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Louise Michel: L'ÈRE NOUVELLE

Discussion dans 'Bibliothèque anarchiste' créé par Marc poïk, 4 Avril 2017.

  1. Marc poïk
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    Marc poïk Sous l'arbre en feuille la vie est plus jolie Membre actif

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    Déc 2016
    Belgium
    Louise Michel: L'ÈRE NOUVELLE


    CHAPITRE I

    Pareil à la sève d'avril, le sang monte au renouveau séculaire dans le vieil arbre humain ( le vieil arbre de misère ).

    Sous l'humus des erreurs qui tombent pour s'entasser pareilles à des feuilles mortes, voici les perce-neige et les jonquilles d'or, et le vieil arbre frissonne aux souffles printaniers.

    Les fleurs rouges du joli bois sortent saignantes des branches ; les bourgeons gonflés éclatent : voici les feuilles et les fleurs nouvelles.

    C'est une étape de la nature.

    Cela deviendra les fourrés profonds où s'appelleront les nids, où mûriront les fruits ; et tout retournera au creuset de la vie universelle.

    Ainsi souffle la brise matinière à la vermeille aurore du Monde nouveau.

    Les religions et les États sont encore là, devant nos yeux, mais les cadavres n'ont-ils pas gardé l'apparence humaine quand on les ensevelit pour les confier à la terre ?

    La pâleur, la rigidité des morts, l'odeur de la décomposition, n'indiquent-elles pas que tout est fini pour l'être qui a cessé de vivre ?

    Cette pâleur, cette décomposition, la vieille société les a déjà dans les affres de son agonie.

    Soyez tranquille, elle va finir.

    Elle se meurt la vieille ogresse qui boit le sang humain depuis les commencements pour faire durer son existence maudite.

    Ses provocations, ses cruautés incessantes, ses complots usés, tout cela n'y fera rien ; c'est l'hiver séculaire, il faut que ce monde maudit s'en aille : voici le printemps où la race humaine préparera le nid de ses petits, plus malheureux jusqu'à présent que ceux des bêtes.

    Il faut bien qu'il meure ce vieux monde, puisque nul n'y est plus en sûreté, puisque l'instinct de conservation de la race s'éveille, et que chacun, pris d'inquiétude et ne respirant plus dans la ruine pestilentielle, jette un regard désespéré vers l'horizon.

    On a brûlé les étapes ; hier encore, beaucoup croyaient tout cela solide ; aujourd'hui, personne autre que des dupes ou des fripons ne nie l'évidence des faits. -- La Révolution s'impose. L'intérêt de tous exige la fin du parasitisme.

    Quand un essaim d'abeilles, pillé par les frelons, n'a plus de miel dans sa ruche, il fait une guerre à mort aux bandits avant de recommencer le travail.

    Nous, nous parlementons avec les frelons humains, leur demandant humblement de laisser un peu de miel au fond de l'alvéole, afin que la ruche puisse recommencer à se remplir pour eux.

    Les animaux s'unissent contre le danger commun ; les bœufs sauvages s'en vont par bandes chercher des pâtures plus fertiles : ensemble, ils font tête aux loups.

    Les hommes, seuls, ne s'uniraient pas pour traverser l'époque terrible où nous sommes ! Serions-nous moins intelligents que la bête ?

    Que fera-t-on des milliers et des milliers de travailleurs qui s'en vont affamés par les pays noirs dont ils ont déjà tiré tant de richesses pour leurs exploiteurs ?

    Vont-ils se laisser abattre comme des bandes de loup ?

    Les Romains, quand ils n'étaient pas assez riches pour envoyer le trop-plein de leurs esclaves à Carthage, les enfouissaient vivants ; une hécatombe eût fait trop de bruit ; le linceul du sable est muet. Est-ce ainsi que procédera la séquelle capitaliste?

    Emplira-t-on les prisons avec tous les crève-de-faim? Elles regorgeraient bientôt jusqu'à la gueule.

    En bâtira-t-on de nouvelles ? Il n'y a plus assez d'argent même pour le mal : les folies tonkinoises et autres ont absorbé les millions, les fonds secrets sont épuisés pour tendre des traquenards aux révolutionnaires.

    Essaiera-t-on de bercer, d'endormir encore les peuples avec des promesses ?

    Cela est devenu difficile. Les Don Quichotte revanchards qui soufflent dans leurs clairons au moindre signe des Bismarck ( pour les protéger en donnant l'illusion qu'ils les menacent ) ne trompent heureusement pas la jeunesse entière : l'esprit de l'Internationale a survécu aux fusillades versaillaises.

    Plus hauts et plus puissants que le cuivre tonnent de cime en cime les appels de la Liberté, de l'Égalité, dont la légende éveille des sens nouveaux.

    Il faut maintenant la réalité de ces mots partout inscrits, et qui, nulle part, ne sont en pratique.

    La chrysalide humaine évolue : on ne fera plus rentrer ses ailes dans l'enveloppe crevée.

    Il faut que tout s'en aille à l'Océan commun, sollicité par des besoins de renouveau, par des sens jusqu'ici inconnus et dont rien ne peut arrêter le développement fatal.

    Comme la goutte d'eau tient à la goutte d'eau d'une même vague et d'un même océan, l'humanité entière roule dans la même tempête vers le grand but.

    La bête humaine qui, au fond des âges, avait monté de la famille à la tribu, à la horde, à la nation, monte, monte encore, monte toujours ; et la famille devient race entière.

    Les langues, qui ont évolué suivant les vicissitudes humaines, adoptent pour leurs besoins nouveaux des mots semblables, parce que tous les peuples éprouvent ce même besoin : la Révolution.

    Et la révolution dans la science, dans les arts, comme dans l'industrie, rend de plus en plus nécessaire cette langue universelle qui déjà se forme d'elle-même et qui sera le corollaire de la grande éclosion.

    CHAPITRE II

    La société humaine n'en a plus pour longtemps de ces guerres qui ne servent qu'à ses ennemis, ses maîtres : nul ne peut empêcher le soleil de demain de succéder à notre nuit.

    Aujourd'hui nul homme ne peut vivre autrement que comme l'oiseau sur la branche, c'est-à-dire guetté par le chat ou le chasseur.

    Les États eux-mêmes ont l'épée de Damoclès suspendue sur leur tête : la dette les ronge et l'emprunt qui les fait vivre s'use comme le reste.

    Les crève-de-faim, les dents longues, sortent des bois ; ils courent les plaines, ils entrent dans les villes : la ruche, lasse d'être pillée, bourdonne en montrant l'aiguillon. Eux qui ont tout créé, ils manquent de tout.

    Au coin des bornes, il y a longtemps qu'ils crèvent, vagabonds, devant les palais qu'ils ont bâtis : l'herbe des champs ne peut plus les nourrir, elle est pour les troupeaux des riches.

    Il n'y a de travail que pour ceux qui s'accommodent d'un salaire dérisoire ou qui s'abrutissent dans une tâche quotidienne de huit à dix heures.

    Alors la colère monte : les exploités se sentent, eux aussi, un cœur, un estomac, un cerveau.

    Tout cela est affamé, tout cela ne veut pas mourir ; et ils se lèvent ! Les Jacques allument la torche aux lampes des mineurs : nul prolétaire ne rentrera dans son trou : mieux vaut crever dans la révolte.

    La révolte ! c'est le soulèvement des consciences, c'est l'indignation, c'est la revendication des droits violés... Qui donc se révolte sans être lésé ?

    Plus on aura pesé sur les misérables, plus la révolte sera terrible ; plus ceux qui gouvernent commettront de crimes, plus on verra clair enfin, et plus implacablement on fera justice...

    CHAPITRE III

    -- Le Capital ! dit-on avec un respect craintif, -- on parle de détruire le capital ! Hein ? ...

    Ah ! Il y a longtemps que la raison, que la logique en a fait justice du Capital : est-il d'essence supérieure au travail et à la science ?

    Supposez des Rothschilds quelconques, possédant toutes les mines d'or et de diamants de la terre, qu'en feraient-ils sans les mineurs ? Qui donc extrairait l'or du sable, le diamant de la gemme ?

    Donnez aux exploiteurs des carrières de marbre sans personne pour en tailler, pour en arracher les blocs...

    Que ces gens-là le sachent, ils sont incapables de tirer parti de rien sans les travailleurs : mangeront-ils la terre si personne ne la fait produire ?

    Allez, allez ! il y a longtemps que la Bastille capitaliste ne compte plus pour l'avenir.

    Et, du reste, cette portion de biens qu'ils détiennent au détriment de la foule des déshérités est infime en regard des prodigieuses richesses que nous donnera la science !

    Ce n'est pas pour le reconstituer sur la terre qu'on a détruit l'enfer d'outre-vie ; détruit, le jour où l'on a eu conscience qu'il serait monstrueux, ce Dieu éternellement bourreau, qui, pouvant mettre partout la justice, laisserait le monde se débattre à jamais dans tous les désespoirs, dans toutes les horreurs ; et en même temps que l'enfer des religions s'écroulent les enfers terrestres avec les amorces de récompenses égoïstes qui n'engendrent que corruption.

