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Ecologie et extrême droite

Discussion dans 'Anti-fascisme et luttes contre l'extrême-droite' créé par Anarchie 13, 8 Août 2016.

  1. IOH
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    [QUOTE="Bref, le cas de Shiva est une bonne illustration de la formule : « les ennemis de mes ennemis ne sont pas forcément mes amis ». On doit lutter contre la modernité capitaliste au nom d'une modernité plus avancée, qui est celle du socialisme et du communisme. Et pas au nom du retour en arrière vers des traditions archaïques pré-impérialistes.[/QUOTE]

    Je m'en fou un peu de shiva, mais attaquer l'extrème droititude de l'anti OGM shiva par un article d'un mec fan de Trostky et de Lénine (l'article se conclue avec une citation de lénine bien bien autoritaire) je vois pas bien où ça peut nous mener. En plus là les arguments sont un peu pourri et il en fait une tonne.
     
  2. Anarchie 13
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    Anarchie 13   Comité auto-gestion Membre actif

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    Je trouve pas que les arguments soient pourris.
     
  4. IOH
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    je disais "un peu" pourri.
    Argument 1 : c'est pas une vraie physicienne
    Argument 2 : elle est hindouiste
    Argument 3 : elle est de la plus haute caste
    Argument 4 : elle manie les arguments à sa sauce. C'est ce dernier argument qui est le plus intéressant car l'auteur sait très bien touiller lui aussi la sauce comme cela l'arrange, ex :

    "" « Dire que les agriculteurs devraient être libres de cultiver des OGM, qui peuvent contaminer des exploitations biologiques, c'est comme dire que les violeurs devraient avoir la liberté de violer. »
    Bon, ben si cultiver des OGM c'est du même niveau de gravité que violer quelqu'un, c'est que c'est pas si grave que ça, le viol, après tout. ""

    Et hop, comme qui dirait faire dire n'importe quoi à shiva, ça c'est fait. (faire dire à la personne "le viol c'est pas si grave" quand la personne voulait au contraire utiliser la gravité du viol pour expliquer la graviter des ogm. )

    Pourquoi tant de blabla pour 4 arguments ? en une phrase il nous les sortait et on en parlait plus de shiva. Peut être pour mettre en avant Lénine, qui a le mot de la fin, et je crois anarchie13 que c'est cela qui t'intéresse :

    « Aucun marxiste n'oubliera que le capitalisme est un progrès par rapport au féodalisme, et l'impérialisme par rapport au capitalisme pré-monopoliste. Nous n'avons donc pas le droit de soutenir n'importe quelle lutte contre l'impérialisme. Nous ne soutiendrons pas la lutte des classes réactionnaires contre l'impérialisme, nous ne soutiendrons pas l'insurrection des classes réactionnaires contre l'impérialisme et le capitalisme »

    qui te permet de mettre dans les réac tout ce qui est décroissant, antivax, primitivistes, etc.

    Pour ma part, si il y a des écolos réac qui ralentissent un peu l'ogre capitaliste fan d'ogm, ça me pose pas de problème (ou moins que les calins d'amma par ex pour rester en inde), comme dit fanya, elle a encore tuer personne contrairement à l'idole de ton auteur.

    PS : j'ai par contre bien aimé la partie de l'article qui tacle comme il se doit gandhi.
     
  5. IOH
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    Écologie : le lourd héritage de Léon Trotsky (par Daniel Tanuro)

    très intéressant, où l'on voit par exemple le délit d'eugénisme de Trotski (pour moi eugénisme = extrême droite, c'est pour ça que je le met dans ce topic)

    A part la conclusion, qui dit que vraiment si l'on veut comprendre le 20ème siècle, il faut absolument lire Trotski. C'est étrange, le mec se goure complètement dans son analyse de la nature mais il faudrait lui faire une confiance aveugle dans son analyse des hommes...
     
  6. Anarchie 13
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    Anarchie 13   Comité auto-gestion Membre actif

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    http://www.lesenrages.antifa-net.fr/la-mythification-de-la-paysannerie/
     
  8. ninaa
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    ninaa Membre du forum Expulsé du forum

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    Un invité homophobe et anti-IVG au festival de Kokopelli
     
  10. khate
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    khate Membre du forum

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    Juin 2018
    Bonjour,
    Anarchie13 j'ai trouvé ton article intéréssant (je suis sensible aux arguments philosophiques, c-a-d qui opposent des concept). Néanmoins je pense qu'il est important de faire quelques distinctions. L'écologie n'est pas seulement une idéologie (qui peut etre recupéré, orienté ...) je pense qu'elle peut faire partie d'une éthique intégrant des principes comme le non gaspillage, la consommation local (non pas idéologie réactionnaire "de chez nous c'est mieux" mais pour favorisé un climat social, des aliments de meilleurs qualité, et devenir parfois des outils d'émancipation) etc... En effet, l'écologie ne veut pas dire ne plus transformer la nature, car peut importe notre activité sur terre, notre passage ne la détruira pas. Il n'y a pas urgence pour la Terre, il y a urgence pour le vivant qui peuple actuellement cette Terre (bien qu'une fois disparu, un nouveau cycle recommencera très probablement). Donc il y a plutot urgence à repenser notre relation que nous avons, et que nous voulons avec la nature. Sans parler d'harmonie et d'équilibre, l'ecologie serais d'abord un outils de lutte plus qu'un concept de Nature.
     
    Anarchie 13 apprécie ceci.
  11. Anarchie 13
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    Anarchie 13   Comité auto-gestion Membre actif

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  12. libertaire, anarchiste, marxiste, individualiste, révolutionnaire, anti-fasciste
    Oui, je suis complètement d'accord.
     
