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Fernand Pelloutier - Byzantinisme - sur l'individualisme et l'anarcho-communisme (1896)

Discussion dans 'Bibliothèque anarchiste' créé par Ungovernable, 2 Juin 2009.

  1. Pelloutier ne voit pas de différence majeure entre l'individualisme et le communisme libertaire.

    Source : L'Art social, décembre 1896, pp. 174-176. La revue est disponible sur Gallica.
    Sur la revue L'Art social, dont on sait si peu de chose concernant le principal animateur Gabriel de la Salle, consulter :
    Françoise SCOFFHAM-PEUFLY, Les problèmes de l'"art social" à travers les revues politico-littéraires et les groupes d'"avant-garde" politique en France, dans les années 1890-1896, Université Paris 8 (Saint-Denis), 1970, 133-XXV p. (Mémoire de Maîtrise de lettres modernes).
    Voir aussi en ligne : Catherine Méneux, L'art social au tournant du siècle.



    Dès que son intelligence s’ouvre à la semence anarchique, la première découverte que fait le socialiste, c’est la folie du groupement par affinités, des rencontres périodiques d’hommes qui, pensant de même s’enferment dans l’étroit cercle de controverses ressassées et tombent à de byzantines discussions où leur énergie se gaspille. Et ce dégoût naissant des vains discours hâte en lui, plus que n’eût fait la réflexion, la germination des idées nouvelles, car il lui dévoile comme par un éclair tout ce que la doctrine socialiste, affirme M. Jaurès, a de mesquin et de borné.

    Mais, voici qu’à peine libéré du groupement socialiste, le néophyte, au lieu de rester en soi pour s’étudier, s’il est d’humeur contemplative, ou d’aller à la découverte de terres vierges pour les féconder, s’il est animé de prosélytisme, court vers un groupement nouveau et ne s’arrête qu’emprisonné dans le groupe « libertaire ».

    Si la place ne me manquait, je dirais à quoi et dans quelle mesure peuvent être utiles les rencontres d’anarchistes : bains régénérateurs pour les laborieux qui, peinés de voir tant de terres en friche et le temps qu’il faudra pour mettre au jour la timide et fragile fleur qu’est l’amour de l’indépendance, fouillent sans cesse le sol, explorent les régions malsaines, vont, au travers des ambitions dégradantes, des rivalités immondes chercher l’esprit intègre et droit capable de concevoir le bien. Ceux-là peuvent désirer les courts moments où ils se retremperont dans la société de coreligionnaires (qu’on me passe l’impropriété du terme). Mais les autres, ceux qui font du groupe l’objet de leurs préoccupations, qui en fréquentent toutes les séances, qu’y trouveront-ils, sinon les mesquineries du groupe socialiste : controverses mille fois engagées, puériles comme celles du quiétisme, aigres souvent, terminées parfois (horresco referens...) par quelque proposition qui ressemble à un scrutin — oui, un scrutin — comme un frère à son frère.

    J’assistai à l’un des derniers samedis du groupe l’Art social — extraordinairement, du reste, car je crois meilleur de vivre en les milieux où n’a pas encore pénétré l’anarchie. On y discutait la question, agitée déjà le samedi précédent, de savoir s’il est possible d’accoupler ces deux mots : art social. Notez que le groupe, la revue et le théâtre de ce nom existent depuis plusieurs années. En supposant donc que la controverse engagée eût fait résoudre la question négativement, il aurait été tard, sinon pour constater, au moins pour rectifier une hérésie assez fréquemment admise, et trop peu grave, d’ailleurs, pour valoir l’effort de la rectification.