    C'est avec ces récompenses corruptrices qu'on a fait patienter si longtemps les uns que leur patience est usée, et si bien persuadé aux autres que tout doit se passer ainsi de par l' injustice séculaire, qu'ils ont la conscience ankylosée et commettent ou subissent le crime.

    Cela est fini : les voiles de tous les tabernacles se déchirent.

    Finis les trônes, finies les chamarreries de dignités illusoire, finis les grelots humains.

    Toute chose à laquelle on ne croit plus est morte.

    On commence à s'apercevoir que les oiseaux, les fourmis, les abeilles se groupent librement, pour faire ensemble le travail et résister au danger qui pourrait surgir ; et que les animaux donnent aux hommes l'exemple de la sociabilité.

    Comment tombera la geôle du passé que frappent de toutes parts les tempêtes populaires ?

    Nul ne le sait.

    Croulera-t-elle dans les désastres ?

    Les privilégiés, acculés par le malheur commun, feront-ils une immense nuit du 4 Août ?

    La marée populaire couvrira-t-elle le monde ?...

    Ce qui est sûr, c'est que le siècle ne se couchera pas sans que se lève enfin l'astre de la Révolution : l'homme, comme tout être, veut vivre, et nul -- pas même l'exploiteur -- ne pourra bientôt plus vivre si le droit ne remplace la force.

    Prolétaires, employés, petits commerçants, petits propriétaires, tous sentent que d'un bout à l'autre de la société, chacun, dans son âpre lutte pour l'existence, est, à la fois, dévorant et dévoré.

    Le grand propriétaire, le grand capitaliste, pèse sur le petit de la même manière que les petits boutiquiers pèsent sur les travailleurs, lesquels travailleurs s'infligent entre eux les mêmes lois fatales de la concurrence et ont de plus à supporter tout le poids des grands et petits exploiteurs ; aussi, comme le grain sous la meule, sont-ils finalement broyés.

    On s'aperçoit, d'autre part, que le soleil, l'air, appartenant à tous ( parce qu'on n'a pas pu les affermer au profit de quelques-uns ), n'en continuent pas moins à vivifier la nature au bénéfice de tous ; qu'en prenant le chemin de fer, aucun voyageur n'empêche les autres de parvenir à destination ; que les lettres ou télégrammes reçus par les uns n'entravent nullement l'arrivée des lettres ou télégrammes au profit des autres.

    Au contraire, plus les communications s'universalisent et mieux cela vaut pour chacun.

    On n'a que faire, pour toutes ces choses, de gouvernement qui entrave, taxe, impose, en gros et en détail, on même qui gaspille, mais on a besoin de travail, d'intelligence, de libre essor qui vivifient.

    En somme, le principe de tout pour tous se simplifie, se formule clairement dans les esprits.

    On pourrait dire, cependant, que le soleil et l'air n'appartiennent pas également à tout le monde, puisque les uns ont mille fois plus d'espace et de lumière qu'il ne leur en faut, et que les autres en ont mille fois moins ; mais la faute en étant aux inégalités sociales, doit disparaître avec elles.

    L'ignorance qui les engendre, quelle calamité !

    L'ignorance des premières notions d'hygiène est cause que tant de citadins -- qui succombent faute d'air -- diminuent encore cette quantité d'air.

    Comme si la santé -- le premier des biens -- n'exigeait pas qu'on balayât, par la ventilation, les miasmes du bouge où l'on nous entasse, de l'usine où l'on nous dépouille !

    Comme si pour assainir, l'air pur n'était pas le complément du feu !

    « Courants d'air ! courants d'air ! » quelle sempiternelle rengaine déchire l'oreille de ceux dont l'enfance s'est épanouie aux douces senteurs des champs, dont les poumons se sont trempés dans l'atmosphère rustique de la belle Nature !

    Heureux le riche !

    Il est de fait que la naissance et la mort, ces grandes égalitaires, ne se présentent pas de la même façon pour le riche que pour le pauvre. Étant donné nos lois iniques, il n'en peut être autrement.

    Mais ces lois iniques disparaîtront avec le reste : il faut bien arracher le chaume et retourner la terre pour semer le blé nouveau.

    CHAPITRE IV

    Supposons que la chose soit faite, que dans la tempête révolutionnaire, l'épave sur laquelle nous flottons ait enfin touché le rivage, malgré ceux qui, stupidement, préfèrent s'engloutir avec la société actuelle.

    Supposons que la ruche travailleuse, se répande libre dans l'espace, voici ce qu'elle dirait :

    -- Nous ne pouvons plus vivre comme nos aïeux de l'âge de pierre, ni comme au siècle passé, puisque les inventions successives, puisque les découvertes, de la science ont amené la certitude que tout produira au centuple quand on utilisera ces découvertes pour le bien-être général, au lieu de ne laisser qu'une poignée de rapaces s'en servir pour affamer le reste.

    Les machines, dont chacune tue des centaines de travailleurs, parce qu'elles n'ont jamais été employées que pour l'exploitation de l'homme par l'homme, seraient, étant à tous, une des sources de richesses infinies pour tous.

    Jusqu'à présent le peuple est victime de la machine ; on n'a perfectionné que les engrenages qui multiplient le travail : on n'a pas touché à l'engrenage économique qui déchire le travailleur sous ses dents.

    Dam ! comme on ne peut pas établir d'abattoirs pour se débarrasser des prolétaires exténués avant l'âge, la machine s'en charge, et ce serait dommage d'entraver d'aussi hautes œuvres.

    Eh bien ! au contraire, la machine, devenue l'esclave de l'ouvrier, ferait produire à chacun, au bénéfice général, ce que produisent actuellement un si grand nombre d'exploités au bénéfice des quelques-uns et souvent du seul individu qui les exploite, et même alors chacun aurait tous les jours, pour son repos ou ses études, plus de temps, plus de loisirs, qu'il n'en peut avoir, aujourd'hui, dans toute sa semaine.

    Le repos après le travail ! l'étude ! c'est si bon ! et si rare, excepté pour les riches qui en ont trop.

    Autant celui qui ne travaille jamais ignore le bien-être d'un peu de repos, autant l'être surmené y aspire.

    Celui dont le cerveau s'est rétréci, muré par l'égoïsme, n'a plus d'idées : elles ne jaillissent plus, elles sont mortes.

    Au contraire, le cerveau, comme l'estomac du travailleur, deviennent avides par l'activité dévorante de toute une race sans pâture depuis des siècles, activité mise encore en appétit par l'époque virile de l'humanité : dans les cerveaux incultes germent des idées fortes et fières pareilles aux poussées des forêts vierges.

    C'est bien le temps du renouveau.

    En attendant, vous savez ces vers du bon Lafontaine :


    Pour un âne enlevé, deux voleurs se battaient :

    Survint un troisième larron

    Qui saisit maître Aliboron...



    Telle est l'histoire des gouvernements qui légifèrent et des Compagnies financières gloutonnes qui affament le gréviste et se repaissent avec les détritus des vieilles sociétés : gouvernements et Compagnies le harcèlent, toujours tenant les fusils de l'ordre sur sa gorge, et discutent pour savoir si c'est la Compagnie ou si c'est l'État qui reprendra l'exploitation ( comme à Decazeville ).

    Survient le troisième larron de la fable, sous forme de la ruine, qui détruit la mine sans mineurs, la mine où s'enflamme la poussière des charbons abandonnés, la mine envahie par l'eau qui s'engouffre dès qu'on cesse de la combattre.

    Partout où n'est plus la main créatrice du pionnier, l'industrie meurt, et cette main créatrice, cette main du pionnier seule la ressuscitera dès qu'il le pourra sans forfaiture ; et il le pourra la mine étant à ceux qui la fouillent, la terre à ceux qui la font produire, la machine à ceux qui la font grincer, c'est-à-dire, à chacun et à tous, tous les moyens de produire et tous les produits.

    La Révolution, la Révolution violente est hâtée, soufflée, rendue inévitable par l'affolement du pouvoir.

    La propriété n'est plus si les prolétaires préfèrent crever de faim que d'engraisser leurs maîtres, leurs sangsues, et le Capital aura vécu comme les autres erreurs quand on le voudra.

    S'il plaît au travailleur de faire grève, s'il lui plaît de se révolter, la terre est noire des fourmis humaines. Elles sont le nombre, le nombre immense qui n'a jamais su sa force : le désespoir la lui apprendra.

    Les coups de cravache l'apprennent au lion en cage comme le coup de massue l'apprend au taureau à l'abattoir : alors le lion prend sous ses ongles l'histrion qui l'a cravaché ; le taureau brise la corde qui lui courbait la tête à l'anneau du supplice, s'échappe et sème l'effroi sur son passage.

    On l'a vu en 1793 et au 18 Mars, on l'a vu à Decazeville quand la mesure a été comble : on le verra ailleurs, peut-être un jour à Vierzon.

    CHAPITRE V

    Rien n'est inutile dans la nature : pas plus que les bourgeons printaniers qui couvrent les arbres en avril, les sens nouveaux qui gonflent les cerveaux des foules ne resteront sans germe et ne germeront en vain.

