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Hakim Bey - Zones autonomes permanentes (1993)

Discussion dans 'Bibliothèque anarchiste' créé par Ungovernable, 4 Juin 2009.

  1. Salut, Un compagnon du Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste de Caen est tombé il y a quelques temps (via internet) sur un texte, traduit en espagnol, d'Hakim Bey (auteur du célèbre texte sur les TAZ, " Zones Autonomes Temporaires "), texte qui s'appelle "Zones Autonomes Permanentes ". Il en a ensuite trouvé une version en anglais mais aucune
    version en français. Il a donc réalisé une traduction de ce texte à partir des 2 versions, en espagnol et en anglais, dont il disposait. Les notes ajoutées au texte espagnol ont été conservées et il a même rajouté d'autres notes lors de sa propre traduction. Voici donc ce texte traduit. Nous le mettons à disposition de l'ensemble du mouvement libertaire pour
    lecture et diffusion.



    Introduction



    La théorie de la TAZ (1) (I) essaie de s'occuper de situations existantes
    ou émergentes plus que du pur utopisme. Partout dans le monde il y a des
    gens qui sont en train de quitter ou en train de " disparaître " du gril
    de l'aliénation, qui sont en train de chercher des manières de restaurer
    le contact humain. Un exemple intéressant de cela - au niveau de la "
    culture populaire urbaine " - peut être trouvé dans la prolifération de
    réseaux et de conférences sur les hobbies. Récemment j'ai découvert les
    zines de 2 de ces groupes, les joyaux de la couronne du suprême fil
    électrique (dédié à la collection d'isolants électriques en cristal) et
    une revue de cucurbitologie (La Calebasse). Une énorme quantité de
    créativité est dédiée à ces obsessions. Les diverses rencontres
    périodiques de compagnons-maniaques aboutissent à d'authentiques
    festivals face-à-face (sans médiations) d'excentricité. Ce n'est pas
    seulement la " contre-culture " qui cherche ses TAZs, ses campements
    nomades et ses nuits de libération du consensus. Des groupes
    auto-organisés et autonomes sont en train d'apparaître parmi toutes les "
    classes " et " sous-culture ". De vastes étendues de l'empire babylonien
    sont maintenant vides, peuplés seulement par les agents secrets des médias
    de masse et par quelques policiers psychotiques.La théorie de la TAZ se
    rend compte que C'EST EN TRAIN DE SE PRODUIRE -
    nous ne disons pas " devrait " ou sera - nous sommes en train de parler
    d'un mouvement qui existe déjà. Notre usage de diverses expériences de la
    pensée, des poétiques utopiques, de la critique paranoïaque, etc.,
    prétend aider à clarifier ce mouvement, complexe et encore en grande
    partie non documenté, lui donner un certain foyer théorique et conscience
    de lui-même, suggérer des tactiques basées sur des stratégies intégrales
    cohérentes - agir comme sage-femme ou comme panégyriste, pas comme "
    avant-garde " ! Et ainsi nous avons du considérer le fait que toutes les
    zones autonomes existantes ne sont pas " temporaires ". Quelques unes
    sont (au moins en intention) plus ou moins " permanentes ". Certaines
    lézardes dans le monolithe babylonien paraissent si vides que des groupes
    entiers peuvent se mouvoir jusqu'à elles et s'y installer. Certaines
    théories, comme la " permaculture " (II) ont été développées pour
    affronter cette situation et en tirer tout le possible. " Villages ", "
    communes ", " communautés ", et jusqu'aux " arcologies " et " biosphères
    " (ou d'autres formes de villes utopiques) sont en train d'être
    expérimentées et menées à bien. Néanmoins même ici la théorie de la TAZ
    peut offrir quelques outils de pensée et des clarifications utiles. Qu'en
    est-il d'une poétique (une " manière de faire ") et d'une politique (une
    " manière de vivre ensemble ") pour la TAZ permanente (ou " PAZ ") ?
    Qu'en est-il de la relation entre la temporalité et la permanence ? Et
    comment la PAZ peut-elle se rénover et se rafraîchir périodiquement avec
    l'aspect " festif " de la TAZ ?