  13. IOH
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    Je partage cet article ici car outre l'éducation c'est en écologie que le mouvement Steiner fait (pour moi) le plus d'adepte. Un petit extrait croustillant pour ceux qui ne veulent pas tout lire : "Dès 1910, il (Steiner) affirme que les peuples germains et nordiques appartiennent au même groupe ethnique, la race aryenne (12), et dénonce «l’effroyable brutalité culturelle que fut la transplantation des Noirs vers l’Europe, [qui] fait reculer le peuple français en tant que race (13). » Quelques années plus tard, de nombreux anthroposophes sont membres du parti nazi, de la SS ou des SA."[B][/B]
    [B][/B]
    L’anthroposophie, discrète multinationale de l’ésotérisme


    Quoi de commun entre l’agriculture biodynamique, une école à la pédagogie atypique, une grande entreprise de cosmétiques, un investissement dans une ferme éolienne? Tous sont liés à l’anthroposophie, un courant spirituel fondé au début du XXe siècle par Rudolf Steiner. Discret mais influent, ce mouvement international dispose de relais économiques et politiques… jusqu’au sein du gouvernement français.

    lanté au sommet d’une colline, un monolithe domine la commune de Dornach (canton de Soleure, Suisse) : le Goetheanum. Le bâtiment abrite le siège de la Société anthroposophique universelle, fondée en 1923 par l’occultiste Rudolf Steiner (1861-1925). Philosophe, théologien, poète, économiste, botaniste, diététicien, artiste, historien, dramaturge, Steiner ne dédaignait pas non plus l’architecture. Concepteur de cet édifice imposant, il a également dessiné plusieurs bâtisses environnantes ainsi qu’une sculpture de neuf mètres, Le Représen
    ant de l’humanité.
    L’ensemble compose un campus de l’ésotérisme divisé en douze sections, dont celle d’«anthroposophie générale», spécialisée dans «les recherches sur la réincarnation, le karma, la christologie et l’étude des hiérarchies spirituelles». À l’intérieur du Goetheanum, le visiteur peut acquérir des portraits de Steiner de tout format ainsi que les 354 volumes numérotés de ses œuvres complètes (1).

    Un escalier nous conduit à la grande salle : mille fauteuils, une fresque New Age au plafond, des vitraux, de grands piliers sculptés, un orgue de tribune au-dessus du portail, une scène. Lorsque les rideaux s’ouvrent en ce 23 mars 2018, deuxième journée de l’assemblée générale de la Société anthroposophique universelle, les participants découvrent des danseurs faisant onduler leur vêture pour une démonstration d’eurythmie, une pratique ritualisée par Steiner, où les mouvements permettraient à l’adepte de se relier aux «forces cosmiques». «Vous aussi, vous pouvez participer», lance M. Stefan Hasler, responsable de la section des arts de la scène. Des centaines d’anthroposophes assis dans des fauteuils étirent soudain leurs bras pour reproduire la gestuelle en psalmoldiant en allemand : «Âme de l’homme! Tu vis dans la pulsation cœur-poumons, qui par le rythme du temps te mène à ressentir l’essence de ton âme.»

    Une réaction à la modernité
    De son vivant, Steiner a doté son mouvement spirituel d’une vision du monde, d’une esthétique, de lieux de socialisation, d’un culte, d’une médecine, d’une agriculture, d’une diététique, d’écoles. Un siècle plus tard, l’anthroposophie est un empire. Avec respectivement 14 milliards et 4 milliards d’euros d’actifs sous gestion, les banques Triodos et GLS, deux établissements fondés et dirigés par des anthroposophes, s’imposent comme des références de la «finance durable» (2). Elles soutiennent des entreprises d’inspiration anthroposophique. Pas moins de 1 850 jardins d’enfants et 1 100 établissements scolaires Steiner-Waldorf (du nom de l’usine de cigarettes dont le propriétaire demanda à Steiner, en 1919, la création d’une école pour ses ouvriers), répartis dans 65 pays, appliquent les principes pédagogiques du touche-à-tout autrichien. Numéro un des cosmétiques biologiques en France et en Allemagne, les laboratoires Weleda ont réalisé 401 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017, en vendant dans le monde entier lotions capillaires au romarin, pâtes dentifrices au ratanhia, huiles essentielles anticellulite au bouleau, ainsi que pour 109 millions d’euros de «médicaments anthroposophiques». Deux actionnaires de référence, la Société anthroposophique universelle et la clinique anthroposophique d’Arlesheim, voisine du Goetheanum, détiennent 33,5% du capital de l’entreprise et 76,5% des droits de vote de Weleda (3).

    Également positionnés sur le marché des «médicaments anthroposophiques» et des cosmétiques, les laboratoires Wala détiennent la marque Dr. Hauschka, emploient près d’un millier de personnes et réalisent 130 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel. Plus de 3 700 médecins diplômés pratiquent la «médecine anthroposophique» dans le monde, bien qu’un grand nombre de professionnels de la santé considèrent cette doctrine comme une pseudoscience. Nombre de ces thérapeutes «alternatifs» ont été formés par l’université de Witten-Herdecke, fondée par des anthroposophes, qui, avec 38 millions d’euros de budget annuel, est la première université privée d’Allemagne. Anthroposophe affiché, le milliardaire allemand Götz Werner a fondé la chaîne de drogueries DM, leader européen du secteur. Avec 3 500 officines et 59 000 salariés, son groupe réalise plus de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. En février 2018, l’enseigne a noué un partenariat avec Demeter, la marque de la biodynamie, qui certifie 1 875 kilomètres carrés de terres agricoles à travers le monde.

    À Bruxelles, les anthroposophes disposent d’un lobby pour défendre leurs intérêts auprès des institutions européennes : l’Alliance européenne d’initiatives pour l’anthroposophie appliquée - Eliant. Parmi les nombreux partenaires de ce groupe de pression, on compte le Conseil européen pour l’éducation Steiner-Waldorf (ECSWE), la Fédération internationale des associations médicales anthroposophiques (IVAA), une antenne Demeter International, ainsi que la Fondation Rudolf Steiner. Ces cinq structures ont une même domiciliation.