    Remarquez ceci : la plupart des grévistes soit de Decazeville, soit du Borinage, ne savaient un mot de socialisme ; les mots de Liberté ou d'Égalité, qu'ils épellent au fronton des édifices, ne leur disaient rien.

    Mais ils ont jeté des effluves si chaudes, ces mots-là, que partout ils deviennent des sens rudimentaires et font que partout la race humaine doit remplacer le bétail humain que nous sommes encore.

    Le dernier des grands bardes solitaires est mort. Voici le choeur des bardes, et les bardes ce sont les foules : comme chacun parle, comme chacun marche, chacun se servira de son oreille, de sa voix, de ses yeux.

    L'oreille se développe par l'éducation musicale ; les yeux deviennent justes chez les peintres ; les mains, qui, chez le sculpteur, savent tailler le bois, le marbre et la pierre, deviendront, par la pratique, expertes chez tous ; car nul n'a des yeux, des oreilles, des mains pour ne pas s'en servir, de sorte que les races atteindront à un degré difficile à comprendre.

    Elle sera magnifique, la légende nouvelle chantée par ceux qui nous succéderont.

    Tous étant poètes, tous étant savants, tous sachant se servir de facultés jusqu'alors rudimentaires, rien de nos sauvageries présentes ne subsistera.

    L'Humanité évoluant enfin en pleine lumière de liberté, des objections, basées alors sur les mœurs d'aujourd'hui, seraient encore moins valables.

    -- Comment vivraient les paresseux ? Comment l'envie, la jalousie s'arrangeraient-elles de l'égalité ?

    -- Est-ce que dans le bien-être général ces arguments ne tombent pas d'eux-mêmes ?

    Eh parbleu ! comment vivront les fainéants ?

    Est-ce qu'il n'y aura pas encore pendant longtemps des estropiés de corps ou d'esprit, des fainéants, des gens qui, par atavisme, hériteront des infirmités présentes ?

    Les paresseux, comme les aveugles, ou les sourds, sont des infirmes qui ont droit à la vie, et ils vivront, ou plutôt végéteront sans nuire à personne.

    Quant à la jalousie, quant à l'envie, etc., est-ce qu'il y aura de tels états possibles ? Puisque la machine sera au service de l'homme, et au profit de tous, à quoi donc servirait d'envier ce dont on serait toujours sûr de jouir en toute plénitude ?

    Est-ce que la science universalisée n'empêchera pas les folies de l'orgueil ?

    Est-ce que les travailleurs, alors, resteront enchaînés à un métier qu'ils ne pourraient faire, par manque d'aptitudes ou parce qu'il ne leur plairait pas de l'exercer ? Est-ce qu'en changeant de groupements ils ne trouveraient pas toujours des ressources nouvelles ?

    Au lieu d'héritages qui font les parricides, chacun aura l'héritage de l'humanité, héritage immense, et dont nous avons à peine une idée, sous forme des richesses de chaque genre, ou plutôt de tous les genres de travail, dans leurs incommensurables variétés.

    Les groupements libres d'individus libres, le travail fait pour le bien-être de tous et de chacun : il faudra bien qu'on en arrive là ( par nécessité ), puisque quelques oisifs, quelques monstrueux parasites, ne peuvent faire disparaître, à leur gré, les légions sans nombre, les légions grondantes de ceux qui travaillent.

    Faut-il que ceux dont la mort n'empêcherait rien de marcher causent la perte de l'espèce entière ?

    Les choses, du reste, seront bien simplifiées : l'Europe, l'univers éprouvent, les mêmes anxiétés qui sont le prélude de l'enfantement du Monde nouveau pur lequel toute entraille de penseur se sent déjà tressaillir.

    Les âges de pierre et de bronze ont passé ; notre âge passera : nous ressentons les heurts spasmodiques de son agonie, et c'est dans sa mort que nous voyons l'histoire de toutes les époques disparues.

    Chacune d'elles emporte froides les choses qui l'ont passionnée ; elles sont finies : alors dans le renouveau grandissent les choses regardées comme utopies à la dernière étape.

    Les idées jetées en jalons par les sentinelles perdues servent à de nouveaux explorateurs et, sans fin, on va vers des temps incomparablement plus proches de l'Idéal.

    Entre ces temps et le nôtre justement est la période où l'humanité, devenant virile, ne supporte plus qu'en regimbant les chaînes qui l'immobilisent dans l'ornière.

    Nulle promesse endormeuse ne bercera plus ceux qui auront vu les malheurs amoncelés sur notre espèce par la crédulité, pas même les miroitements d'amélioration basés sur des paroles vaines.

    Les paroles s'envolent à tous les vents : serments et plaintes tombent ensemble dans le balayement éternel.

    C'est ce qui, sous le nom de parlementarisme, allonge l'étape actuelle où nous piétinons.

    Étape tourmentée où le vertige habite de plus en plus les sommets du pouvoir : l'impuissance, le parasitisme, la bêtise, la folie, étayés l'un sur l'autre, sont encore debout.

    Mais quelle ruine dure toujours ?

    Aussi n'y a-t-il pas de doute que la plus abominable de toutes les caducités -- notre état social -- ne doive bientôt disparaître.

    Avec cette société devenue coupe-gorge, il y a nécessité absolue d'en finir.

    CHAPITRE VI

    Savez-vous comment on s'apercevra que le vieux monde n'existe plus ? Ceux qui, d'une oubliette, sont revenus à la lumière, à la sécurité, ceux-là, seuls, pourraient le dire.

    Les groupements formés par le danger commun et survivant seuls à la ruine commune reprendront naturellement les choses d'intérêt général, dont aujourd'hui nos ennemis mortels sont les seuls à bénéficier :

    Postes, chemins de fer, télégraphes, mines, agriculture, seront d'autant plus en activité que les communications entre les travailleurs auront la surabondance de vie des foules délivrées -- enfin respirant libres.

    Plus de guerres, plus de parasites à gorger : la puissance de l'homme sur les choses d'autant plus grande et d'autant plus salutaire que le pouvoir des individus les uns sur les autres aura été détruit.

    Plus de luttes pour l'existence -- de luttes pareilles à celles des fauves : toutes les forces pour multiplier les productions, afin que chaque être nage dans l'abondance ; toutes les inventions nouvelles -- et la science, enfin libre dans ses investigations -- servant, pour la première fois, à l'humanité entière : rayonnantes, fécondes, audacieuses, elles frapperont de leur fulgurance tout ce qu'à cette heure encore on amoindrit, étouffe, enténèbre.

    S'il se dépense, hélas ! autant d'efforts pour entraver la marche irrésistible du progrès, c'est que, outre ceux qui vivent d'ignorance, d'erreur, d'injustice, il y a ceux qui en meurent et trouvent cela bien ; il y a aussi les retardataires s'entêtant sur des choses inutiles parce qu'elles leur ont coûté beaucoup à conquérir -- c'est naturel -- et ce n'est pas avec des paroles qu'on guérira les gens de pareils béguins : les catastrophes seules pourront y suffire.

    On discutera encore dans nos parlotes bourgeoises ( et même révolutionnaires ) quand le ras de marée des crève-de-faim nous passera sur la tête à tous.

    Il monte vite, et, par les trouées faites un peu partout : à Decazeville, en Belgique, en Angleterre, en Amérique, le récif qui protège le monde vermoulu de jour en jour s'ébrèche et c'est par ces brèches que passera l'océan de la révolte qui partout mugit. ( Tout vient à son heure. )

    C'est dans cet océan-là que les fleuves humains se précipitent : ainsi s'en vont : arts, littératures, sciences, ainsi tout se noie sous le flot de la rouge aurore du vingtième siècle qui déjà reluit.

    Et sous le flot de cette aurore grandissante, comme un amas de poussières en fusion les petites vanités deviennent l'immense amour du progrès humain ; et les grelots de célébrité, d'honneurs, cessent de tinter pour des oreilles, pour des coeurs brûlant d'une soif de perfectibilité.

    Tout ce qui nous semble indéchiffrable : l'électricité, le magnétisme, aura, dans vingt-cinq ans, donné des résultats tels, qu'en y joignant les découvertes sur la chimie, l'agriculture, le mécanisme, on se demandera, stupéfait, comment les hommes de notre époque pouvaient croire que la misère qui décime les masses fût une calamité inévitable et fût nécessaire au bien-être d'une poignée de privilégiés !

    N'est-il pas grandement temps que chacun le soit, privilégié ! N'y a-t-il pas assez longtemps déjà que cela dure, assez longtemps que chacun traîne son boulet, que chacun tire sur sa chaîne sans parvenir à la rompre ! Rompues ? Alors elles le seront toutes.

    « Voici les rouges pâques », dit la chanson des Jacques.

    Les rouges pâques après lesquelles la chrysalide humaine aura évolué, pressée par les souffles de germinal, pour être jetée ensuite sur la terre, les ailes déchirées, peut-être. Qu'importe ! elle a senti l'air libre : d'autres y voleront, et gagnés de la même fièvre sublime, tous y voleront à leur tour.

