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GRACCHUS BABEUF (1760-1797): ET LE COMMUNISME Alain Maillard

Discussion dans 'Bibliothèque anarchiste' créé par Marc poïk, 11 Août 2017.

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    GRACCHUS BABEUF (1760-1797) ET LE COMMUNISME

    Alain Maillard

    Suivi de

    [Extraits de] Je t'écris au sujet de Gracchus Babeuf

    Jean Soublin

    Suivi de

    François-Noël Babeuf

    dit

    GRACHUS BABEUF


    Gracchus Babeuf (1760-1797) et le communisme


    "Qu'est-ce qu'une révolution politique en général ? Qu'est-ce, en particulier, que la révolution française ?" se demande Babeuf dans son journal Le Tribun du peuple. Réponse : "une guerre déclarée entre les patriciens et les plébéiens, entre les riches et les pauvres". En 1796-97, la Révolution n'est plus une révolution. Le Directoire cherche à la terminer au profit des propriétaires, des spéculateurs... Babeuf considère que les "riches" trompent le peuple, conspirent contre lui pour maintenir leur domination. Il faut donc continuer la Révolution, riposter par une sorte de contre-conspiration pour que le peuple reconquière sa souveraineté et s'achemine vers une "égalité parfaite". Gracchus Babeuf organise ainsi en 1796 avec des militants d'origines diverses (anciens partisans des Montagnards, hébertistes ou encore un écrivain que l'on qualifierait aujourd'hui de "communiste libertaire" comme Sylvain Maréchal), un véritable mouvement politique : celui-ci visait à renverser le Directoire mais plus encore, le libéralisme bourgeois, la propriété individuelle1. En 1793, Babeuf avait hésité entre deux termes, "communautiste" et "Égaux" : il choisit en définitive "Égaux", sans doute pour ménager les différences doctrinales (les robespierristes souhaitaient seulement limiter le droit de propriété, lui, voulait l'abolir et instaurer ce qu'il appelait la communauté des biens, des travaux et des jouissances. Babeuf entendait rassembler dans un front commun toutes les forces qui refusaient la Constitution de l'an III (adoptée par la Convention thermidorienne) et qui réclamaient le retour à celle de 1793 : la Constitution de l'an I, dont l'article premier de la Déclaration des droits proclamait que "le but de la société est le bonheur commun". Les Égaux ont ainsi mis en œuvre dans les quartiers populaires de Paris et dans les régions de France où ils comptaient des partisans, des abonnés (Nord, Pas-de-Calais, Champagne, région lyonnaise, Midi...) une propagande politique en diffusant des libelles, des journaux (Le Tribun du peuple) et des chansons, en placardant des affiches (Analyse de la doctrine de Babeuf), en tenant des réunions... Parallèlement, un Comité secret préparait, politiquement et militairement, l'insurrection pour renverser le Directoire et lui substituer une "autorité révolutionnaire et provisoire, constituée de manière à soustraire le peuple à l'influence des ennemis naturels de l'égalité, et à lui rendre l'unité de volonté nécessaire pour l'adoption des institutions républicaines" : bref une dictature révolutionnaire temporaire (le temps de mater l'aristocratie) et un régime de transition qui mènerait le peuple de France et les autres nations à ce qui n'est pas encore nommé le communisme, mais la communauté. Dans le Comité secret, on discute pour savoir si après l'insurrection victorieuse, on fera revenir "une partie de la Convention", ou si l'on créera "la dictature" (d'un seul homme), ou encore si l'on établira "un corps nouveau, chargé de déterminer heureusement la révolution". Il semble que les conjurés aient décidé de former un "corps composé d'un démocrate par département, à proposer au peuple de Paris en insurrection" : une fois le gouvernement renversé, le directoire secret "rend compte de sa conduite" au peuple de Paris "réuni en assemblée générale", place de la Révolution. Il l'invite à approuver "l'acte insurrecteur" et propose au "peuple insurgent de créer sur-le-champ une autorité provisoire chargée de terminer la révolution, et de gouverner jusqu'à la mise en activité des institutions populaires". Mais les pourparlers entre le Directoire secret de la Conspiration et les anciens Conventionnels (le Comité montagnard) ont conduit à de nouvelles propositions : on rétablirait la Convention avec la soixantaine d'anciens montagnards proscrits et la centaine de babouvistes (un par département). La lutte entre babouvistes et montagnards pour le contrôle de cette autorité provisoire était engagée... Le nouveau régime instituera un système d'éducation publique, des clubs populaires, des fêtes civiles pour changer les mœurs ; on formera une armée populaire et on établira dans les communes, dans les villes, à l'échelle nationale, des magasins communs, une administration collective des subsistances...



    Qu'est-ce que Babeuf et le babouvisme (je pense notamment au rôle déterminant de Buonarroti au début du XIXe siècle) vont apporter directement ou indirectement aux mouvements socialistes du XIXesiècle et au-delà ?



    1) La figure prophétique d'un père fondateur et d'un martyr : un martyr qui se sacrifie pour la révolution égalitaire ; un père fondateur du mouvement socialiste et communiste ; lequel n'a pas manqué de le célébrer sans toujours le connaître. Les deux derniers colloques sur Babeuf et le babouvisme ont apporté beaucoup en précisant la trajectoire extraordinaire de ce Picard, "né dans la fange" ; autodidacte, qui réussit à exercer le métier de feudiste (grâce à sa "belle écriture"), - une profession que la Révolution va supprimer... Un lecteur de la littérature démocratique (Rousseau) et utopique (Mably, Morelly...) du XVIIIe siècle ; un agitateur et un organisateur qui, pris dans le tourbillon de la Révolution, anime en Picardie des mouvements de défense des paysans pauvres (l'une de ses nombreuses pétitions sera signée dans 800 communes) ; un sans-culotte, qui travaille dans l'administration des subsistances à Paris (quand il n'est pas en prison) ; un publiciste remarquable qui connaît le peuple (des villes et des campagnes) et qui s'efforce d'introduire une éthique et une utopie égalitaires dans le combat politique. Bref, il importe de découvrir la trajectoire d'un " sans ", parti de rien, qui sut se transformer en cherchant passionnément à transformer la société...



    2) Un communisme égalitaire : la conception babouviste de la communauté des biens, des travaux et des jouissances s'oppose à la loi agraire, à toutes les doctrines qui préconisent un simple partage des terres (ce qu'on appelle au XIXe siècle les socialismes de partageux) et qui ne remettent pas radicalement en cause la propriété privée ; Babeuf écrit qu'il faut "dépropriairiser généralement toute la France". Ce système que Babeuf définit comme la "démocratie pure", ou encore "l'égalité de fait", et qui, à partir de 1840, prend le nom de "communisme", est un communisme égalitaire dans lequel jamais Marx ne se reconnaîtra, en raison de son égalitarisme niveleur, du caractère doctrinaire de sa démarche théorique et politique, critiques qu'il est impossible ici de résumer. (Le Manifeste du parti communiste que Marx et Engels rédigent fin 1847 se démarque nettement de la vision et des formulations néo-babouvistes de leurs camarades de la Ligue des communistes).



