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LA REVUE RÉVISION (1938-1939)

Discussion dans 'Bibliothèque anarchiste' créé par Marc poïk, 21 Septembre 2017.

  1. Marc poïk
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    Marc poïk Sous l'arbre en feuille la vie est plus jolie Membre actif

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    "Il serait temps de dire ce que l’on pense et de penser ce que l’on dit.
    Première révolution à accomplir chez les révolutionnaires.
    "

    Révision, juin 1938.

    Année des plus grises

    L’ANNÉE 1938 - date de naissance de Révision, date significative à plusieurs égards - était, selon Marceau Pivert, écrivant dans l’organe de la Solidarité internationale antifasciste, une "année des plus grises" : dans la grisaille de ces journées décisives, quelque chose s’est brisé dans la conscience collective des masses populaires [3].
    Dès le printemps de cette année-là, le Libertaire lui aussi se plaignait d’un déclin du militantisme et d’un pessimisme croissant dans les rangs du mouvement ouvrier français [4]. Les raisons de cette évaporation des espoirs révolutionnaires de 1936 sont évidentes : la dégradation de la situation en Espagne, surtout après l’offensive nationaliste sur le front aragonais en mars-avril 1938, qui a coupé en deux l’Espagne républicaine ; le renforcement de l’hégémonie stalinienne en Espagne après le départ du gouvernement d’Indalecio Prieto au mois d’avril ; l’Anschluss de l’Autriche en mars ; la désillusion causée par l’expérience du Front populaire français, et l’effondrement du dernier gouvernement de Front populaire en avril, suivi de l’accession au pouvoir du gouvernement Daladier, dont les politiques de plus en plus répressives ont eu des répercussions sérieuses sur le mouvement ouvrier et révolutionnaire. L’échec de la grève générale du mois de novembre a aggravé la situation, faisant immédiatement "le vide dans les salles", comme le décrivait Lucien Huart de retour d’une tournée de propagande :

    "La mystique du front populaire achevait de mourir ; gavées de slogans imbéciles, c’est-à-dire de vent, pendant trente mois, les masses organisées se dégonflaient lamentablement au premier choc un peu brutal [5]."

    Quelques mois plus tard, en juin 1939, la situation semblait encore plus désespérée et Huart écrivait dans le Libertaire :

    "Nous avons laissé au gouvernement une tranquillité qui lui a permis d’étendre et de fortifier son pouvoir dictatorial ; nous avons ruiné nos organisations. Aujourd’hui, nous sommes un zéro intégral. En caisse : zéro ; action : zéro ; et, ce qui est pire, énergie : zéro [6].

    Des révolutionnaires sincères et honnêtes

    Pourtant, c’est en dépit - ou mieux, à cause - de cette ambiance désabusée et découragée qu’un groupe de jeunes révolutionnaires a décidé de lancer un débat ouvert sur l’état du mouvement ouvrier. Au mois de février 1938 paraît le premier numéro d’une nouvelle revue mensuelle, Révision, portant comme sous-titre "revue d’études révolutionnaires [7]". Les jeunes militants qui en étaient responsables venaient d’horizons idéologiques et militants divers. La liste des signataires du manifeste de la revue (paru sur les deux premières pages du premier numéro) est composée en majorité de libertaires : Marie-Louise Berneri et Suzanne Broido des Étudiants libertaires [8] ; Luc Daurat [9], Marester et Charles Ridel [10] des Jeunesses anarchistes communistes ; René Dumont de l’Union anarchiste [11]. Mais il y a aussi Greta Jumin, ex-membre des Jeunesses communistes ; Jean Meier de la Fédération autonome des Jeunesses socialistes [12] ; Jean Rabaud des Étudiants socialistes [13] ; et Sejourne, exclu des JEUNES (jeunes Équipes unies pour une nouvelle économie sociale) [14]. La coopération de libertaires, de pivertistes et d’autres courants de la gauche n’avait rien de surprenant en 1938, mais c’est la première fois - que je sache - qu’une telle collaboration aboutit à la création d’une revue théorique motivée par la conviction partagée que le mouvement ouvrier a besoin d’une révision idéologique et stratégique profonde. La critique et l’autocritique exprimées dans les pages de Révision sont vives, quelquefois acerbes. Ce n’est pas sans rappeler, à certains égards, la situation entre 1916 et le début des années vingt.