    CHAPITRE VII

    A quoi bon comparer toujours ce qui se passe sous ce régime infect à ce qui se passera dans des milieux salubres ?

    Est-ce que les fenêtres fermées à la neige d'hiver ne s'ouvrent pas toutes grandes aux haleines chaudes de l'été ?

    Est-ce que les âges de la vie ont les mêmes besoins, les mêmes aptitudes ?

    Ne nous arrêtons donc plus à des arguments oiseux.

    Est-ce que les besoins nouveaux, les aptitudes nouvelles, ne sont pas, à leur tour, les sources d'autres besoins éveillant d'autres aptitudes ?

    L'homme se façonne aux arts, aux sciences, aux idées de justice, comme chez les protées aveugles évolue le sens visuel sollicité par la lumière ; et malgré des milieux défavorables, la bête humaine, enfin, se sent, elle aussi, appelée par des horizons lumineux.

    Du feu ravi au cratère fumant, de forêts enflammées par la foudre, ou même du simple frottement de deux morceaux de bois, est venue une si grande poussée en avant, qu'après avoir fixé les Prométhées au pic rocheux où le dévorent les vautours, l'homme adora le feu et le divinisa.

    Rien de plus expressif que cette légende.

    Toujours ceux qui sont le plus intéressés au progrès se révoltent le plus farouchement contre ce progrès.

    On immola les premiers qui firent du feu ; on battit de verges le premier qui, proclamant le mouvement de la terre autour du soleil, détruisait la légende de Josué, comme on ôte une pierre à une citadelle.

    Toujours ceux qui s'attaquèrent aux dieux et aux rois furent brisés dans la lutte ; pourtant les dieux sont tombés, les rois tombent, et bientôt se vérifieront les paroles de Blanqui : « Ni Dieu ni maître ! »

    Que les Prométhées soient livrés aux vautours, est-ce que cela empêche la tribu de se grouper au foyer commun ? Est-ce que cela empêche la vapeur de faire des merveilles, l'électricité d'en promettre de plus grandes ?

    Au contraire, l'idée arrosée de sang germe plus vite et mieux, elle ramifie plus profondément ; dans les cerveaux fouillés par la douleur, électrisés par les passions ardentes et âprement généreuse, elle se fertilise ; et, pareille à la graminée sauvage, elle deviendra froment.

    Plus on brise les hommes, et plus profondément, sinon plus rapidement, les idées se répandent.

    On voit loin par les fenêtres des cellules. Au grand silence, l'être grandit dans l'humanité entière. On vit en avant, le présent disparaît : l'esprit, qui pressent l'Ère nouvelle, plane dans l'Avenir.

    A présent, la lutte s'est faite suprême par le concours d'événements, de circonstances impérieuses, qui acculent, à notre fin de siècle, la vieille société comme une bête enragée que le travail et la science remplacent avant même qu'elle ne crève.

    Qu'est-ce que cela fait qu'elle nous étouffe dans le spasme de son agonie, la bête maudite, puisqu'elle va mourir ?

    Il faudra bien que le droit triomphe, à moins qu'on n'abatte les travailleurs, qu'on les assomme, qu'on les fusille comme des bandes de loups qui hurlent la faim.

    Et ceux qui produisent tout, et qui n'ont ni pain, ni abri, commencent à sentir que chaque que chaque être doit avoir sa place au banquet du trop-plein.

    On ne peut pas plus empêcher ce grandissement des sociétés humaines qu'on ne fera remonter l'homme adulte à son berceau.

    Le monde a eu sa première enfance bercée de légendes, puis, sa jeunesse chevaleresque, et le voilà à l'âge viril, qui déjà prépare le nid des races à venir.

    Des individualités se dessinent : l'humanité où vivent et pullulent tous les êtres est à la fois une et multiple.

    Des figures étranges et hardies passent qui joignent l'idée nouvelle aux types d'autrefois.

    S'il est, hélas ! des pieuvres humaines à qui le sang du monde entier ne suffirait pas : finances, pouvoir, ânerie, lâcheté, monstres grouillant dans notre humus -- et ce n'est pas de trop de toutes les foules pour les y étouffer -- nous avons aussi des fakirs jetant leur vie comme on verse une coupe, les uns pour l'idée, les autres pour la science, mais tous pour le grand triomphe.

    Après ses luttes, la race, voulant vivre, se groupera sur le sol délivré.

    Les astres s'attirent pour graviter ensemble dans les espaces stellaires : ainsi les hommes, librement, prendront leur place par groupes.

    Le travail libre, conscient, éclairé, fera les moissons fertiles là où sont les champs déserts.

    La force des tempêtes et des gouffres, portée comme un outil, broiera les rochers, creusera des passages dans les montagnes pour ne faire qu'un seul paradis humain des deux hémisphères.

    Les navires sous-marins explorant le fond de l'Océan mettront à découvert des continents disparus : et l'Atlantide peut-être nous apparaîtra morte sous son linceul de flots et gisant pâle dans des ruines cyclopéennes enguirlandées de gigantesques coraux et d'herbes marines.

    L'électricité portera les navires aériens par-dessus les glaces des pôles, pour assister aux nuits de six mois sous la frange rouge des aurores polaires.

    Que de choses quand on regarde en avant, de choses tellement grandes que lorsqu'on y songe il devient impossible de s'occuper de son misérable individu !

    En y songeant, elles seront loin les personnalités !

    Chacun vivra inoffensif et heureux, dans l'humanité entière, aidant à multiplier indéfiniment les forces, la pensée, la vie.

    CHAPITRE VIII

    Les idées ayant germé sous notre ombre, les voilà qui dardent leur flamme ; on voit partout sous leur vrai jour les choses que l'obscurité faisait vagues et trompeuses.

    Les voilà dans la vie, les idées de Liberté, d'Égalité, de Justice, si longtemps affichées sur les geôles.

    On admire les oeuvres d'une réunion de savants, d'artistes, de travailleurs ; on a admiré les monuments auxquels ont travaillé des générations d'hommes.

    Les idées s'allument, flamboient, remuées, fertilisées par la lutte, le coeur se dilate, la vie se multiplie.

    Sur les agglomérations des foules passent des souffles brûlants ; cela vous empoigne, vous transfigure, vous jette au courant qui se précipite à l'océan révolutionnaire, au creuset où la fange même s'irradie en soleil.

    Les hommes ne pèsent guère dans ce cataclysme, le progrès seul y survit, le progrès juste, implacable, celui qui bat en brèche les vieux récifs.

    Quelle parcelle de terre n'est couverte de sang, quelle loi du réseau maudit ne sert de noeud coulant qui nous étrangle ?...

    Rien n'est à garder.

    Vous avez vu le laboureur retourner les sillons pour semer le blé nouveau : ainsi seront retournées toutes les couches humaines comme pour y enfouir, pareilles aux vieux chaumes, toutes les iniquités sociales.

    Il le faut !

    Pour qui seraient donc les découvertes, les sciences, pour qui seraient donc les machines, si ce n'est pour créer le bonheur de tous en même temps que multiplier les forces vivifiantes ?

    A quoi bon le sens des arts, si c'est pour l'étouffer chez les multitudes, et ne le cultiver qu'à grands frais chez quelques vaniteux artistes ?

    Tous ont les mêmes sens, excepté que les races qui ont trop joui ont le cerveau plus aride encore que ne l'ont les autres sans culture.

    Attendez qu'un quart de siècle ait passé sur la race, qu'elle ait évolué en pleine lumière de liberté, la différence entre la végétation intellectuelle à cette époque et la végétation présente sera telle que le vulgaire, imbu des sornettes dirigeantes, ne peut actuellement le saisir.

    Ni les États dont nous voyons les derniers haillons trempés du sang des humbles flotter dans la tourmente, ni les mensonges de carte géographique, de race, d'espèce, de sexe, rien ne sera plus de ces fadaises.

    Chaque caractère, chaque intelligence prendra sa place.

    Les luttes pour l'existence étant finies, la science ayant régénéré le monde, nul ne pourra plus être bétail humain, ni prolétaire.

    Et la femme dont la vie, jusqu'à présent, n'a été qu'un enfer ?...

    Qu'il s'en aille, aussi cet enfer-là avec les songes creux des enfers mystiques !

    Chaque individu vivant en tout le genre humain ; tous vivant en chaque individu et surtout vivant en chaque individu et surtout vivant en avant, en avant toujours où flamboie l'idée, dans la grande paix, si loin, si loin, que l'infini du progrès apparaîtra à tous dans le cycle des transformations perpétuelles.

    C'est ainsi qu'avant de retourner au creuset, chaque homme, en quelques ans, en quelques jours, aura l'éternité.



    PENSÉE DERNIÈRE

    En plongeant dans le passé, on le voit se joindre à l'avenir comme les deux extrémités d'un arc de cercle, et ce cercle, pareil aux ondes sonores, en éveille d'autres à l'infini.

    Émiettées de par le monde ( de l'Inde antique jusqu'à nous ), les sciences perdues vont-elles germer ou sont-elles mortes dans la fleur ?

