stupidité, habitue au savoir-vivre et au vice, crée bonheur er malheur, satisfaction et insatisfaction ; la topie intervient aussi avec vigueur dans des domaines qui ne lui appartiennent pas: la vie privée et la famille. Les frontières sont fluctuantes entre vie individuelle er existence familiale, d'une part, et topie, d'autre part.
    La stabilité relative de la topie se transforme progressivement jusqu'à atteindre le point d'équilibre instable.
    C'est l'utopie qui est à l'origine de ces transformations dans la stabilité de la condition de la topie. L'utopie n'est pas à l'origine une partie du domaine de la vie sociale, mais elle relève du domaine de la vie individuelle. Par utopie, nous comprenons un mélange d'aspirations individuelles et de tendances de la volonté qui sont toujours présentes de manière hétérogène et indépendante, mais qui, dans un moment de crise, et à travers une forme de délire enthousiaste, s'unifient et s'organisent en unité de vie collective ;

    Émile HENRY : Nous estimons, quand à nous, que les actes de brutale révolte comme ceux qui se sont produits, et qui sont l'origine de la polémique engagée entre « anarchistes » ou « terroristes » - style Merlino -, nous estimons que ces actes-là portent juste, car ils réveillent la masse, la secouent d'un violent coup de fouet, et lui montrent le côté vulnérable de la Bourgeoisie, toute tremblante encore au moment ou le Révolté marche à l'échafaud.
    Nous comprenons parfaitement que tous les anarchistes n'aient pas le tempérament d'un Ravachol.
    Chacun de nous a une physionomie et des aptitudes spéciales qui le différencient de ses compagnons de lutte.

    Plus nous aimons la liberté et l'égalité, plus nous devons haïr tout ce qui s'oppose à ce que les hommes soient libres et égaux.
    Aussi, sans nous égarer dans le mysticisme, nous posons le problème sur terrain de la réalité et nous disons :
    Il est vrai que les hommes ne sont que le produit des institutions ; mais ces institutions sont des choses abstraites qui n'existent que tant qu'il y a des hommes de chair et d'os pour les représenter. Il n'y a donc qu'un moyen d'atteindre les institutions ; c'est de frapper les hommes ; et nous accueillons avec bonheur tous les actes énergiques de révolte contre la société bourgeoise, car nous ne perdons pas de vue que la Révolution ne sera que la résultante de toutes ces révoltes particulières.

    Anton PANNEKOEK : La révolution prolétarienne ne consiste pas seulement à détruire le pouvoir capitaliste. Elle exige aussi que l'ensemble de la classe ouvrière émerge de sa situation de dépendance et d'ignorance pour accéder à l'indépendance et pour bâtir un monde nouveau.

    Ricardo FLORES MAGON : Du haut de son piton rocheux, le Vieux Vautour scrute l'horizon. La clarté, qui commence à dissiper les sombres nuages amassés par le crime, l'inquiète. Dans la pâleur du paysage se dessine la silhouette d'un géant : l'insurrection.
    …Le Vieux Vautour lisse rageusement ses plumes ébouriffées par le tourbillon des souvenirs. Il se refuse à lire dans le passé les causes de la révolution. Sa conscience de charognard justifie la mort. Il y a des cadavres ? Sa pitance est assurée.
    Ainsi vivent les classes dirigeantes, de la souffrance et de la mort des classes dirigées. Pauvres et riches, opprimés et despotes, égarés par l'habitude et les usages ancestraux, considèrent cette situation absurde comme naturelle.
    Un jour pourtant, un des esclaves tombe sur un journal libertaire. Il y lit comment le riche abuse du pauvre par la force ou par la ruse. L'esclave se met à réfléchir et en conclut qu'aujourd'hui comme hier, seul compte le rapport de force. Il devient alors un rebelle. On ne saurait combattre la force par de beaux raisonnements, mais bien par la violence. Le droit à la révolte pénètre les consciences. Le mécontentement grandit, le malaise devient insupportable. La contestation éclate et tout s'embrase. On respire alors un air vivifié par les effluves de la révolte. Les esprits sont saturés, et l'horizon commence à s'éclaircir. Du haut de son rocher, le Vieux Vautour est à l'affût. Plus une plainte, plus un soupir ni même un sanglot ne montent des plaines. C'est une clameur, un rugissement. Le rapace s'épouvante en baissant l'œil : on n'aperçoit plus le moindre dos courbé, le peuple s'est levé.
    Glorieux instant qui voit un peuple entier se redresser ! Ce n'est plus un troupeau d'agneaux brûlés par le soleil, ni une foule sordide d'esclaves résignés. C'est une horde de rebelles qui se lance à la conquête de la terre. Une terre qui renoue avec la noblesse puisque ce sont les hommes, enfin, qui la foulent.
    Le droit à la révolte est intangible. À chaque obstacle qui entrave la vie, il faut y recourir. Révolte ! " crie le papillon rompant le cocon qui l'emprisonne. Révolte ! " crie le bourgeon en déchirant l'enveloppe qui l'enferme. Révolte ! " crie le nouveau-né en déchirant les entrailles maternelles. " Révolte ! " clame enfin le peuple soulevé pour écraser tyrans et exploiteurs.
    La révolte, c'est la vie ; et la soumission, c'est la mort. Y a-t-il des rebelles au sein du peuple ? Alors la vie est possible, ainsi que l'art, les sciences et l'industrie.
    De Prométhée à Kropotkine, les révoltés ont été les moteurs de l'humanité. Le dépassement qui caractérise les instants privilégiés de l'histoire, c'est la révolte. Sans elle, le genre humain se traînerait encore dans cette lointaine pénombre que les historiens appellent l'âge de pierre. Sans elle, les peuples seraient encore à genoux devant les principes spécieux du droit divin. Sans elle, ils seraient depuis longtemps égarés dans les brumes de l'idéologie. Sans elle, notre merveilleuse Amérique continuerait de dormir sous la protection des océans mystérieux. Sans elle, on verrait encore l'austère silhouette de cette insulte au genre humain qu'était la Bastille.

    Nous sommes ici, la torche de la Révolution dans une main et le Programme du Parti Libéral dans l'autre, pour annoncer la guerre. Nous ne sommes pas des messagers de paix : nous sommes des révolutionnaires. Nos bulletins de vote seront les balles que tireront les fusils. A partir de maintenant, les mercenaires du despote ne trouveront plus la poitrine nue du citoyen exerçant ses fonctions civiques, mais les baïonnettes de rebelles prompts à rendre coup pour coup.
    Il serait insensé de répondre par la loi à qui ne la respecte pas ; il serait absurde de brandir le Code pour nous défendre des agressions du poignard et de la "loi de fuite". Ils appliquent la loi du Talion ? Appliquons-la nous aussi ! Ils veulent nous soumettre à coups de fusil ? Écrasons-les nous aussi, à coups de fusils !
    Maintenant, au travail. Que les lâches se retirent : nous n'en voulons pas ; seuls les braves peuvent s'enrôler pour faire la révolution.
    Nous, nous demeurons à notre poste de combat. La souffrance nous a rendus plus forts et plus décidés : nous sommes prêts aux plus grands sacrifices. Nous venons dire au peuple mexicain que le jour de sa libération est proche. Devant nous s'étend l'aurore splendide d'un jour nouveau ; à nos oreilles résonne la rumeur de la tempête salvatrice, qui ne va pas tarder à se déchaîner : c'est d'une part l'esprit révolutionnaire qui fermente, et de l'autre la patrie tout entière qui est un volcan prêt à cracher le feu qui couve dans ses entrailles. "Plus de paix", c'est le cri des braves ; mieux vaut la mort que cette paix infâme. La crinière des futurs héros flotte au vent, aux premiers souffles de la tragédie qui s'approche. Un courant de guerre, fort, âcre et sain, revigore le milieu amolli. L'apôtre de la conspiration annonce d'oreille en oreille comment et quand se déclenchera la tourmente. Les fusils attendent impatients le moment où ils sortiront de leur cachette pour étinceler, hautains, sous le soleil des combats.

    Prolétaires : n'oubliez pas que vous allez être le nerf de la révolution; allez vers elle non pas comme le troupeau qu'on mène à l'abattoir, mais comme des hommes conscients de tous leurs droits. Allez au combat; entrez résolument dans l'épopée; la gloire attend avec impatience que vous brisiez vos chaînes sur les crânes de vos bourreaux.

    Albert LIBERTAD : Ne pas attendre la révolution. Les prometteurs de révolution son des farceurs comme les autres. Fais ta révolution toi-même.