    La question de la publicité



    De récents succès aux USA et en Europe ont montré que les groupes
    auto-organisés/autonomes portent la crainte au cœur de l'Etat. MOVE à
    Philadelphie (III), les koreshites de Waco (IV), les deadheads, les
    tribus de l'Arc en ciel, les pirates informatiques, les squats, etc., ont
    été les objectifs de divers niveau d'intensité d'extermination. Et même
    ainsi d'autres groupes ne sont pas perçus, ou au moins ne sont pas
    persécutés. Qu'est ce qui cause cette différence ? Un facteur peut être
    l'effet pervers de la publicité ou de la médiatisation. Les médias
    ressentent une soif vampirique pour l'œuvre de l'ombre et une passion
    pour le " Terrorisme ", le rituel public d'expiation, les
    boucs-émissaires et les sacrifices sanglants de Babylone. Une fois qu'un
    quelconque groupe autonome permet que ce " regard " particulier tombe sur
    lui, les choses deviennent pourries : les médias tenteront d'organiser un
    mini-armageddon pour satisfaire leur sale désir de spectacle et de mort.
    Maintenant, la PAZ représente une bonne cible immobile pour une telle
    bombe intelligente médiatique. Assiégé à l'intérieur de son " composé ",
    le groupe auto-organisé peut seulement succomber à un type quelconque de
    martyr prédéterminé et bon marché. Probablement, ce rôle peut seulement
    attirer des masochistes névrosés ??? En tout cas, la plupart des groupes
    voudront vivre leur durée ou trajectoire naturelle dans la paix et le
    calme. Une bonne tactique ici peut être d'éviter la publicité des médias
    de masse comme la peste. Un peu de paranoïa naturelle est utile, pour
    autant qu'elle ne se transforme pas en une fin en soi. Il faut être rusé
    pour pouvoir être audacieux et bien s'en sortir. Une touche de
    camouflage, une aptitude pour l'invisibilité, un sens du tact comme
    tactique pourrait être utiles aussi bien à une PAZ qu'à une TAZ. Humbles
    suggestions : utiliser seulement des " médias intimes " (zines, réseaux
    téléphoniques, BBSs (V), radios libres et mini-FM, télé câblée d'accès
    public, etc.) ; éviter les attitudes confrontationnistes de macho fanfaron
    - vous n'avez pas besoin de 5 secondes au journal télévisé (" La police
    donne l'assaut à une secte ") pour donner du sens à votre existence. Notre
    slogan pourrait être : " Cherche la vie, pas un style de vie (2) ".
    Accès

    Les gens devraient probablement choisir avec quelles personnes vivre. Les
    communes à " participation ouverte " finissent invariablement inondées de
    parasites et de pitres pathétiques affamés de sexe. Les PAZ doivent
    choisir mutuellement leur propre membres - ceci n'a rien à voir avec "
    l'élitisme ". La PAZ peut exercer une fonction temporairement ouverte -
    comme héberger des festivals ou distribuer de la nourriture gratuite -,
    mais n'a pas besoin d'être ouverte en permanence à n'importe quel
    sympathisant auto-proclamé qui passe par là.

    L'urgence d'une économie authentiquement alternative



    Une fois de plus, ceci est déjà en train de se produire, mais nécessite
    encore une énorme quantité de travail avant de sortir à la lumière. Les
    sous-économies du " travail au noir ", les transactions non-taxées, le
    troc, etc., tendent à être sévèrement limitées et localisées. Les BBSs et
    autres systèmes de réseaux peuvent être utilisés pour unir ces économies
    régionales/marginales (" entreprises domestiques ") en une économie
    alternative viable d'une certaine ampleur. " P. M ." a déjà ébauché
    quelque chose comme cela dans " bolo'bolo " (VI) - de fait il existe déjà
    de nombreux systèmes possibles, au moins en théorie. Le problème est :
    Comment construire une véritable économie alternative, c'est à dire une
    économie complète sans attirer le ministère des Finances et autres chiens
    de chasse capitalistes ? Comment puis-je échanger mes aptitudes de,
    disons, plombier ou distillateur d'alcool pour les aliments, les livres,
    le toit et les plantes psycho-actives que je veux - sans payer d'impôts,
    ou y compris sans utiliser aucun argent forgé par l'Etat ? Comment puis-je
    vivre une vie confortable (et même luxueuse) libre de
    toute interaction et transaction avec le monde de la marchandise ? Si nous
    prenions toutes les énergies que les gauchistes mettent dans les manifs et
    toute l'énergie que les libertaires (3) mettent à jouer à de futiles
    petits jeux de troisième parti, et si nous redirigions tout ce pouvoir
    vers la construction d'une véritable économie souterraine, cela ferait
    longtemps que nous aurions atteint " la révolution ".
    Le monde finit en 1972