    À l’intérieur du Goetheanum règne une esthétique singulière. Portes, fenêtres, parois, mobiliers ou luminaires ne comportent pas d’angles droits. Les tons pastel et l’asymétrie sont de rigueur. Ce style se retrouve dans les écoles Steiner-Waldorf du monde entier, les cliniques anthroposophiques, les locaux des branches nationales de la Société universelle. Il s’accompagne d’une charte graphique déclinée partout, sur les emballages des produits Weleda, le logo de Demeter ou celui de la marque allemande de jouets en bois Ostheimer, les pages Internet anthroposophiques, les brochures des cliniques, les boîtes de crayons de couleur en cire d’abeille disponibles dans les écoles Steiner et même la signalétique du Goetheanum ou la pierre tombale de Steiner.

    Paradoxe d’un mouvement qui semble épouser l’air du temps, l’anthroposophie naît d’une réaction à la modernité. À la fin du XIXe siècle en Allemagne, des prédicateurs ravivent un passé germanique mythifié, fustigent le progrès technique et scientifique, les villes et les Lumières. Ils exaltent la nature et les racines médiévales d’un Volk («peuple») organique, rural et immuable. Dans les années 1880, Steiner, qui a étudié la technique et la philosophie à Vienne, publie des dizaines d’articles dans la presse pangermaniste (4). Il intègre brièvement la rédaction de la Deutsche Wochenschrift, un hebdomadaire viennois au sous-titre explicite : «Organe pour les intérêts nationaux du peuple allemand». Passionné d’ésotérisme, il adhère en 1902 à la Société théosophique (lire «La Société théosophique, ou le mythe de “l’insurrection des consciences”») et devient secrétaire général de sa branche allemande. En 1913, il organise une scission et fonde la Société anthroposophique, un syncrétisme entre ésotérisme, philosophie idéaliste, mystique chrétienne, paganisme völkisch (peuplé de dieux du panthéon nordique, parmi lesquels Thor, Odin et Loki) et revendication de scientificité, laquelle imprègne alors les sociétés européennes. Dans la lignée des romantiques allemands, Steiner soutient que l’intuition et l’art ouvrent des chemins vers la connaissance de la vérité et la rédemption des peuples. L’anthroposophie refuse le qualificatif de «religion» : elle s’affirme «science de l’esprit» et défend la rigueur de ses méthodes d’investigation.

    Cette «science» se fonde sur un postulat : la nature ultime de la réalité reposerait sur l’esprit. «Derrière cette fleur, avant cette fleur, il y a eu l’idée de la fleur», explique M. Jean-Michel Florin (5), directeur de la section d’agriculture, en montrant du doigt un bouquet posé sur une table. Pour les anthroposophes, la rationalité mathématique et la science moderne n’expliquent que la partie matérielle, «visible», du monde. Selon eux, des esprits et des forces surnaturelles agissent dans un monde invisible. «Il ne faut pas imaginer que ce monde suprasensible est lointain et diffus», écrit M. Florin dans son Opuscule sur la biodynamie (Amyris, 2016). L’anthroposophie serait «la science» qui perce, par la voie spirituelle, les mystères de ce monde occulte. «Les procédés d’initiation font évoluer l’homme depuis la forme normale de la conscience diurne jusqu’à une activité psychique où il dispose d’organes spéciaux pour ses perceptions spirituelles», considère Steiner, qui affirme qu’il est possible de communiquer avec les morts (6).

    Au cours des six mille conférences qu’il a prononcées, Steiner a révélé que Karl Marx serait la réincarnation d’un seigneur du Moyen Âge devenu un serf à cause des exactions d’un brigand — Friedrich Engels (7). «Ce qu’ils avaient à régler entre eux se transforma, pendant le long chemin entre la mort et une nouvelle naissance, en désir de compenser le mal qu’ils s’étaient fait l’un à l’autre», précise Steiner, pour qui l’âme humaine progresse sans cesse à travers les millénaires, selon un cycle de vingt-cinq mille neuf cent vingt ans, soit une «année platonicienne» (8).

    Pour Steiner, Mars serait une planète liquide, la Terre un crâne géant, la Lune un amas de corne vitrifiée, et tricoter donnerait de bonnes dents; les îles et les continents flotteraient sur la mer, maintenus en place par la force des étoiles; les planètes auraient une âme; les minéraux proviendraient des plantes; les êtres clairvoyants pourraient détecter les athées, car ils seraient forcément malades; initialement immobile, la Terre aurait été mise en rotation par le «je» humain (9). «Ce sera le Bien, que de découvrir comment, à partir de deux côtés du cosmos, des forces du matin et des forces du soir peuvent être mises au service de l’humanité : d’un côté à partir des Poissons, de l’autre à partir de la Vierge» (10), explique ce polygraphe dont la pensée inspire aujourd’hui des enseignants, des banquiers, des paysans. «De fait, on y rencontre ici ou là des propos qui peuvent sembler bizarres, scabreux, voire délirants, écrit M. Raymond Burlotte, responsable de l’Institut Rudolf Steiner de Chatou (Yvelines), sur le site de la Fédération pédagogie Steiner-Waldorf . C’est pourtant parmi de tels propos tenus souvent à brûle-pourpoint (…) que l’on trouve [des] déclarations étonnamment prémonitoires»…

    Cornes de vache et vessies de cerf
    Souvent confondue avec l’agriculture biologique, l’agriculture biodynamique doit son appellation à l’organisation de rituels ésotériques dans les champs, chargés de dynamiser spirituellement les sols, les plantes et l’univers par des méditations, une liturgie et des accessoires qui seraient dotés de pouvoirs surnaturels. Ses dogmes ont été énoncés par Steiner en 1924. «La biodynamie, ce n’est pas qu’un rituel, explique M. Florin. Mais c’est aussi un rituel.» Le paysan qui accepte de se plier au cahier des charges de Demeter, la marque de certification des produits agricoles cultivés en biodynamie, ne se borne pas à produire des fruits ou des légumes biologiques — cette sorte de druidisme lui impose de manipuler des cornes remplies de bouse et des vessies de cerf et de respecter un calendrier cosmique. Comme pour des viandes halal ou kasher, les vins et carottes biodynamiques signalent qu’ils respectent une codification rituelle. Des expériences scientifiques menées sur plusieurs types de culture concluent que la biodynamie n’améliore ni les rendements ni la qualité des récoltes (11) par rapport à l’agriculture biologique. Elle jouit néanmoins d’une bonne réputation, notamment en matière de viticulture, ses productions étant souvent associées et parfois confondues avec le vin naturel, qui régale un nombre croissant d’amateurs.