    3) L'égalitarisme babouviste est aussi un "républicanisme communiste". Grâce à l'insurrection populaire du 10 août 1792, la République a été instaurée. Mais Babeuf distingue deux "partis" qui "veulent la république" : celui des "patriciens" et celui des "plébéiens". "[...] Chacun la veut à sa manière. L'un la désire bourgeoise et aristocratique ; l'autre entend l'avoir faite et qu'elle demeure toute populaire et démocratique". Il faut donc que la république soit aussi sociale et tant qu'elle ne sera pas la "RÉPUBLIQUE DES ÉGAUX" [sic], tant qu'elle n'aura pas été faite pour le plus grand nombre, il faut continuer 1793. Continuation qui implique une rupture avec un fondement de la Première République : la propriété privée. Cette vision imprégnera le socialisme et le communisme français, dont on sait qu'une bonne partie est intrinsèquement républicaine. Le rouge sera intimement lié au bleu, pour reprendre l'image de Roger Martelli.



    4) L'idée que la Révolution française "n'est pas finie", qu'elle est, selon l'expression de Sylvain Maréchal, l'avant courière d'une autre révolution bien plus grande, bien plus solennelle, et qui sera la dernière". La Révolution a été confisquée par une "nouvelle aristocratie". C'est pourquoi, déclare Babeuf, "[...] il faut la continuer, cette révolution, jusqu'à ce qu'elle soit devenue la révolution du peuple". En 1850, suite aux échecs de la révolution en Europe, Marx considère que la bourgeoisie ne peut plus jouer un rôle révolutionnaire et qu'il revient dorénavant au prolétariat, "seule classe résolument révolutionnaire" et à ses organismes, de transformer radicalement la société, "de rendre la révolution permanente, jusqu'à ce que toutes les classes plus ou moins possédantes aient été délogées de leur position dominante ; que le prolétariat ait conquis le pouvoir d'État ; que l'association des prolétaires ait progressé, non seulement dans un pays mais dans tous les pays dominants du monde [...]". La révolution russe est traversée par une logique similaire. Les conquêtes de la "révolution démocratique bourgeoise" de février ne peuvent être sauvées de la contre-révolution blanche que par son dépassement dans une révolution prolétarienne socialiste internationale. Signalons toutefois une différence sociologique, qui limite l'analogie : chez Babeuf, la révolution sociale est surtout l'œuvre de masses urbaines et rurales issues des sociétés précapitalistes : les sans-culottes chers à Albert Soboul ou les bras nus de Daniel Guérin... Chez Marx, la révolution sociale est le fait du prolétariat moderne des travailleurs salariés. Chez Lénine aussi, à condition que le prolétariat urbain sache s'allier avec les masses paysannes dans des pays arriérés comme la Russie du début du XXe siècle.



    5) La nécessité de s'organiser politiquement ; d'où la formulation de Marx : "La première apparition d'un parti communiste réellement agissant se trouve dans le cadre de la révolution bourgeoise [...]" : les niveleurs pour l'Angleterre, la conspiration des Égaux pour la France. Un "parti" qui, comme ceux du XIXe siècle, est très différent de ce que sont les formations politiques aujourd'hui. Mais déjà on assiste, avec les babouvistes, à la mise en œuvre des techniques de l'agitation et de la propagande politiques pour gagner la population au programme égalitaire : c'est le Babeuf publiciste, rédacteur du Tribun du peuple qui annonce le journalisme révolutionnaire et le mouvement socialiste du XIXe siècle. Mais c'est une organisation semi-secrète, centralisée, qui vise la conquête du pouvoir d'État, à Paris d'abord et dans toute la France. Au vrai, la vision qu'en donnera Buonarroti en 1828, dans son récit Conspiration pour l'Égalité dite de Babeuf, testament que toutes les générations socialistes du XIXème siècle liront, est quelque peu modifiée : devenu sous la Restauration l'un des chefs les plus prestigieux de la Charbonnerie, Buonarroti accentue le caractère hiérarchique et secret des structures du mouvement conspiratif. Les néo-babouvistes de 1840 et les blanquistes, qui ont eux aussi hérité entre temps des méthodes carbonari, systématiseront le principe d'une avant-garde de "révolutionnaires professionnels" (l'expression vint plus tard), une avant-garde qui, dans la tradition jacobino-babouviste et carbonariste, défendent des conceptions élitistes et volontaristes, bref substitutistes, de l'insurrection révolutionnaire (que l'on songe aux coups de force, aux tentatives de coup d'État des sociétés secrètes néo-babouvistes et blanquistes au XIXe siècle). Marx admet que la centralisation et la clandestinité peuvent s'avérer indispensables dans certaines situations, mais il rejette tout fétichisme de la conspiration et se moque des " alchimistes de la révolution " qui croient que leurs initiatives aventuristes vont être suivies par les masses. On connaît la devise de la Première Internationale : "L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes" ; ce qui n'exclut pas, selon Marx, bien au contraire, la nécessité de médiations politiques, de partis ouvriers révolutionnaires (à la différence de la conception spontanéiste des anarchistes).



    6) Le projet de dictature révolutionnaire, provisoire et transitoire : Marat déjà avait conçu partiellement l'idée que pour mater les forces de la contre-révolution, il fallait "un chef éclairé et incorruptible", un "dictateur", un "tribun militaire" (ou encore un triumvirat), qui aurait fait preuve de son intelligence de la situation et de son dévouement à la cause démocratique. On lui aurait alors confié une magistrature extraordinaire, pour déjouer les complots et mener le peuple à la victoire. Le mot "dictature", aux XVIIIème et XIXème siècles, n'avait pas la connotation très négative d'aujourd'hui. Il renvoyait à l'imaginaire antique, alors omniprésent : on évoquait la république romaine qui recourait à la nomination d'un dictateur, le temps de sortir la société d'une période de crise grave. Buonarroti, les néo-babouvistes des années 1830-1840 et Blanqui théorisent la nécessité d'établir, après la prise d'armes et l'insurrection victorieuse, la dictature d'une minorité de "citoyens sages et courageux", pour renverser la bourgeoisie, dans une France qui va de révolution en révolution mais dont la population reste encore largement rurale et soumise aux notables. Ces raccourcis politiques relèvent d'une sorte d'ultra-jacobinisme. Bien qu'il admire les Jacobins de 1793 et les babouvistes de 1796, Marx critique dès les années 1840 la dimension subjectiviste et volontariste du jacobinisme : celui-ci hypostasie les principes d'unité et de volonté du peuple (la volonté générale, la république une et indivisible...). Le jacobino-babouvisme du XIXe siècle substitue à la volonté populaire ou, plutôt, à ce que Marx nomme "le mouvement réel", la volonté de la minorité agissante. La dictature révolutionnaire des babouvistes et des blanquistes devient chez Marx la "dictature du prolétariat" : c'est-à-dire la prise en main de l'organisation politique, économique, culturelle, militaire, non par une minorité de législateurs éclairés, mais par l'ensemble des travailleurs des deux sexes, de tous âges et de leurs associations (mutuelles, coopératives, sociétés d'éducation populaire, syndicats et partis). Et l'on sait que Marx ne dispose alors que d'un exemple, que d'une esquisse : la Commune de Paris. La dictature du prolétariat n'a pas pour but de maintenir un État, fût-il ouvrier, mais de le détruire... En 1917 : la dictature du prolétariat se résume par le mot d'ordre bolchevik : " toutle pouvoir aux soviets"... Mais la révolution soviétique et la contre-révolution stalinienne posent, dès le début, des problèmes non encore résolus et qui représentent autant de défis pour ceux qui restent, "malgré tout", révolutionnaires. La prise et l'exercice du pouvoir soulèvent la question du rapport entre parti et classe, le problème de la démocratie, des pratiques substitutistes (voir la dualité de pouvoir, l'interdiction des partis soviétiques...), et celui de la bureaucratie... Nous conclurons ici avec ces quelques lignes de Buonarroti sur la confiscation du pouvoir par une minorité de spécialistes, qui ont intéressé Trotsky et Rakovsky dans leur analyse du stalinisme : " S'il se formait, disait-il [le comité insurrecteur babouviste] dans l'État une classe exclusivement au fait des principes de l'art social, des lois et de l'administration, elle trouverait bientôt dans la supériorité de son esprit, et surtout dans l'ignorance de ses compatriotes, le secret de se créer des distinctions et des privilèges ; exagérant l'importance de ses services, elle parviendrait à se faire regarder comme la protection nécessaire de la patrie ; et, colorant ses audacieuses entreprises du prétexte du bien public, elle parlerait encore de liberté et d'égalité à ses peu clairvoyants concitoyens, déjà soumis à une servitude d'autant plus dure, qu'elle paraîtrait légale et volontaire ".