    Faut-il attendre d'effluves nouvelles d'autres recommencements ? Suffira-t-il de retourner le sol pour donner aux germes du renouveau les conditions propres à l'existence ?

    Combien de civilisations ont sombré, combien d'hypothèses scientifiques se sont renversées devant d'autres hypothèses !

    Pourtant, allons, allons toujours ! N'a-t-on pas de quoi éteindre la lutte pour la vie ? de quoi remplacer l'anxiété des estomacs, la misère générale par le bien-être général ?

    D'ailleurs, les cerveaux devenant plus que jamais avides, il faudra bien pour les satisfaire que brille l'Ère nouvelle.

    Si l'amour de l'humanité est impuissant à faire sonner l'heure libératrice à l'Horloge fraternitaire -- heure où le crime n'aura plus de place -- l'indignation s'en chargera.

    Là haine est pure comme l'acier, forte comme la hache ; et si l'amour est stérile, vive la haine !



    SOUVENIRS DE CALÉDONIE - CHANT DES CAPTIFS

    Ici l'hiver n'a pas de prise,

    Ici les bois sont toujours verts ;

    De l'Océan, la fraîche brise

    Souffle sur les mornes déserts,

    Et si profond est le silence

    Que l'insecte qui se balance

    Trouble seul le calme des airs.



    Le soir, sur ces lointaines plages,

    S'élève parfois un doux chant :

    Ce sont de pauvres coquillages

    Qui le murmurent en s'ouvrant.

    Dans la forêt, les lauriers-roses,

    Les fleurs nouvellement écloses

    Frissonnent d'amour sous le vent.



    Voyez, des vagues aux étoiles,

    Poindre ces errantes blancheurs !

    Des flottes sont à pleines voiles

    Dans les immenses profondeurs.

    Dans la nuit qu'éclairent les mondes,

    Voyez sortir du sein des ondes

    Ces phosphorescentes lueurs !



    Viens en sauveur, léger navire,

    Hisser le captif à ton bord !

    Ici, dans les fers il expire :

    Le bagne est pire que la mort.

    En nos cœurs survit l'espérance,

    Et si nous revoyons la France,

    Ce sera pour combattre encor !



    Voici la lutte universelle :

    Dans l'air plane la Liberté !

    A la bataille nous appelle

    La clameur du déshérité !...

    ... L'aurore a chassé l'ombre épaisse,

    Et le Monde nouveau se dresse

    A l'horizon ensanglanté !

    Comme le flot frappe la grève

    Ou comme aux bois souffle le vent

    Aux coeurs aussi chante le rêve

    Plus que la vie il est vivant.

    Plus puissant que toute puissance

    Aussi plus haut il nous devance.

    Le rêve est magnifique et grand.

    Un homme rêve, un être étrange

    Qui jadis devait être né,

    Un linceul eut bien fait son lange

    Pour vivre aussi dans le passé,

    Pour aimer les sombres images

    D'égorgement au fond des âges

    En des temps au loin effacés.

    Il va hanté d'horreur intense,

    Il s'en va jetant un seul cri

    Un seul dans l'épouvante immense,

    Mort aux Juifs ! à tous, sans merci.

    Traînant d'inconscientes foules

    Au milieu de hurlantes houles

    De primitifs il est suivi.

    Mais qu'est donc cette fin d'époque

    Qui mêle autrefois et demain,

    Ce qui vagit à ce qui rauque,

    Les râles au rire enfantin ?

    Ce temps trouble, où Pierre l'Ermite

    De la poussière ressuscite

    Pour nier l'idéal humain ?

    L'homme cherche un asile sombre

    Et le silence autour de lui,

    Il fuit le grand souffle dans 1'ombre

    Qui partout sonne l'hallali

    Entraînant les derniers fantômes

    Dont les vents chassent les atomes

    Disparaissant dans l'infini.

    Ces spectres, le sang les appelle,

    Partout des lacs en sont creusés;

    Ils y viennent à tire d'aile

    Planant sur les morts entassés.

    Horribles, toutes les chimères

    Mêlant leurs hordes meurtrières,

    Au sang boivent par rangs pressés.

    Ils vont, ils vont par les vallées

    Par les plaines pourpres de sang

    Où les foules tombent fauchées

    Comme on coupe l'herbe d'un champ.

    L'affreuse mer monte et s'élève,

    Elle devient l'immense grève

    Du passé hideux et sanglant.

    Le sang des peuples qu'on égorge,

    Par grands flots lourds va déferlant,

    Au fond, avec un bruit de forge,

    Le coeur du monde est là battant.

    Spectre éternel aussi, qui bouge,

    L'Océan noir fleuri de rouge

    Toujours, toujours, s'en va montant.

    Partout sous la pourpre rafale

    Les bouchers de peuples, au loin

    Rôdent ayant sur leurs fronts pâles

    En lettres de sang : assassin.

    Tous les Abdul Hamed horribles

    Bourreaux, inquisiteurs terribles

    Paraissent pour tomber enfin.

    Et l'homme sortant de son rêve

    Dans l'aube reconnut Alger

    Dormant sur la sinistre grève.

    Mais il ne vit rien remuer,

    C'était bien la ville, mais morte.

    Il regarde et sur chaque porte

    Voit ceux qu'on venait d'égorger.

    Aussi ceux qu'on traînait dans l'ombre :

    Des vieux, des tout petits enfants

    Sous les couteaux tombant sans nombre.

    Qu 'ont-ils fait ? dit-il. Ils sont Juifs

    N'as-tu pas dit toute la race

    Doit périr sans laisser de trace ?

    Nous sommes les tueurs passifs.

    Le sang coule, c'était ton rêve,

    Tu demandais l'égorgement ;

    Avec son réveil il s'achève

    Pourquoi cet épouvantement ?

    Le sang lui jaillit au visage,

    Il tombe avec un bruit d'orage

    Dans le jour vermeil se levant.

    Au loin rouge se répand l'aube

    Dans les espaces infinis

    Et pourpre elle étale sa robe

    Sur la foule des asservis.

    Partout la mort et les tortures,

    Et, sifflant dans les chevelures

    Des reptiles faisant leurs nids.

    Lui secouant ses mains sanglantes

    Ne retrouvera plus de paix,

    De pourpre toujours rougissantes

    Rien ne les lavera jamais;

    Et rentrant dans l'horrible songe

    Où le cruel passé le plonge

    Il en porte l'horrible faix.

    Les maîtres pour garder la terre

    Ainsi déciment les troupeaux

    Arabes et Juifs, ô misère !

    Votre sang est pour les ruisseaux.

    Quand se dévorent les ilotes

    Les rois de l'or et les despotes

    Peuvent engraisser les corbeaux.

    0 pauvres foules qu 'on opprime !

    Et qui sont pointers et setters

    Dans la chasse où chaque victime

    Gibier ou chien est un des leurs !

    Le temps qui mêle les poussières

    Démasquera de ses lumières

    Les véritables égorgeurs.

    Moi j'aime les hommes des tentes

    Qui donnent le pain et le sel

    Aux Voyageurs par les tourmentes

    Et vivent libre sous le ciel;

    Nul parmi ces pasteurs farouches

    Ne regarde avec des yeux louches

    L'hôte de son seuil fraternel.

    Un soir en New Calédonie

    Nous vîmes au soleil couchant

    Paraître, ainsi qu'une magie,

    Des Arabes en burnous blanc,

    Ils étaient fiers, naïfs et braves

    Et ne voulaient point être esclaves,

    D'eux nous parlons bien souvent.

    Amis, les rois de la finance

    Sont de partout dans l'univers,

    De Rome, d'Israël, de France

    Et partout cruels et pervers.

    C'est la révolte universelle

    Qui sèmera la foi nouvelle,

    La liberté de l'univers.

    Lettres à Théophile Ferré
    (reprise de la bruchure "Graine d'ananar de Claire Auzias", éditée par les Editions du Monde Libertaire et les Editions Alternative Libertaire.)

    Chant de mort à mes frères.

    Nous reviendrons / Frères dans la lutte géante /

    j'aimais votre courage ardent /

    la mitraille à la voix tonnante /

    et notre drapeau flamboyant... Louise Michel.

    Théo Ferré, délégué de Montmattre arrêté, fut détenu au camp de Satory. Louise Michel raconte cette arrestation. La mère de Théo Ferré en devint folle. Elle termina ses jours à l'hospice d'aliénés de Sainte-Anne.

    De la prison des Chantiers, Louise Michel entretint avec Théophile Ferré une correspondance de prison à prison, des Chantiers de Versailles au camp de Satory, correspondance quasi-quotidienne d'autant plus poignante que l'assassinat de ce dernier par les Versaillais lui occasionna un choc émotionnel définitif, qu'on lit sous sa plume et qui se fond avec l'événement collectif que fut la Commune. De cet ensemble, Louise Michel émergea transformée.

    Première lettre.

    Maison d'arrêt de Versailles, 4 octobre 1871 dortoir, lundi 11 heures du soir

    Frère,je vous remercie, je suis bien heureuse, je suivrai vos conseils, je vous le promets. Vous avez bien fait de me dire que vous vous portez bien, je l'espèrepour moi, depuis l'ouverture du 3ème conseil de guerre je ne sais même plus si je suis en prison je ne m'en suis guère inquiétée et après jugement comme celui qu'ils ont fait, quand j'aurais été libérée à l'autre bout du monde je serais venue retrouver nos amis. Voulez-vous que j'écrive pour vous les mémoires de...

