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Hakim Bey - La Ruche Criminelle

Discussion dans 'Bibliothèque anarchiste' créé par Ungovernable, 4 Juin 2009.

  1. Traduction par PROVISOIRE

    Transcription [par Ovide] à partir de la cassette n°5 du Beignet Tribal, cassette qui contient l’enregistrement d’une lecture à San Francisco en février 1993

    Nietzsche dit quelque part que le vrai esprit libre ne souhaite pas que les lois du troupeau soient abolies, à moins qu’il n’existe plus rien contre quoi se battre que l’on n’ait vaincu. On peut supposer qu’il y a peu de risque d’une telle abolition à ce jour. Depuis l’époque de Nietzsche la loi a peut-être muté d’un outil complexe mais pluri-dimensionnel de la classe opprimante à l’image de soi subtile, fractale, et qui envahit tout, du spectacle. La loi simule la dictature de la communauté toujours promettant & toujours reculant l’utopie de justice. Nos mythes fondateurs, ici, en Amérique, qui prennent la forme de textes tels que la déclaration d’indépendance ou d’une déclaration des droits d’un peuple, etc., s’avèrent si infiniment flexibles qu’ils deviennent, comme tous les mythes, leur opposé. La loi ne ressemble plus guère à une arête dialectique comme elle l’était pour Nietzsche, mais plutôt à un virus purulent, infectant jusqu’à l’étoffe du langage & de la pensée. On ne peut plus distinguer entre les flics & la culture flic. L’hallucination induite par les médias d’une société définie par ses avocats & sa police. Dix minutes dans un magasin vidéo devraient convaincre n’importe quel observateur impartial que nous vivons dans un état de conscience policier, bien plus envahissant que les Nazis, ces pionniers brutaux de la télévision amphétamine & de la balistique. Que penserait par exemple un visiteur OVNI d’une planète dont l’icone favorite semble consister en un officier chargé de faire respecter la loi pointant rageusement un révolver vers l’observateur ? Quelques rares sujets peuvent libérer leurs esprits par courts moments de l’omniprésence vacillante de cette unique image axiomatique véritable de «notre moment dans le temps» ainsi que Nixon appelait le présent. Sans doute commenceront-ils aussitôt à s’interroger sur la possibilité de dépasser la loi, à la fois comme code social qui étiquette nos désirs comme interdits, et comme Surmoi ectoplasmique, flic du paysage intérieur nous étouffant avec la peur de nos propres passions.

    La première étape vers une utopie réelle est de regarder dans le miroir et d’exiger de connaître mon vrai désir, action qui présuppose déjà, ne serait-ce que temporairement, le dépassement de l’anxiété inconditionnelle, de la peur qu’un démon — ou un flic démoniaque — apparaisse dans le miroir. Maintenant qu’est-ce que je vois ? La première image qui vienne flotter à la surface de la pierre à déchiffrer, miroir magique, est celle du criminel : mes désirs sont illégaux. Mes manies sont interdites dans la civilisation. Le code moral, incrusté dans le code légal, définit mes appétits comme un préjudice. Fourier & Nietzsche ont tous deux défini le criminel comme un esprit naturellement insurrectionnel, en révolte contre la répression suffocante du consensus social. La tragédie du criminel, cependant, réside dans ce qu’il est quasiment l’opposé du flic : son miroir inversé, et par conséquent il est également une image, un piège, une définition imposée à l’intérieur du langage du Contrôle. Dans tous les cas, plus je regarde profondément dans le miroir, moins je vois de désirs que j’étiquetterais de moi-même comme mauvais selon mon propre code éthique personnel. Je ne veux pas accomplir mes désirs au prix de la détresse d’autres personnes. Non pas parce qu’une telle action serait immorale mais parce qu’elle s’auto-détruirait psychiquement : la détresse engendre la détresse. Ceux qui se sont pris au piège d’essayer d’accomplir leurs désirs en blessant d’autres sont eux-mêmes, d’après mon expérience, tous pauvres psychiquement. Dans cette acception du terme, le crime paie, mais il ne paie pas assez ! Je le rejette pour des raisons purement égoïstes — pour accomplir mes désirs, je dois dépasser ou même briser la loi, mais je ne le ferai pas si c’est pour faire mal selon ma propre lumière, pas plus que je n’accepterai l’étiquette consensuelle de criminel.