    [Extraits de] Je t'écris au sujet de Gracchus Babeuf2

    LE DEBUT

    Tu te demandes pourquoi je t'écris : est-ce que je sais, moi ? Non, je ne te connais pas. Je t'ai souvent croisé, pourtant : dans la rue, les transports en commun, au cinéma. Tu changes souvent d'allure, de tenue, de couleur de peau, et même de sexe, mais tu as toujours cet abattement que j'ai trop longtemps confondu avec de la veulerie. Jusqu'au jour où j'ai aperçu dans tes yeux un éclair qui m'a intéressé. J'ai cru y reconnaître une volonté, une révolte contre le monde tel qu'il est, et j'ai commencé à réfléchir sur ton compte. Non, tu ne m'as jamais vu : est-ce qu'on regarde un vieux monsieur ? L'envie m'est venue un peu plus tard de t'aider, avec mes pauvres armes d'érudit et de conteur. Comme je crois que tu te sens seul, je me suis dit que tu trouverais peut-être du réconfort en apprenant que d'autres, avant toi, ont ressenti à peu près ce que tu sens. Ils sont très nombreux, tu sais : seul dans ta chambre, tu n'es pas seul dans l'Histoire, loin de là. J'ai un peu cherché. Il me fallait pour te frapper, choisir mon exemple dans une période qui ressemble à la nôtre. J'ai trouvé, je crois. Je te propose l'histoire d'un homme qui n'était pas d'accord avec le cours des choses dans son pays, la France, à son époque, celle du Directoire, il y a deux cents ans.

    EDUCATION DE BABEUF

    Sa famille était pauvre, mais je ne la place pas tout à fait au bas de l'échelle, avec les valets de ferme logés sur la paille des granges et nourris de harengs saurs. Pas d'argent, certes, mais un père fantasque et bourlingueur, assez éveillé au monde pour inventer des bobards comiques sur ses aventures. Une mère attentive, capable d'enseigner à lire, de recoudre les vêtements et de tenir propre sa progéniture. Quant elle plaça le petit François, à douze ans, mettons, elle ne l'envoya pas au cul des vaches, elle le mit chez des seigneurs. Il y a beaucoup appris. Rien de tel, j'imagine, que le service domestique sous l'Ancien régime pour acquérir des vertus d'ordre, d'obéissance, avec une sorte de vernis social. On apprend la relativité des pouvoirs, le dosage des déférences et, ce qui est capital, l'usage de la langue française au milieu d'une campagne où tout le monde parle en patois. Avec du doigté, sa bonne mine et déjà de l'ambition, le petit valet de pied se rend utile, on l'apprécie. Un peu de chance et il tombe un jour sur des maîtres qui le prennent en affection et se piquent de l'instruire. Ah ! les bons maîtres ! Nous voici chez la comtesse de Ségur (métaphysiquement, ne va pas te tromper de siècle). J'imagine fort bien le jeune Babeuf jouant avec les enfants du château sous l'oeil attendri de leur mère. Et rien ne m'empêche de la regarder attentivement, cette jeune femme, de lui supposer des lectures (Jean-Jacques Rousseau ?), et de lui permettre des passions. Un historien très sérieux a avancé l'hypothèse d'une protectrice amoureuse de Babeuf adolescent (on passe chez Marivaux) : charmant, n'est-ce pas ? Et tout à fait plausible; après tout, nous sommes au XVIIIème siècle. Nous admettrons donc des amours à la Boucher, entrecoupés de lectures et de conversations sur les Lumières. Mais que fait-on quand le jeune amant grandit et commence à devenir encombrant ? On le marie (ça, c'est Beaumarchais), avec une femme de chambre, de cinq ans son aînée : Victorine.

    BABEUF MILITE A ROYE

    Une autre anecdote qui montre le jeune Babeuf dans ses œuvres pourrait s'intituler "La dame Rozée et le marais de Braquemont". Savoures-tu comme il faut les relents terriens de ces noms ? Pour moi, je devine sans peine la brume du soir montant du marais, j'entends le concert des crapauds, le gloussement d'une poule d'eau. Quant à la dame Rozée, elle passe un doigt crochu dans le ruban noir autour de son cou fripé et, de l'autre main, caresse voluptueusement une pile d'écus de six livres. Elle occupait le marais, mais aussi les bois et les prairies voisines. "Depuis des années, affirmait-elle, on me les a cédés". - Qui ça ? demandait Babeuf. - Je ne sais plus, c'était il y a longtemps, je ne suis qu'une vieille femme appauvrie". Babeuf était convaincu que le marais appartenait à la commune. La municipalité gérait les biens communaux comme l'avaient fait les échevins de l'Ancien régime. Selon la loi, ce que ces biens rapportaient devait être distribué aux pauvres, copropriétaires, après tout, autant que les riches. Hélas ! Les édiles ne sont pas toujours des ascètes. Depuis longtemps ils se partageaient le revenu de ces parties communes, ou les distribuaient à leurs amis comme autant de H.L.M. Selon Babeuf, la dame Rozée occupait sans titre le marais de Braquemont. Il réclama sa restitution ; la vieille alla glapir à la Mairie où la municipalité, harcelée par Babeuf, nomma finalement une commission d'experts, dont il fit partie. Un jour, cette commission, convaincue par lui que le marais appartenait à la ville, envoya deux chômeurs y abattre quelques arbres au nom de la commune. La municipalité y vit un abus, un coup de force, et c'en était un en effet, soigneusement organisé. Quand le Conseil municipal voulut se réunir pour réagir, il trouva la Mairie occupée par une foule très énervée devant qui Babeuf prononçait un discours. Je ne sais pas comment se termina l'affaire, ni si la Rozée dut restituer son marais, mais l'incident fit si peur aux conseillers municipaux (on avait, c'est vrai, beaucoup parlé de les pendre, ou, comme on disait alors, de les "accrocher"), qu'ils engagèrent des poursuites et firent de nouveau arrêter notre séditieux. C'est ici qu'intervient Victorine, assez résolue, assez courageuse pour terroriser les témoins à charge dont aucun n'osa comparaître aux audiences : on relâcha son mari. Il sortit, et recommença de plus belle à tracasser les autorités. Il lança un petit journal, essaya de se faire élire conseiller général, puis juge de paix, puis député ; toujours candidat et toujours invalidé par les manoeuvres de ses adversaires. Il finit tout de même par entrer au Conseil d'arrondissement de Montdidier, à côté de Roye ; il s'y heurtera de nouveau à la majorité bourgeoise.