    En marge: si vous n'étiez pas prisonnier je serais moins docile.

    Bas de page déchiré et disparu.

    Dos de lettre: au citoyen Ferré, cellule 6 Continuation page 2, d'une écriture plus fine : il m'arrive maintenant d'avoir le temps d'écrire. Pourquoi je ne suis pas jugée encore, je nen sais rien puisque je devais passer dans les premières étant des plus coupables. Il est à croire qu'ils auront préféré commencer par de pauvres femmes qui pleuraient ne comprenant pas même la valeur des questions qu'on leur adressait que par celles qui ne peuvent prendre de pareils juges au sérieux [...] Vous souvenez-vous de cette réunion ou un grand orateur que nous n'aimions pas cependant parce qu'il était un peu personnel parlait d'une déportation immense portant joyeusement le drapeau rouge au grand mât. Ce serait bien beau. Ma mère est en sûreté chez ma tante ; je puis voir avec joie l'exil ou la mort et le choix en dépendra que m'en sera fait à moi révolutionnaire plus implacable que vous par ce que décideront de votre vie nos généreux vainqueurs à moins qu'ils n'en décident de même quand ce sera mon tour. En attendant je suis heureuse, oui l'avenir est à nous puisque nous sommes les martyrs. j'avais deux amies russes assez énergiques dont je n'ai plus entendu parler [...] Je suis ici écrivain public, ce sont les fonctions que je remplissais déjà à la gare de l'ouest parmi les prisonnières d'État. au revoir peut être. L. Michel.



    Deuxième lettre.

    Mardi soir au citoyen Ferré citoyen

    Ferré

    J'ai encore prié notre ami de vouloir bien se charger de cette lettre d'autant plus qu'il sait bien (c'est un peu orgueilleux mais c'est vrai) qu'il ne peut y avoir d'échange d'idées entre les autres prisonnières et moi parce que plus ou moins elles ont les qualités et les défauts des femmes et que précisément c'est ce que je n'ai pas. En attendant au revoir, il me semble que vous êtes bien triste je vous envoie tout ce que je puis voir d'espérances à l'horizon. J'espère qu'en fait d'opinion sur les femmes vous n'êtes plus réactionnaire et que vous leur reconnaissez le droit au péril et à la mort dans les circonstances comme celle ci; du reste ces droits là on nous les applique largement. Frère, est ce que nous nous reverrons ? "J'ai aimé et servi la Commune de tout mon coeur depuis le premier jour jusqu'au dernier parce qu'elle voulait le bonheur du peuple" Je vous serre la main de tout mon coeur.

    Troisième lettre.

    Lundi, 11 heures le soir au citoyen Ferré

    J'avais dit cependant, notre cher prisonnier, vous êtes le meilleur de nous tous ( ce que je ne vous dirais pas si vous n'étiez condamné ) et il nous faut d'abord que vous viviez à ce prix là, j'oublierai éternellement la prison car ma mère étant en sûreté je ne suis inquiétée que pour vous, c'est bien assez.



    Autres lettres et notes de Claire Auzias :

    Toutes les tentatives pour éviter la peine capitale à Théo Ferré ayant échoué, Louise Michel entreprend sa propre campagne, de plus en plus désespérée. C'est ainsi qu' elle écrit entre autres : " Maison d'arrêt de Versailles 20septembre 71 Aux membres de la Commission des grâces Messieurs, Lorsqu'à l'anniversaire du 4 septembre il y eut des condamnations à mort je vous ai dit "moi aussi républicaine j'ai droit à la mort et je viens la réclamer car je n'en veux voir davantage" Je vous ai crié depuis : non, la Commune n'est pas coupable et la tête de Ferré serait le défl auquel répondrait la révolution. Aujourd'hui j'apprends à la fois le rejet des pourvois, la mort de la mère de Ferré, l'emprisonnement de son père et de son frère. J'ai besoin d'ajouter à l' appui de mon serment que la Commune n'a commis ni assassinats ni incendies ni pillage, des preuves dont vous ne pouvez douter J'allai trouver l'un des délégués de Montmartre {Ferré} et je lui dis avec tout le désespoir que m'inspirait la défaite prévue... je réclamai des exécutions d'otages. Il me répondit que de telles choses étaient des crimes contre l'humanité (20 sept 1871, Versailles). "

    Elle écrit également à l'aumônier des prisons : " Je sens que les pourvois étant rejetés, il ne reste pour empêcher ce crime d'être consommé que la commission des grâces. Dites leur je vous en supplie une dernière fois que celui là même qu'ils ont condamné comme assassin et incendiaire flétrissait ces choses comme rendant l'avenir des causes en rendant odieuses et regardait comme impossibles à quiconque veut la liberté les lâches exécutions de victimes. Il faut que Paris soit bien mort pour que personne ne leur dise aumônier comment Ferré a résisté à toutes les provocations recevez, monsieur l'aumônier l'assurance de tout mon respect, 23 sept 71 Je vous prie de faire porter la lettre cachetée surtout sans qu'ils se doutent de la confiance que je vous porte. (23 sept 1871). "

    Louise Michel n'hésite pas : " Monsieur le chef du pouvoir exécutif Président de la République. Versailles. Monsieur , Nous croyons impossible l'application froide de la peine de mort, mais il faut tout prévoir. Je dois vous prévenir que si une seule exécution avait lieu, des papiers provenant de la maison Thiers et d'autres seraient immédiatement publiés en lieu sûr et bon pour semblable publicité Pendant qu'il est temps encore nous disons: assez de sang assez de vengeance, après il sera trop tard. (8 octobre 1871). "

    Elle écrit ainsi à l'ambassadeur d' Angleterre (personnel, 20 octobre 1871), au colonel Gaillard, directeur du Conseil de guerre à Versailles (3 novembre 1871), à Madame Jules Simon pour qu'elle fasse intervenir son mari député.

    L' ancien ouvrier proudhonien et internationaliste Tolain ne s'est pas illustré avec une gloire particulière pendant la Commune. Il était devenu député. Louise Michel lui adresse ceci : " Monsieur Tolain, député, 22 rue de Satory, Versailles, 20 octobre 1871. Monsieur. Je connais votre dévouement à l'humanité. Il y a ici des douleurs pour lesquelles il faut que je vous parle, peut être pourrez vous quelque chose. Recevez mes respects. Louise Michel. Je vous attends aujourd'hui non pas le jour , mais l'heure prochaine. "

    23 lettres à l'abbé Folley, qui fut son confident à la prison des Chantiers et son messager auprès de Ferré .. " Mon intention était de jeter la terreur... eh bien c'est Ferré qui, au nom de la cause aussi m'en a ôté les moyens. Et voilà pourquoi moi qui dirai la vérité jusqu'à mon dernier souffle je vous charge vous, prêtre croyant en votre ministre, de la dire à la commission des grâces au nom de celle qui aimera toujours plus que tout le peuple et la révolution et exiger cela au nom celle qui, n'ayant jamais commis de lâcheté a le droit d'exiger cela au nom de la grande justice. Je vous en remercie. Je vous envoie ma lettre fermée l'adressant à un prêtre j'en ai le droit (13 novembre 1871). Maison d'arrêt d'Arras, Pas de Calais. Voici l'adresse de mon cousin afin de rassurer maman : Monsieur Léon Galès, chemisier 164 et 166 en face des magasins du Louvre, rue Saint Honoré. "

    C'est que Louise Michel, à l'approche de l'exécution de Théo Ferré a été transférée à la maison d'arrêt d'Arras, dans le Pas-de-Calais, afin qu'elle soit éloignée du lieu du meurtre.Théophile Ferré est exécuté. Après la condamnation de Louise Michel, elle est transférée à la prison d'Auberive en Haute-Marne, pour la rapprocher de sa mère. Ces lettres ont également l'abbé Folley pour destinataire. " Nous sommes arrivées hier à Auberive [...] Je ne souffre pas, je suis ici tout à fait dans la mort et cela vaut mieux pour moi. Je ne pouvais éprouver qu'une seule douleur. Maintenant je me sens de l'autre coté de la vie. Vous savez à qui j'aurais voulu dire adieu vous savez tout ce que je voulais faire, je ne vous recommande donc rien, mais écrivez-moi si vous avez vu maman (29 décembre 71). Quant à moi, je serais bien indigne de ceux qui sont morts si je ne m'habituais pas à vivre tellement pour les autres que je puisse oublier l'existence; avec cela il faudra bien que j'y revienne (7 janvier 72). "