    Credos et catéchismes vieillis

    Selon le manifeste du groupe Révision, les organisations de gauche manquent d’idées nouvelles. C’est la raison d’être de la revue :

    "À l’intérieur ou en marge des tendances officielles, des révolutionnaires sincères et honnêtes rejettent les credos et les catéchismes vieillis pour rechercher une interprétation des faits et une méthode d’action qui tiendraient compte des facteurs nouveaux que les événements de notre siècle ont révélés et dom ils subissent l’influence." [15]

    Tous les secteurs du mouvement socialiste sans exception seraient inadéquats, leurs doctrines et pratiques ne correspondraient plus aux exigences d’une réalité changeante :

    "Réformisme, bolchevisme, syndicalisme, anarchisme, sont des doctrines dont les dogmes ne sont plus entiers pour aucun militant. Il est temps de réviser l’ensemble de nos conceptions socialistes et révolutionnaires par une étude fraîche de la réalité d’hier et d’aujourd’hui."

    Un socialisme libre et humain

    Le rôle de Révision était donc de former un centre de ralliement pour tous ceux et celles qui, sous différentes étiquettes, œuvrent pour "un socialisme libre et humain, un socialisme libertaire". Plus précisément :

    "Nous entendons par libertaires tous les révolutionnaires qui se refusent à négliger le côté humain du socialisme et qui ne conçoivent la lutte sociale et la société nouvelle que sur les bases d’une démocratie véritable."

    En prônant ce renouveau du socialisme sur les bases d’une étude scientifique de la réalité sociale actuelle - le langage utilisé dans Révision reflète ce souci d’objectivité, de recherches, de rigueur scientifique -, le groupe a tenu à affirmer son indépendance et a entrepris de faire la critique de la II° Internationale, de la III° Internationale, du "doctrinalisme hypercritique et stérile des diverses oppositions communistes" et de "l’opportunisme et (du) purisme qu’on trouve étroitement associés dans certaines tendances anarchistes".
    Mis à part le manifeste du groupe (n° 1, pp. 1-2), seuls deux articles parus dans Révision sont signés Ridel, deux articles qui présentent l’essentiel de la position critiqueadoptée par lui vis-à-vis de l’anarchisme, du socialisme étatique et du syndicalisme réformiste en France dans les années trente [16]. C’est surtout à ces deux articles que le présent chapitre va s’intéresser. D’autres contributions à Révision traitent d’autres questions : Nicolas Lazarévitch donne des réflexions sur l’état de la jeunesse française [17] et fournit une analyse critique de l’anarcho-syndicalisme espagnol [18] ; Daurat attaque les dirigeants communistes et cégétistes, "traîtres" à la classe ouvrière [19] ; un dossier non signé passe en revue les analyses de la nature de l’État proposées par les différents courants du mouvement ouvrier (syndicalistes, anarchistes, communistes, socialistes, pianistes), et présente les expériences d’une dizaine de pays [20]. Mais il me semble qu’en fait les deux articles de Charles Ridel sont les plus intéressants du point de vue d’un examen de l’insuffisance du mouvement anarchiste français à l’époque cruciale des années trente.

    Critique du mouvement anarchiste français

    Dans Révision, Ridel nous propose donc son interprétation de l’échec du mouvement anarchiste français dans l’entre-deux-guerres.
    Le terme de "milieu anarchiste", employé souvent pour le distinguer du mouvement anarchiste, n’est pas tout à fait exact selon Ridel, mais contient quand même sa part de vérité, soulignant notamment "tout ce qu’il y a de flou et d’inconsistant dans l’anarchisme" [21].
    Et il continue :

    "Le manque d’organisations solides, l’absence de programme et de statuts écrits, l’élasticité de la doctrine, son imprécision, les généralités et les contradictions qu’elle contient, constituent autant d’obstacles d’un ordre spécial qui rendent les appréciations d’ensemble et les opinions nettes difficiles à formuler." [22]

    Si les anarchistes ont réussi depuis la Grande Guerre à créer des organisations sur le plan national, ceci ne signifie pas pour autant que le mouvement est devenu moins hétérogène :

    "Les divisions subsistent, les tendances coexistent, les liens qui unissent les groupes de province et de la capitale sont lâches et mal déterminés. La mentalité et les mots d’ordre varient suivant les régions.
    "La doctrine, toute théorique, tirée d’un stock inépuisable de brochures inactuelles, rassemble des catégories de socialistes disparates à un point tel que seul le caractère de groupe d’études, aspect habituel des groupes anarchistes, permet de les réunir."