    LES SANS-CULOTTE

    Te souviens-tu du sans-culotte tel que nous le représentent tant d'images? Un gaillard en pantalon (il ne porte pas la "culotte" des riches, serrée aux genoux), avec un gilet (la "carmagnole") et un bonnet, sans doute sale, mais phrygien, celui des affranchis de l'Antiquité. Si la caricature est d'origine royaliste, il aura un couteau à la ceinture, une pique à la main et une bouteille de vin dans la poche. Imagine ce lascar aux réunions d'une assemblée populaire. Des intellectuels du quartier lui expliquent les décisions de la Convention. Il écoute des discours incendiaires, il hurle, et la femme qui l'accompagne hurle encore plus fort. On lui parle de trahison, de corruption: "Tous les politiciens sont payés par l'Angleterre! -A mort les politiciens... Dumouriez est passé à l'ennemi! -A mort Dumouriez..." et ainsi de suite. Cette violence atterre tout le monde, elle fait frissonner Marat lui-même, quand il visite les sections pour les calmer, et Robespierre, pourtant si attentif à la colère du peuple parisien. Parisien au sens large, le seul qui compte. Paris a toujours fourmillé d'étrangers et bon nombre d'entre eux y sont morts pour la liberté, tu n'as qu'à lire les noms sur les listes, celle des condamnés Hébertistes, par exemple. Tu y trouveras, parmi les dix-neuf guillotinés, un Hans Kock, un Pereira, un Berthold et un Cloots. Guzman, lui, en a réchappé ce jour-là. Et n'oublie pas les provinciaux: regroupés par quartiers, parlant mal le français, conservant des moeurs insolites et bruyantes, friands de plats nauséabonds, ce sont les immigrés de l'époque. Tous ces gens sont armés, ils sont aussi extrêmement brutaux, tout à fait capables de barbarie s'ils ont vraiment la haine. On les a vus à l'œuvre six mois plus tôt, quand ils sont entrés dans les prisons pour égorger ceux qui s'y trouvaient.

    LA GAUCHE BRISEE EN 1795

    Observons d'abord ceux que Babeuf a rencontrés en prison. Au début de 1795 la réaction thermidorienne avait coffré, en même temps que lui, bon nombre de militants. Ils venaient de tous les courants de la gauche. Certains se donnaient pour robespierristes, d'autres, issus des sections parisiennes, avaient travaillé avec Jacques Roux ou Hébert avant que Robespierre ne les abatte. On trouvait aussi des athées, motivés par la seule envie de bouffer du curé. Le plus grand nombre étaient des militants de base, simples et rudes, désorientés par les inconstances de la politique. Tous ces gens avaient vécu depuis 1789 cinq années grisantes de progrès vers la liberté et, tout de même, vers un peu plus d'égalité. Selon leur inclination, ils avaient applaudi ou vomi thermidor mais tous comprenaient maintenant que la chute de Robespierre bloquait la marche en avant. L'Histoire s'était retournée contre eux, ils le sentaient et perdaient courage. Désormais, il fallait remiser les vieilles espérances, les pétitions, les défilés, les slogans, et parler bas en regardant autour de soi. Car la délation régnait sur Paris. La concierge acariâtre, le boucher enrichi au marché noir, le retraité confit dans ses incontinences, toute cette vermine sortait des crevasses du mur et bavait ses dénonciations. "Je l'ai vu, il portait un couteau, il braillait: Vive Marat." En prison! "Je l'ai vue, elle avait traîné ses enfants à la manifestation, elle hurlait: du pain, du pain! Devant ses enfants, Monsieur, quelle honte!" En prison! Je suis assez vieux pour avoir connu les Français dans une époque semblable: crois-moi, ce n'est pas beau. Bref, on les avait incarcérés, et dehors, leurs familles crevaient de faim, comme en 93. Certes, le gouvernement avait réglé le problème des subsistances, on trouvait du pain partout, mais on avait aussi libéré les prix, qui flambaient. Le pauvre pouvait toujours lécher la vitrine du boulanger en s'interrogeant sur la nouvelle loi qu'on lui opposait, mystérieuse, incompréhensible et supérieure, lui disait-on, à toutes les autres: la loi du marché. La gauche écrasée, le peuple diffamé, affamé: ah! Ils avaient bien lieu de se décourager, ces militants. A ce groupe pitoyable, Babeuf va imposer son ascendant, il leur rendra courage, leur donnera des objectifs et les moyens de les atteindre. Il en fera un parti révolutionnaire, le premier de l'Histoire, et je dois te montrer comment.

    BABEUF ET LES EGAUX AU CAFE DES BAINS CHINOIS

    Au café, nous serons en sûreté, on n'y rencontre que des sans-culotte bon teint. Leurs surins fichés dans les tables de bois suffisent à faire réfléchir les voyous d'extrême droite, on n'en voit jamais dans cette salle. En revanche, tu feras bien de parler bas, l'endroit fourmille d'indicateurs. Babeuf a sa table au fond. Tu reconnais près de lui Buonarroti et Darthé qui lui racontent les dernières chamailleries au club du Panthéon. Mais tu découvres aussi de nouveaux visages que je dois te présenter. Ce vieillard au profil crochu, fort laid, bègue, c'est Sylvain Maréchal, bibliothécaire à la Mazarine. Il avait aidé Babeuf en 1793, il l'a rejoint aujourd'hui. Il touche un peu à tout, versifie depuis des années dans la tonalité anacréontique et collabore à plusieurs journaux. Sans vraiment les approfondir, il cultive ses marottes : l'athéisme et l'égalité, qui le rapprochent de Babeuf, et l'anarchie, qui l'en éloigne. Je le trouve un peu bizarre, un peu excessif, et pas trop sympathique. Buonarroti, dans son livre, en a fait un cadre important de la Conjuration. Je veux bien, mais j'observe qu'il n'a pas été arrêté avec Babeuf, que son nom n'est pas mentionné au procès et qu'aucun contemporain ne le place parmi les conjurés. Il est mort dans son lit en 1803 après s'être illustré par un projet de loi portant interdiction aux femmes d'apprendre à lire, tu vois le genre d'homme. Tu préféreras sans doute le jeune gaillard assis en face de Babeuf avec qui il discute en souriant. Remarque la physionomie avenante, le regard pétillant, la distinction du port. Il s'appelle Félix Lepeletier, ci-devant de Saint Fargeau, dit "Blondinet". On le respecte d'abord en mémoire de son frère, assassiné pour avoir voté la mort de Louis XVI, on en a fait un martyr de la Révolution. Mais Félix ne manque pas de courage non plus, ni d'idées. Il vient de se faire élire président du club du Panthéon, à la barbe du courant anti-robespierriste. De tous les Egaux, il est le plus proche de Babeuf, le plus sûr. Il adoptera un de ses fils, aidera Victorine et vivra assez longtemps pour applaudir la révolution de 1830. Le petit sec, à gauche, mourra bien avant cela, aux Comores où on le déportera pour une histoire de voiture piégée. On le nomme Rossignol, il travaillait chez un orfèvre avant de quitter son état pour s'engager dans l'armée. Il n'a guère servi que dans la capitale, mais on l'a tout de même nommé général avant de le casser : trop extrémiste. Les amis -attention ! ce ne sont pas encore des conjurés- causent de leur difficulté principale : pourquoi le peuple ne bouge-t-il pas ? On propose des analyses. On évoque la peur des muscadins, ou la disette trop obsédante, ou simplement la fatigue, une sorte de désenchantement, de fatalisme. La droite est trop forte, penserait le peuple, courbons le dos en attendant des jours meilleurs. Comment faire ?

