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Luttes vertes Fukishima : Questions & Réponses

Discussion dans 'Webzine - actualité des luttes et partage d'articles de presse' créé par Ungovernable, 16 Mars 2011.

  1. Mathieu : Quelles sont les similitudes avec Tchernobyl ?

    Pierre Le Hir : L'accident de Fukushima est d'une nature différente de celui de Tchernobyl. A Tchernobyl, il s'est produit ce que les techniciens appellent un "accident de criticité", c'est-à-dire que la réaction de fission s'est emballée et il y a eu une explosion dans le réacteur. Comme celui-ci n'avait pas d'enceinte de confinement, il y a eu un très violent dégagement de matières radioactives qui ont été propulsées jusqu'à plus de 3 000 mètres dans l'atmosphère.

    A Fukushima, ce que l'on craint – et qui est déjà en train de se dérouler –, c'est un accident de fusion, c'est-à-dire que le cœur des centrales ou bien les combustibles usés qui se trouvent dans des piscines chauffent parce qu'ils ne sont plus refroidis et finissent par fondre.

    Ismaël : Le fait qu'il y ait quatre réacteurs problématiques à Fukushima change-t-il la quantité de radioactivité hypothétiquement générée par rapport à Tchernobyl ?

    Oui. A Tchernobyl, l'accident a porté sur un seul réacteur ; à Fukushima, il y a potentiellement six réacteurs dangereux : trois qui étaient en activité au moment du séisme et qui ont été mis en arrêt d'urgence par la secousse, et trois qui étaient déjà à l'arrêt pour des opérations de maintenance.

    Donc potentiellement, la radioactivité totale qui pourrait être dégagée de la centrale de Fukushima est plus importante que celle de Tchernobyl. Mais en réalité, on ne connaît pas exactement ce qu'on appelle l'inventaire des matières nucléaires sur le site de Fukushima, et il est donc très difficile d'évaluer la contamination radioactive qui pourrait survenir dans le pire des scénarios.

    Selon l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire français, les rejets radioactifs totaux qui pourraient se disperser dans l'environnement à Fukushima pourraient représenter entre 10 % et 50 % des rejets émis à Tchernobyl.

    Bob : L' enceinte de confinement de Fukushima est elle prévue pour résister à la fusion du cœur du réacteur ?

    Aucune enceinte de confinement, du moins sur les anciens réacteurs, n'a été conçue pour résister à une fusion du cœur. C'est un risque dont on a pris conscience avec l'accident de Three Mile Island.

    Si le refroidissement des cœurs des réacteurs n'est plus assuré – et c'est ce qui est en train de se passer à Fukushima –, il est impossible d'éviter l'échauffement et la fonte totale des cœurs, c'est-à-dire des combustibles (sur le réacteur 1, le combustible aurait déjà fondu à 70 %).

    La question est ensuite de savoir si les cuves des réacteurs en acier peuvent résister à la chaleur et retenir le cœur fondu. A Three Mile Island, 45 % du cœur avait fondu, mais les circuits de refroidissement avaient été rétablis rapidement, et le cœur n'était pas sorti de la cuve.

    A Fukushima, on peut craindre, étant donné les énormes difficultés de refroidissement qu'éprouve l'exploitant, qu'il soit impossible d'éviter que le cœur fondu – on parle de corium – perce la cuve.

    Guest : Le cœur, s'il fond, peut-il s'enfoncer dans le sol ? Si oui, quelles seraient les conséquences ?

    Dans le pire scénario, si le cœur fondu perce la cuve, il existe encore une barrière de protection : c'est ce qu'on appelle le ravier, c'est-à-dire un socle en béton qui fait partie de l'enceinte de confinement et qui mesure plusieurs mètres d'épaisseur.

    Si le cœur fondu atteint cette couche de béton, sa chaleur peut diminuer, mais les modèles montrent que l'issue dépend de la composition du béton. In fine, si la couche de béton est elle aussi perforée, alors, toute la matière radioactive peut rejoindre le sous-sol et contaminer les milieux, les nappes phréatiques...

    Grandduc50 : Peut on envisager la construction d'un "sarcophage" dans le style de celui construit à Tchernobyl ?

    Toute la difficulté est que les niveaux de radiation sont désormais tels sur le site que les interventions humaines deviennent quasiment impossibles. Ce matin, il y a eu une tentative d'aspersion du site à l'aide d'un hélicoptère, et cette manœuvre a dû être interrompue à cause de la radioactivité excessive émanant du site.

    Donc, sauf à sacrifier délibérément des hommes, on ne peut pas envisager aujourd'hui cette solution.