    Erich MÜHSAM : Le chemin de l'anarchie passe d'abord par la préparation de la révolution. Elle se fait de trois façons différentes : par la propagande, qui met en évidence la nature condamnable de l'état des choses, appelle à sa suppression et à la création d'un état de choses souhaitable ; par l'auto-éducation, qui fait naître l'intention de changer des institutions reconnues mauvaises, et par la lutte. Rien, dans la théorie anarchiste, n'exclut qui que ce soit de la participation à la préparation de la révolution, s'il ne s'en exclut lui-même par son comportement. Les anarchistes communistes sont toutefois persuadés - et ils s'accordent sans doute en général sur ce point - que l'on ne peut réclamer l'abolition des mauvaises organisations et institutions de ceux qui les ont créées ou en tirent profit, mais que toute émancipation est l'affaire de ceux qui portent les chaînes de la servitude. Le combat contre les droits de propriété doit être mené par ceux auxquels la propriété est refusée, le combat contre l'exploitation et l'oppression par les exploités et les opprimés, le combat contre les droits des maîtres par les esclaves et ceux qui ont été dépouillés de leurs droits. L'égalité des droits, la réciprocité et l'autodétermination en proportion de la conscience sociale devront être élaborées dans la lutte par ceux aux dépens desquels s'exercent les conséquences de l'inégalité et des privilèges, des agissements des autorités et de l'égoïsme asocial. L'émancipation de la société par rapport à l'État devra donc être principalement l'œuvre de la classe pour la répression de laquelle le système capitaliste a besoin de l'État et dont la docilité est entretenue par l'autorité de l'Église et de l'école, par les structures de pouvoir de la famille patriarcale et du mariage monogamique, par l'accoutumance aux formes d'organisation centralisées faites pour créer des séparations et des antagonismes dans tous les domaines de la vie, par l'entretien de l'arrogance nationale et raciale, par les lois, les châtiments, les impôts, le chômage, la faim, la misère, le mauvais air, la tutelle et l'avilissement. Se libérer de l'État, c'est se libérer de la servitude de classe, et c'est la classe asservie qui doit être le moteur de la lutte de libération. Et c'est pourquoi le combat pour l'anarchisme communiste doit être mené, durant la période de la préparation à la révolution, en tant que lutte de classe.

    La révolution sociale est un processus de longue haleine, qui commence avec la victoire sur le pouvoir dominant et ne prend fin que lorsque l'ordre de la liberté a pénétré tous les rapports économiques et humains. Il faut pour cela que soit garantie dès la première heure la confiance de l'ensemble du peuple travailleur dans les porteurs de la volonté révolutionnaire et leur énergie. Les masses sans conviction qui affluent vers les partis politiques parlementaires lors des élections dépendent de circonstances variables, elles sont ballottées entre les influences politiques et économiques, déconcertées par des atmosphères capricieuses, des flatteries et des calomnies tapageuses. La conquête fortuite d'une majorité qui ne participe pas au véritable combat, en vue de soutenir un groupe qui s'efforce de dominer les autres, ne signifie pas - même si le groupe en question promet le socialisme - que les indifférents entrent dans la lutte. Toute démocratie des chiffres n'est que violence faite à ceux qui agissent par ceux qui n'agissent pas. Affirmer que les travailleurs sont déjà la force agissante de la société, qu'ils ont déjà une formation et une volonté socialistes suffisantes, assez de confiance en eux et de jugement critique pour mesurer correctement l'effet de leur bulletin de vote, est un mensonge et une duperie.
    L'immense majorité des travailleurs et de ceux qui sont exclus des richesses n'a aucune confiance en elle-même ; ses membres ont également très peu de confiance envers ceux qu'ils n'investissent du pouvoir que parce qu'ils ne croient pas avoir le droit de s'estimer capables de tenir eux-mêmes leurs affaires en ordre. L'influence de l'autorité les décourage de tenter eux-mêmes des entreprises émancipatrices, mais cette même autorité leur a aussi appris à ne pas tolérer les audaces émancipatrices des autres. C'est pourquoi les couches extrêmement nombreuses qui ne prennent pas directement part au combat constituent un immense danger pour une victoire sociale de la révolution politique. En effet, la victoire définitive ne pouvant être acquise contre la volonté de cette majorité, la révolution est inconditionnellement à la merci de sa tolérance, ne fût-elle qu'attentiste. Aussi est-il nécessaire de répondre d'abord à la passivité de ceux qui craignent que, comme lors de chaque changement, le bouleversement en cours ne leur soit aussi une nouvelle charge. Mais il faut obtenir en outre l'approbation puis, peu à peu, le soutien actif des indifférents. Il faut leur faire comprendre que leur vote pour les dirigeants par lesquels ils veulent être gouvernés, loin de manifester une conviction, ne fait que mettre leur absence de conviction, tel un escabeau, à la disposition de leurs oppresseurs. Il faut qu'ils se rendent compte que l'activité de chaque individu dans la vie sociale sert ses propres intérêts. En effet, aussi longtemps que des impuissants prieront des assoiffés de pouvoir de les gouverner, la révolution n'aura même pas créé les conditions de sa victoire.

    La révolution politique brise le pouvoir des exploiteurs. Son arme la plus puissante, la grève générale, entraîne la paralysie complète de l'économie, ce qui fournit aux masses la preuve que toute la puissance du capital ne peut donner du pain, si les mains des prolétaires ne sont pas disposées à servir. Mais dès le moment où la révolution a triomphé, c'est-à-dire conquis la possibilité de disposer de l'appareil public, elle a le devoir vis-à-vis de la masse dans l'expectative de montrer que le peuple travailleur est vraiment en mesure de créer tout ce qui est nécessaire à la vie, tout à fait indépendamment des pouvoirs capitalistes. D'où la tâche pour les anarchistes, si faibles que soient encore leurs organisations, de prendre les précautions nécessaires. L'apparition du drapeau rouge du prolétariat sur les bâtiments d'État est le signe que la responsabilité de l'approvisionnement des masses passe désormais à la révolution. Il faut tout avoir calculé et disposé à l'avance pour que, immédiatement après la fin de la grève générale, le pain, la viande, les légumes, le lait soient prêts pour chaque table, les fortifiants et les médicaments pour chaque enfant et chaque malade. La nécessaire satisfaction de tous les besoins vitaux ne doit pas être différée d'une heure ; c'est seulement si elle y parvient que la révolution jouira de la popularité générale, sans laquelle elle succombera fatalement aux coups de la contre-révolution ou à sa falsification par une centrale du pouvoir. Elle réussira, si la campagne est gagnée à sa cause et si des accords sont conclus avec les paysans sur la façon d'organiser le ravitaillement des villes par les villages, selon les conditions locales respectives. Un tel accord avec les paysans et le prolétariat rural suppose que la population des campagnes est convaincue de l'honnêteté des révolutionnaires et n'a pas de raisons de soupçonner que les citadins la considèrent comme un mal nécessaire, avec lequel on doit ruser. Il suppose également qu'existent des conceptions révolutionnaires préconisant non pas la confiscation, mais la remise de leurs terres aux paysans, et qu'ils ne soient pas livrés à la domination de nouveaux pouvoirs à la place des anciens pouvoirs d'État, mais décident d'eux-mêmes, indépendamment d'organes législatifs centraux, des questions de la répartition des terres et de leur culture. L'anarchisme tenant, contrairement au marxisme, la révolution agraire pour la condition de la transformation industrielle et sociale et s'accordant dans une large mesure avec la mentalité paysanne dans sa répugnance à l'égard des décrets des autorités, de l'arrogance des chefs et de tout centralisme, un champ d'activités fécondes s'ouvre ici à ses partisans. Il leur revient de gagner les paysans à la révolution et d'obtenir qu'ils restent dévoués à la cause libertaire, d'assurer les liens de camaraderie entre la ville et la campagne et l'assistance mutuelle au moment de l'épreuve révolutionnaire, faisant ainsi de leur mieux pour que la confiance dans l'esprit de justice sociale de la révolution victorieuse lui vaille dès le début la bienveillance, puis l'appui des masses indifférentes.

    L'idée enfantine selon laquelle il suffirait à la révolution, pour réaliser le passage au socialisme, que les ouvriers occupent les entreprises et poursuivent tout simplement leurs activités sous leur propre direction, est aussi absurde que dangereuse. Certes, l'occupation des entreprises est un excellent moyen de lutte dans l'intervention immédiate, mais avant le bouleversement révolutionnaire et dans ce but. Une fois la révolution faite, il est besoin de procéder à une transformation complète de l'économie. L'aménagement et l'organisation des entreprises de toute catégorie sont, dans les conditions du capitalisme, adaptés exclusivement aux calculs de profit des entrepreneurs. On ne s'y soucie pas des désirs des hommes, des exigences de justice et de raison ni de la santé et de la vie des travailleurs et des consommateurs. Le besoin n'y est pris en considération que dans la mesure où il détermine un débit des marchandises assurant un profit aux apports de capitaux. Le mode de production s'oriente lui aussi, en ce qui concerne l'acquisition des matières premières, la fabrication en grande série de pièces détachées, le traitement des semi-produits, l'expédition etc., sur des accords boursiers. Ce qu'il advient de la marchandise ne dépend pas des souhaits du consommateur, mais des spéculations des fabricants, des intermédiaires et des bailleurs de fonds. Une économie semblable, une économie qui n'assurera jamais à la majorité des hommes, du début à la fin de leur vie, une alimentation et une santé convenables, alors que les entrepôts croulent sous le poids de biens d'usage indispensables mais invendables ; une économie, qui d'un côté fait à la lettre mourir de faim des millions de gens sans travail et de l'autre brûle les plus importants produits alimentaires, les déverse dans la mer, les laisse pourrir dans les granges ou les utilise comme engrais - une telle économie ne peut être tout simplement reprise en charge et continuée : elle doit être transformée de fond en comble. Préparer cette transformation relève du travail pratique immédiat des révolutionnaires libertaires.

    Charles D'AVRAY :
    Face au danger devoir exige
    En ce monde de fripouillards,
    Si tu veux garder ton prestige
    A notre lutte il te faut prendre part.
    Gueule bien fort, halte, halte au fascisme!
    Un dictateur, c'est la coercition,
    Au nom sacré de notre Idéalisme:
    Arme ton bras, fais la Révolution!

    Debout ! Debout ! compagnons de misère,
    L'heure est venue, il faut nous révolter,
    Que le sang coule et rougisse la terre,
    Mais que ce soit pour notre liberté.
    C'est reculer que d'être stationnaire,
    On le devient de trop philosopher.
    Debout ! Debout ! Vieux révolutionnaire
    Et l'anarchie enfin va triompher,
    Debout! Debout! Vieux révolutionnaire
    Et l'anarchie enfin va triompher.