    Il est clair, pour Ridel, que le maintien de liens organiques avec les luttes sociales est essentiel. Selon lui, le mouvement en est arrivé là à cause de son absence des luttes ouvrières depuis une quinzaine d’années, et il se félicite de ce que, depuis le tournant du PC en 1933, l’intérêt envers l’anarchisme n’a fait que croître. Mais le problème, c’est que le mouvement n’a pas réussi à retenir ces nouvelles recrues :

    "La maison est restée ce qu’elle était hier et les nouveaux venus restent le plus souvent ahuris devant le mobilier et le fonctionnemem intérieur."

    "L’anarchiste de gouvernement"

    Devant ces faiblesses, selon Ridel, les militants réagissent de façons diverses :

    "Si certains cherchent, au travers des expériences d’après-guerre, des solutions pratiques et applicables, si d’autres s’en vont rejoindre des organisations dont les formules se rapprochent des idées libertaires tout en utilisant des formes de propagande modernes, l’anarchiste de gouvernement a, lui, trouvé une combinaison qui permet de garder les saints principes intacts (...) et de travailler aisément dans notre bonne démocratie française."

    "L’anarchiste de gouvernement" fonde sa doctrine - ou plutôt sa phraséologie - sur des emprunts à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Toute discussion doctrinale sérieuse est rendue impossible par l’anarchiste de gouvernement qui a recours aux deux grands principes absolus : Autorité et Liberté -"logique irréfutable parce qu’irréelle [23]". Quand il en vient à l’action, l’anarchiste de gouvernement justifie son inaction en prétendant que "les hommes ne sont pas assez éduqués", ou "tout n’est pas possible", ou encore "l’anarchisme est un idéal qui nécessite de longues périodes de lutte avant de pouvoir être atteint". Ce refus de l’action, combiné avec ce qui est appelé son "esprit d’indépendance", pousse ce genre d’anarchiste vers d’autres formations"d’aspect indépendant" :

    "franc-maçonnerie, libre-pensée, ligues pacifistes ou antifascistes, où le bon-cœurisme et les sentiments humanitaires débordent et se donnent libre cours dans de belles campagnes en compagnie d’esprits élevés venus d’autres milieux. Les traits d’union surgissent entre des courants idéologiques et des couches sociales en apparence fort différents."

    Organisation et démocratie libertaires

    Pour Ridel, c’est la faible structuration de l’organisation anarchiste qui permet à ces soi-disant anarchistes de dominer le mouvement :

    "Dans un mouvement où (...), sous prétexte de liberté, une hiérarchie de fait s’installe avec au sommet quelques hommes dont les talents les font considérer, dans une certaine mesure, comme des panneaux publicitaires ou des curiosités pour tournées Barnum, le rôle des animateurs, des militants, des guides (que d’efforts pour désigner des chefs ayant pleine autorité, mais sans responsabilité) est bien plus grand qu’ailleurs."

    Il continue en soulignant l’ironie d’une telle situation :

    "La démocratie suppose l’ organisation, elle y est subordonnée. Sans elle, le gâchis et l’incohérence s’installent, une dictature de clique, de boutique ou de bonzes vient s’implanter naturellement. L’anarchisme finit par ne plus avoir d’existence publique qu’au travers de ces quelques hommes qui parlent, écrivent et agissent aux nom et place d’un mouvement qui pourrait se déterminer par la coopération et l’apport de chacun de ses membres, groupés autour d’une doctrine, essayant de pénétrer dans la lune sociale comme force sûre et vigoureuse et capable d’entraîner l’ensemble du prolétariat vers son émancipation."

    Autonomie ouvrière

    La cible de ces remarques est évidemment l’Union anarchiste et les méthodes adoptées notamment par Louis Lecoin. La création de comités "englobant toutes les vieilles barbes "indépendantes", les cabotins de la larme à l’œil", est stigmatisée par Ridel, puisque ces campagnes seraient ainsi vidées de tout contenu révolutionnaire. Alors que pour Ridel, toute campagne, tout mouvement, toute action qui n’est pas ancré dans la lutte des classes perd toute validité pour un anarchiste révolutionnaire. Ceci ne signifie cependant pas qu’il rejette le recours à de telles méthodes en toutes circonstances :

    "L’action révolutionnaire doit parfois utiliser le sentimentalisme des populations républicaines et radicales. Il faut, en certaines circonstances, se résoudre à parlementer avec ceux qui ont gravi les marches du pouvoir en retournant progressivement ou brusquement leur veste."