    L’œuvre de Steiner comporte une dimension plus sombre. Dès 1910, il affirme que les peuples germains et nordiques appartiennent au même groupe ethnique, la race aryenne (12), et dénonce «l’effroyable brutalité culturelle que fut la transplantation des Noirs vers l’Europe, [qui] fait reculer le peuple français en tant que race (13). » Quelques années plus tard, de nombreux anthroposophes sont membres du parti nazi, de la SS ou des SA. «L’ampleur des imbrications, au niveau des organisations et des personnes, entre la Société anthroposophique et le NSDAP [Parti national-socialiste ouvrier allemand], était suffisamment importante pour préoccuper la faction antiésotérique des nazis», explique l’historien Peter Staudenmaier, professeur à l’université Marquette, dans le Wisconsin (14). Nazisme et anthroposophie, «les deux doctrines ont pu se compléter, collaborer ensemble ou entretenir des rapports de rivalité selon les années», précise-t-il. Si l’historiographie anthroposophe n’évoque que les épreuves endurées par des membres de la société pendant la guerre, les recherches de Staudenmaier montrent que le chef de la chancellerie du parti nazi, Rudolf Hess, soutenait l’anthroposophie et que ses adeptes ne subirent pas de persécutions jusqu’à ce que Hess s’envole pour l’écosse en mai 1941. La SS a même administré des programmes d’agriculture biodynamique dans les territoires occupés et des camps de concentration. Weleda a fourni de la crème antigel pour des «expériences médicales» sur des prisonniers de Dachau (15). «Après-guerre, les anthroposophes sont simplement retournés à leurs affaires et ont étouffé toute discussion sur les aspects les plus sombres de leur passé, précise Staudenmaier. De nombreux anciens nazis ont fait carrière dans l’anthroposophie après 1945.»

    Dans la grande salle du Goetheanum, durant l’assemblée générale de mars 2018, le secrétaire général de la Société anthroposophique en Italie, le docteur Stefano Gasperi, gagne la tribune pour évoquer les principes qui guident sa pratique. «D’un point de vue médical, les maladies viennent d’une mauvaise relation entre nous et le monde, explique-t-il. Rudolf Steiner nous enseigne que nous regardons un monde mort, dont le divin s’est retiré, qui ne produit que des pensées mortes. Mon combat est donc immense. Car, quand on ausculte le cœur d’un patient, on est au cœur du patient. Il me faut donc me libérer de ce que j’ai appris à l’université.» Pour Steiner, la maladie découle d’une destinée karmique, indissociable des erreurs et des péchés commis par l’individu dans l’une de ses vies antérieures.

    En 1917, Steiner a l’intuition que le gui pourrait soigner le cancer. «Selon les indications de Rudolf Steiner, ce n’est que par le mélange approprié des extraits de gui d’été et d’hiver que le gui peut déployer son “véritable pouvoir de guérison” du cancer», écrit le docteur Peter Selg dans une brochure publiée en 2017 par l’Association pour une médecine élargie par l’anthroposophie : «La force du gui. Cent ans de thérapie du cancer par le gui». Les extraits de gui (Viscum album) y sont qualifiés de «remède anticancéreux». Produit et diffusé par Weleda et Iscador AG, commercialisé plus de 34 euros les six ampoules, l’Iscador, «médicament anthroposophique d’extraits de gui», est largement utilisé en Allemagne et en Suisse comme «traitement complémentaire des maladies tumorales». Quand les essais cliniques démontrent qu’il ne guérit en rien le cancer (16), les anthroposophes répondent que la recherche doit se poursuivre. Dans sa brochure «Une approche holistique contre le cancer», la clinique d’Arlesheim présente son offre de soins : «La thérapie à base de gui est primordiale dans nos traitements. (…) Les effets bénéfiques de la thérapie à base de gui contre le cancer ne font plus aucun doute. Notre préparation Iscador est employée avec succès depuis des décennies et elle fait l’objet de développements constants. (…) Il n’est jamais trop tôt pour commencer une thérapie avec l’Iscador.»

    Faire germiner une contre-société
    Ni pour s’initier à la doctrine de Steiner… Entré dans l’anthroposophie à l’âge de 9 ans, après avoir effectué sa scolarité dans l’école Steiner de Verrières-le- Buisson (Essonne), M. Grégoire Perra y est resté trois décennies. Il a connu des anthroposophes malades du cancer. «Ils ont refusé d’être soignés en France et ont opté pour une clinique anthroposophique à l’étranger, se souvient-il. En guise de soins, ils y ont reçu des injections d’Iscador, de l’homéopathie et participé à des séances d’art-thérapie. Aucun n’est jamais revenu. Certains ont légué tous leurs biens à l’anthroposophie.» Formé à l’Institut Rudolf Steiner de Chatou, M. Perra a enseigné dans des écoles Steiner. Il anime aujourd’hui le site Internet critique Vérité sur les écoles Steiner-Waldorf (17). Après sa rupture, M. Perra a publié un témoignage dans le journal de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Unadfi) intitulé «L’endoctrinement à l’anthroposophie dans les écoles Steiner-Waldorf.» En réplique, la Fédération des écoles Steiner-Waldorf l’a attaqué en diffamation en lui réclamant 50 000 euros de dommages et intérêts, procédure dont elle a été déboutée.

    Parce que les anthroposophes éludent généralement le racisme et les bizarreries qui parsèment l’œuvre de Steiner, parents d’élèves d’écoles Steiner, clients de banques anthroposophiques et paysans pratiquant la biodynamie se trouvent liés à un courant spirituel dont ils méconnaissent généralement l’histoire, les fondements ésotériques, voire les risques de dérives sectaires dont témoignent d’ex-adeptes de l’anthroposophie (18).