    VOLINE : Toute révolution - même étudiée de près par de nombreux auteurs de tendances diverses, et à des époques différentes - reste, au fond, une grande Inconnue. Des siècles passent et, de temps à autre, viennent des hommes qui, fouillant les vestiges des anciens bouleversements, y découvrent encore et toujours des faits et des documents inédits. Souvent, ces découvertes renversent nos connaissances et nos idées que nous supposions définitives. Combien d'ouvrages sur la Révolution française de 1789 existaient déjà lorsque Kropotkine et Jaurès décelèrent dans ses décombres des éléments jusqu'alors ignorés qui jetèrent sur l'époque une lumière insoupçonnée ! Et Jaurès ne convint-il pas que les immenses archives de la Grande Révolution étaient à peine exploitées ?
    Généralement, on ne sait pas encore étudier une Révolution (comme on ne sait pas encore écrire l'histoire d'un peuple). Par ailleurs, des auteurs, bien qu'expérimentés et consciencieux, commettent des erreurs et de fâcheuses négligences qui interdisent au lecteur une juste compréhension des choses. On se donne, par exemple, la peine de fouiller à fond et d'exposer abondamment les faits et les phénomènes frappants : ceux qui se sont déroulés au grand jour, à la bruyante "foire révolutionnaire", mais on méprise et on ignore ceux qui se sont passés dans le silence, aux profondeurs de la Révolution, en marge de la "foire". A la rigueur, on leur accorde quelques mots en passant, en se basant sur de vagues témoignages dont l'interprétation est, le plus souvent, erronée ou intéressée . Et ce sont, précisément, ces faits cachés qui importent et jettent une vraie lumière sur les événements et même sur l'époque,
    D'autre part, les sciences-clefs des phénomènes de la Révolution - l'économie, la sociologie, la psychologie - sont présentement incapables, en raison de leur état rudimentaire, de comprendre et d'expliquer convenablement ce qui s'est passé.
    Ce n'est pas tout. Même du point de vue du "reportage" pur, combien de lacunes ! Dans le formidable tourbillon de la Révolution, une multitude de faits, engloutis par d'énormes crevasses qui s'ouvrent et se referment à tout instant, restent introuvables, peut-être à jamais. Ceux qui vivent une Révolution, ces millions d'hommes qui, d'une façon ou d'une autre, sont emportés par l'ouragan, se soucient, hélas ! fort peu de noter, pour les générations futures ce qu'ils ont vu, su, pensé ou vécu.
    Enfin, il existe encore une raison que je souligne particulièrement : à quelques exceptions près, les rares témoins qui laissent des notes, et aussi MM. les Historiens, sont d'une partialité écœurante. Chacun cherche et trouve à volonté, dans une Révolution, des éléments qui peuvent étayer une thèse personnelle ou être utiles à un dogme, à un parti, à une caste. Chacun cache et écarte soigneusement tout ce qui peut y contredire. Les révolutionnaires eux-mêmes, divisés par leurs théories, s'efforcent de dissimuler ou défigurer ce qui ne s'accorde pas exactement avec telle ou telle doctrine.
    Ne parlons pas d'un nombre déconcertant d'ouvrages qui, tout simplement, ne sont pas sérieux.
    En somme, qui donc chercherait à établir uniquement la vérité ? Personne ou presque. Quoi d'étonnant qu'il existe, sur une Révolution, à peu près autant de versions que de livres, et qu'au fond la vraie Révolution demeure inconnue ?
    Et pourtant, c'est cette Révolution cachée qui porte en elle les germes du bouleversement futur. Quiconque pense le vivre d'une façon active, ou veut simplement en suivre les événements avec clairvoyance, se doit de "découvrir" et de scruter cette Inconnue. (RI-1947)

    Un problème fondamental nous est légué par les révolutions précédentes: j'entends surtout celle de 1789 et celle de 1917; dressées pour une grande partie contre l'oppression, animées d'un souffle puissant de liberté et proclamant la liberté comme leur but essentiel, pourquoi ces révolutions sombrèrent-elles dans une nouvelle dictature exercée par d'autres couches dominatrices et privilégiées, dans un nouvel esclavage des masses populaires ? (RI-1947)

    MAURICIUS : Que l'illégalisme soit dangereux et que, loin de libérer l'individu, il le conduise en cours d'assises, c'est possible. Mais toute révolte est dangereuse, et la révolution,c'est-à-dire l'illégalisme en masse comporte des dangers dont le moindre est une balle dans la peau.
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    Pierre ARCHINOV : L'anarchisme révolutionnaire fut le seul courant politico-social à prôner l'idée d'une révolution sociale auprès des ouvriers et des paysans, tant durant la Révolution de 1905 que dès les premiers jours de la Révolution de 1917. En fait le rôle qu'il aurait pu remplir, était colossal, ainsi que les moyens de lutte employés par les masses elles-mêmes.
    De même, aucune théorie politico-sociale n'aurait pu se fondre aussi harmonieusement avec l'esprit et l'orientation de la Révolution. Les interventions d'orateurs anarchistes en 1917 étaient écoutées avec une confiance et une attention rares par les travailleurs.
    Il aurait pu sembler que l'union du potentiel révolutionnaire des ouvriers et des paysans, et de la puissance idéologique et tactique de l'anarchisme, représenterait une force à laquelle rien n'aurait pu s'opposer. Malheureusement, cette fusion n'eut pas lieu.
    Des anarchistes isolés menèrent parfois une activité révolutionnaire intense au sein des travailleurs, mais il n'y eut pas d'organisation anarchiste de grande ampleur pour mener des actions plus suivies et coordonnées (en dehors de la Confédération du Nabat et de la Makhnovchtchina en Ukraine).
    Seule, une telle organisation aurait pu lier idéologiquement les anarchistes et les millions de travailleurs. Alors que, pendant une période révolutionnaire aussi importante et privilégiée, les anarchistes se bornèrent pour la plupart, à des activités limitées de petits groupes, ne sortirent pas de leur coquille groupusculaire, au lieu de s'orienter vers des actions et des mots d'ordre politiques de masse.
    Ils préférèrent se noyer dans la mer de leurs querelles intestines, ne tentèrent pas une seule fois de poser et de résoudre le problème d'une politique et d'une tactique communes de l'anarchisme. (GT-1927)

    Nestor MAKHNO : Révolte-toi, frère opprimé ! Insurge-toi contre tout pouvoir de l'État ! Détruis le pouvoir de la bourgeoisie et ne le remplace pas par celui des socialistes et des bolcheviks-communistes. Supprime tout pouvoir d'État et chasse ses partisans, car tu ne trouveras jamais d'amis parmi eux.

    anarchiste révolutionnaire à l'opprimé. Insurge-toi et supprime tout pouvoir sur toi et en toi. Et ne participe pas à en créer un nouveau sur autrui. Sois libre et défends la liberté des autres contre toutes atteintes !"

    Le seul et le plus sûr moyen qui s'offre à l'opprimé dans sa lutte contre le mal qui l'enchaîne, c'est la révolution sociale, rupture profonde et avancée vers l'évolution humaine. Bien que la révolution sociale se développe spontanément, l'organisation déblaie sa voie, facilite l'apparition de brèches parmi les digues dressées contre elle et accélère sa venue. L'anarchiste révolutionnaire travaille dès maintenant à cette orientation. Chaque opprimé qui tient sur lui le joug, en étant conscient que cette infamie écrase la vie du genre humain, doit venir en aide à l'anarchiste. Chaque être humain doit être conscient de sa responsabilité et l'assumer jusqu'au bout en supprimant de la société tous les bourreaux et parasites de l'union des "cinq", afin que l'humanité puisse respirer en toute liberté. Chaque homme et surtout l'anarchiste révolutionnaire - en tant qu'initiateur appelant à lutter pour l'idéal de liberté, de solidarité et d'égalité - doit se rappeler que la révolution sociale exige pour son évolution créatrice des moyens adéquats, en particulier des moyens organisationnels constants, notamment durant la période où elle détruit, dans un élan spontané, l'esclavage, et sème la liberté, en affirmant le droit de chaque homme à un libre développement illimité.
    C'est précisément la période où, ressentant la véritable liberté en eux et autour d'eux, les individus et les masses oseront mettre en pratique les conquêtes de la révolution sociale, que celle- ci éprouvera le plus grand besoin de ces moyens organisationnels. Par exemple, les anarchistes révolutionnaires ont joué un rôle particulièrement remarquable lors de la révolution russe mais, ne possédant pas les moyens d'action nécessaires, n'ont pu mener à terme leur rôle historique. Cette révolution nous a, d'ailleurs, bien démontré la vérité suivante: après s'être débarrassé des chaînes de l'esclavage, les masses humaines n'ont nullement l'intention d'en créer de nouvelles.

    Louis LECOIN : Si un bon révolutionnaire doit demeurer insensible à la souffrance qu'il voit ou devine, je suis un mauvais révolutionnaire car ce n'est pas moi qui souhaiterai jamais que les régimes abhorrés accumulent plus d'horreurs pour pouvoir rassembler plus d'arguments contre eux.
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    Augustin SOUCHY : Les expériences de révolutions sociales du 20e siècle sont plus riches d'enseignement que les idéologies socialistes du 19e siècle. Aujourd'hui, nous savons qu'un ordre économique uniforme introduit par décret révolutionnaire n'amène pas l'émancipation sociale des classes ou des peuples exploités. Le but du socialisme antiautoritaire - le bien-être général, liberté individuelle et collective, respect de la dignité humaine - ne peut être atteint ni par la violence ni par des programmes autoritaires, car l'homme n'est pas une brique, l'ordre social n'est pas une pyramide immuable. Le bonheur social ne peut être ordonné par des capitaines officiant depuis leur passerelle, il doit être forgé jour après jour par des groupes compétents et des hommes engagés socialement et politiquement. (Les organisations internationales de la classe ouvrière ne doivent pas dicter des lignes de conduite, elles peuvent seulement servir de lieu d'échange d'expérience et d'élaboration de projets de travail pour la réconciliation entre les peuples).