    Mais il y a une distinction importante à faire :

    "Si tout le mouvement est basé sur une telle agitation, sur ce bluff et ces marchandages d’antichambre, une seule chose peut et doit en résulter : la liaison avec les pouvoirs établis, l’apparentement avec la démocratie bourgeoise, la transformation de l’action révolutionnaire en vue d’une reconnaissance officieuse par les pouvoirs établis et dans les limites compatibles avec l’existence du régime, l’organisation anarchiste devenant une annexe de la "gauche" politique.
    "Si ces tractations ne sont qu’une forme de menace exercée par une force décidée, animant et groupant des couches importantes de la population, le mouvement reste sain."

    En fin de compte, insiste Ridel, les méthodes pratiquées par le mouvement anarchiste dans le passé ont fait le jeu de la bourgeoisie en détournant le mouvement révolutionnaire de ses vrais objectifs. Sont attaqués ainsi les dreyfusards du Journal du peuple, certaines formes d’action anticléricale et le mouvement antifasciste lié aux partis politiques. Ces mouvements aboutiraient à

    "une politique "réaliste" faite de concessions et d’ententes faciles, où les anarchistes de gouvernement deviennent des demi-vierges d’un nouveau genre".

    Les racines des faiblesses du mouvement anarchiste sont à rechercher dans ce que Ridel appelle un "manque de personnalité" :

    "Manque de personnalité, d’indépendance, d’autonomie signifient manque de confiance et de foi dans les principes et les théories défendues, avec, comme conséquence inéluctable, les compromissions et l’abandon de ce qui est l’essentiel de l’anarchisme, là où la vie sociale permet l’entrée en scène des forces révolutionnaires et l’application de leurs mots d’ordre.
    "L’Espagne en a fait la cruelle expérience. L’anarchisme, ou plutôt ceux qui ont agi en son nom, loin d’essayer d’écraser ce qu’en bloc il appelle les forces autoritaires, a cherché, dès le 20 juillet, à se faire admettre dans la grande famille libérale, républicaine et fédéraliste, rougissant de ses formules d’hier, surenchérissant d’esprit "réaliste" sur l’ancien personnel qui restait abasourdi de voir cette explosion de forces neuves endosser avec satisfaction le complet veston de ministre ou de conseiller. [24]"

    Ridel déclare son dégoût face au grand nombre de militants dévoués qui sont désabuséset dont les énergies sont brisées par le mouvement anarchiste, plus particulièrement par ce qu’il appelle "son incohérence, sa cuisine intérieure et ses liens avec la démocratie bourgeoise".

    Makhno et Durruti

    Malgré ce tableau plutôt noir de l’état du mouvement anarchiste et révolutionnaire, Ridel reste optimiste et termine sa critique des tendances dominantes du mouvement anarchiste en réaffirmant une conception quelque peu ouvriériste et violente du rôle de l’anarchisme, chantant les louanges du mâle terrassier anarchiste qui rénovera l’anarchisme en balayant les "anarchistes de gouvernement" :

    "Aucun des ressorts puissants de l’anarchisme n’est brisé, explique-t-il, Ce qui attirait les jeunes, les énergies ouvrières, les éléments honnêtes de l’intelligence, c’est l’aspect sauvage du mouvement, sa violence, son audace, son égalitarisme, son indépendance. Le type d’anarchiste qui reste, c’est le terrassier rude et franc, dont les vêtements, le langage et le travail l’opposent irréductiblement à la bourgeoisie ; c’est le type à qui l’instruction, la conscience de son rôle social permettent de sentir possible une société nouvelle ; ce n’est, en aucun cas, ceux qui, en bien des cas et souvent les plus graves, ont été les représentants du mouvement : publicistes, conférenciers et littérateurs.
    "Tranchant nettement sur les autres mouvements par son refus de relations avec la pourriture démocratique bourgeoise, l’anarchisme représente, aux yeux de milliers d’ouvriers révolutionnaires, le Barbare qui rasera la vieille société écroulée dans le sang et le désordre, gardée par ses mercenaires et sa morale corrompue, pour lui substituer un état de civilisation supérieur.
    "Ce qui est gravé dans le cerveau des lutteurs socialistes de toute nuance, comme un immense espoir et un exemple de leur force, ce sont les Makhno et les Durruri, non le souvenir de leur réalité objective, mais la force plus grande de leur légende." [25]