    L'effigie creuse de l'Etat absolu est finalement tombée à terre en " 1989
    ". L'ultime idéologie, le capitalisme, n'est plus qu'une maladie de peau
    du Néolithique très tardif. C'est une machine-désirante qui tourne à
    vide. J'ai l'espérance de la voir se dissiper durant ma vie, comme un des
    paysages mentaux de Dali. Et je veux avoir un endroit où " aller " quand
    la merde tombe. Evidemment la mort du capitalisme n'implique pas
    nécessairement la destruction à la Godzilla de toute la culture humaine ;
    ce scénario est simplement une image de terreur propagée par le
    capitalisme lui-même. Néanmoins, il est évident que le cadavre rêvant
    aura de violents spasmes avant que la rigor mortis (VII) ne s'installe -
    et New-York ou Los Angeles peuvent ne pas être les endroits les plus
    intelligents pour attendre que se termine la tempête. ( Et la tempête
    peut avoir déjà commencé). [D'un autre coté NYC et LA pourraient ne pas
    être les pires endroits pour créer le Monde nouveau ; on peut imaginer
    des quartiers entiers squattés, des gangs transformés en Milices
    Populaires, etc.]. Maintenant, le mode de vie gitano-Réalité Virtuelle
    peut être une manière d'affronter la dissolution en cours du Capitalisme
    Trop tardif - mais en ce qui me concerne, je préfèrerai un beau monastère
    anarchiste quelque part, un endroit typique pour que les " érudits "
    supportent " l'âge obscur " (4). Plus nous organisons cela MAINTENANT,
    moins nous aurons de problèmes à affronter ensuite. Je ne suis pas en
    train de parler de " survie " -- je ne suis pas intéressé par la simple
    survie. Je veux m'épanouir. RETOURNONS A L'UTOPIE.
    Festivals

    La PAZ a une fonction vitale, comme un nœud dans le réseau des TAZ, un
    point de rencontre pour un ample cercle d'amis et alliés qui peuvent ne
    pas vivre de fait à temps complet dans la " ferme " ou dans le " village
    ". Les anciens villages célébraient des foires qui apportaient richesse à
    la communauté, fournissaient des marchés pour les voyageurs et créaient
    un temps/espace festif pour tous les participants. Aujourd'hui le
    festival est en train d'émerger comme une des formes les plus importante
    pour la TAZ elle-même, mais il peut aussi apporter une rénovation et une
    énergie fraîche pour la PAZ. Je me rappelle avoir lu quelque part qu'au
    Moyen-Âge il y avait cent onze jours fêtés par an ; nous devrions prendre
    ceci comme notre " minimum utopique " et nous efforcer de faire encore
    mieux. [ Note : les minimas utopiques proposés par C. Fourier (VIII)
    consistaient en plus de nourriture et de sexe que ce dont profitait
    l'aristocrate français moyen du XVIIIème siècle ; B. Fuller proposa
    l'expression " minimum dénudé " pour un concept similaire]

    La terre vivante



    Je crois qu'il y a une abondance de bonnes raisons égoïstes pour désirer
    l' " organique " (c'est plus sexy), le " naturel " (ça a meilleur goût),
    le " vert " (c'est plus beau), le " sauvage " (5) (c'est plus excitant).
    La communitas (comme Paul Goodman (IX) l'appelait (6)) et la convivialité
    (comme l'appelait Ivan Illich (X) ) sont plus plaisantes que leurs
    opposés. La terre vivante n'a pas besoin d'exclure la ville organique -
    la petite mais intense conglomération d'humanité dédiée aux arts et aux
    plaisirs légèrement décadents d'une civilisation purgée de tout son
    gigantisme et solitude forcée - mais même ceux d'entre nous qui aimons
    les villes nous pouvons voir des motifs immédiats et hédoniques de lutter
    pour " l'environnement ". Nous sommes des militants biophiles. Ecologie
    profonde, écologie sociale, permaculture, technologie appropriée… nous ne
    sommes pas trop minaudiers avec les idéologies. Que fleurissent 1000
    fleurs.

    Typologie de la PAZ



    Une " religion étrange " ou un mouvement d'art rebelle peut se convertir
    en une espèce de PAZ non locale, comme un réseau de hobby plus intense et
    accaparant. La Société Secrète (comme le Tong chinois (XI) ) fournit
    aussi un modèle pour une PAZ sans limites géographiques. Mais le "
    scénario du cas parfait " implique un espace libre qui s'étend dans un
    temps libre. L'essence de la PAZ doit être l'intensification prolongée
    des joies - et des risques - de la TAZ. Et l'intensification de la PAZ
    sera… l'Utopie Maintenant.