    D'après mes connaissances historiques et mes propres expériences pratiques, aucune révolution ne peut résoudre une fois pour toutes l'ensemble des misères du monde. La Révolution française, qui abolit le féodalisme et la monarchie absolue ne put empêcher l'avènement de l'exploitation capitaliste. La Révolution russe renversa le tsarisme mais les nouveaux dirigeants érigèrent un système hiérarchique, un capitalisme d'État et une police politique, un régime qui aujourd'hui encore, confisque toute liberté au peuple et laisse subsister l'inégalité sociale.
    La Révolution mexicaine mit fin à trente ans de dictature et de domination militaire. Ce fut unique en Amérique. Elle créa les conditions pour une juste répartition des terres entre les paysans et produisit la législation du travail la plus avancée du monde. Elle ne put cependant empêcher les profiteurs et les vainqueurs de corrompre les idéaux révolutionnaires. C'est la mission des générations suivantes de combattre sans répit les nouveaux maux par l'initiative populaire, et si la voie pacifique n'y suffit pas, de les faire disparaître par de nouvelles révolutions. C'est ainsi que cela se passa jusqu'ici, et tout laisse à penser que cela ne sera pas autrement dans un prochain avenir. Le pendule de l'histoire balancera toujours entre liberté et autorité.

    La thèse trotskiste de la "révolution permanente" n'est qu'un slogan sophiste - le terme venait de Karl Marx - ; il n'y a jamais eu dans l'Histoire de situation permanente et révolutionnaire. Les révolutions éclatent lorsque l'âme populaire se soulève face à une situation politique, économique, sociale ou nationale devenue insupportable. Les révolutions s'achèvent avec la disparition des énergies collectives. Ce fut le cas pour la jeune Révolution portugaise. Il est impossible de prédire la profondeur, la durée, le contenu et la signification des révolutions.
    Au début je croyais à la toute puissance de la Révolution ; plus tard j'appris à en connaître les limites. Deux phases apparaissent dans le développement révolutionnaire : d'abord la suppression de tous les pouvoirs, puis l'instauration d'un nouveau pouvoir révolutionnaire. Ce processus s'accomplit de manière violente et rarement sans effusion de sang.
    À quelques exceptions près, toutes les révolutions du 20e siècle arborent les deux visages de Janus : d'un côté la révolte libératrice, de l'autre la dictature oppressive. Les révolutionnaires parvenus au pouvoir se métamorphosent en dictateurs. De la Russie à Cuba. Si les marins de Kronstadt en 1921 avaient triomphé avec les socialistes révolutionnaires de gauche, les maximalistes, les syndicalistes et les anarchistes, alors vraisemblablement l'Union Soviétique serait aujourd'hui une République de Conseils authentique avec des collectivités économiques autonomes, une liberté politique, sans la honte des prisons, des camps de travail et de concentration, des enfermements psychiatriques pour opposants au régime.

    Gaston LEVAL : On trouve sous la plume de certains anarchistes, comme Élisée Reclus, ou d'autres moins célèbres, l'affirmation qu'il faut accomplir la révolution dans les cerveaux avant de l'accomplir dans les faits. Généralisée à cent pour cent, cette affirmation condamnerait notre espèce à un esclavage éternel. Il sera absolument impossible de libérer et d'éduquer mentalement tous ceux qui pourraient bénéficier d'une révolution sociale avant d'entreprendre cette révolution. Du moins, cette affirmation témoigne-t-elle d'une grande honnêteté, car ceux qui la font prouvent par là qu'ils n'aspirent pas à exploiter l'effort de libération du peuple quand il se produit.
    Mais l'affirmation opposée, qui prône exclusivement la révolution comme premier pas pour mener le peuple à la connaissance et à la capacité d'autogouvernement, est peut-être plus fausse encore. Elle est en outre généralement une tromperie, la révolution russe en est un exemple et la révolution française en fut un autre. L'une a mené à Lénine, monarque absolu, et à Staline, chef d'empire mongoloïde. L'autre, à Napoléon. Et si nous analysons l'histoire de la Commune, nous constatons une même incapacité populaire à prendre en charge la réorganisation de la société.
    Seule, la révolution espagnole ne déçoit pas trop. Non qu'elle ait été en tous points parfaite, mais parce que le bilan est beaucoup plus positif que négatif, parce que les réalisations constructives étonnantes par leur rapidité et leur réussite, ont été infiniment plus nombreuses que les échecs.

    Nous nous souvenons, en commençant, de deux phrases fameuses: "L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes" et "De la capacité politique de la classe ouvrière " (proclamée par Proudhon en donnant à ce mot "politique" le sens le plus large, c'est à dire révolutionnaire). Or, notre appartenance à la classe ouvrière, l'expérience que nous en avons, nous fait nous poser des questions. Combien de fois avons-nous lu des affirmations catégoriques sur l'aptitude de cette classe à résoudre, tous les problèmes que peut poser une révolution : problèmes industriels, problèmes, agraires, problèmes de distribution, problèmes financiers, problèmes humains de toutes sortes, problèmes concernant les matières premières, problèmes d'importations diverses, problèmes d'exportation, et pour cela de rapports internationaux, problèmes de l'instruction publique, problèmes…
    Plus je vais et plus je comprends l'immense complexité de ce que les révolutionnaires auraient à prendre en charge, les dimensions énormes des taches à accomplir.
    Et je comprends que le bouleversement auquel donnerait lieu l'action entreprise serait tel que les révolutionnaires seraient débordés et impuissants. En conséquence, j'arrive à la conclusion, que ce n'est que par des réalisations forcément limitées, mais coordonnées, et s'étendant dans le temps et dans l'espace que peut avoir lieu la transformation de la société.
    En cela je rejoins Proudhon, et je dois une fois de plus rappeler que Bakounine lui-même, qui est historiquement à nos yeux l'incarnation de la révolution, déclarait en 1874, dans une lettre écrite à Elisée Reclus "Oui, tu as raison, l'ère des révolutions est passée, et nous sommes entrés dans celle des évolutions".

    Buenaventura DURRUTI : Nous vous montrerons, à vous les bolcheviques russes et espagnols, comment on fait la révolution et comment on la mène à son terme. Chez vous, il y a une dictature, dans votre Armée rouge, il y a des colonels et des généraux, alors que dans ma colonne, il n'y a ni supérieur ni inférieur, nous avons tous les mêmes droits, nous sommes tous des soldats, moi aussi je suis un soldat.

    Jean BARRUÉ : Les dictionnaires donnent du mot révolution la définition suivante : changement violent du gouvernement d'un Etat. Et ils semblent ainsi ne considérer que les révolutions politiques, celles qui modifient seulement la forme de l'Etat et non la structure économique, celles qui touchent aux apparences et non aux réalités. Mais pour l'homme de 1970, le mot révolution évoque des images confuses le souvenir de 93 vient se mêler à celui d'Octobre 17, la Terreur jacobine trouve un écho dans les excès de la Commune. Un peu d'apocalypse sur fond d'incendies et de massacres...
    Débarrassée de ces oripeaux romantiques ou grand-guignolesques, la Révolution apparaît, pour ceux qui veulent transformer l'ordre économique et social, comme la crise brusque et violente qui détruira la vieille société et permettra la naissance de la société nouvelle. De 1830 à l'époque actuelle, telle fut la conception de tous ceux - penseurs et militants - qui se firent les apôtres de la transformation sociale et l'homme de la rue les englobes sous l'appellation révolutionnaires. Pour Marx, la violence est "l'accoucheuse de toute vieille société grosse d'une société nouvelle", et il écrit dans le "manifeste communiste" : "Les communistes déclarent ouvertement que leurs desseins ne peuvent être réalisés que par le renversement violent de tout l'ordre social traditionnel."
    Proudhon évoque maintes fois la liquidation générale du régime capitaliste, la nécessité d'une révolution sociale usant de la violence. Il écrira : Propriétaires défendez-vous ! il y aura des combats et des massacres, et, parlant de venger l'insurrection de juin 48, il considérera comme nécessaire de poser avec un redoublement d'énergie, avec une sorte de terrorisme, la question sociale. (AA-1970)