    Critique du socialisme et du syndicalisme

    Ces prises de position - autonomie ouvrière, démocratie interne véritable et rejet des cliques, intransigeance révolutionnaire, volontarisme, audace - reviennent dans la critique que nous propose Ridel du socialisme étatique et du mouvement syndicaliste réformiste [26]. Il condamne "la hiérarchisation, l’oligarchisation des organisations ouvrières". Selon lui,

    "les cadres et états-majors du mouvement se sont peu à peu constitués en caste indépendance ayant ses intérêts particuliers, son avenir bien distinct de celui de ses mandants."

    Il insiste sur l’autonomie prolétarienne :

    "Démonter le mécanisme qui permet à des groupes non prolétariens de se servir du prolétariat, d’utiliser sa foi dans un monde meilleur, nous apparaît une tâche urgence."

    Rejetant l’obsession pour les questions pratiques et techniques parce qu’elle appauvrit l’idéal socialiste, il attaque ce qu’il appelle la "mystique du plan" et les attitudes technocratiques qui se répandent dès l’entre-deuxguerres parmi les dirigeants syndicaux et socialistes :

    "Croire que le socialisme n’est que l’héritier d’une économie capitaliste qu’il doit améliorer, perfectionner, signifie l’abandon de cout son côté humain."

    Il repousse cette "logique trop froide", car "l’essentiel de la lutte pour le socialisme se trouve dans sa croyance dans un but, dans les efforts qu’elle déploie pour y parvenir" :

    "Pour nous le révolutionnaire socialiste n’est pas surtout un ingénieur, c’est pour commencer un destructeur, un romantique dans ce sens qu’il veut plus de justice et d’égalité, et un aventurier parce qu’il accepte les risques de l’aventure révolutionnaire."

    Ridel n’est pas pessimiste, mais il ne croit pas non plus à l’avènement fatal du socialisme. Il se peut, dit-il, que le prolétariat devienne un élément de la société de plus en plus important : "Il n’est pas exclu que cette évolution puisse aboutir au socialisme, mais rien ne le garantit." Conscient des déterminants économiques de la vie sociale, il note aussi l’embourgeoisement de certaines couches ouvrières relativement privilégiées : "Lunité ouvrière est partiellement brisée et seule une puissante idéologie socialiste pourrait la renforcer."

    Renouveler le socialisme

    Comment réaliser ce regroupement désiré des forces vives autour d’une doctrine et d’un mouvement socialistes rénovés, non dilués, mais forts et sincères ? D’abord, Ridel fait appel - de façon à nous rappeler la période 1917-21, qui elle aussi a vu les frontières entre courants se brouiller - à l’abandon des étiquettes politico-idéologiques dépassées :

    "Pour retrouver une méthode d’action, il nous apparaît indispensable de nous libérer des classements acceptés par les différents courants qui se partagent le mouvement ouvrier. La géographie officielle des éléments qui participent aux luttes sociales ne correspond plus à la réalité ; des facteurs importants sont apparus, d’autres qui jouaient un rôle prépondérant ont tendance à disparaitre."

    Deuxièmement, une des caractéristiques essentielles de la prise de position de Ridel est sans doute l’insistance sur la sincérité, la clarté, la lucidité, le "parler vrai", le rejet de la langue de bois :

    "Un retour à des conceptions simples, un repli sur les positions essentielles du socialisme permettrait un reclassement des forces et des mouvements qui s’abritent derrière la phraséologie socialiste."

    Troisièmement, ces "positions essentielles" seraient représentées par

    "une politique qui serait celle de ceux d’en bas et qui pourrait aboutir, non au perfectionnement de la machine bourgeoise, non à des réformes de structure, non à la montée d’une nouvelle classe, mais à la construction d’une société sortie des mains et des cerveaux de ceux qui auront détruit l’ancienne".