    Dès ses origines, la Société anthroposophique s’est donné pour mission non pas de massifier le mouvement par un prosélytisme agressif — les anthroposophes revendiquent seulement 44 000 membres à travers le monde —, mais plutôt de créer des pôles où germine une contre-société (19). Qu’ils soient scolaires, médicaux, économiques ou agricoles, ces îlots s’emploient à «régénérer spirituellement» les individus. C’est en changeant les consciences qu’on agit sur l’ensemble de la société, estimait Steiner. Invité à partir de 1899 à enseigner au sein de l’Université populaire de Berlin, fondée par le socialiste Wilhelm Liebknecht, il avait expliqué à une audience de syndicalistes : «Ce n’est pas le savoir en tant que tel qui confère le pouvoir, c’est la force de l’esprit et la volonté inébranlable qui permettront de surmonter les injustices et de transformer le monde.» Si «changer le monde» importe, «il ne tient qu’à nous-mêmes de transformer notre existence». Exaspérés, les dirigeants socialistes avaient exclu Steiner du mouvement ouvrier. Plus d’un siècle après, la contre-culture antimoderne, panthéiste et puritaine de Steiner jouit, dans la «société officielle», de solides appuis.

    Parmi les neuf cents participants à l’assemblée générale de 2018 figure M. Gerald Häfner, cofondateur du parti Die Grünen (Les Verts), élu au Bundestag entre 1987 et 2002, ainsi qu’au Parlement européen de 2009 à 2014. Membre du comité directeur de la Société anthroposophique allemande de 2002 à 2005, M. Häfner dirige la section des sciences humaines. Parmi ses proches, on compte M. Paul Mackay, l’homme le plus influent des réseaux d’affaires de la Société anthroposophique universelle. Né à Hongkong en 1946, M. Mackay a étudié l’économie à Rotterdam, et l’administration des affaires à Fontainebleau.

    De 1977 à 2012, il travaille dans le secteur bancaire anthroposophique en tant que cofondateur, directeur puis administrateur de la banque néerlandaise Triodos. «C’est terrible de le formuler ainsi, mais la catastrophe de Tchernobyl en 1986 a été pour nous une aubaine. Nous avons décidé d’investir dans l’énergie éolienne quand le secteur en était encore à ses balbutiements, confiait-il au quotidien néerlandais Trouw en 1997. J’ai œuvré au développement des avantages fiscaux pour les investissements verts. Après la mise en place des politiques de défiscalisation, nos fonds verts ont connu une croissance exceptionnelle.» Depuis 2012, M. Mackay préside le conseil d’administration des laboratoires Weleda. Il a été membre simultanément et sans discontinuer du conseil d’administration de la Société anthroposophique universelle — actionnaire principal de Weleda — de 1996 à 2018. M. Lukas Beckmann, autre cofondateur de Die Grünen, secrétaire général du groupe écologiste au Bundestag de 1994 à 2010, a lui aussi évolué dans les sphères financières anthroposophiques. Il a occupé de 2011 jusqu’à sa retraite, en 2017, la fonction de directeur exécutif de la GLS Treuhand, la fondation de la banque.

    À la terrasse d’un café, un ancien directeur de la banque Triodos, qui requiert l’anonymat, raconte une décennie passée à la tête d’une succursale de l’établissement. «J’ai rejoint Triodos parce que je crois à la finance éthique, commence-t-il. À mon arrivée, j’ai lu Steiner et j’ai compris qu’il s’agissait d’un illuminé. J’étais l’un des rares dirigeants à ne pas être anthroposophe, ce qui suscitait des questions d’employés qui ne comprenaient pas que cela soit possible.» Fondée par le gérant d’un café alternatif, M. Peter Blom, Triodos lance en 1980 le premier fonds vert de la Bourse d’Amsterdam. Dans les années 2000, la banque connaît une croissance qui lui impose de recruter des dirigeants au-delà des cercles d’initiés. Cet ancien directeur assiste à des réunions où l’on lit des poèmes évoquant des dragons, ainsi qu’à la démission d’un cadre, excédé par l’omniprésence de l’anthroposophie dans l’établissement. «Triodos est une banque anthroposophique moins orthodoxe que GLS en Allemagne ou La Nef en France, mais la pensée anthroposophique est indissociable de son management. Une dimension m’a semblé particulièrement perverse : celle de la “prédestination”. Si quelqu’un occupe un poste de dirigeant, c’est parce qu’il y serait prédestiné, ce qui signifie qu’il ne faut pas remettre en cause ses décisions. Triodos n’est pas une “banque de gauche”. La banque a fait de beaux bénéfices avec des business auxquels personne ne croyait jadis, comme l’énergie solaire ou la nourriture bio.»

    Se démarquer de la norme pour asseoir son crédit sans contester les structures, telle est aussi la pente suivie par l’anthroposophie dans le domaine de l’éducation. Inaugurée en 2015, l’école hors contrat Domaine du possible d’Arles a été construite en pleine nature. Elle propose trois séances de jardinage hebdomadaires, une cantine biologique, des cours d’équitation, ne note pas les élèves, ne leur donne pas de devoirs. Parmi les parents d’élèves capables de s’acquitter des frais de scolarité élevés — entre 4 200 et 6 200 euros annuels par enfant —, l’établissement scolaire compte un banquier de New York, un Prix Goncourt et une vedette du cinéma.

    Lors de la journée portes ouvertes, le 21 avril 2018, tandis qu’un orchestre joue du Rameau, des cavaliers franchissent des obstacles sous le regard émerveillé de leurs parents. Aux côtés de Praxède et Henri Dahan, les deux figures de la Société anthroposophique qui dirigent l’école, Mme Françoise Nyssen (devenue ministre de la culture en mai 2017) photographie le spectacle. Avec M. Jean-Paul Capitani, des éditions Actes Sud, Mme Nyssen est la fondatrice de l’établissement. «J’ai toujours été dans une espèce de rationalisme, et il a fallu un choc, un drame, pour que tout d’un coup le voile se déchire et que la spiritualité parvienne au centre de ma vie», a confié Mme Nyssen au journal Nouvelles de la Société anthroposophique en France (20).