    LE PROCES

    Songe que ce ne sont pas seulement des hommes qui s'affrontent sous les voûtes glacées de l'ancienne abbaye, ce sont deux systèmes de société, radicalement antagonistes. Après le chaos de la Révolution où les ambitions personnelles brouillaient si souvent les cartes sociales, quand plus d'un millionnaire pactisait avec la valetaille pour faire avancer ses intérêts, les choses, finalement s'éclaircissent. Les pauvres d'un côté, les riches de l'autre. Ils vont se déchirer jusqu'à nos jours, et ce n'est pas fini, mais il n'y a pas ici de barricades, de machine infernale, de dragons sabrant la foule. Et pas de tribunal stalinien. Pendant trois mois, des accusés passionnés, des avocats et des accusateurs de grande qualité vont débattre de l'égalité, du bonheur qu'elle promet ou des ravages qu'elle cause. Je ne vois pas dans l'histoire de la justice d'autre exemple d'un tel débat sur nos sociétés. Bien entendu, la cause est entendue d'avance. La propagande officielle a suffisamment prévenu le jury contre les accusés, il y aura des condamnations. Alors quelle tension, quelle splendeur déchirantes ! Regarde les visages butés de Darthé et de Sophie, la chanteuse. Seuls parmi les accusés ils ont refusé la défense commune. Ils récusent le tribunal, refusent de répondre aux questions et se taisent trois mois durant. L'homme sera guillotiné, la femme absoute avec un commentaire grinçant : "Elle était chanteuse aux Bains chinois et de ce fait n'est pas digne de fixer votre attention dans un procès où il s'agit de juger des accusés de conspiration contre la sûreté d'une grande et puissante république". Regarde aussi ces deux témoins, des soldats insurgés de la Légion de police. L'accusateur les a chapitrés dans leur cellule : vous direz que les babouvistes vous ont poussés. Il les appelle à la barre, les interroge, sûr de son fait. Or, ils se rétractent, affirment tout ignorer de la Conjuration. Les accusés applaudissent, le public applaudit, tout le monde sait qu'ils mentent pour la Cause : dix ans de fers. Regarde enfin la comparution du traître Grisel, accueilli par un désordre indescriptible. On le hue, on l'injurie, il peut à peine déposer. Vingt ans plus tard, à Nantes, quelqu'un l'a poignardé, on n'a jamais su s'il s'agissait d'une vengeance.

    LA FIN

    Reste le dénouement, qui n'est qu'un cri d'horreur. Ses lettres cachetées, Babeuf sort un objet d'une cachette, un morceau de bougeoir affûté sur les dalles pendant des semaines. Il l'examine. Il vérifie du doigt la pointe et le fil de son arme. Il ouvre sa chemise... Il s'est raté. Ecroulé sur le sol, il perd beaucoup de sang. Le jour baisse, un gardien pousse la soupe par le guichet sans remarquer ce qui se passe. Voici la nuit. Que la mort est longue à venir ! Il s'évanouit, reprend connaissance, s'évanouit de nouveau. Quand les hommes viennent le chercher, un peu avant l'aube, ils découvrent du sang, un corps inerte ; embarrassés, ils hésitent. Mais dans le couloir, une voix gronde et les presse. Ils empoignent le corps et l'emportent vers l'échafaud.

    Alors ? As-tu, pour Babeuf, versé la larme que j’espérais ? Et pour l’égalité ? Parviens-tu à imaginer le vaste mouvement populaire à travers l’Europe, la baisse des inégalités devenue but sacré de l’Union, les gouvernements fixant des objectifs dans ce sens, les médias dénonçant, humiliant ceux qui résistent, et chaque mois, chaque année, l’éventail des revenus et des patrimoines qui se ferme un peu plus ? Ce serait bien, non ? Occupe-t-en.



    *****



    Extrait d'un journal de l'époque :



    "Babeuf et Darthé ont été guillotinés

    Vendôme le 27 mai 1797

    Les juges du procès des Égaux ont rendu hier leur verdict. Les principaux complices de Babeuf s'en sortent bien, Antonelle et Félix Le Peletier sont acquittés, Bunarroti et Germain sont condamnés à la déportation. Quant à Sylvain Maréchal, il n'a même pas été inquiété. Seuls Babeuf et Darthé ont été condamnés à mort pour avoir voulu renverser le régime et rétablir la Constitution de 1793. Le Directoire avait introduit Grisel, l'un de ses agents, parmi les Égaux et, dans la nuit du 10 mai 1796, Barras avait fait arrêter plus de cinquante personnes soupçonnées d'avoir trempé dans le secret de la conjuration. Babeuf avait été trouvé chez lui où, en compagnie de Buonarroti, il préparait les derniers détails de l'insurrection. Le 20 février, s'était enfin ouvert, devant la Haute Cour de justice de Vendôme, le procès des 65 inculpés. Et quel procès! Pendant trois mois, de virulentes joutes oratoires ont opposé l'accusation à Babeuf et à ses amis, qui à plusieurs reprises ont bénéficié du soutien du public. A leurs terribles accents de colère, à leur liberté de langage, à la manière dont ils récusaient la compétence du tribunal, les accusés n'ont pas trahi leur image de combattants. Germain s'est signalé par ses harangues passionnées. Il s'en est pris notamment à Grisel qui s'était vanté d'avoir mérité la couronne civique par sa dénonciation. "Cette couronne appartient aux victimes", lui a-t-il rétorqué sous les applaudissements de l'auditoire, Babeuf, pourtant géné par la résolution prise en commun de nier l'accusation, a été intarissable. Si certaines séances furent orageuses, il y en eut aussi de poignantes où le chef des conjurés, au comble de l'émotion, exposa sa doctrine et provoqua les sanglots de l'assistance. La salle en émoi reprenait même avec eux les chants révolutionnaires. Le verdict a d'ailleurs suscité un grand tumulte dans l'assistance. Tandis que Buonarroti en appelait au peuple, Babeuf et Darthé se sont poignardés au cri de Vive la République! Et c(est à l'aube qu'il ont été traînés, sanglants, à l'échafaud".





    François-Noël Babeuf

    dit

    GRACHUS BABEUF



    Gracchus Babeuf (1760-1797), le premier dans la Révolution française, surmonta la contradiction, à laquelle s’étaient heurtés tous les politiques dévoués à la cause populaire, entre l’affirmation du droit à l’existence et le maintien de la propriété privée et de la liberté économique. Par la pensée et par l’action, il dépassa son temps, il s’affirma l’initiateur d’une société nouvelle.