    Il continue, en s’adressant à l’intelligentsia :

    "Une autre conséquence de pareille conception serait l’obligation pour les intellectuels sincèrement attachés au prolétariat de resserrer les liens avec les prolétaires par le renforcement de l’idéal socialiste et l’abandon du rôle double qu’ils jouent. Autrement dit, le travail d’analyse et de recherches des phénomènes sociaux ne prendrait une valeur réelle - en dehors de sa valeur scientifique intrinsèque - que dans la mesure où il serait assimilé par les artisans pratiques de la lutte pour le socialisme et que des méthodes nouvelles en surgiraient."

    Ridel, Révision et le message révolutionnaire des Amis de Durruti

    Née à un moment où le mouvement ouvrier international s’effondrait sous le poids de la réaction triomphante, Révision a disparu après cinq numéros (de février à juin 1938). Les raisons données étaient la hausse des prix d’imprimerie, les reculs successifs du mouvement ouvrier et "l’affaiblissement de notre équipe [27]". En mai-juin 1938, la revue tirait à 1.000 exemplaires et avait 80 abonnés [28]. Un sixième numéro - bilingue - a paru au mois d’août1939, après une absence de plus d’un an, avec comme titre Courrier des camps, et comme objectif d’accorder un moyen d’expression aux prisonniers espagnols détenus dans les camps français (Argelès, Barcarès, Gurs, Saint-Cyprien, Vernet d’Ariège, etc.) "chez qui nous retrouvons des préoccupations politiques et morales peu éloignées des nôtres".
    Un article sur "I’évolution de la démocratie française" et signé du Groupe franco-espagnol des Amigos de Durruti résume ce que le groupe appelle la "fascisation de la France". Les décrets-lois, les avantages ouvriers battus en brèche, les conventions collectives dénoncées, les libertés individuelles rudement attaquées, tout cela représente

    "la marche de la France vers un fascisme "non sanglant", qui a pour cause les difficultés qu’éprouve le capital pour survivre à la grande faillite de l’après-guerre, et à la nécessité où il se trouve de préparer le prochain massacre".

    La leçon qu’en tire le groupe est qu’il "faut donc en finir avec le bobard bourgeois de la DÉMOCRATIE".

    "La liberté et le bien-être relatif n ’ont jamais été accordés par la bourgeoisie au prolétariat que comme une tolérance provisoire. La démocratie bourgeoise française se prépare à assassiner le prolétariat - le sien. (...)
    "L’illusion dans la démocratie, à travers la catastrophique expérience des FRONTS POPULAIRES FRANÇAIS ET ESPAGNOL, a empêché le prolétariat d’écraser la bourgeoisie dans ces deux pays.
    "Il faut préparer le prolétariat, moralement et matériellement, à cette nouvelle étape de cette "lune finale" qui ne peut se résoudre que par l’assujettissement du prolétariat (dans la guerre impérialiste en premier lieu) ou par son triomphe.
    "Pour cela, il est nécessaire de rompre avec ceux qui one participé aux compromis avec la bourgeoisie, c’est-à-dire au sabotage des mouvements ouvriers espagnol et français."

    Est-il juste d’emprunter une critique formulée par Georges Fontenis à l’égard des Amis de Durruti pour dire que Ridel n’a "pas su rompre avec un romantisme révolutionnaire parfois échevelé ni même avec un certain culte du héros" [29] ? Peut-être. D’un autre côté, il faut insister sur l’originalité et la lucidité de la critique du mouvement révolutionnaire offerte par Ridel : l’ancrage dans une analyse de classe, combiné avec une conscience lucide des effets de la transformation des structures économiques et sociales ; l’affirmation conséquente de la nécessité d’une force ouvrière autonome et confiante en soi, en opposition à la collaboration avec la démocratie bourgeoise ; la critique de l’incohérence et de l’incapacité de l’anarchisme dit "traditionnel" ; la revendication de structures organisationnelles véritablement démocratiques à l’intérieur de I’ organisation spécifique ; et, plus généralement, l’accent mis sur le côté humain du socialisme libertaire, et l’insistance qu’il faut "dire ce que l’on pense et (...) penser ce que l’on dit". [30]
    Comme l’a dit Fontenis en parlant du Amigo del Pueblo, organe des Amis de Durruti :

    Sommaires de Révision (1938-1939)

    • Révision N°6 - Août 1939 [​IMG]
      • Editorial
      • Une nécessité
      • Les scandales de l’émigration
      • L’évolution de la démocratie française
      • Appel
      • Una nueva etapa... Somos los de siempre
      • La tragedia espanola
     
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