    L’école est financièrement liée au Fonds de dotation Antoine Capitani, du nom du fils, mort en 2012, de Mme Nyssen et de M. Capitani. Un an après le drame, Mme Nyssen fait la connaissance de M. Bodo von Plato, alors membre du comité directeur de la Société anthroposophique universelle. «En France, déplore M. von Plato (21) dans son bureau du Goetheanum, l’anthroposophie est vue comme une secte. (…) Françoise Nyssen est heureusement une femme ouverte d’esprit. Nous sommes devenus amis. J’ai été très heureux lorsqu’elle a été nommée ministre de la culture. Je lui ai envoyé un sms pour lui dire : “Il faut peut-être qu’on interrompe notre contact maintenant.” Elle m’a aussitôt répondu un texto avec un petit cœur, qui disait : “Voyons, ne sois pas fou!”»

    La fierté de Mme Françoise Nyssen
    À l’intérieur des salles de classe du Domaine du possible, nous découvrons des ouvrages de pédagogie Steiner, des emplois du temps annonçant des leçons d’eurythmie, le magazine allemand des écoles Steiner, une armoire à pharmacie contenant des «médicaments anthroposophiques», des cahiers de dictées qui évoquent des mythes médiévaux et des dieux, en conformité avec la pédagogie Steiner. «Les profs disent qu’ici ce n’est pas une école Steiner, mais c’est 100% Steiner, confie une élève de seconde. Je suis en école Steiner depuis que j’ai 8 ans. Mes parents ont déménagé pour m’inscrire ici. Et, franchement, c’est le même délire. On fait exactement les mêmes choses que dans une école Steiner.» Pourquoi, dès lors, l’établissement n’est-il pas homologué Steiner-Waldorf? «Parce qu’en France il y a beaucoup trop de préjugés à l’égard du spiritualisme et contre Steiner en particulier», a répondu M. Capitani au journal de la section pédagogique du Goetheanum (22).

    Chaque année en décembre, dans toutes les écoles Steiner de la planète, les élèves participent à une cérémonie initiatique : la «spirale de l’Avent». Elle se déroule dans une grande salle entièrement plongée dans l’obscurité. Sur le sol, des branches de pin forment une spirale, au centre de laquelle brûle un grand cierge. Durant le rituel, les élèves les plus âgés remettent une bougie aux plus jeunes. Tandis qu’élèves et professeurs chantent religieusement dans le noir, et quelquefois en allemand dans des pays non germanophones, les enfants porteurs d’une chandelle, encerclés par la totalité des membres de l’école, progressent seuls à l’intérieur de la spirale. Parvenus au centre, ils doivent allumer leur cierge et accomplir le chemin du retour. «C’est extrêmement impressionnant lorsque vous êtes enfant et que vous découvrez cette atmosphère occultiste», confie une ancienne élève. «Cette liturgie symbolise le mouvement d’intériorisation de l’âme durant l’hiver, puis son redéploiement vers l’extériorité du monde, explique M. Perra. Aller au centre de soi-même, cela signifie trouver le Christ qui va naître à Noël.» En décembre 2017, sans que les parents d’élèves en aient été préalablement informés, ce rituel a été organisé au Domaine du possible. Sa fondatrice, la ministre de la culture, nous a affirmé, lors de la journée portes ouvertes, qu’il s’agit d’une école dont elle est «très fière». «C’est dans des écoles alternatives comme celle-ci que s’invente l’avenir», assure-t-elle.

    Jean-Baptiste Malet
     
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    Sur le même sujet :

    www.lesenrages.antifa-net.fr/au-secours-les-anthroposophes-sont-la/#comments
     
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  16. IOH
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    Le système Pierre Rabhi
    La panne des grandes espérances politiques remet au goût du jour une vieille idée : pour changer le monde, il suffirait de se changer soi-même et de renouer avec la nature des liens détruits par la modernité. Portée par des personnalités charismatiques, comme le paysan ardéchois Pierre Rabhi, cette «insurrection des consciences» qui appelle chacun à «faire sa part» connaît un succès grandissant.

    Dans le grand auditorium du palais des congrès de Montpellier, un homme se tient tapi en bordure de la scène tandis qu’un millier de spectateurs fixent l’écran. Portées par une bande-son inquiétante, les images se succèdent : embouteillages, épandages phytosanitaires, plage souillée, usine fumante, supermarché grouillant, ours blanc à l’agonie. «Allons-nous enfin ouvrir nos consciences?», interroge un carton. Le film terminé, la modératrice annonce l’intervenant que tout le monde attend : «Vous le connaissez tous... C’est un vrai paysan.»

    Les projecteurs révèlent les attributs du personnage : une barbichette, une chemise à carreaux, un pantalon de velours côtelé, des bretelles. «Je ne suis pas venu pour faire une conférence au sens classique du terme, explique Pierre Rabhi, vedette de la journée «Une espérance pour la santé de l’homme et de la Terre», organisée ce 17 juin 2018. Mais pour partager avec vous, à travers une vie qui est singulière et qui est la mienne, une expérience.»

    Des librairies aux salons bio, il est difficile d’échapper au doux regard de ce messager de la nature, auteur d’une trentaine d’ouvrages dont les ventes cumulées s’élèvent à 1,16 million d’exemplaires (1). Chaussé de sandales en toute saison, Rabhi offre l’image de l’ascète inspiré. «La source du problème est en nous. Si nous ne changeons pas notre être, la société ne peut pas changer», affirme le conférencier.

    Passé la soixantième minute, il narre le fabliau du colibri qui a fait son succès : lors d’un incendie de forêt, alors que les animaux terrifiés contemplent le désastre, impuissants, le petit colibri s’active, allant chercher quelques gouttes d’eau avec son bec pour conjurer les flammes. «Colibri, tu n’es pas fou? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu éteindras le feu!», lui dit le tatou. «Je le sais, mais je fais ma part», répond le volatile. Rabhi invite chacun à imiter le colibri et à «faire sa part».