    Comme les sans-culottes, comme les jacobins, Babeuf proclame que le but de la société est le bonheur commun ; la Révolution doit assurer entre tous les citoyens l’égalité des jouissances. Mais la propriété privée introduisant nécessairement l’inégalité, et la loi agraire , c’est-à-dire le partage égal des propriétés, ne pouvant "durer qu’un jour" ("dès le lendemain de son établissement, l’inégalité se remontrerait"), le seul moyen d’arriver à l’égalité de fait et "d’assurer à chacun et à sa postérité, telle nombreuse qu’elle soit, la suffisance mais rien que la suffisance", est "d’établir l’administration commune, de supprimer la propriété particulière, d’attacher chaque homme au talent, à l’industrie qu’il connaît, de l’obliger à en déposer le fruit en nature au magasin commun, et d’établir une simple administration de distribution, une administration des substances qui, tenant registre de tous les individus et de toutes les choses, fera répartir ces dernières dans la plus scrupuleuse égalité"(1)

    Babeuf fut tout au long de la Révolution un homme d’action. C’est au contact des réalités sociales de sa Picardie natale, au cours de ses luttes révolutionnaires que, peu à peu, le système idéologique de Babeuf se précisa. On ne peut en effet présenter ce système, ainsi qu’on l’a fait plus d’une fois, comme un tout conçu dogmatiquement et avec une parfaite cohérence ; il fut une résurgence de l’espérance millénariste, transmise par les livres mais enrichie et vivifiée par l’observation sociale et par l’action révolutionnaire et finalement systématisée.

    Né en 1760 à Saint-Quentin, d’un commis des gabelles et d’une servante illettrée, François-Noël (dit Gracchus) Babeuf se fixe à Roye, dans le Santerre, pays de grandes cultures. Dans ces campagnes picardes s’affirmaient à la fin de l’Ancien Régime d’importants changements économiques et sociaux : essentiellement, la "réunion" des fermes et le développement des manufactures. Toujours vivaces, unies pour la défense de leurs traditions communautaires et de leurs droits collectifs, les communautés rurales soutenaient une âpre lutte contre la concentration des exploitations aux mains des grands fermiers capitalistes. Commissaire à terrier et feudiste, spécialiste du droit féodal, Babeuf acquiert au cours des années 1780 une expérience directe de la paysannerie picarde, de ses problèmes et de ses luttes. C’est sans doute à ce contact que, dès avant la Révolution, il est porté vers l’égalité de fait et le communisme.

    En ces années picardes, on voit Babeuf porter aussi attention à "la classe particulière des ouvriers", aux "classes salariées", à leurs revendications concernant cherté et chômage. "Il serait dur de dire, et même de penser, que toutes les classes d’habitants qui n’ont pour subsister que des salaires ne forment point une partie intégrante de la population qui constitue la nation." L’aggravation des conditions d’existence des travailleurs salariés, à la veille de la Révolution, entrerait ainsi pour une part dans la prise de conscience de Babeuf.

    En 1789, Le Cadastre perpétuel permet de faire le point de l’expérience picarde de Babeuf. Il constate que l’inégalité sociale résulte de la concentration des propriétés, qui multiplie le nombre des salariés et entraîne la baisse des salaires ; il critique âprement l’héritage. Il penche vers la loi agraire , c’est-à-dire le socialisme des "partageux" suivant l’expression de 1848 ; le détenteur ne peut aliéner son lot, qui, à sa mort, fait retour à la communauté. Cependant, dans un mémoire de 1785 sur les grandes fermes et dans une lettre de juin 1786 à Dubois de Fosseux, secrétaire de l’académie d’Arras, Babeuf semble avoir pressenti les inconvénients, pour la production, du partage égal des propriétés qui fait de tout paysan un petit producteur indépendant. Il prévoit, en effet, l’organisation de "fermes collectives", véritables "communautés, fraternelles" : "50, 40, 30, 20 individus viennent à vivre en associés sur cette ferme autour de laquelle, isolés qu’ils étaient auparavant, ils végétaient à peine dans la misère, ils passeront rapidement à l’aisance". "Émietter le sol par parcelles égales entre tous les individus, c’est anéantir la plus grande somme des ressources qu’il donnerait au travail combiné."

    La participation de Babeuf au mouvement agraire picard en 1790-1792 constitue sa première grande expérience de lutte révolutionnaire. Élargissant l’horizon d’une action nécessairement localisée, il formule un programme agraire cohérent qui répondait incontestablement aux revendications des masses paysannes. Il dénonce "la prétendue suppression du régime féodal" par les décrets des 5-11 août, dès 1789, et avec obstination jusqu’en 1792 : "Que la prétendue abolition répétée si souvent dans les décrets de l’Assemblée constituante n’existait que dans les mots, que la chose en elle-même était conservée dans son entier." Il réclame non seulement l’abolition totale des redevances féodales, sans indemnité, mais, en outre : la confiscation de toutes les propriétés seigneuriales ("Que les fonds attachés aux fiefs et aux seigneuries soient dès ce moment en vente", février 1791) ; l’arrêt de la vente des biens du clergé et leur distribution aux paysans "mal aisés" sous forme de baux à long terme (mai 1790) ; le partage des communaux non en propriété, mais en usufruit ; et, finalement, la loi agraire. On a souvent souligné, chez les robespierristes, l’absence de politique agraire efficace ; il en fut de même pour les Enragés et pour le groupe cordelier habituellement dit "hébertiste". Seul Babeuf, au contact des réalités picardes, sut concevoir un programme qui eût donné satisfaction aux sans-culottes des campagnes.

    Le 15 pluviôse an II (3 février 1794), il écrit à son fils : "Démontrer en même temps qu’il est probable que le peuple français conduira sa révolution jusqu’au terme heureux de ce système d’égalité parfaite." Diriger la Révolution vers ce but, c’est la mission que Babeuf s’assigne : parlant de ses enfants en avril 1793 : "J’espère leur faire voir un père que l’univers entier bénira et que toutes les nations, tous les siècles regarderont comme le sauveur du genre humain." On ne saurait négliger cet aspect messianique du tempérament de Babeuf.

    Après le 9 thermidor (27 juillet 1794), Babeuf fut un moment violemment antirobespierriste. Dans sa brochure Du système de dépopulation , il dénonça le gouvernement révolutionnaire et la Terreur. Cependant les ravages de l’inflation et l’indicible misère populaire au cours de l’hiver de l’an III (1794-1795) lui démontrèrent après coup la nécessité du maximum, de la taxation et de la réglementation, de l’économie dirigée et de la nationalisation même partielle de la production : bref, l’importance de l’expérience de l’an II, appliquée en particulier aux armées de la République. "Que ce gouvernement (l’administration commune), écrit Babeuf dans le Manifeste des plébéiens , est démontré praticable par l’expérience, puisqu’il est celui appliqué aux douze cent mille hommes de nos douze armées (ce qui est possible en petit l’est en grand) ; que ce gouvernement est le seul dont il peut résulter un bonheur universel, inaltérable, sans mélange, le bonheur commun, but de la société."