    Et nous autres, anarchiste de 1970, que pensons-nous de la Révolution ? Et tout d'abord précisons ce qu'elle n'est pas pour nous. La révolution n'est pas un prétexte à la violence verbale, à discours incendiaires, à articles véhéments. Ce n'est pas en criant : vive la Révolution ! qu'on hâtera sa venue, ni en la proclamant sur les mur, ni en brandissant des drapeaux rouges ou noirs Nous ne croyons pas au coup de force, aux prises d'armes comme on disait vers 1830, et ceci pour plusieurs raisons : 1) pratiquement, une minorité est impuissante devant l'énormité des forces de répression dont dispose le régime bourgeois et les coups de force du types blanquiste, déjà voués à l'échec il y a cent trente ans, sont maintenant impensables ; 2) il n'est pas question pour nous de prendre le pouvoir, d'instaurer une dictature imposant notre volonté (!) à des millions d'individus qu'on dresserait à l'obéissance par la terreur. Que des partis, se réclamant abusivement de la classe ouvrière, tentent cette sinistre aventure : libre à eux ! Mais nous ne serons pas à leur coté, ne voulant être ni complices, ni victimes de ces pseudo-révolutions. Nous savons trop bien que si pareille tentative réussissait, nous aurions le choix entre la prison ou le cimetière ; 3) la seule révolution qui nous intéresse, c'est celle voulue et réalisée par la classe ouvrière ayant pris conscience de sa mission, prête à prendre en mains ses destinées et ne remettant pas à un parti ou à un "Sauveur suprême" le soin d'organiser l'avenir. Si la classe ouvrière a pu convaincre le reste de la population active qu'elle ne poursuit pas des buts égoïstes mais qu'elle veut instaurer un régime économique rationnel fondé sur la liberté et l'égalité, alors l'affrontement final avec les privilégiés et les cadres du régime à abattre a des chances sérieuses d'entraîner la liquidation et la destruction de la vieille société.
    Peu après le coup de force blanquiste du 12 Mai 1839, Lemennais écrivait : " J'ai toujours été convaincu qu'une révolution n'est pas un coup de main et que, pour qu'elle se fasse dans les choses, il faut auparavant qu'elle soit faite dans les esprits. " Nous pouvons faite nôtre cette déclaration. Mais, dira, t-on, vous renvoyez la révolution aux calandres grecques, vous acceptez purement et simplement l'évolution. Certes, nous désirons voir évoluer la condition ouvrière vers plus de bien-être et de liberté. Nous pensons que toute réforme est un pas en avant, pourvu qu'elle soit le résultat de l'action directe d'une classe ouvrière consciente qui ne perde pas de vue l'essentiel de sa mission. Mais il est certain qu'aucune évolution indéfiniment pacifique ne conduira à la transformation radicale de la société et du régime actuel de production. Jamais la classe au pouvoir, même si elle cède sur des points de détail, ne capitulera sur les points fondamentaux. Un ultime affrontement sera nécessaire, et c'est bien pour cela qu'il convient de réunir le maximum de chances.
    Ces chances résultent de ce qui précède : travail d'organisation et d'étude. Il ne s'agit point de rester dans l'ignorance du présent en répétant inlassablement le catéchisme des grands principes ou d'appeler à grands cris la révolution sans se soucier de préparer l'avenir. Outre les tâches de propagande et de pénétration des idées libertaires dans les organisations propres de la classe ouvrière, il convient d'étudier les problèmes complexes de l'autogestion et du passage du régime économique à un autre suppose une connaissance sérieuse des problèmes techniques et le refus des improvisations irréfléchies qui conduiraient au pire désordre et très vite à l'arrêt de la production et de la distribution. Si nos idées ont une valeur pour l'avenir, elles doivent en avoir aussi pour le présent et nous devons favoriser ou créer tout groupement d'individus décidés à produire ou à consommer en dehors du cycle capitaliste. Telles étaient les idées qu'avait défendues en 1908 le socialisme libertaire Allemand Gustav Landauer en fondant l'union Socialiste, et qu'il avait exposées en 1911 dans son important ouvrage appel "au Socialisme", hélas ! à peu près inconnu en France. Il ne saurait être question ici de présenter en détail les idées de Landauer. Je citerai seulement quelques commentaires du militant bien connu de la C.N.T. espagnole, de Santillan : on ne pourra jamais atteindre à plus de liberté et de justice qu'il n'en existe dans le coeur des peuples et dans des grandes masses humaines.
    Ce qui importe donc, ce n'est pas la grande révolution de demain, mais la petite révolution qui se fait chaque heure et chaque jour, avec les moyens dont on dispose et autant que les circonstances le permettent. On peut toujours faire quelque chose de pratique, aussi peu que ce soit, et celui qui ne veut pas réaliser ce peu, possible aujourd'hui, pour se consacrer aux grands événements qui arriveront peut-être dans l'avenir, celui-là ne travaille ni pour l'avenir, ni pour le présent... Nous pensons avec Landauer que les grandes choses commencent toujours par les petites."
    Ces chances résultent de ce qui précède : travail d'organisation et d'étude. Il ne s'agit point de rester dans l'ignorance du présent en répétant inlassablement le catéchisme des grands principes ou d'appeler à grands cris la révolution sans se soucier de préparer l'avenir. Outre les tâches de propagande et de pénétration des idées libertaires dans les organisations propres de la classe ouvrière, il convient d'étudier les problèmes complexes de l'autogestion et du passage du régime économique à un autre suppose une connaissance sérieuse des problèmes techniques et le refus des improvisations irréfléchies qui conduiraient au pire désordre et très vite à l'arrêt de la production et de la distribution. Si nos idées ont une valeur pour l'avenir, elles doivent en avoir aussi pour le présent et nous devons favoriser ou créer tout groupement d'individus décidés à produire ou à consommer en dehors du cycle capitaliste. Telles étaient les idées qu'avait défendues en 1908 le socialisme libertaire Allemand Gustav Landauer en fondant l'union Socialiste, et qu'il avait exposées en 1911 dans son important ouvrage appel "au Socialisme", hélas ! à peu près inconnu en France. Il ne saurait être question ici de présenter en détail les idées de Landauer. Je citerai seulement quelques commentaires du militant bien connu de la C.N.T. espagnole, de Santillan : on ne pourra jamais atteindre à plus de liberté et de justice qu'il n'en existe dans le coeur des peuples et dans des grandes masses humaines.
    Ce qui importe donc, ce n'est pas la grande révolution de demain, mais la petite révolution qui se fait chaque heure et chaque jour, avec les moyens dont on dispose et autant que les circonstances le permettent. On peut toujours faire quelque chose de pratique, aussi peu que ce soit, et celui qui ne veut pas réaliser ce peu, possible aujourd'hui, pour se consacrer aux grands événements qui arriveront peut-être dans l'avenir, celui-là ne travaille ni pour l'avenir, ni pour le présent... Nous pensons avec Landauer que les grandes choses commencent toujours par les petites." (AA-1970)

    BA JIN : Amis du monde du travail, voyez combien serait libre une société débarrassée de tout pouvoir autoritaire ! Voyez combien elle serait égalitaire !
    Voulez-vous bâtir une telle société de liberté et d'égalité ?
    Eh bien, faites une révolution sociale, et finissez-en avec cette politique scélérate.
    Pour l'avènement d'une société de liberté et d'égalité, souhaitons que vous et vos amis vous unissiez bientôt !
    Tant que vous supporterez tout avec résignation, vous servirez de pâture aux capitalistes !
    Si vous ne me croyez pas, vous vous en rendrez compte par vous-mêmes ! (CFSL-1921)

    Maurice JOYEUX : Dans " L'Homme révolté ", Camus nous enseigne que la révolte est le moteur de l'histoire. Lorsque l'esclave se plaint et que le maître dit " non ", le voile se déchire. Sûr de son bon droit, l'esclave ne remet pas seulement en cause le refus, mais également tout ce qui justifie l'homme qui refuse. L'histoire se met alors en route. Camus analyse les révoltes. D'abord la révolte métaphysique, révolte intellectuelle, révolte littéraire, insolente mais qui se nourrit du verbe. Puis, ensuite, il analyse la révolte historique, ce qui lui permet de poser la question du meurtre que Saint-Just éludera en proclamant : " Nul ne peut régner innocemment ", que Bakounine excusera en proclamant : " La passion de la destruction est une passion créatrice ", et que les marxistes aviliront, car ils font " passer sous la promesse d'une justice absolue, l'injustice perpétuelle, le compromis sans limite et l'indignité ".
    Enfin, pour Albert Camus, l'attitude révoltée trouve son expression dans " le syndicalisme révolutionnaire ". Ce syndicalisme même n'est-il pas inefficace ? La réponse est simple : " C'est lui qui, en un siècle, a prodigieusement amélioré la condition ouvrière, depuis la journée de seize heures jusqu'à la semaine de quarante heures ".
    " L'Homme révolté" déclenchera une polémique qui étendra son champ et on peut dire que, si le surréalisme de Breton, spécialiste des petits groupes d'intellectuels, fut à l'origine des groupuscules, c'est la pensée révoltée d'Albert Camus qui fournit le gros des troupes galopant de barricade en barricade, à la recherche d'un absolu opposé à l'absurde. " Vous n'êtes ni un philosophe, ni un économiste, monsieur Camus ", proclament les petits intellectuels de gauche. C'est bien possible, mais Camus sera le levain qui fera craquer la pâte du soufflé.
    Si Camus ne fit jamais de déclarations fracassantes en faveur de l'anarchie, on le vit dans nos meetings, dans nos fêtes et dans les prétoires de justice où l'on condamnait nos militants.
    Personne plus que Camus n'a œuvré pour désacraliser les notables de la politique et leur appareil, et c'est en cela qu'il fut le représentant le plus marquant de la jeunesse qui refusait l'embrigadement, la discipline et, en fin de compte, ce qu'il appelait le socialisme césarien.
    Lui aussi mourra sans connaître la révolte de mai qu'il aurait saluée avec enthousiasme et jugée avec sévérité. Curieusement cette jeunesse qui s'enthousiasmera pour sa définition de la révolte, pour son jugement sévère contre le dogmatisme marxiste et qui adoptera cet esprit libertaire vague et qui se nourrit, non pas de théories solides, mais de ce que chacun y apporte, sera plus réticente envers le syndicalisme révolutionnaire qui est la seule proposition constructive de toute cette œuvre d'explication et de contestation.