    Ceci explique pourquoi le fascisme n’est pas une réponse. Le fascisme est une machine à désirer mais seulement pour une élite amorale qui atteint ses buts à travers la création & la destruction d’ennemis et de victimes, comme chez le Marquis de Sade. Fourier, quant à lui, affirme que le désir lui-même reste impossible à moins que tous les désirs ne soient possibles. Cette passion implique l’Autre, et donc définit la seule société possible ou réelle. Cet accomplissement dessine la frontière entre le Fascisme et l’Anarchisme.

    Si je contemple encore plus profondément le miroir, en fait, je commence à voir que je n’y suis pas seul. Que le Soi implique les autres, que nous sommes co-impliqués réciproquement dans nos désirs. Et voici que nous arrivons à un stade supérieur à celui de la pure criminalité, selon Nietzsche : la société des esprits libres ou, ainsi que Max Sterner l’appelait, l’Union de Ceux qui S’appartiennent. Une forme d’organisation existe qui échappe à la dialectique meurtière des institutions, la contre-productivité paradoxale des institutions ainsi que la nomme Ivan Illich. Cette espèce différente de groupe pourrait être assimilée aux Séries passionnelles de Fourier, l’ensemble des humains liés psychiquement et qui ont besoin d’exprimer et d’accomplir un but passionnel commun ou partagé. De telles associations harmoniques sont empêchées de parvenir à l’existence, insistait Fourier, par la civilisation elle-même, qui se fonde sur l’enmisération de masse. Il croyait qu’il fallait d’abord établir l’Utopie afin que de vraies séries se forment spontanément à partir de passions diverses, pour un accomplissement sensuel & sexuel, pour le travail passionné, et pour la réalisation physique & psychique totale de l’individu dans la société. En d’autres mots, Fourier fit de la société une catégorie absolue, tout autant que Nietzsche & Sterner firent de l’individu une catégorie absolue. Notre tâche n’est pas de suivre l’une ou l’autre de ces idées, mais de déconstruire, synthétiser & reconstruire. Dans ce processus, nous n’espérons pas voir émerger simplement une nouvelle idéologie ou un nouveau non-lieu (U-topos) — qui est la signification de l’Utopie — quelque brillant ou stimulant imaginalement soit-il ; nous espérons plutôt créer une praxis, un mode d’action pour réaliser les séries et en manifester la passion, ici et maintenant, ou aussi près de ici et maintenant qu’il nous est possible de goûter.

    J’ai examiné ailleurs un certain nombre de formes possibles pour de tels groupes, comprenant les agglomérations les plus distendues, les plus temporaires et dotées d’une organisation ad hoc. Je veux cependant n’examiner ici qu’un seul aspect de ces groupements, à savoir leur illégalité. Je soutiendrai que l’illégalité signifie plus que simplement briser la loi. L’illégalité, en tant qu’attribut positif de la Zone Autonome Temporaire, implique que la structure même ou la motivation la plus profonde du groupe TAZ va à l’encontre ou nécessite le dépassement des valeurs du consensus. Et que cela est vrai même si aucune loi ni aucun règlement n’a été rompu. Mais afin d’éviter ici autant que possible la métaphysique, nous pouvons discuter de quelques groupes ou situations qui existent actuellement et qui se rapprochent du concept de TAZ à un degré quelconque. (En critiquant leurs défauts, nous pourrons peut-être arriver à avoir une vue plus claire des possibilités pour le futur immédiat.)


    Le travail sur la toile



    Le piratage informatique n’a jusqu’à présent rien déniché qui ait amélioré ma vie. Je ne peux pas non plus déceler beaucoup d’amélioration dans la vie des hackers eux-mêmes. Avoir pour but de vouloir libérer toute l’information est noble mais ridiculement impossible à obtenir. Cela devrait aujourd’hui être évident pour tous ceux qui ont pu observer comment l’état mettait en bouillie une poignée de malheureux libérateurs d’une poignée de bits d’information. Le potentiel de libération inhérent au BBS comme outil pour des projets sociaux n’a pas encore été réalisé. Le Méganet BBS implique des milliers d’enthousiastes de l’e-mail dont on ne parle pas et qui jusqu’à présent n’en ont pas envoyé ou reçu un seul qui soit vraiment bon.