    Quoi qu’il en soit, le délai fut long. Les uns démontrèrent que l’art étant… l’art, et rien d’autre, il n’y a pas plus d’art social que d’art aristocratique ou d’art populaire, que, par suite, le groupe, constitué pour préconiser un art qui n’existe pas n’ayant nulle raison d’être, devait se licencier et cette modeste revue disparaître ; les autres prouvèrent que tels chefs-d’œuvre : les crayons de Rembrandt, par exemple, la Liberté sur les barricades de Delacroix, la Marseillaise de Rude sont à la fois œuvres d’art et œuvres sociales, que, du moment où il y a des œuvres d’art à tendance sociale, l’art social existe. Un camarade émit une troisième opinion : celle que l’art social n’existe pas, puisque des artistes socialistes, comme William Morris, ont toujours distingué, entre leurs œuvres, celles qui étaient d’art pur et celles qui avaient un caractère social.

    Or, après une longue controverse, qui mit tous les opinants d’accord, on convint que l’art, ne dépendant pas de la matière traitée par l’artiste, puisque le cynique Rabelais surpasse le poétique Malherbe, et Zola M. François Coppée, n’est pas incompatible avec les matières de caractère social. Par suite, s’il est vrai qu’il n’y a pas d’« art social », il ne l’est pas moins que l’art peut sans s’amoindrir et doit pour remplir toute sa mission se mettre au service de l’éducation. Le groupe l’Art social fera donc nécessairement de l’art et du socialisme, chaque fois qu’un de ses membres traitera avec art de sujets sociaux. — On ne discourait pas autrement à Byzance.

    D’autres groupes anarchistes disputent à perdre haleine sur la contradiction qui existerait entre la conception communiste et la conception individualiste. Et telle est la passion des latins pour les joutes oratoires que, bien qu’également et depuis longtemps convaincus qu’un abîme les sépare, communistes et individualistes, à peine sortis de I’interminable séance où ils se sont mutuellement affirmé leur conviction, préparent la séance prochaine où... ils recommenceront. Or, interrogez successivement un communiste et un individualiste. Le premier vous dira :

    « qu’il ne désire nullement remplacer la société présente, qui exige le sacrifice de chaque personnalité à une oligarchie, par une société, évidemment pire, où chacun se sacrifierait volontairement à la collectivité. Il s’efforce, au contraire, d’instruire suffisamment les hommes pour que chacun d’eux ne se soucie plus que d’ordonner commodément et paisiblement sa vie. Commodément, c’est-à-dire en se procurant le plus de satisfactions possible ; paisiblement, c’est-à-dire en évitant de gêner le libre exercice des satisfactions d’autrui, pour ne pas légitimer les représailles. Au total : d’une façon absolument et intelligemment égoïste ».

    À son tour l’individualiste avouera :

    « qu’il ne méconnaît nullement le double caractère : communiste et individualiste que revêt tout acte humain, chaque acte constituant un service qui appelle nécessairement un service réciproque ; mais l’idée communiste est détestable, parce que de nature à perpétuer les notions de solidarité, d’abnégation, de sacrifice, qui impliquent inégalité. L’idée individualiste, au contraire, indique utilement que le but des anarchistes, au lieu d’être la satisfaction des besoins individuels par l’entente collective, est l’harmonisation sociale par la satisfaction des besoins individuels. La richesse sociale dépassant la somme des besoins, que chacun en prenne ce qu’il lui faut, et le plein développement de tous les individus constituera par surcroît l’idéal des bâtisseurs de systèmes sociaux ».

    Entre les deux raisonnements, apercevez-vous une différence essentielle ? Moi, non. Et voilà pourtant, à quelles chinoiseries trop d’« ennemis des lois » dépensent leurs forces. Des mots ! Des mots !... et si les groupements libertaires n’existaient pas, les anarchistes (communistes et individualistes) au lieu de se perdre en débats de ce genre, comprendraient que l’anarchie est tout simplement l’art de se cultiver et de cultiver suffisamment les autres pour que les hommes puissent se gouverner et jouir eux-mêmes. Et les anarchistes (toute conception sociale mise à part) accompliraient chacun selon son tempérament l’utile besogne qu’implique cette définition.
     
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