    Federico GARGALLO EDO : Bien que nous ayons été vaincus, et que l'on ait essayé de nous exterminer, on ne pourra pas rayer de l'histoire que la seule révolution qui, jusqu'à aujourd'hui, se soit réalisée en totale liberté pour tous, fut l'essai triomphant du socialisme en Espagne de 1936 à 1939. C'est la raison pour laquelle, lorsque les discussions portent sur la question sociale, avec le souci de chercher une solution pour sortir du régime bourgeois et de son chaos économique, arrive immédiatement la réponse sur les collectivités qui, durant trois ans, donnèrent vie au socialisme en Espagne. (RD-1999)

    Albert CAMUS : Depuis août 1944, tout le monde parle chez nous de révolution, et toujours sincèrement, il n'y a pas de doute là-dessus. Mais la sincérité n'est pas une vertu en soi. Il y a des sincérités si confuses qu'elles sont pires que des mensonges. Il ne s'agit pas pour nous aujourd'hui de parler le langage du cœur, mais seulement de penser clair. Idéalement, la révolution est un changement des institutions politiques et économiques propre à faire régner plus de liberté et de justice dans le monde. Pratiquement, c'est l'ensemble des événements historiques, souvent malheureux, qui amènent cet heureux changement.
    Peut-on dire aujourd'hui que ce mot soit employé dans son sens classique ? Quand les gens entendent parler de révolution chez nous, et à supposer qu'ils gardent alors leur sang-froid, ils envisagent un changement de mode de la propriété (généralement la mise en commun des moyens de production) obtenu, soit par une législation selon les lois de la majorité, soit à l'occasion de la prise du pouvoir par une minorité.
    Il est facile de voir que cet ensemble de notions n'a aucun sens dans les circonstances historiques actuelles. D'une part, la prise de pouvoir par la violence est une idée romantique que le progrès des armements a rendue illusoire. L'appareil répressif d'un gouvernement a toute la force des tanks et des avions. Il faudrait donc des tanks et des avions pour l'équilibrer seulement. 1789 et 1917 sont encore des dates, mais ce ne sont plus des exemples. (ACTU-I-1948)

    La première et la seule évidence qui me soit ainsi donnée, à l'intérieur de l'expérience absurde, est la révolte. Privé de toute science, pressé de tuer ou de consentir qu'on tue, je ne dispose que de cette évidence qui se renforce encore du déchirement où je me trouve. La révolte naît du spectacle de la déraison, devant une condition injuste et incompréhensible. Mais son élan aveugle revendique l'ordre au milieu du chaos et l'unité au coeur même de ce qui fuit et disparaît. Elle crie, elle exige, elle veut que le scandale cesse et que se fixe enfin ce qui jusqu'ici s'écrivait sans trêve sur la mer. Son souci est de transformer. Mais transformer, c'est agir, et agir, demain, sera tuer alors qu'elle ne sait pas si le meurtre est légitime. Elle engendre justement les actions qu'on lui demande de légitimer. Il faut donc bien que la révolte tire ses raisons d'elle-même, puisqu'elle ne peut les tirer de rien d'autre. Il faut qu'elle consente à s'examiner pour apprendre à se conduire.
    Deux siècles de révolte, métaphysique ou historique, s'offrent justement à notre réflexion. Un historien, seul, pourrait prétendre à exposer en détail les doctrines et les mouvements qui s'y succèdent. Du moins, il doit être possible d'y chercher un fil conducteur.
    [...] L'homme est la seule créature qui refuse d'être ce qu'elle est. La question est de savoir si ce refus ne peut l'amener qu'à la destruction des autres et de lui-meme. si toute révolte doit s'achever en justification du meurtre universel, ou si, au contraire, sans prétention à une impossible innocence, elle peut découvrir le principe d'une culpabilité raisonnable. (HR-1951)

    Qu'est-ce qu'un homme révolté? Un homme qui dit non. Mais s'il refuse, il ne renonce pas : c'est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. Un esclave, qui a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain inacceptable un nouveau commandement. Quel est le contenu de ce « non »?
    Il signifie, par exemple, « les choses ont trop duré », « jusque-là oui, au-delà non », « vous allez trop loin », et encore, « il y a une limite que vous ne dépasserez pas ». En somme, ce non affirme l'existence d'une frontière. On retrouve la même idée de limite dans ce sentiment du révolté que l'autre « exagère », qu'il étend son droit au-delà d'une frontière à partir de laquelle un autre droit lui fait face et le limite. Ainsi, le mouvement de révolte s'appuie, en même temps, sur le refus catégorique d'une intrusion jugée intolérable et sur la certitude confuse d'un bon droit, plus exactement l'impression, chez le révolté, qu'il est « en droit de... ». La révolte ne va pas sans le sentiment d'avoir soi-même, en quelque façon, et quelque part, raison. C'est en cela que l'esclave révolté dit à la fois oui et non. Il affirme, en même temps que la frontière, tout ce qu'il soupçonne et veut préserver en deçà de la frontière. Il démontre, avec entêtement, qu'il y a en lui quelque chose qui « vaut la peine de... », qui demande qu'on y prenne garde. D'une certaine manière, il oppose à l'ordre qui l'opprime une sorte de droit à ne pas être opprimé au-delà de ce qu'il peut admettre.
    En même temps que la répulsion à l'égard de l'intrus, il y a dans toute révolte une adhésion entière et instantanée de l'homme à une certaine part de lui-même. Il fait donc intervenir implicitement un jugement de valeur, et si peu gratuit, qu'il le maintient au milieu des périls. Jusque-là, il se taisait au moins, abandonné à ce désespoir où une condition, même si on la juge injuste, est acceptée. Se taire, c'est laisser croire qu'on ne juge et ne désire rien, et, dans certains cas, c'est ne désirer rien en effet. Le désespoir, comme l'absurde, juge et désire tout, en général, et rien, en particulier. Le silence le traduit bien. Mais à partir du moment où il parle, même en disant non, il désire et juge. Le révolté, au sens étymologique, fait volte-face. Il marchait sous le fouet du maître. Le voilà qui fait face. (HR-1951)

    Le surgissement du Tout ou Rien montre que la révolte, contrairement à l'opinion courante, et bien qu'elle naisse dans ce que l'homme a de plus strictement individuel, met en cause la notion même d'individu. Si l'individu, en effet, accepte de mourir, et meurt à l'occasion, dans le mouvement de sa révolte, il montre par là qu'il se sacrifie au bénéfice d'un bien dont il estime qu'il déborde sa propre destinée. S'il préfère la chance de la mort à la négation de ce droit qu'il défend, c'est qu'il place ce dernier au-dessus de lui-même. Il agit donc au nom d'une valeur, encore confuse, mais dont il a le sentiment, au moins, qu'elle lui est commune avec tous les hommes. On voit que l'affirmation impliquée dans tout acte de révolte s'étend à quelque chose qui déborde l'individu dans la mesure où elle le tire de sa solitude supposée et le fournit d'une raison d'agir. Mais il importe de remarquer déjà que cette valeur qui préexiste à toute action contredit les philosophies purement historiques, dans lesquelles la valeur est conquise (si elle se conquiert) au bout de l'action. L'analyse de la révolte conduit au moins au soupçon qu'il y a une nature humaine, comme le pensaient les Grecs, et contrairement aux postulats de la pensée contemporaine. Pourquoi se révolter s'il n'y a, en soi, rien de permanent à préserver? C'est pour toutes les existences en même temps que l'esclave se dresse, lorsqu'il juge que, par tel ordre, quelque chose en lui est nié qui ne lui appartient pas seulement, mais qui est un lieu commun où tous les hommes, même celui qui l'insulte et l'opprime, ont une communauté prête. (La communauté des victimes est la même que celle qui unit la victime au bourreau. Mais le bourreau ne le sait pas) (HR-1951)

    L'homme révolté est l'homme situé avant ou après le sacré, et appliqué à revendiquer un ordre humain où toutes les réponses soient humaines, c'est-à-dire raisonnablement formulées. Dès ce moment, toute interrogation, toute parole, est révolte, alors que, dans le monde du sacré, toute parole est action de grâces. Il serait possible de montrer ainsi qu'il ne peut y avoir pour un esprit humain que deux univers possibles, celui du sacré (ou, pour parler le langage chrétien, de la grâce I), et celui de la révolte. La disparition de l'un équivaut à l'apparition de l'autre, quoique cette apparition puisse se faire sous des formes déconcertantes. Là encore, nous retrouvons le Tout ou Rien. L'actualité du problème de la révolte tient seulement au fait que des sociétés entières ont voulu prendre aujourd'hui leur distance par rapport au sacré. Nous visons dans une histoire désacralisée. L'homme, certes, ne se résume pas à l'insurrection. Mais l'histoire d'aujourd'hui, par ses contestations, nous force à dire que la révolte est l'une des dimensions essentielles de l'homme. Elle est notre réalité historique. A moins de fuir la réalité, il nous faut trouver en elle nos valeurs. Peut-on, loin du sacré et de ses valeurs absolues, trouver la règle d'une j conduite? telle est la question posée par la révolte. (HR-1951)

    La solidarité des hommes se fonde sur le mouvement de révolte et celui-ci, à son tour, ne trouve de justification que dans cette complicité. Nous serons donc en droit de dire que toute révolte qui s'autorise à nier ou à détruire cette solidarité perd du même coup le nom de révolte et coïncide en réalité avec un consentement meurtrier. De même cette solidarité, hors du sacré, ne prend vie qu'au niveau de la révolte. Le vrai drame de la pensée révoltée est alors annoncé. Pour être, l'homme doit se révolter, mais sa révolte doit respecter la limite qu'elle découvre en elle-même et où les hommes, en se rejoignant, commencent d'être. La pensée révoltée ne peut donc se passer de mémoire : elle est une tension perpétuelle. (HR-1951)