    Babeuf répudie maintenant la loi agraire qui ne peut "durer qu’un jour", il se prononce expressément pour l’abolition de la propriété privée des fonds. Il s’en explique dans sa lettre à Germain du 10 thermidor an III (28 juillet 1795) et précise le mécanisme de son système. Partant d’une critique du commerce "homicide et rapace", que "tous, écrit Babeuf, soient à la fois producteurs et consommateurs dans cette proportion où tous les besoins sont satisfaits, où personne ne souffre ni de la misère, ni de la fatigue [...]. Il ne doit y avoir ni haut ni bas, ni premier ni dernier." Chaque homme sera attaché "au talent et à l’industrie qu’il connaît". "Tous les agents de production et de fabrication travailleront pour le magasin commun et chacun d’eux y enverra le produit en nature de sa tâche individuelle et des agents de distribution, non plus établis pour leur propre compte, mais pour celui de la grande famille, feront refluer vers chaque citoyen sa part égale et variée de la masse entière des produits de toute l’association."

    Le babouvisme ne saurait se définir seulement comme un système idéologique. Il fut aussi une pratique politique. La "conjuration des Égaux" constitue la première tentative pour faire entrer le communisme dans la réalité sociale.

    Au cours de l’hiver de l’an IV (1795-1796), au spectacle de l’effroyable misère qui accable le peuple et de l’incapacité gouvernementale, Babeuf, bientôt réduit à la clandestinité par la police du Directoire, en vient à l’idée de jeter bas par la violence cet édifice social inique. La conjuration groupa autour d’une minorité acquise au communisme des membres du club du Panthéon, anciens jacobins, tels Amar, ancien membre du Comité de sûreté générale, Drouet, l’homme de Varennes, Lindet, ancien responsable de la Commission des subsistances du Comité de salut public : les buts de ces hommes demeuraient essentiellement politiques : Buonarroti, en revanche, ancien commissaire du Comité de salut public en Corse, puis à Oneglia sur la Rivière du Ponant, toujours fervent robespierriste, eut une part considérable dans l’élaboration du programme communiste de la conjuration et dans son organisation politique. Le 10 germinal an IV (30 mars 1796) fut institué un comité insurrecteur où entrèrent avec Babeuf, Antonelle, Buonarroti, Darthé, Félix Lepeletier et Sylvain Maréchal. La propagande se développa, dirigée par un agent dans chacun des douze arrondissements parisiens. Les circonstances étaient favorables, l’inflation poursuivait ses ravages.

    L’organisation de la conjuration souligne une rupture avec les méthodes jusque-là employées par le mouvement populaire : elle marque elle aussi, dans l’histoire de la pratique révolutionnaire, une mutation. Jusqu’en 1794, comme l’ensemble des militants populaires, Babeuf s’était affirmé partisan de la démocratie directe. Dès la fin de 1789, sa méfiance éclate à l’égard du système représentatif et des assemblées élues ("le veto du peuple est de rigueur") ; en 1790, il défend l’autonomie des districts parisiens. La pensée de Babeuf n’est ici guère originale : la filiation par rapport à Rousseau, dont il paraphrase souvent le Contrat social , est évidente, et nette la concordance avec les tendances politiques des militants parisiens de la sans-culotterie.

    D’autant plus remarquable apparaît l’organisation clandestine que Babeuf met sur pied en 1796. Au centre, le groupe dirigeant, s’appuyant sur un petit nombre de militants éprouvés ; puis la frange des sympathisants patriotes et démocrates au sens de l’an II, tenus hors du secret et dont il n’apparaît pas qu’ils aient partagé le nouvel idéal révolutionnaire ; enfin les masses populaires elles-mêmes, qu’il s’agit d’entraîner. Conspiration organisatrice par excellence, mais où le problème des liaisons nécessaires avec les masses semble avoir été résolu d’une manière incertaine. Ainsi, par-delà la tradition de l’insurrection populaire, illustrée par les grandes journées révolutionnaires, se précisait la notion de la dictature révolutionnaire que Marat avait pressentie sans pouvoir la définir nettement. Après la prise du pouvoir grâce à une insurrection organisée, il serait puéril de s’en remettre à une assemblée élue selon les principes de la démocratie politique, même au suffrage universel. Il est nécessaire de maintenir la dictature de la minorité révolutionnaire que la conjuration et l’insurrection ont portée au pouvoir, tout le temps nécessaire à la mise en place des institutions nouvelles et à la refonte de la société. Par Buonarroti, cette idée passa à Blanqui : il y a incontestablement filiation entre la pratique conspirative du blanquisme et cet aspect du babouvisme. Et c’est vraisemblablement au blanquisme qu’il faut rattacher la doctrine et la pratique léninistes de la dictature du prolétariat.

    Le Directoire se divisa, face à la propagande babouviste. Barras tergiversait comme à l’ordinaire, ménageant les opposants ; Reubell hésitait à faire le jeu du royalisme par une répression antipopulaire. Carnot, passé décidément à la réaction par conservatisme autoritaire, n’hésita pas. Le 27 germinal (16 avril 1796), les Conseils décrétèrent la peine de mort contre tous ceux qui provoqueraient "le pillage et le partage des propriétés particulières, sous le nom de loi agraire". Babeuf, cependant, poussait ses préparatifs. Mais, dès le 11 floréal (30 avril), la légion de police acquise aux conspirateurs fut dissoute. Enfin, un des agents militaires de Babeuf, Grisel, dénonça les conjurés à Carnot : Babeuf et Buonarroti furent arrêtés le 21 floréal an IV (10 mai 1796), tous leurs papiers saisis. Une tentative pour soulever l’armée au camp de Grenelle échoua dans la nuit du 23 au 24 fructidor (9-10 septembre 1796). Elle fut le fait d’hommes de l’an II, jacobins ou sans-culottes, plutôt que de babouvistes proprement dits : sur 131 personnes arrêtées dans cette affaire, on ne relève que six abonnés au Tribun du peuple.

    Le procès de Vendôme n’eut lieu qu’en l’an V. Barras aurait voulu réduire les poursuites, et de même Sieyès, qui craignit de faire le jeu du royalisme ; Carnot se montra implacable et entraîna le Directoire. Dans la nuit du 9 au 10 fructidor (26-27 août 1796), les conjurés furent transférés à Vendôme, dans des cages grillagées, leurs femmes, dont celle de Babeuf avec son fils aîné, Émile, suivant à pied le convoi. Le procès ne s’ouvrit devant la Haute Cour qu’en fin février 1797, il dura trois mois. Après le prononcé du jugement qui les condamnait à mort, le 7 prairial an V (26 mai 1797), Babeuf et Darthé tentèrent de se donner la mort ; le lendemain, ils furent portés sanglants à l’échafaud.

    Buonarroti publia à Bruxelles, en 1828, l’histoire de la Conspiration pour l’Égalité dite de Babeuf. Cet ouvrage exerça une influence profonde sur la génération révolutionnaire des années trente. Grâce à lui, le babouvisme s’inscrivit comme un chaînon dans le développement de la pensée communiste.



    Notes



    1-"Manifeste des plébéiens" publié par Le Tribun du peuple du 9 frimaire an IV (30 novembre 1795).