    Sur papier deuil liseré de noir. " L'an dernier à pareille époque dans les événements qui nous pressaient de toutes parts, j'admirais l'un des nôtres : le plus audacieux dans le péril, le plus généreux dans la victoire et ne voulais pas que cette grande nature descendit aux petites vanités humaines. Je lui disais que nous espérions davantage de lui ; combien de fois aussi je lui ai dit qu'il était beau de n'avoir que la mort pour récompense, mais c'est qu'alors j'espérais la partager. C'eût été du bonheur ! On en a ordonné autrement et je ne serai pas indigne de lui dans la douleur; après tout, se revoir même un instant, c'était trop de joie pour cette vie... Du moins pouvons nous être fiers de celui que nous avons perdu. Soyez sûr que je ne manquerai pas de courage ni que je ne négligerai aucun devoir, mais il arrive un instant où la conscience de ce qui reste à faire empêche seule d'aller retrouver ceux qu'on a perdus (24 mars 72). "

    Et toujours à l' abbé : " Mon oncle est en liberté, mes cousins l'un à Versailles l'autre à Rouen mais eux sont jeunes, ils peuvent souffrir. Briot dans sa bienveillance a eu l'idée de parler de moi à la commission des grâces. Je vous supplie qu'on ait quelque respect pour la conscience et ne descende pas jusqu'à insulter par de telles choses ceux qui souffrent avec joie mais qui sauraient mourir plutôt que se laisser dégrader . J'ai été condamnée en enceinte fortifiée, j'ai le droit d'exiger que qui que ce soit n'y change rien comme je l'ai déclaré devant le conseil de guerre. Je saurai bien tenir ma parole contre tout, mais vous savez qui m'a ordonné d'être calme, j'obéis (7 avril 1872). Merci de vous souvenir des morts; du reste vous seul avez été son ami l'an dernier; je m' en souviens (28 janvier 1873). "

    Hugo, qui s'est toujours prononcé contre la peine de mort, intervient plusieurs fois en faveur de communards. Il dîne en tête-à-tête avec Thiers pour obtenir l'adoucissement de la condamnation de Henri Rochefort le 1er octobre 1871, il sauve quelques têtes dont celle de communardes. Malgré les exhortations de Louise Michel, il ne semble pas s'être entremis afin de sauver celle de Théophile Ferré. Après le procès de Louise Michel il écrit Viro Major (Plus grande qu'un homme). À sa suite, des poètes de la Commune évoquent fréquemment celle qui est devenue, dès lors, la voix folle de la Commune.

    Camille Pissaro écrit à son fils : " Je te prie de lire la défense de Louise Michel. C'est très remarquable. Cette femme est extraordinaire. Elle tue le ridicule à force de sentiment et d'humanité. "

    L' on connaît la suite : après plus d'une année à la prison d' Auberive, Louise Michel, condamnée à la déportation en enceinte fortifiée, est embarquée sur le Virginie pour la Nouvelle-Calédonie, où elle reste huit ans.

    Son seul séjour dans cette colonie française force l'admiration. On en lit le récit dans tous ses écrits, ses mémoires, ses Souvenirs, ses Contes canaques et ses Conférences, poèmes et correspondances. Elle a abordé la Nouvelle-Calédonie comme personne ne le fit avant elle, étudiant la langue canaque pendant six mois avant d'approcher ce peuple soumis par la France. Elle fit oeuvre d'ethnographe recueillant et étudiant des coutumes ignorées d'elle - Parmi les libertaires, seul Charles Malato l'accompagna réellement dans cette inclination. Il demeura son ami tout au long de sa vie. Jusqu'à Nathalie Lemel, Henri Rochefort (avant son évasion) sans compter d'autres communards déportés hostiles aux Canaques, Louise Michel fut seule dans cette rencontre d'un peuple à qui elle n' offrit rien moins que les armes de leur libération. Le geste concret et hautement symbolique de Louise Michel coupant en deux l'écharpe rouge de la Commune dont elle offrit l'autre moitié aux Canaques est resté si mémorable qu'il donna lieu à prolongement jusqu'au Chiapas : d'après l'historien mexicain Garcia de Leon, à la suite de la rébellion des Canaques en 1878, quelques centaines d'entre eux furent transportés au Mexique pour combler un manque de main d'oeuvre. Beaucoup périrent dès leur débarquement. Mais, Les Canaques transportaientavec eux - par un de ces cheminements absurdes [...] le drapeau rouge de la Commune [...] Au Sonocusco, la graine était semée et une ceinture rouge vint s'ajouter à la lutte multicolore des journaliers chamulas. La légende étant aussi belle que la réalité, peu importent les faits eux-mêmes pour signifier ce qui, au final, est exact : le drapeau rouge de la Commune fit le tour de la terre...

    Non contente de lutter quotidiennement contre l'administration pénitentiaire, pour elle même comme pour ses co-déportés, non contente de fraterniser avec les Canaques ; Louise Michel eut encore le temps d' écrire des oeuvres littéraires depuis la Nouvelle-Calédonie, une correspondance et de s'intéresser à la géographie et la géologie du lieu.

    L'on est tenté de penser que les Canaques firent oeuvre de deuil sur Louise Michel, qu'ils la "soignèrent" de son immédiat chagrin, lui rouvrant un monde nouveau à découvrir et qu'auprès d'eux, elle reprit la force de lutter qui fut sienne, sa vie durant.

    Le retour à Paris fut triomphal ; moins d'une semaine après avoir mis pied à terre dans la capitale française, Louise Michel donnait une conférence à l'Élysée-Montmartre.