    Dans l'expérience absurde, la souffrance est individuelle. A partir du mouvement de révolte, elle a conscience d'être collective, elle est l'aventure de tous. Le premier progrès d'un esprit saisi d'étrangeté est donc de reconnaître qu'il partage cette étrangeté avec tous les hommes et que la réalité humaine, dans sa totalité, souffre de cette distance par rapport à soi et au monde. Le mal qui éprouvait un seul homme devient peste collective. Dans l'épreuve quotidienne qui est la nôtre, la révolte joue le même rôle que le « cogito » dans l'ordre de la pensée : elle est la première évidence. Mais cette évidence tire l'individu de sa solitude. Elle est un lieu commun qui fonde sur tous les hommes la première valeur. Je me révolte, donc nous sommes. (HR-1951)

    Aussitôt que la révolte, oublieuse de ses généreuses origines, se laisse contaminer par le ressentiment, elle nie la vie, court à la destruction et fait se lever la cohorte ricanante de ces petits rebelles, graine d'esclaves, qui finissent par s'offrir, aujourd'hui, sur tous les marchés d'Europe, à n'importe quelle servitude. Elle n'est plus révolte ni révolution, mais rancune et tyrannie. Alors, quand la révolution, au nom de la puissance et de l'histoire, devient cette mécanique meurtrière et démesurée, une nouvelle révolte devient sacrée, au nom de la mesure et de la vie. Nous sommes à cette extrémité. Au bout de ces ténèbres, une lumière pourtant est inévitable que nous devinons déjà et dont nous avons seulement à lutter pour qu'elle soit. Par-delà le nihilisme, nous tous, parmi les ruines, préparons une renaissance. Mais peu le savent.
    Et déjà, en effet, la révolte, sans prétendre à tout résoudre, peut au moins faire face. Dès cet instant, midi ruisselle sur le mouvement même de l'histoire.
    [...] Au midi de la pensée, le révolté refuse ainsi la divinité pour partager les luttes et le destin communs. Nous choisirons Ithaque, la terre fidèle, la pensée audacieuse et frugale, l'action lucide, la générosité de l'homme qui sait. Dans la lumière, le monde reste notre premier et notre dernier amour. Nos frères respirent sous le même ciel que nous, la justice est vivante. Alors naît la joie étrange qui aide à vivre et à mourir et que nous refusons désormais de renvoyer à plus tard. Sur la terre douloureuse, elle est l'ivraie inlassable, l'amère nourriture, le vent dur venu des mers, l'ancienne et la nouvelle aurore. Avec elle, au long combats, nous referons l'âme de ce temps et une Europe qui, elle, n'exclura rien. (HR-1951)



    Henri LABORIT : Il y a bien aussi les révolutionnaires ou soi-disant tels, mais ils sont si peu habitués à faire fonctionner cette partie du cerveau que l’on dit propre à l’Homme, qu’ils se contentent généralement, soit de défendre des options inverses de celles imposées par les dominants, soit de tenter d’appliquer aujourd’hui ce que les créateurs du siècle dernier ont imaginé pour leur époque. Tout ce qui n’entre pas dans leurs schémas préfabriqués n’est pour eux qu’utopie, démobilisation des masses, idéalisme petit-bourgeois. Il faut cependant reconnaître que les idéologies à facettes qu’ils défendent furent toujours proposées par de petits-bourgeois, ayant le temps de penser et de faire appel à l’imaginaire. Mais aucune de ces idéologies ne remet en cause les systèmes hiérarchiques, la production, la promotion sociale, les dominances.

    Une révolution peut changer, par la violence, des rapports sociaux; mais si les individus entre lesquels ces nouveaux rapports s'établissent ne sont pas avertis de la façon dont fonctionnent les systèmes nerveux qui permettent de les établir, je pense, et l' " expérimentation " au cours des siècles l'a montré, que rien ne change. Les moyens qui permettent d'établir les dominances peuvent changer, mais les dominances persistent.

    Murray BOOKCHIN : Une révolution se traduit toujours en un double pouvoir dirigé contre l'État : d'une part le syndicat de travailleurs, soviet ou conseil, et d'autre part la Commune. Un examen approfondi de l'histoire montrera que l'usine, création de la rationnelle bourgeoisie, n'a jamais été le lieu de la révolution. Les travailleurs les plus explicitement révolutionnaires (les Espagnols, les Russes, les Français et les Italiens) ont surtout été des classes en transition, issues de couches agraires traditionnelles en décomposition soumises à l'impact discordant de la culture industrielle qui finit par les corroder ; et aujourd'hui cette culture industrielle est elle-même déjà en train de devenir une culture traditionnelle. En fait, là où les travailleurs sont encore mobilisés, leur lutte est en grande partie défensive (et, paradoxalement, consiste à chercher à maintenir en vie un système industriel menacé de déplacement par une technologie à capitalisation intensive de plus en plus cybernétisée) ; elle ne fait que traduire les derniers soubresauts d'une économie en déclin. (PML-1984)
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    Noam CHOMSKY : Dans presque toute l’Espagne républicaine, il y eut un mouvement très inspirant de révolution anarchiste touchant en même temps d’importants secteurs de l’industrie et de l’agriculture, et dont le développement semble, vu de l’extérieur, avoir été spontané. Mais en réalité, si l’on s’attarde sur ses origines, on découvre qu’elle se fondait sur trois générations d’expérience, de réflexion et de travail pendant lesquelles ont circulé les idées anarchistes au sein d’une très grande partie de la population de cette société hautement - quoi que partiellement - préindustrielle. Et cette révolution, encore une fois, se révéla une très grande réussite, tant sur le plan humain que selon les critères économique. C’est-à-dire que, contrairement à ce que bien des socialistes, communistes, libéraux et autres voulaient faire croire, l’efficacité de la production fut maintenue : les travailleurs des fermes et des usines se sont montrés capables de gérer leurs affaires sans subir de coercition, et il est impossible, en fait, de déterminer jusqu’où tout cela aurait pu nous mener.

    Cette révolution anarchiste fut tout simplement anéantie par la force. Mais pendant la période où elle exista, je pense qu’elle constituait une grande réussite, et à de nombreux égards, je le répète, elle est un témoignage très inspirant de la capacité des travailleurs pauvres à organiser et à gérer leurs propres affaires, avec grand succès, sans coercition ni contrôle. Quand à savoir quelle est la pertinence de l’expérience espagnole pour les sociétés industrielles avancées, il s’agit là d’une question qui doit être analysée plus en détail.
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    Raoul VANEIGEM : Ceux qui parlent de révolution et de lutte de classes sans se référer explicitement à la vie quotidienne, sans comprendre ce qu'il y a de subversif dans l'amour et de positif dans le refus des contraintes, ceux-là ont dans la bouche un cadavre. (TSV-1967)

    Que le serf des latifundia soit le contemporain du nouveau prolétariat me paraît composer à la perfection le mélange explosif d'où naîtra la révolution totale. Qui oserait supposer que l'Indien des Andes déposera les armes après avoir obtenu la réforme agraire et la cuisine équipée, alors que les travailleurs les mieux payés d'Europe exigent un changement radical de leur mode de vie ? Oui, la révolte dans l'état de bien-être fixe désormais le degré d'exigences minimales pour toutes les révolutions du monde. A ceux qui l'oublieront, ne sera que plus dure la phrase de Saint Just : « Ceux qui font les révolutions à moitié n'ont fait que creuser un tombeau. » (TSV-1967)

    La pensée révolutionnaire, qui prétendait hier s'ériger en fer de lance du prolétariat, n'a jamais fait que reproduire la vieille dictature de l'esprit sur le corps. La séparation entre le langage des idées et l'expression du désir de vivre n'a cessé de s'accroître avec l'omniprésence d'une mise en scène où l'individu et la société perdent leur valeur d'usage au profit d'une valeur d'échange qui les représente sur le marché et, leur ôtant leur réalité vécue, leur prête une réalité lucrative. (ASM-2004)

    Cessons d'ignorer ce qui se passe sous nos yeux : une révolution est en train de s'opérer, elle prône le retour à la valeur d'usage, le développement des énergies renouvelables, la fécondité naturelle des terres et des océans, la fin du travail servile et le règne de l'inventivité. Ce n'est ni plus ni moins qu'une révolution économique, elle tentera de nous gruger en se servant comme d'un appât de la marchandise rénovée. À nous de la dépasser en instaurant la gratuité de la vie. (ASM-2004)

    Je n’ai jamais confondu révolte et révolution, et moins encore émancipation et prédation. Le défoulement est un hommage au refoulement. L’émeute est un exutoire, la révolte est toujours récupérable. Les collectivités autogérées ne le seront pas. Nous ne sommes ni des pirates, ni des en-dehors, ni des marginaux, nous sommes au centre d’une société solidaire à créer et, que nous le voulions ou non, il faudra bien que nous apprenions à opposer une démocratie directe à cette démocratie parlementaire, clientéliste et corrompue qui s’effondre avec les puissances financières qui la soutenaient et la dévoraient. (EA-2008)