    Si je me trompe, que quelqu’un me le dise s’il vous plaît. (Public : Tu te trompes !) OK, nous pourrons reparler de cela plus tard, j’aimerais l’entendre, vraiment j’aimerais qu’on me dise que je me trompe. Mais 99% est du bavardage oisif, 1% est peut-être de l’information intéressante. Mais pas de ragoût de poulet, pas d’orgies et pas d’illumination. (Public : Des orgies...) Des orgies ? Où ça ? Sur le réseau informatique ? Lâchez-moi un peu ! Maintenant enfin, les hackers ont commencé à expérimenter la cryptologie — les cypherpunks se vantent de mettre bientôt un réseau sûr à la disposition des utilisateurs de mail. On pourrait lancer un défi aux hackers : remettez-moi une seule chose que je désire et qui soit illégale, et que je n’aurais pu obtenir ou qu’il m’eut été difficile d’obtenir sans le réseau informatique. Je serais même prêt à accepter un bon petit bout de pornographie en haute résolution. Prouvez-moi que les ordinateurs peuvent fournir, ou au moins accélérer l’accès à autre chose que des publcations et de la musique synthétique à faire frémir. (Rires.) Je réclame des secrets et je commence à en avoir marre d’attendre, grâce à une vie passée à lire de la science fiction.


    Le rassemblement



    Considéré comme une TAZ. Le rassemblement peut être appelé et tenu sans aucune aide informatique ce qui est heureux, en fait, car le rassemblement est une nécessité vitale. Maintenant, aujourd’hui. Et il est déjà en train des se développer spontanément, à partir de ce besoin. Un certain nombre de ces rassemblements se manifestent en tant que TAZ : les festivals néo-païens, les Rainbow camps, des événements d’art collaboratif, des conspirations ouvertes telles que la Queer Nation ou le WACK, les raves, des collectifs anarchistes, des communautés internationales hyperculturelles, des réunions de sociétés secrètes dont les buts sont risqués ou illégaux ou insurrectionnels, des dealers de drogue.

    Ces groupes ou rassemblements constituent le seul moyen immédiat viable de réaliser les séries passionnelles en temps réel, dans la vie quotidienne. En opposition avec les forces de dissipation, d’aliénation & de suffocation par lesquelles le consensus pervertit & dissout toute aspiration humaine à la solidarité & aux valeurs festives. Par conséquent toute critique soulevée à l’encontre de ces groupes ou rassemblements existants se veut constructive dans tous les sens du mot. Les problèmes se situent dans deux domaines : le domaine philosophique & le domaine organisationnel. Certains groupes ne parviennent pas à mesurer pas pleinement la portée de leur réaction contre le spectacle, qui reste instinctive & donc peu fondée philosophiquement. Par exemple, l’illusion des années 60 qu’on pourrait utiliser les médias pour nos propres fins persiste encore, au point que bien des groupes se voient ruinés par cette même publicité dont ils pensaient avoir besoin afin d’atteindre leurs buts. Une fois qu’un tel groupe se permet d’être récupéré comme part intégrante du spectacle de la contreculture dissidente commence le Punch & Judy Show.

    Une compréhension de la dialectique des médias devrait permettre à ces groupes d’élaborer une stratégie d’organisation & une praxis fondées sur des modèles évasifs ou nomades de résistance plutôt que sur les shibolleths de la vieille Nouvelle Gauche de «confrontation & prise en main des médias». Sur le plan tactique des détails organisationnels et des projets spécifiques, cette préparation philosophique devrait aboutir à des moyens plus efficaces d’expression, de réalisation, de manifestation du désir au niveau de la vie quotidienne. La publicité est une mauvaise tactique, tandis que le tact & la clandestinité virtuelle sont une bonne tactique...

    Les convertis attirés par les médias sont en général des soldats estivants & des névrosés & que votre émission vienne à passer sous l’œil du mauvais politicien et vous pourriez bien finir comme le prochain mauvais exemple. Ecrasés sous la botte de l’histoire, tout public, en direct sur la 5. «Ceci est votre monde, regardez ça de près» ainsi que l’exprime de façon si haletante la pub pour PBS. «Que Geraldo cogne à votre cage.» Peut-être que par ici vous n’avez pas entendu ce slogan. Pour donner un exemple de quelques organisations : NAMBLA & NORML se sont tous deux vu saisir leurs listes de membres par la police, c’est le prix de l’idéalisme des années 60 à l’égard des médias. NAMBLA & NORML n’ont atteint absolument aucun de leurs buts réformistes & pourraient bien avoir causé du tort à leur propre cause par leur incompréhension des médias.