    François : Le réacteur 4 était à l'arrêt avant le tsunami et les réacteurs 1 à 3 ont été coupés automatiquement suite au tremblement de terre. Pourquoi faut-il refroidir des réacteurs à l'arrêt ?

    Les réacteurs à l'arrêt ne posent pas de problème de sûreté en eux-mêmes, a priori, puisque les réactions de fission sont interrompues.

    En revanche, dans le bâtiment des réacteurs, il existe aussi ce qu'on appelle des piscines de stockage, dans lesquelles les combustibles usés – qui ont été brûlés précédemment dans ces réacteurs – sont entreposés. Ces combustibles usés sont eux aussi très chauds et très irradiants, et il faut continuer à les refroidir en permanence dans un bain d'eau.

    Apparemment, l'exploitant du site a concentré ses efforts de refroidissement sur les trois réacteurs en activité. Dans la piscine du réacteur 4, il a donc commencé à manquer d'eau, l'eau se vaporise, le niveau baisse, et les gaines de combustible se trouvent à découvert.

    Le risque est alors que ces gaines cassent ou fondent. Elles sont faites dans un alliage métallique à base de zirconium et leur dégradation dégage de l'hydrogène qui, au contact de l'oxygène de l'air ambiant, peut exploser.

    Cela vaut pour la piscine du réacteur 4, mais aussi pour les réacteurs 5 et 6, dont les piscines contiennent apparemment elles aussi des combustibles usés.

    Et le risque est d'autant plus élevé que ces piscines ne sont pas protégées par une enceinte de confinement et que toute la radioactivité qu'elles peuvent dégager est émise directement dans l'atmosphère.

    Guest1 : Si la pose d'un sarcophage n'est pas envisageable (coût humain) et si le refroidissement lui aussi est difficile voir impossible a réaliser, il n'y a plus qu'à attendre le pire du pire ?


    Effectivement, si aucune solution n'est trouvée pour refroidir les réacteurs et les piscines de combustibles usés, il faut s'attendre au pire dans les quelques jours à venir. Toutefois, l'exploitant du site envisage de nouvelles solutions : des pompiers ou l'armée devraient procéder à une aspersion à l'aide de camions-pompes. Les Etats-Unis auraient acheminé au Japon des pompes qui pourraient être utilisés par l'exploitant.

    Mais il est vrai que jusqu'à présent, aucune des solutions expérimentées n'a été couronnée de succès.

    Kalaf : Pourquoi ne pas utiliser des canadair pour larguer de l'eau en grande quantité sur les réacteurs ?

    C'est apparemment un peu ce même type d'intervention qui a été tenté ce matin, avec un ou des hélicoptères de l'armée, mais ils ont dû renoncer à cause du trop fort dégagement de radioactivité.

    Benkebab : Comment les Japonais savent-ils dans quel état est le cœur de leurs réacteurs ?

    En théorie, il existe des moyens qui permettent de connaître en temps réel, à l'intérieur des enceintes, l'état des réacteurs. Mais les dommages subis, dont on ne connaît pas précisément la gravité, font qu'il est certainement aujourd'hui très difficile d'avoir un état exact de la situation.

    Néanmoins, l'exploitant a donné des chiffres assez précis sur l'état des cœurs : sur le premier réacteur, le niveau de fusion serait de 70 % et sur le réacteur 3, il serait de 30 %. Il y aurait également une fusion partielle sur le réacteur 2.

    Xavier : Pensez-vous que la contamination sera finalement plus locale (dans les 100 kilomètres autour du Japon) que mondiale (nuage radioactif) ?

    Très probablement. Tout dépend bien sûr de l'évolution dans les tout prochains jours, mais même dans le cas de rejets massifs de radioactivité, il n'y aura probablement pas d'explosion aussi violente qu'à Tchernobyl, le panache de matières radioactives montera beaucoup moins haut dans l'atmosphère, et la zone très fortement contaminée sera moins importante.

    Les particules radioactives seront ensuite bien sûr dispersées par les vents et précipitées au sol par les pluies. Mais il est probable que le territoire contaminé sera beaucoup plus restreint, même si le niveau de contamination est très élevé.

    Eric D : Parler d'un nouveau Tchernobyl donne une image très forte, cela signifie-t-il qu'aux alentours de la centrale, un "no man's land" va être établi ?

    Dans l'avenir, un développement anormal de cancers au sein de la population vivant aux alentours de la centrale est-il à craindre ?