    CHRONOLOGIE DE LA VIE DE LOUISE MICHEL

    29 mai 1830: (Six heures du soir.) Naissance de Louise Michel à Vroncourt (Haute-Marne), de Marie-Anne Michel et de père inconnu.
    30 novembre 1844: Mort d' Étienne-Charles Demahis, considéré par Louise Michel comme son grand-père.
    1847: Mort de Laurent Demahis, fils du précédent et vraisemblablement père de Louise Michel.
    Octobre 1850: Mort de Mme Demahis, née Louise-Charlotte Maxence Porquet, considérée par Louise Michel comme sa grand-mère.
    1851: Louise Michel passe trois mois à Lagny au pensionnat de Mme Duval où elle se prépare au métier d'institutrice. Elle rencontre Victor Hugo. Elle poursuit ensuite les mêmes études à Chaumont.
    27 septembre 1852: Déclaration d'ouverture d'une école libre dirigée par Louise Michel à Audeloncourt (Haute-Marne).
    1853
    : Louise Michel ferme son école d'Audeloncourt et devient «sous-maîtresse» à Paris. Mais elle revient en Haute-Marne au bout de quelques mois parce que sa mère est malade.
    Novembre 1854: Elle demande l'autorisation de réouvrir son école d'Audelon-court, mais y renonce, faute d'élèves.
    3 décembre 1854: Elle ouvre une école à Clefmont. (Haute-Marne).
    Octobre 1855: Abandonnant Clefmont, Louise Michel installe une école à Millières (Haute-Marne). Selon certaines sources, elle reste deux ans dans ce village. Selon d'autres...
    1856: ...elle devient « sous-maîtresse » à la pension de Mme Voilier, 14, rue du Château-d'eau, à Paris, dès l'année suivante. Son amie, Julie Longchamp, qui était avec elle à Millières, vient l'y rejoindre.Sur toute cette période, Louise Michel, est très avare de détails dans ses Mémoires. Son dossier académique, qui aurait pu donner des précisions utiles, a disparu des Archives de la Haute-Marne, sans doute vers la fin du siècle dernier.
    27 janvier 1862: Louise Michel, qui passe toutes ces années à enseigner, à écrire, à s'instruire y compris sur le plan politique devient sociétaire de l' « Union des poètes ».
    1865 : Vente des terres héritées des Demahis afin d'acheter un externat pour Louise, 5, rue des Cloys à Paris. Elle s'y installe avec Mme Vollier, devenue impotente et qui meurt bientôt. Une autre vieille institutrice, également infirme, la remplace, Caroline L'homme.
    1868 : Ouverture d'un cours, 84, rue Oudot, en compagnie de Mlle Poulin, malade elle aussi.
    12 janvier 1870: Participation aux obsèques de Victor Noir, journaliste républicain assassiné par un parent de l'empereur. Louise, habillée en homme, a caché un poignard sous ses vêtements.
    15 août 1870: Louise Michel participe à une manifestation organisée en faveur des blanquistes Eudes et Brideau, arrêtés la veille. Elle porte au général Trochu, gouverneur militaire de Paris, une pétition en leur faveur, lancée par Michelet.
    13-18 septembre 1870
    : Visite de Louise Michel à Victor Hugo.
    Octobre 1870: Louise Michel lance un appel aux infirmières des remparts et aux « citoyennes de la libre pensée» pour les inciter à se porter au secours de Strasbourg encerclée par les Prussiens. Elle participe alors aux deux comités de vigilance du XVIII' arrondissement où elle fait la connaissance de Théophile Ferré.
    31 octobre 1870: Louise Michel participe à une grande manifestation en faveur de la Commune devant l'Hôtel de Ville.
    l er décembre 1870: Première arrestation de Louise Michel à la suite d'une manifestation de femmes.
    22 janvier 1871
    : Pour la première fois, Louise Michel, qui s'est munie d'un fusil, fait le coup de feu contre les mobiles bretons de Trochu devant l'Hôtel de Ville.
    17-18 mars 1871: Louise Michel participe activement à l'affaire des canons de la garde nationale sur la Butte Montmartre. Après la proclamation de la Commune, elle s'occupe essentiellement d'oeuvres sociales et pédagogiques.
    3 avril- 21 mai 1871: Les Versaillais déclenchent l'assaut final contre la Commune. Louise Michel participe en tant qu'ambulancière et combattante aux batailles de Clamart, Issy-les-Moulineaux (son courage est mentionné au Journal officiel de la Commune du 10 avril), Neuilly. Elle se bat dans les rangs du 61ème bataillon de Montmartre. Le 18 mai, elle est envoyée par Dombrowski au Comité de vigilance de Montmartre. Elle prend part aux derniers combats et est arrêtée pour n'avoir pas voulu laisser sa mère emprisonnée à sa place.24 mai 1871: Louise Michel est transférée à Versailles.
    28 juin 1871: Premier interrogatoire devant le conseil de guerre.
    2 septembre 1871 : Condamnation à mort de Théophile Ferré.
    19 septembre 1871: Second interrogatoire de Louise Michel qui est alors transférée à la prison d'Arras.
    28 novembre 1871: Exécution de Théophile Ferré.
    29 novembre 1871: Louise Michel est ramenée d'Arras à Versailles.
    16 décembre 1871: Comparution devant le 4° conseil de guerre qui condamne Louise Michel À la déportation dans une enceinte fortifiée. Elle refuse de faire appel.
    2l décembre 1871 : Transfert à la prison centrale d'Auberive (Haute-Marne).
    24 août 1873: Départ pour la gare de Langres et voyage par chemin de fer jusqu'à La Rochelle, via Paris.
    28 août 1873 : Transfert par bateau de La Rochelle à Rochefort où les déportés sont embarqués sur le Virginie.
    10 décembre 1873: Arrivée en Nouvelle-Calédonie.
    1878: Insurrection canaque.
    8 mai 1879: La peine de Louise Michel est commuée en déportation simple.
    30 avril 1880: A la suite d'un discours qu'elle a prononcé à, Saint-Étienne et de sa participation à, un meeting suivi de manifestations violentes à Vienne, Louise Michel est arrêtée.
    24 mai 1880: Elle refuse sa mise en liberté provisoire parce que ses co-inculpés ne bénéficient pas de la même mesure.
    16 juin 1880: Louise Michel est nommée institutrice à Nouméa.
    11 juillet 1880: Décret d'amnistie en faveur des condamnés de la Commune.
    16 octobre 1880: Louise Michel bénéficie d'une remise de peine. Elle la refuse.
    7 novembre 1880: Arrivée de Louise Michel à Londres.
    9 novembre 1880: Réception triomphale à la gare Saint-Lazare à Paris.
    1881: Louise Michel, qui prend la parole au cours de nombreux meetings depuis son retour en France assiste aux obsèques de Blanqui dont elle prononce l'éloge funèbre.
    18 janvier 1888 : Condamnation à 15 jours de prison pour outrages à agents.
    26 février 1882: Mort de Marie Ferré.
    9 mars 1883: Louise Michel prend part à, une manifestation de chômeurs aux Invalides au cours de laquelle des boulangeries sont pillées. Elle est l'objet d'un mandat d'arrêt, mais la police ne la trouve pas.
    29 mars 1883: Elle écrit au préfet de police pour lui dire qu'elle se rendra à, son bureau le lendemain.
    30 mars 1883: Sur le chemin de la préfecture Louise Michel est arrêtée et conduite au dépôt.
    1 avril 1883 : Elle est incarcérée à la prison de Saint-Lazare.
    21 Juin 1883: Ouverture du procès de Louise Michel.
    23 juin 1883: Louise Michel est condamnée à, six ans de réclusion, assortis de dix années de surveillance de haute-police.
    15 juillet 1883: Louise Michel est transférée à, la prison de Clermont- de- l'Oise.
    3 janvier 1885: Mort de la mère de Louise, Marianne Michel.
    5 janvier 1885: Obsèques de Marianne Michel.
    8 janvier 1886: Décret du président de la République accordant sa grâce à, Louise Michel. Elle refuse, puis consent.
    14 janvier 1886: Louise Michel est conduite par la police au domicile que lui ont trouvé ses camarades, 89, route d'Asnières, à Levallois.
    3 juin 1886: Louise, qui ne cesse de prendre la parole au cours de multiples réunions, participe au théâtre du Château-d'eau (Paris) à, un meeting en faveur des mineurs de Decazeville. Elle y prononce un discours, Jules Guesde, Paul Lafargue et Susini y interviennent à, ses côtés.
    14 août 1886: Louise Michel est condamnée à quatre mois de prison et à 100 francs d'amende.
    24 septembre 1886: Lafargue, Guesde et Susini, qui avaient également été condamnés, ont fait appel (ce que Louise Michel avait refusé de faire) et sont acquittés. Le gouvernement est fort embarrassé. Que faire de Louise ? Après des démêlés ubuesques, elle finit par bénéficier d'une remise de peine en novembre 1886. Elle continue à, prononcer des discours à travers la France.
    22 janvier 1888: Louise Michel prononce un discours au théâtre de la Gaîté du Havre à 14 heures. Dans la soirée, elle parle à la salle de l'Élysée. Un « chouan », Pierre Lucas, tire sur elle deux coups de pistolet. Elle est blessée à, la tête mais refuse de déposer plainte contre son agresseur.
    31 mai 1890: Le mandat d'arrestation qui l'avait frappée est levé : mais Louise refuse (toujours pour les mêmes raisons) de quitter la prison. De colère, elle casse tout dans sa cellule.
    2 juin 1890: A la suite de cette manifestation, le médecin commis pour l'examiner demande son internement comme « folle ». Le gouvernement, qui craint des histoires, s'y oppose. Finalement, elle est libérée et quitte Vienne, le 4 juin, pour Paris.
    29 juillet 1890: Craignant d'être internée comme folle, Louise Michel se réfugie à, Londres. Nous sommes à l'époque des attentats anarchistes qui donnent prétexte au vote des « lois scélérates » de 1893.
    13 novembre 1895: Louise Michel revient à Paris où elle est accueillie par une manifestation de sympathie à la gare Saint-Lazare. Elle prononce dans la capitale et en province une série de discours.
    27 juillet 1896: Elle assiste, à Londres, au congrès international socialiste des travailleurs et des chambres syndicales ouvrières qui voit la rupture entre les anarchistes et les socialistes.
    16 septembre 1897: Louise Michel est arrêtée à Bruxelles et expulsée de Belgique.
    15 février 1898: Ne voulant pas prendre parti dans l'affaire Dreyfus, Louise Michel repart pour Londres.
    20 mai 1898: Elle revient à Paris pour s'occuper de l'édition de ses oeuvres (notamment la Commune) puis regagne l'Angleterre.
    Fin 1899: Elle s'installe à nouveau à Paris et y donne une série de conférences.
    23 décembre 1899: Louise Michel repart pour Londres.
    17 octobre 1900: Elle revient à Paris.
    13 novembre 1900: Elle retourne à Londres.
    Février 1902: Frappée de pneumonie, elle échappe de peu à la mort.
    15 mai 1902: Elle revient en France et préside à une série de meetings. Au cours de l'année, elle fait de nouveau un bref séjour à Londres.
    1903: L'année est marquée par une tournée de conférences à, travers tout le pays, en compagnie de l'anarchiste Girault.
    22 octobre 1903: Louise Michel interrompt son périple ; elle est de nouveau malade.
    27 octobre 1903: Elle retourne à Londres.
    Février 1904: Nouvelle tournée de conférences en France avec Girault.
    20 mars 1904: Très fatiguée, elle tombe malade à Toulon.
    11 mai 1904: Quelque peu remise, Louise rentre à Paris.
    16 mai 1904: Elle rédige son testament : « Je soussignée, Louise Michel, déclare confier à Charlotte Vauvelle, ma compagne depuis 15 ans, et à mes camarades de lutte, pour les mettre à exécution mes dernières volontés, qui sont d'être enterrée sans aucune cérémonie religieuse (...) au cimetière de Levallois-Perret, dans le caveau de ma mère, où il y a une place pour moi.
    2O mai 1904: Décidément infatigable, Louise Michel prononce une conférence aux Sociétés savantes et reprend sa tournée.
    5 janvier 1905: Épuisée, elle gagne Marseille et s'alite A l'Hôtel de l'Oasis.
    9 janvier 1905: Elle meurt à 10 heures du matin.
    l1 janvier 1905: Le corps de Louise Michel est transféré au dépositoire du cimetière Saint-Pierre à Marseille.
    20 janvier 1905: Son cercueil est amené à, la gare de Marseille pour être transporté à Paris.
    21 janvier 1905: A dix heures du matin, un imposant cortège accompagne le corps de Louise Michel de la gare de Lyon au cimetière de Levallois-Perret.
    1946: Les restes de Louise Michel sont exhumés et ensevelis, dans le même cimetière, au rond-point des Victimes du devoir.

    cimetière de Levallois-Perret
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