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La plainte, c’est moi

Discussion dans 'Féminisme et luttes d'émancipations LGBTQ' créé par sofia, 18 Juin 2018.

  1. sofia
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    sofia Membre du forum Compte fermé

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    5
    1
    Juin 2018
    Germany
  2. anti-fasciste
    Assise seule dans une salle d'attente, mes jambes bougent frénétiquement alors que je vois les minutes s'écouler. Le parquet est lisse, la salle lumineuse, et la plante verte bien verte dans le coin de la pièce. Il y a deux tableaux poour la touche de couleur. Les minutes s'écoulent et je suis déjà en retard.Elle aussi est en retard mais me fait patienter davantage. Enfin elle arrive, je la vois pour la
    première fois, lui serre maladroitement la main. « C’est la première fois que vous voyez quelqu’un ? »
    Oui. C’est effrayant et je suis mal à l’aise dans le vieux fauteuil face à elle. « Pourquoi êtes-vous là ? »
    J’ai mal. Je souffre depuis plusieurs mois et ça ne semble partir que lorsque je dors. Et encore, les
    sommeils sans cauchemars, sinon c’est pire. J’ai mal mais ma plaie n’est pas visible. Je suis malade
    mais personne ne le voit. Je souris, je mets du maquillage et des couleurs sur mon visage. Alors on ne
    voit rien des larmes qui faisaient trembler mon corps dans le coin de ma chambre ni les traits rouges
    gravés maladroitement dans la peau de ma cuisse droite. Je n’aime pas l’ambiance, ça ne va pas. Pas
    comme ça, je ne peux pas parler de ça comme ça en un temps chronométré. Puis sa seule réaction : « Il
    faut porter plainte mademoiselle ». 52 euros pour 20 minutes et une conclusion que j’entends déjà ré-
    sonner douloureusement dans ma tête quand j’ose parler de ce qu’il m’est arrivé. Je connais déjà trop
    bien cette phrase et elle me répugne. Je souris mais je tremble de rage.
    « On ne pourra rien faire tant qu’il n’y aura pas de plainte déposée au commissariat ». Ah bon, on ne croit
    pas les victimes dans votre milieu militant dit féministe ? C’est dommage.
    Je ne porterai pas plainte. Ne souris pas derrière ton écran, soulagé. Cette résignation n’est pas un
    signe de pardon, c’est une protection. Je me protège de toi et des flics. Je me protège car tu ne mérites
    pas que je me retrouve encore plus brisée que je ne le suis déjà à travers des procédures qui, au
    mieux, n’aboutiront qu’à un non-lieu.
    Je ris mais je ris jaune. Porter plainte ? Me retrouver seule dans un commissariat sale et puant avec
    ces flics qui se fichent de moi. Mademoiselle, vous réduirez sa vie à néant si vous portez plainte, vous
    êtes sûre de vouloir faire ça ? Pardon, je ne savais pas encore assez que seules les victimes avaient le
    privilège d’être détruites. Et puis c’est de ma faute. J’étais dans une chambre avec lui, je ne suis pas
    partie à 5h du mat pour me retrouver seule dans les rues d’une ville que je ne connaissais pas. J’avais
    un pull sans rien en-dessous, même en plein été, c’était surement une invitation à toucher mon corps
    sans mon consentement. Il a dit qu’il me trouvait jolie, c’est que je voulais plaire, n’est-ce pas ? Au
    mieux, les flics acceptent ma plainte. Alors mon agresseur se retrouve avec : mon prénom, mon nom,
    mon adresse. Il saura très précisément ces détails et ce que je lui reproche. Je serai exposée, à sa por-
    tée, histoire de m’achever complètement cette fois-ci. Il aura le droit à un avocat, il sera bien mieux
    reçu que moi dans ces locaux effrayants. Et puis c’est un homme insoupçonnable, moi je ne suis qu’une
    femme qui doit chercher à le détruire à des fins politiques. C’est ce qu’il dira peut-être. Et puis, « pré-
    somption d’innocence », on la connait bien celle-ci aussi. La parole de l’un contre celle de l’une. C’est
    un homme respectable, je suis une femme paumée avec des souvenirs brumeux et un avenir incertain.
    Les flics, ils me matraquent, me gazent et me menottent ; ils ne m’accueillent pas avec un sourire et
    un « ça va aller, on te croit ». On ne me croira pas. Mieux encore, mon agresseur aura l’opportunité de
    porter plainte contre moi pour diffamation. Je devrai payer mon agresseur avec l’argent que je n’ai
    pas : merci de m’avoir détruite, voilà ta récompense.
    Alors non, je ne porterai pas plainte. La plainte, c’est moi. La plainte, c’est mon cri, mes pleurs, mes
    angoisses. Mes tremblements quand un homme me drague, me touche. La plainte, c’est moi et les co-
    pines quand on se serre les coudes dans la galère. La plainte, c’est ma rage. La plainte, c’est ma défla-
    gration intérieure. La plainte, c’est la haine dans mon regard. La plainte, c’est mon majeur que je lève
    à tous ceux et toutes celles qui me disent de porter plainte. Ma plainte, je la crie mais vous n’écoutez
    pas. Et les agresseurs restent à l’abri, toujours.

    Zbeul
     
    Anarchie 13 apprécie ceci.
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