    Hakim BEY : Comment se fait-il que "le monde chaviré" parvient toujours à se redresser? Pourquoi la réaction suit-elle toujours la révolution, comme les saisons en Enfer?
    Soulèvement, ou sa forme latine insurrectio, sont des mots employés par les historiens pour qualifier des révolutions manquées - des mouvements qui ne suivent pas la courbe prévue, la trajectoire approuvée par le consensus: révolution, réaction, trahison, l'état s'érige plus fort, et encore plus répressif - la roue tourne, l'histoire recommence encore et toujours: lourde botte éternellement posée sur le visage de l'humanité.
    En ne se conformant pas à la courbe, le soulèvement suggère la possibilité d'un mouvement extérieur et au-delà de la spirale hégélienne de ce "progrès" qui n'est secrètement rien de plus qu'un cercle vicieux. Surgo - soulever, lever. Insurgo - se soulever, se lever. Une opération autoréférentielle. Un bootstrap. Un adieu à cette malheureuse parodie du cercle karmique, à cette futilité historique révolutionnaire. Le slogan "Révolution!" est passé de tocsin à toxine, il est devenu un piège du destin, pseudo-gnostique et pernicieux, un cauchemar où nous avons beau combattre, nous n'échappons jamais au mauvais Éon, à cet État incube qui fait que, État après État, chaque "paradis" est administré par encore un nouvel ange de l'enfer.
    Si l'Histoire EST le "Temps", comme elle le prétend, alors le soulèvement est un moment qui surgit de et en dehors du Temps, et viole la "loi" de l'Histoire. Si l'État EST l'Histoire, comme il le prétend, alors l'insurrection est le moment interdit, la négation impardonnable de la dialectique - grimper au mât pour sortir par le trou du toit, une manœuvre de chaman qui s'exécute selon un "angle impossible" dans notre univers.
    L'Histoire dit que la Révolution atteint la "permanence", ou tout au moins une durée, alors que le soulèvement est "temporaire". Dans ce sens, le soulèvement est comme une "expérience maximale", en opposition avec le standard de la conscience ou de l'expérience "ordinaire". Les soulèvements, comme les festivals, ne peuvent être quotidiens - sans quoi ils ne seraient pas "non ordinaires". Mais de tels moments donnent forme et sens à la totalité d'une vie. Le chaman revient - on ne peut rester sur le toit éternellement - mais les choses ont changées, des mouvements ou des intégrations ont eu lieu - une différence s'est faite.
    Vous allez dire que ce n'est que le conseil du désespoir. Qu'en est-il alors du rêve anarchiste, de l'état sans État, de la Commune, de la zone autonome qui dure, d'une libre société, d'une libre culture ? Allons-nous abandonner cet espoir pour un quelconque acte gratuit existentialiste? Le propos n'est pas de changer la conscience mais de changer le monde.
    J'accepte cette juste critique. Je ferai cependant deux commentaires: premièrement, la révolution n'a jamais abouti à la réalisation de ce rêve. La vision naît au moment du soulèvement - mais dès que la "Révolution" triomphe et que l'État revient, le rêve et l'idéal sont déjà trahis. Je n'ai pas abandonné l'espoir ou même l'attente d'un changement - mais je me méfie du mot Révolution. Deuxièmement, même si l'on remplace l'approche révolutionnaire par un concept d'insurrection s'épanouissant spontanément en culture anarchiste, notre situation historique particulière n'est pas propice à une si vaste entreprise. Un choc frontal avec l'État terminal, l'État de l'information méga-entrepreneurial, l'empire du Spectacle et de la Simulation, ne produirait absolument rien, si ce n'est quelques martyres futiles. Ses fusils sont tous pointés sur nous, et nos pauvres armes ne trouvent pour cible que l'hystérésis, la vacuité rigide, un Fantôme capable d'étouffer la moindre étincelle dans ses ectoplasmes d'information, une société de capitulation, réglée par l'image du Flic et l'Oeil absorbant de l'écran de télé.

    Ceux qui participent à l'insurrection notent invariablement son caractère festif, même au beau milieu de la lutte armée, du danger et du risque. Le soulèvement est comme une saturnale détachée de son intervalle intercalaire (ou qui a été forcée de le faire) et qui est désormais libre de surgir n'importe où et n'importe quand. Libérée du temps et du lieu, elle flaire cependant la maturité des événements, elle est en résonance avec le genius loci ; la science de la psychotopologie indique les "flux de forces" et les "points de puissance" (pour emprunter des métaphores occultistes) qui permettent de localiser la TAZ spatio-temporellement, ou du moins aident à définir sa relation au temps et à l'espace.

    Finalement, dans l'insurrection, la TAZ brise ses propres frontières et se répand (ou désire se répandre) au dehors dans le " monde entier ", l'ensemble du temps/espace immédiatement disponible. Tant que l'insurrection dure, et ne s'est pas soldée par la défaite ou par une transformation en " Révolution " (qui aspire à devenir permanente), l'Insurrection garde la conscience de la plupart de ses adhérents dirigée vers cet insaisissable autre mode d'intensité, de clarté, d'attention, de réalisation individuelle ou collective, et (pour être abrupt) vers cette joie si caractéristique de ces grands soulèvements sociaux comme la Commune, ou 1968. D'un point de vue existentiel (et nous invoquons ici Stirner, Nietzsche et Camus), cette joie est le véritable but de l'insurrection.

    Michel ONFRAY : La logique révolutionnaire holiste et grégaire n'est plus de mise, elle a fait son temps. D'autant qu'elle a toujours montré dans l'histoire sa condamnation, après l'épreuve du pouvoir politique effectif, à « gouverner comme les gouvernés gouverneraient s'ils avaient le pouvoir » — selon l'heureuse formule de Giono préfaçant Machiavel. Dans tous les cas de figure, les révolutionnaires d'aujourd'hui font les réactionnaires de demain. Bien souvent, les opposants du jour se révèlent pires que leurs prédécesseurs dès qu'ils prennent leur place sur le trône.
    Voici donc les leçons anarchistes pour aujourd'hui : l'éternelle perversion de ceux qui exercent le pouvoir, quels qu'ils soient, fussent-ils des philosophes devenus rois ou des rois piqués de philosophie. Son exercice induit une onction qui transfigure les gouvernants, droite et gauche confondues, en membres d'une caste avec ses règles, ses lois, son grégarisme entendu, et conduit à un culte envers ceux qui ont pu, un jour, pratiquer légitimement, ou non, la domination sur le plus grand nombre de leurs sujets, de leurs administrés — de leurs victimes.
    La révolution sur le mode du coup d'État est morte, vive la révolution sur le mode libertaire, moléculaire pour le dire avec les mots de Deleuze et Guattari. Loin des avenirs radieux et des lendemains qui chantent, pacifiés, il faut songer au devenir révolutionnaire des individus, seule éthique pensable pour un libertaire au tournant du millénaire. Là où les recycleurs millénaristes visent une société figée, fixée, construite sur le principe de la sphère parménidienne, close, il faut opposer la volonté d'une société mouvante, changeante, traversée par des flux, animée par des courants, élaborée sur le mode du fleuve héraclitéen, ouvert. Là où la mort finit par être le modèle, la vie devient le principe, une obligation ontologique. De l'une à l'autre, il y a tout ce qui sépare sociétés closes et sociétés ouvertes selon les catégories proposées par Bergson.
    Hier, la révolution supposait une attente, un pire pour aujourd'hui dans la perspective d'un demain pacifié. Le tout justifiait ainsi le recours à une dialectique et la négativité jouait son rôle dans la logique d'une résolution ultérieure, sur le mode synthétique. Ces avenirs radieux, jamais venus, toujours annoncés, furent la cause de présents déplorables, de quotidiens détestables. C'est d'ailleurs au nom d'un troisième temps social merveilleux que le deuxième était supporté, fût-il effrayant.
    Ce millénarisme doublé de sacrifice à l'utopie classique doit être remplacé par un instantanéisme fondateur de l'identité hédoniste en politique : ici et maintenant, dans l'urgence d'un présent à ne pas lire comme un moment dans un mouvement, mais tels une fin en soi, un absolu. L'éternité gît dans l'instant même, nulle part ailleurs, et il faut la vivre sur le principe énoncé par Nietzsche du désir de voir se répéter sans cesse ce que l'on choisit, veut, élit. Différer, c'est rendre impossible, donner ses chances à l'improbable. Or, le devenir révolutionnaire de l'individu s'inscrit dans le moment présent et lui seul.
    Quel que soit le pouvoir, le rôle de l'individu consiste à opposer une résistance déterminée, une insoumission farouche à ce qui requiert l'autorité. Si une mystique de gauche sert de boussole et offre des points cardinaux sûrs et certains pour l'action et la décision, il ne faut pas imaginer pour autant que la gauche au pouvoir suppose et signe la fin du travail de toute volonté libertaire. Au contraire, et plus que jamais, pour aiguillonner les aspirants et les prétendants, les auxiliaires et les acteurs de l'incarnation de cette mystique, pour éviter son abandon en route, voire sa perversion, son oubli, l'individu rebelle doit se préparer à exercer une tâche infinie. Dès la Révolution française et son lent acheminement vers la négation de ses idéaux fondateurs, les enragés ont isolé l'antinomie radicale qui architecture toute volonté libertaire. Varlet écrivait dans Explosion : « Gouvernement et révolution sont incompatibles. » Deux siècles plus tard, même si la notion de révolution exige redéfinition et reconsidération, l'idée demeure une vérité soutenue par l'évidence. (PR-1997)

    Source: Jipépak












     
  2. Marc poïk
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    Marc poïk Sous l'arbre en feuille la vie est plus jolie Membre actif

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    Il y a Onfray et Chomsky malgré qu'ils ne sont pas considéré comme anarchistes mais juste libertaires donc capitaliste.
    N'oubliez jamais , ils nous ont prévenu de nous méfier des intellectuels. Quand ils prennent le pouvoir la classe ouvrière souffre.
    Un peuple qui ne croit plus en la révolution est un peuple qui se sommet , qui abdique. qui s'en remet à ses maître , et donc ce peuple n'est pas anarchiste il est tout au plus emprunt de quelques libertés qu'on daigne lui accorder et qu'il quémande.
     
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