    Nous ne sommes plus dans les années 60, où la CIA pouvait encore lâcher le contrôle du LSD à une poignée de publicitaires hippies, et où la télévision pouvait par inadvertance contribuer au sentiment anti-guerre en négligeant de censurer le décompte des sacs à viande. Nous avons, depuis ce temps, vécu des décades d’intelligence Républicaine, de pouvoir du capitalisme tardif à contrôler la conspiration. Le communisme est mort & maintenant VOUS ÊTES l’ennemi. Réveillez-vous ! Mettez-vous au parfum ! La plus grande partie du monde a sombré profondément dans la transe des médias — ils ne peuvent se réveiller en reniflant l’odeur du café, parce que le café n’a pas d’odeur. Il est devenu pure image. La télévision est le monde réel. La vraie chose maintenant. Et si vous ne croyez pas à ça, vous êtes en dehors de la réalité. C’est bien pire que d’être un criminel. Au moins le criminel entretient quelque relation avec le consensus. Il faut avoir pitié de ces radicaux dont les plans de bataille incluent toujours des fanfaronnades ouvertes sur leur opposition intransigeante à toutes les valeurs établies, éveillant l’attention de l’ennemi comme si 5 secondes au journal du soir ou un reportage «tranche de vie» pouvait en rien valider leurs idées révolutionnaires et leurs personnalités pathétiques. Une fois pour toutes, l’insurrection n’est pas une marchandise, mes désirs ne sont pas des marchandises. Et les médias ne peuvent les reproduire et encore moins les satisfaire. Il n’y a pas besoin d’être un écologiste des médias, préconisant un jeûne médiatique, pour voir que tous les grands médias doivent être compris, critiqués & surmontés ou tout au moins qu’il faut y échapper si nous devons parvenir quelque part avec notre projet.


    L’insurrection



    J’aimerais répondre à ceux parmi les critiques qui ont reproché à la TAZ d’être une évasion ou un ajournement ou un substitut à l’insurrection ou même à la révolution. Ces critiques proviennent en partie de camarades Latino-américains qui semblent mal à l’aise avec l’aspect aventureux de la TAZ, en partie de Nord-américains qui la nomment «Club Med anarchiste». Ces deux critiques sont importantes. La TAZ n’est pas une idée ou une idéologie mais quelque chose qui est en train de se passer : en tant que telle, elle a besoin de bonne critique. Au contraire, et j’ai tâché d’insister là-dessus maintes et maintes fois : la TAZ est une autre manière de construire le noyau de la nouvelle société à l’intérieur de la coquille de l’ancienne (comme le disaient les Wobblies). Et la TAZ devrait servir de matrice à l’émergence d’un modèle sorélien de soulèvement (Georges Sorel, je le recommande vivement).

    Quoi qu’il en soit, il faut aussi répéter qu’en aucune façon les USA ne peuvent, même du bout des lèvres, être désignés en 1993 comme une société pré-révolutionnaire L’élection d’un régime corrompu, vénal et pseudo-libéral qui arrangera quelques vilains boutons sur la face du spectacle pendant que les Républicains se réorganisent pour pouvoir continuer de construire le Nouvel Ordre Mondial en 1996, cela rend la possibilité d’un soulèvement américain encore moins vraisemblable. Allons-nous différer toute action libératrice jusqu’à ce que les choses empirent encore ? Ce serait difficilement logique ou crédible. Ceux parmi nous qui se sentent si irrationnellement malheureux dans le monde merveilleux des marchandises & de la réaction néo-puritaine ne peuvent se voir refuser la chance de vivre des expériences de réalisation utopique localement & passagèrement, maintenant ou aussi tôt que possible. De notre vivant, dans nos vies. Et cette lutte n’est pas sans rapport avec d’autres peuples ailleurs dans le monde que nous pouvons considérer comme nos alliés naturels : indigènes & groupes tribaux ou mouvements révolutionnaires. En ce sens, la Zone Autonome Temporaire est comme un pré-écho de l’insurrection. Un avant-goût de ses grandes énergies libératrices et on peut même la voir comme une étape nécessaire vers la révolution qui accomplira l’Utopie.