    Il y aura à coup sûr une zone de no man's land autour du site de Fukushima. De quelle étendue, c'est impossible à dire aujourd'hui. En l'état actuel, les autorités japonaises, mais aussi l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire français, considèrent que la zone d'évacuation dans un rayon de 30 km est suffisante.

    Si la situation se dégrade très fortement, comme on peut le craindre, il y aura, dans un périmètre qu'il est aujourd'hui impossible de déterminer, une zone prohibée. Quant aux cancers, une évaluation est aujourd'hui impossible à donner. On peut simplement rappeler qu'à Tchernobyl, outre la trentaine de personnes décédées par irradiation aiguë juste après l'accident – je ne parle pas ici des "liquidateurs" –, on estime le nombre de morts attendues par cancer entre quelques milliers et des dizaines de milliers.

    Arnaud : La zone d'évacuation de 30 km aux alentours de la centrale n'est elle pas ridicule ?

    Cette zone semble avoir été définie en fonction des niveaux d'irradiation mesurés dans les premiers jours de l'accident. Cette irradiation est très forte sur le site. Mardi, elle a atteint à certains endroits 400 mSv par heure, c'est-à-dire 400 fois la limite maximale admise pour une personne du public sur une année entière.

    Mais au-delà des environs immédiats du site, malgré une élévation du niveau de radioactivité enregistrée jusqu'à Tokyo, les niveaux ne suscitaient pas de craintes particulières.

    Mais cette situation risque de changer du tout au tout si l'exploitant ne trouve pas de nouveaux moyens de refroidissement et si le processus de fusion des cœurs et des combustibles usés, qui serait alors inévitable, se produit.

    Elolozone : Pendant combien d'années le site et le périmètre de sécurité seront-ils un no man's land ?

    L'accident de Tchernobyl s'est produit en 1986 ; vingt-cinq ans après, le site est toujours une zone interdite.

    Florent : Le fait que le réacteur 3 soit chargé de MOX n'aggrave t-il pas la situation ?

    Au niveau des conséquences radiologiques, le fait qu'il s'agisse d'un combustible MOX, c'est-à-dire d'un mélange d'uranium et de plutonium, ne change pas fondamentalement les choses.

    De toute façon, au cours de la réaction de fission, il se produit du plutonium, les combustibles usés qui se trouvent dans les piscines d'entreposage contiennent eux aussi du plutonium, que le combustible ait été ou non au départ du MOX, et ils contiennent aussi, bien sûr, des produits de fission extrêmement radiotoxiques.

    Phil : Il semble fou que tous les systèmes de refroidissement soient tombés en panne en même temps et que le système ne soit pas triplé comme le sont les équipements sensibles des avions...

    En fait, les systèmes qui ont été mis à mal par le séisme et le tsunami sont les systèmes d'alimentation électrique de la centrale. Il n'y a pas de certitude, mais on peut imaginer que le séisme a détruit les arrivées extérieures d'alimentation électrique (pylônes haute tension ou autres).

    Ensuite, les systèmes de secours propres au site, c'est-à-dire les moteurs diesel, semblent avoir pris temporairement le relais. Mais ils n'ont pas pu être utilisés durablement pour des raisons qui sont mal élucidées.

    Dès lors qu'il y a une perte d'alimentation électrique, il n'y a plus moyen d'assurer un refroidissement normal des installations par le circuit d'eau.

    Mat : Ne peut-on pas utiliser quelque chose de plus froid que l'eau pour refroidir les réacteurs, comme de l'azote par exemple ?

    Olivier : Ne peut-on pas disposer des enceintes réfrigérantes "mobiles" autour de la centrale ? Ce genre de "super-réfrigérant" d'urgence n'existe pas ?


    Joe la frite : Le souffle d'une explosion d'une bombe thermonucléaire ne permettrait-il pas de refroidir les centrales ?

    Tin : Vous paraît-il plausible d'immerger la centrale de Fukushima au moyen d'explosions sous-marines à proximité du site ?

    Anthony : Injecter du béton liquide via les systèmes de refroidissement pour commencer un sarcophage ne serait-elle pas la meilleur solution la plus raisonnable maintenant ?


    On peut bien sûr tout imaginer, sous réserve que le remède (bombe thermonucléaire...) ne soit pas pire que le mal. En tout état de cause, le problème n'est pas de refroidir les enceintes de confinement, mais d'arriver à refroidir le cœur des réacteurs.

    C'est pour cela que, depuis le début, l'exploitant injecte ou essaie d'injecter de l'eau de mer (ce qui, pour un exploitant nucléaire, serait une hérésie en temps normal), soit directement dans la cuve qui entoure le cœur, soit dans l'enceinte de confinement dans laquelle se trouve ce cœur.