    La salle se lève et salue le propos par une longue ovation. «Cela doit faire dix fois que je viens écouter Pierre Rabhi; il dit toujours la même chose, mais je ne m’en lasse pas», confie une spectatrice. «Heureusement qu’il est là!, ajoute sa voisine sans détacher les yeux de la scène. Avec Pierre, on n’est jamais déçu.» L’enthousiasme se répercute dans le hall adjacent, où, derrière leurs étals, des camelots vendent des machines «de redynamisation et restructuration de l’eau par vortex», des gélules «de protection et de réparation de l’ADN» (cures de trois à six mois) ou le dernier modèle d’une «machine médicale à ondes scalaires» commercialisée 8 000 euros.

    À Paris aussi, Rabhi ne laisse pas indifférent. Le premier ministre Édouard Philippe le cite lorsqu’il présente son «plan antigaspillage» (23 avril 2018). «Cet homme est arrivé comme une véritable lumière dans ma vie», affirme son ancienne éditrice, désormais ministre de la culture, Mme Françoise Nyssen (2). «Pierre a permis à ma conscience de s’épanouir et de se préciser. Il l’a instruite et il l’a nourrie. Quelque part, il a été son révélateur», ajoute M. Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique et solidaire (3).

    En se répétant presque mot pour mot d’une apparition à une autre, Rabhi cisèle depuis plus d’un demi-siècle le récit autobiographique qui tient lieu à la fois de produit de consommation de masse et de manifeste articulé autour d’un choix personnel effectué en 1960, celui d’un «retour à la terre» dans le respect des valeurs de simplicité, d’humilité, de sincérité et de vertu. Ses ouvrages centrés sur sa personne, ses centaines de discours et d’entretiens qui, tous, racontent sa vie ont abouti à ce résultat singulier : cet homme qui parle continuellement de lui-même incarne aux yeux de ses admirateurs et des journalistes la modestie et le sens des limites. Rues, parcs, centres sociaux, hameaux portent le nom de ce saint laïque, promu en 2017 chevalier de la Légion d’honneur. Dans les médias, l’auteur de Vers la sobriété heureuse (Actes Sud, 2010) jouit d’une popularité telle que France Inter peut transformer sa matinale en édition spéciale en direct de son domicile (13 mars 2014) et France 2 consacrer trente-cinq minutes, à l’heure du déjeuner, le 7 octobre 2017, à louanger ce «paysan, penseur, écrivain, philosophe et poète» qui «propose une révolution».

    Tradition, authenticité et spiritualité
    L’icône Rabhi tire sa popularité d’une figure mythique : celle du grand-père paysan, vieux sage enraciné dans sa communauté villageoise brisée par le capitalisme, mais dont le savoir ancestral s’avère irremplaçable quand se lève la tempête. Dans un contexte de catastrophes environnementales et d’incitations permanentes à la consommation, ses appels en faveur d’une économie frugale et ses critiques de l’agriculture productiviste font écho au sentiment collectif d’une modernité hors de contrôle. En réaction, l’inspirateur des «colibris» prône une «insurrection des consciences», une régénération spirituelle, l’harmonie avec la nature et le cosmos, un contre-modèle local d’agriculture biologique non mécanisée. Ces idées ruissellent dans les médias, charmés par ce «bon client», mais aussi à travers les activités du mouvement Colibris, fondé en 2006 par Rabhi et dirigé jusqu’en 2013 par le romancier et réalisateur Cyril Dion. Directeur de collection chez Actes Sud, fondateur en 2012 du magazine Kaizen, partenaire des Colibris, Dion a réalisé en 2015 avec l’actrice Mélanie Laurent le film Demain, qui met en scène le credo du mouvement et qui a attiré plus d’un million de spectateurs en salles.

    Le succès du personnage et de son discours reflète et révèle une tendance de fond des sociétés occidentales : désabusée par un capitalisme destructeur et sans âme, mais tout autant rétive à la modernité politique et au rationalisme qui structura le mouvement ouvrier au siècle passé, une partie de la population place ses espoirs dans une troisième voie faite de tradition, d’authenticité, de quête spirituelle et de rapport vrai à la nature.

    «Ma propre insurrection, qui date d’une quarantaine d’années, est politique, mais n’a jamais emprunté les chemins de la politique au sens conventionnel du terme, explique Rabhi sur un tract de sa campagne présidentielle de 2002. Mon premier objectif a été de mettre en conformité ma propre existence (impliquant ma famille) avec les valeurs écologistes et humanistes» — il n’obtint que 184 parrainages d’élu sur les 500 requis. Le visage caressé d’une lumière or, le candidat présenté comme un «expert international pour la sécurité alimentaire et la lutte contre la désertification» se tient parmi les blés. De l’Afrique du Nord aux Cévennes, en passant par le Burkina Faso, la trajectoire de Rabhi illustre les succès autant que les vicissitudes d’une écologie apolitique.

    Né le 29 mai 1938 à Kenadsa (région de Saoura), en Algérie, Rabah Rabhi perd sa mère vers l’âge de 4 ans et se retrouve dans une famille d’adoption, un couple de colons formé d’une institutrice et d’un ingénieur qui lui donne une éducation occidentale, bourgeoise, catholique. L’adolescent d’Oran adore «écouter La Flûte enchantée, Othello ou bien un soliste de renom» à l’opéra (4); il aime la littérature française et les costumes impeccablement coupés qui lui donnent l’allure d’une «gravure de mode». Fervent catholique, il adopte à 17 ans son nom de baptême, Pierre. «Je me sentais coupable non pas de renier la foi de mes ancêtres [l’islam], mais de ne point aller propager parmi eux celle du fils de Dieu.» Pendant la guerre d’Algérie, raconte-t-il, «me voici brandissant mon petit drapeau par la fenêtre de la voiture qui processionne dans la ville en donnant de l’avertisseur : “Al-gé-rie-fran-çai-se”».