    Annexes



    Affaire du camp de Grenelle

    (1796)



    L’affaire du camp de Grenelle est l’épisode décisif de la conjuration des Égaux animée par Gracchus Babeuf. Cet ancien feudiste, qui rêvait d’un communisme agraire, prépare un complot en liaison avec d’anciens Montagnards. Après l’échec des journées de germinal et de prairial an III (1er avril et 20 mai 1795), il convient de renoncer à un soulèvement populaire, parce que les faubourgs sont désarmés. Les babouvistes qui ont pris des contacts au sein d’une force chargée du maintien de l’ordre dans Paris, la Légion de police, espèrent un soulèvement des militaires du camp de Grenelle contre le Directoire. La dénonciation de Grisel, un officier affilié à la conspiration, permet au ministre de la Police, Cochon de Lapparent, de réussir un vaste coup de filet le 21 floréal an IV (10 mai 1796). Babeuf et ses principaux complices sont arrêtés. Les derniers partisans des Égaux tentent dans la nuit du 23 au 24 fructidor (9-10 septembre) de soulever les soldats du camp de Grenelle. Carnot, alors membre du Directoire, et Cochon de Lapparent laissent l’insurrection se développer puis lancent la cavalerie. Il y a plusieurs morts sur le terrain et trente fusillés. Le babouvisme était écrasé. Ses maladresses notamment dans l’affaire du camp de Grenelle où il fut le jouet d’agents provocateurs ont été sévèrement jugées par Marx.



    Journée du 9 Thermidor An II

    (27 juill. 1794)



    À l’inverse des journées révolutionnaires du 10 août 1792 ou du 2 juin 1793, le peuple n’eut aucune part dans la journée du 9 thermidor qui vit la chute de Robespierre. On a pu dire que le 9-Thermidor correspondait à un simple changement de majorité parlementaire.

    Robespierre a succombé en effet devant une coalition hétéroclite qui comprenait d’anciens représentants en mission rappelés en raison de leurs excès par le Comité de salut public (Fouché, Tallien, Barras), des députés du centre (Boissy d’Anglas), des membres du Comité de salut public (Carnot, Billaud-Varenne, Collot d’Herbois), du Comité de sûreté générale (agacé par la création au Comité de salut public d’un bureau de police concurrent dominé par Robespierre) et du Comité des finances (Cambon), d’anciens dantonistes enfin (Legendre). La nausée de l’échafaud, à la suite de la loi du 22 prairial qui aggrave la Terreur, la crainte de voir Robespierre établir une dictature à son profit, la peur de certains conventionnels plus ou moins corrompus ont joué un rôle dans la formation de cette coalition. Robespierre en a permis la formation en s’abstenant pendant plusieurs semaines de paraître à la Convention et au Comité de salut public, ulcéré par les critiques de ses collègues et par l’exploitation par Vadier du complot de "la mère de Dieu", une prophétesse qui annonçait la venue d’un nouveau messie (messie identifié à Robespierre par la police du Comité de sûreté générale).

    Le 8 thermidor (26 juill. 1794), Robespierre prend l’offensive à la Convention. Il dénonce le complot des députés corrompus, mais sans préciser le nom de ceux qu’il vise. Subjuguée, l’assemblée décrète l’impression du discours et son envoi en province. Mais, Robespierre parti, elle rapporte son décret à la demande de Collot d’Herbois et de Cambon. L’échec n’est que relatif pour Robespierre. Lorsqu’il relit son discours le soir aux Jacobins, il est ovationné, cependant que le public chasse Billaud-Varenne et Collot d’Herbois.

    La partie décisive se joue à la Convention le 9 thermidor. À peine Saint-Just est-il monté à la tribune qu’il est interrompu par Tallien. Préparée pendant la nuit, l’offensive parlementaire se développe contre Robespierre. Lorsque l’Incorruptible veut se défendre, sa voix est couverte par les cris. La Convention décrète son arrestation ainsi que celles de Saint-Just, de Couthon, de Lebas et d’Augustin Robespierre. Rien n’est encore perdu pour Robespierre. Le Tribunal révolutionnaire n’a-t-il pas acquitté Marat jadis ; La commune de Paris, épurée de ses éléments hébertistes et passée avec le maire Fleuriot-Lescot dans le camp robespierriste, s’insurge et délivre contre son gré Robespierre. Réaction de la Convention : elle met Robespierre et ses partisans hors la loi. L’Incorruptible et ses amis délibèrent à l’Hôtel de Ville. Mais ils ne sont pas rejoints par les sans-culottes, démoralisés depuis l’éviction des Enragés et mécontents de la trop stricte application du maximum des salaires alors que le maximum des prix n’est pas respecté. La Convention rassemble, sous l’énergique impulsion de Barras, des forces qui encerclent les insurgés. À deux heures du matin, Robespierre, la mâchoire fracassée dans des conditions mal éclaircies, Saint-Just et Couthon tombent aux mains de la Convention. Ils sont guillotinés sans jugement, étant hors la loi, dans la journée du 10. Le peuple n’a pas bougé. Des cris de "Foutu le maximum ;" se font entendre au moment de l’exécution.

    La chute de Robespierre entraîne la fin de la politique démocratique et égalitaire de la Révolution. La victoire revient aux députés modérés, aux spéculateurs aussi, à tous ceux que l’on désignera sous le nom de Thermidoriens. La Révolution s’arrête. Michelet interrompt son récit à cette date, sur une anecdote qui a une portée considérable. Un employé ayant apporté quelque secours à Robespierre, blessé, peu après son arrestation, l’Incorruptible lui répondit : "Je vous remercie, monsieur." "Ce retour inattendu au langage du vieux passé, note Michelet, fut-il instinctif chez l’homme qui en avait gardé les formes ; ou bien crut-il la Révolution finie avec lui ; Les cinq grandes années, comme un rêve, disparurent-elles de son esprit, biffées, vaines, évanouies ; Par une prévision de mourant, il eut comme un sens amer de la réaction qui venait, et crut qu’à partir de ce jour on ne pouvait dire "citoyen". Tel était bien le sens du 9-Thermidor.



    1 Pour Babeuf :

    1. La nature a donné à chaque homme un droit égal à la jouissance de tous les biens. 2. Le but de la société est de défendre cette égalité, souvent attaquée par le fort et le méchant dans l'état de nature, et d'augmenter, par le concours de tous, les jouissances communes. 3. La nature a imposé à chacun l'obligation de travailler ; nul n'a pu, sans crime, se soustraire au travail. 4. Les travaux et les jouissances doivent être communs. 5. Il y a oppression quand l'un s'épuise par le travail et manque de tout, tandis que l'autre nage dans l'abondance sans rien faire. 6. Nul n'a pu, sans crime, s'approprier exclusivement les biens de la terre ou de l'industrie. 7. Dans une véritable société, il ne doit y avoir ni riches ni pauvres. 8. Les riches qui ne veulent pas renoncer au superflu en faveur des indigents sont les ennemis du peuple. 10. Le but de la révolution est de détruire l'inégalité et de rétablir le bonheur commun. 11. La révolution n'est pas finie, parce que les riches absorbent tous les biens et commandent exclusivement, tandis que les pauvres travaillent en véritables esclaves, languissent dans la misère et ne sont rien dans l'état. 12. La Constitution de 1793 est la véritable loi des Français, parce que le peuple l'a solennellement acceptée...



    2 Editions Atelier du Gué.