    Jacques : Dans le pire scénario, l'évacuation d'une ville comme Tokyo est-elle envisageable ?

    Jusqu'à aujourd'hui, non. Demain ?

    Olivier : La Russie a proposé d'envoyer une équipe de vétérans de Tchernobyl pour aider. Leur expérience peut-elle être vraiment utile à Fukushima? Ou est-ce trop différent ?

    Leur expérience peut bien sûr être utile, et le Japon a accepté en début de semaine une aide internationale. La nature des accidents est différente, mais fondamentalement, les problèmes sont les mêmes.

    La question est que l'intervention sur le site semble devenir de plus en plus difficile.

    Claire : Pourquoi personne ne veut jamais aller jusqu'au bout des explications sur le pire des scénarios ? Est-ce parce que l'on n'est pas capable d'imaginer le pire des scénarios ?

    J'ai déjà répondu en partie à cette question. En fait, le pire des scénarios possibles sur le site de Fukushima, c'est-à-dire la fusion totale des cœurs et leur migration dans l'environnement, ne s'est jamais produit. Il y a déjà eu des fusions partielles de cœurs sur des réacteurs, mais à ma connaissance, ils ne sont jamais sortis des cuves.

    Personne n'a donc de référence et de comparaison pour évaluer les conséquences.

    Le "syndrome chinois", expression utilisée pour décrire un scénario selon lequel le cœur d'un réacteur américain, après avoir fondu, percé la cuve, puis le socle en béton, traverserait toute la Terre pour arriver en Chine, relève de la science-fiction.

    Altie : Peut-on envisager que le niveau rayonnement une fois trop important autour de la centrale, les autorités décident d'abandonner le site à son propre sort ?

    L'Union soviétique avait envoyé sur Tchernobyl 600 000 "liquidateurs". Que peut décider le gouvernement japonais ? Il paraît impensable qu'il n'essaie pas coûte que coûte de limiter la catastrophe. Mais à quel prix humain ?

    Elsa : Est-ce que le dernier recours est d'attendre la pluie ?

    Sauf un déluge absolu, ce n'est pas la pluie qui refroidira les centrales. En revanche, l'effet de la pluie est de précipiter au sol les particules radioactives qui s'échappent du site et qui sont disséminées par les vents.

    Vincent : Si l'on comprend bien, le pire à venir ne serait non pas l'émanation de substance radioactive, mais bien que le cœur entre en fusion et "perce le sol" ?

    C'est un peu la même chose. Dans le cas des combustibles usés, la radioactivité va être libérée – et a peut-être commencé à être libérée – directement dans l'air. Si le cœur fond et rejoint le sol, la radioactivité se répandra dans le sous-sol, dans l'eau, c'est-à-dire dans tout le milieu ambiant.

    Benjamin : Un peu plus haut, vous avez parlé des particules radioactives qui seraient évacuées vers le Pacifique. Les territoires d'outre-mer sont-ils directement menacés ?

    Aujourd'hui, non. Pour la suite, tout dépendra de la quantité de radioactivité libérée, de la direction des vents, etc. Rappelons simplement qu'après Tchernobyl, où, encore une fois, des matières radioactives avaient été projetées jusqu'à 3 km de hauteur, et où le réacteur avait brûlé pendant douze jours, il n'y a eu, pour ne plus parler des territoires d'outre-mer mais de la France métropolitaine et de l'Europe occidentale de façon plus générale, que des retombées, certes significatives, mais réduites.

    Teteff : Il est indiqué qu'au nord de Tokyo aujourd'hui on constatait 15,8 mSv par heure. Soit donc (si je vous reprends) 15,8 fois la limite maximale admise pour une personne sur une année entière. Les autorités japonaises indiquent que ce n'est pas un taux dangereux pour la santé... A partir de quelle valeur est-ce donc vraiment dangereux ?

    La question des doses est toujours très difficile. A titre de repère, une dose de 100 mSv est celle à partir de laquelle, en France, on préconise la prise de pastilles d'iode (pour prévenir un cancer de la thyroïde).

    Au Japon, c'est à partir de 50 mSv.

    Loic : Peut-on encore croire à un scénario à l'issue favorable ? Extinction des incendies, confinement de la radioactivité ? Ou tout espoir est-il perdu ?

    Ce qui est sûr, c'est que si Tepco (l'exploitant), les autorités japonaises, l'armée, ou qui que ce soit, n'arrive pas dans les toutes prochaines heures à refroidir les installations, donc à y amener d'une façon ou d'une autre de l'eau, alors, oui, il n'y aura plus guère d'espoir.
     
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