    Hakim Bey
    Dreamtime, août 1993




    NOTES :

    Il s'agit des notes de la version en espagnol trouvée sur internet. 1)
    TAZ : sigle de " Temporary Autonomous Zone ", Zone Autonome Temporaire.
    Théorie développée par Bey que ce texte élargit. 2) Dans l'original "
    lifestyle ", terme avec lequel on peut désigner des tendances déterminées
    (comme le " lifestyle anarchism ") plus préoccupées par le quotidien et
    l'individuel que par le social, au moins d'après ce qu'en disent ses
    détracteurs, comme Murray Bookchin. 3) " Libertaire " prend ici le sens
    qu'on lui donne communément aux Etats-Unis, d'anarcho-capitaliste, qui a
    très peu à voir (à part l'aversion pour l'Etat, qu'ils considèrent comme
    trop interventionniste contre la liberté du marché) avec ce que nous
    entendons ici par libertaire. Durant les années 80 le Parti Libertaire
    atteignit une certaine importance, arrivant à être le troisième en votes,
    bien que loin derrière les démocrates et les républicains. 4) On désigne
    souvent en anglais le Moyen-Âge par ce nom (" Dark Ages "). 5) Dans
    l'original, " wild(er)ness ", qui évoque à la fois le " sauvage " et la "
    nature à l'état pur ". 6) Dans le livre qui porte ce titre, écrit avec
    son frère Percival et publié en 1947.

    Indiquées par des chiffres romains, voici les notes rajoutées par la
    personne qui a effectué cette traduction en français.


    I) TAZ a été publié en France en 1997 par les Editions de l'éclat et est
    téléchargeable gratuitement sur internet. II) La permaculture est un type
    de culture biologique qui s'abstient de labourer ou de retourner la
    terre, ceci afin d'éviter de faire disparaître de nombreux
    micro-organismes qui y vivent et qui sont bénéfiques pour la culture en
    général. Les surfaces cultivées sont recouvertes de mulch, un tapis de
    matières végétales mortes avant d'être ensemencées. III) MOVE était un
    mouvement afro-américain basé à Philadelphie Ce mouvement à caractère
    subversif et spirituel s'est rapidement attiré la haine de la police
    locale. Sa principale communauté militante a été assiégée par la police
    le 8 août 1978. Celle-ci a largué par hélicoptère une bombe incendiaire
    sur la maison occupée par MOVE, provoquant un vaste incendie qui a ravagé
    prés de 60 maisons et provoqué la mort de 11 personnes membres de MOVE
    (dont plusieurs enfants). IV) Une secte apocalyptique, les Koreshites
    (ou davidiens), menée par un gourou nommé David Koresh qui se prenait
    pour un nouveau messie, s'était établie dans une ferme à Waco (Texas). La
    secte détenant des armes en quantité, la police a encerclé la ferme et a
    donné l'assaut suite au refus des Koreshites de se laisser
    perquisitionner. Le 1er assaut s'est soldé par 6 koreshites et 4
    policiers tués. Un deuxième assaut mené le 19 avril 1993 a déclenché un
    incendie dans la ferme. 80 personnes y sont mortes. V) Les BBSs (Bulletin
    Board Systems) sont des serveurs télématiques où des abonnés ou des
    membres d'une association peuvent se connecter et échanger entre eux des
    informations. On trouve de tels serveurs sur internet par exemple. VI)
    Bolo'bolo est un livre, écrit au début des années 80 par un mystérieux
    P.M., qui expose un projet utopique de réorganisation sociale
    communautaire sur une vaste échelle. Il est disponible aux Editions de
    l'Eclat. VII) On peut traduire cette expression latine par " rigidité
    cadavérique ". VIII) Charles Fourier (1772-1837) fut un philosophe et un
    penseur social français qui préconisait la réorganisation de la société
    en phalanstères, en petites communautés humaines autonomes abritant des
    coopératives de production et de consommation. IX) Paul Goodman
    (1911-1972) était un libertaire américain, écrivain et critique social,
    féru de pédagogie anti-autoritaire. X) Ivan Illich (1926-2002), prêtre
    (défroqué en 69) et penseur social, auteur de nombreux ouvrages très
    critiques sur l'école, la santé, la convivialité, l'énergie… Il anima
    durant les années 60 et 70 le Centre International de DOCumentation
    (CIDOC) au Mexique, un carrefour intellectuel pour de nombreux chercheurs
    et pédagogues contestataires. XI) Les tongs sont des sociétés secrètes
    d'origines chinoises où se pratiquaient l'entraide et l'appui mutuel
    autour d'objectifs communs : activités subversives ou religieuses,
    contrebande et trafics… Hakim bey a d'ailleurs écrit un petit texte,
    traduit en français (et téléchargeable gratuitement sur internet en
    cherchant un peu), sur le sujet et l'intérêt que cette forme
    d'organisation solidaire clandestine peut représenter pour des minorités
    en marge du système.
     
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