    C’est pourquoi il faut souligner le fait que la TAZ n’a pas seulement en vue un principe de fête & de jeu, de célébration ou d’incarnation matérielle, mais aussi comme le yang pour le yin, une dose inévitable de risque et l’intention de refaire le monde. La TAZ ne peut être réalisée uniquement comme exercice hédonique (pas plus que la révolution ne peut être réalisée sans danser, comme le formulait Emma Goldman), ce qui amènerait à de justes accusations de Club-Médisme ou même de crypto-fascisme. La TAZ va au-delà du purement hédonique parce qu’elle veut croître & se muliplier jusqu’à infecter ou même devenir le social. Et c’est pourquoi, même si la TAZ peut être secrète, fermée, & source intense de plaisirs pour ses membres, elle doit être vue comme une lutte qui s’ouvre potentiellement à tous les esprits apparentés & à tous les compagnons guerriers. Tous les groupes et les rassemblements proches de la TAZ que je connais ne réussissent pas à en mesurer toute la portée dans l’un ou l’autre de ces domaines. Les groupes politiques n’ont toujours pas maîtrisé le principe de plaisir, tandis que les groupes à modes de vie n’ont toujours pas maîtrisé la politique. Une praxis politique d’un genre quelconque ajoute bien sûr au risque impliqué par la TAZ, et par conséquent accroît le besoin de tact. Mais elle augmente aussi le plaisir, La jouissance du groupe, l’orgasme du groupe, à l’intérieur de la TAZ — ce plaisir résulte du sens même du dépassement, mentionné par Nietzsche le premier, quand il parlait de la joie de l’esprit libre à échapper à la loi du troupeau. Et si cela semble élitiste, rappelez-vous que du point de vue anarchiste, le troupeau consiste précisément en ceux qui ont accepté d’être mis en troupeau. Après la révolution, sans aucun doute, les esprits libres trouveront d’autres sources de dépassement.

    Quoi qu’il en soit, jusqu’à présent, la loi existe toujours comme un fil sur lequel aiguiser nos vies. Mais en un certain sens on peut dire de la révolution qu’elle n’existe pas, puisqu’elle n’a pas eu lieu à l’intérieur de l’histoire qu’elle voulait réclamer comme le champ de son activité. De même que la loi, elle n’existe que comme spectacle et comme modèle de spasmes de terreur. Mais la TAZ, aussi évanescente soit-elle, est enracinée à l’intérieur de la vie que nous vivons, à l’intérieur du monde matériel et imaginaire dans lequel NOUS avons notre être authentique, pour fragmentaire ou même tragique qu’il soit. Et à l’intérieur du mode de célébration du plaisir rehaussé par le doublement et le redoublement qui est la seule excuse pour la société que nous connaissons. Plutôt que de crime, cela ferait plus de sens, ou de la meilleure poésie, de parler de sorcellerie qui a toutes les connotations de secret et de pouvoir que nous souhaitons à la TAZ qui émerge. Un air de menace, d’invisibilité & de réalisation du désir. Quant à l’illégalité, eh bien, un quilting bee [1] n’est pas illégal à ce jour : il peut être une parfaite TAZ. Tôt ou tard, cependant, même un quilting bee court le risque de devenir l’objet du tourisme. Il deviendra une banale imitation de lui-même, à moins qu’il ne puisse créer, au moins pour un moment, une économie de la vie capable de perdurer, même brièvement, en dehors de la prison du «travaille, consomme, meurs.» Et cette économie, par sa nature même, menace le monde parodique du Contrôle. A la longue, la ruche sera illégale, puisqu’elle est déjà considérée comme folle. Alors le... quilting bee devrait dès maintenant commencer à agir comme s’il était déjà illégal, il devrait adopter une philosphie de l’illégalisme. Aujourd’hui le quilt, demain peut-être le soulèvement. Notre espèce de ruche pourrait être vouée au sexe, à l’échange d’information, à l’évasion fiscale, à la culture du hasch ou même aux orgies, aux arnaques à crédit ou au trafic d’armes. Il aura toujours la structure du... quilting bee. Et donc le.. quilting bee devrait déjà anticiper sur la possibilité de faire du trafic d’armes ou de manigancer des orgies. Il devrait être préparer à agir à l’intérieur des lézardes du monolithe de la simulation comme un vrai gang de Johnson. Comme un marécage des Callahads. Comme des conspirateurs dont le propos est en réalité de respirer ensemble. Comme des criminels de la race humaine. Comme des Utopies pirates pour la paix. Comme des guérillas pour l’harmonie.


    [1] Le quilting bee est à l’origine le piquage collectif de couvertures matelassées en patchwork (quilt) par les femmes des communautés Amish. Le piquage (bee) se réfère à l’abeille. C’est l’image d’une ruche travaillant à une œuvre collective, mais c’est plus compliqué puisque, à l’intérieur de la communauté, chacun pouvait reconnaître la main qui avait piqué, comme une signature anonyme, imperceptible à ceux qui n’appartenaient pas à la communauté..
     
    Dernière édition: 4 Juin 2009
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