    Il gagne Paris à la fin des années 1950 et travaille chez un constructeur de machines agricoles à Puteaux (Hauts-de-Seine) en tant que magasinier, précise-t-il lors de l’entretien qu’il nous accorde, et non en tant qu’ouvrier à la chaîne, comme on peut le lire dans Pierre Rabhi, l’enfant du désert (Plume de carotte, 2017), un ouvrage de littérature jeunesse vendu à plus de 21 000 exemplaires. C’est dans cette entreprise que le jeune homme rencontre en 1960 sa future épouse. La même année, il expédie une lettre qui changera sa vie. «Monsieur, écrit-il au docteur Pierre Richard, nous avons eu votre adresse par le père Dalmais, qui nous a appris que vous vous préoccupiez de la protection de la nature, que vous avez activement participé à la création du parc de la Vanoise, et que vous essayez d’obtenir la création de celui des Cévennes. Nous sommes sensibles à toutes ces questions et voudrions prendre une part active en retournant à cette nature que vous défendez.»

    Étudiant en médecine avant-guerre, Richard devient, en 1940, instructeur d’un chantier de la jeunesse près des mines de Villemagne (Gard), sur le mont Aigoual (5). Cette expérience hygiéniste, nationaliste et paramilitaire l’influence durablement. En décembre 1945, il soutient une thèse de médecine qui assume un «parti pris évident» : «La santé de l’homme est atteinte, et celle du paysan en particulier, et, par-delà, celle du pays, de la nation, écrit Richard — santé intégrale du corps, de l’esprit, des biens matériels, de l’âme (6). » Quatorze ans plus tard, en 1959, le docteur Richard joue son propre rôle de médecin de campagne dans un film de propagande ruraliste intitulé Nuit blanche, où il fustige l’urbanisation, l’État centralisateur, les boîtes de conserve et la politique de recrutement des entreprises publiques qui arrache les paysans à leurs «racines».

    Sur une photographie du mariage célébré en avril 1961, le docteur Richard offre son bras à la mariée, Michèle Rabhi, tandis que Pierre Rabhi donne le sien à l’épouse du médecin de campagne. «Pierre et Anne-Marie Richard sont les parents que le magicien nous a destinés», écrit Rabhi dans son autobiographie (7). «À mon arrivée en Ardèche, c’est lui qui m’a pris sous son aile. C’était mon initiateur», complète-t-il.

    «L’homme providentiel»
    Peu après, l’apprenti paysan rencontre l’écrivain ardéchois Gustave Thibon. Acclamé par Charles Maurras dans L’Action française en juin 1942 comme «le plus brillant, le plus neuf, le plus inattendu, le plus désiré et le plus cordialement salué de nos jeunes soleils», Thibon fut l’une des sources intellectuelles de l’idéologie ruraliste de Vichy. «Ce n’est pas mon père qui était pétainiste, c’est Pétain qui était thibonien», affirmera sa fille (8). Bien que ses thuriféraires n’omettent jamais de rappeler que Thibon hébergea la philosophe Simone Weil en 1941, ce monarchiste, catholique intransigeant, antigaulliste viscéral et, plus tard, défenseur de l’Algérie française fit régulièrement cause commune avec l’extrême droite.

    Entre le jeune néorural et le penseur conservateur se noue une relation qui durera jusqu’aux années 1990. «On voyait chez lui une grande polarisation terrestre et cosmique, relate le premier. (...) J’étais alors très heureux de rencontrer un tel philosophe chrétien et j’ai adhéré à ce qu’il disait (9). » Dans le paysage éditorial français, Thibon a précédé Rabhi en tant que figure tutélaire du paysan-écrivain «enraciné» poursuivant une quête spirituelle au contact de la nature (10). Dans le hameau de Saint-Marcel-d’Ardèche où vécut Thibon, Mme Françoise Chauvin, qui fut sa secrétaire, se souvient : «Pierre Rabhi doit beaucoup à Gustave Thibon. Quand il venait ici, son attitude était celle d’un disciple visitant son maître.»

    «J’ai fait 68 en 1958!», s’amuse, soixante ans plus tard, l’élève devenu maître, lorsqu’il évoque son «retour à la terre». Le paysage intellectuel des années 1960 et 1970 ne l’enchantait guère. Quand on lui cite l’œuvre du philosophe André Gorz, auteur des textes fondateurs Écologie et politique (1975) et Écologie et liberté (1977), il s’agace : «J’ai toujours détesté les philosophes existentialistes, nous dit-il. Dans les années 1960, il y en avait énormément, des gens qui ne pensaient qu’à partir des mécanismes sociaux, en évacuant le “pourquoi nous sommes sur Terre”. Mais moi, je sentais que la réalité n’était pas faite que de matière tangible et qu’il y avait autre chose.» L’homme ne s’en cache pas : «J’ai un contentieux très fort avec la modernité.»

    Sa vision du monde tranche avec la néoruralité libertaire de l’après-Mai. «Je considère comme dangereuse pour l’avenir de l’humanité la validation de la famille “homosexuelle”, alors que par définition cette relation est inféconde», explique-t-il dans le livre d’entretiens Pierre Rabhi, semeur d’espoirs (Actes Sud, 2013). Sur les rapports entre les hommes et les femmes, son opinion est celle-ci : «Il ne faudrait pas exalter l’égalité. Je plaide plutôt pour une complémentarité : que la femme soit la femme, que l’homme soit l’homme et que l’amour les réunisse (11). »

    En plus de ses fréquentations vichysso-ardéchoises, Rabhi compte parmi ses influences intellectuelles Rudolf Steiner (1861-1925), fondateur de la Société anthroposophique universelle (12). «Un jour, le docteur Richard est venu chez moi, triomphant, et il m’a mis entre les mains le livre Fécondité de la terre, de l’Allemand Ehrenfried Pfeiffer, un disciple de Steiner, raconte-t-il. J’ai adhéré aux idées de Steiner, ainsi qu’aux principes de l’anthroposophie, et notamment à la biodynamie. Lorsqu’il a fallu faire de l’agriculture, Rudolf Steiner proposait des choses très intéressantes. J’ai donc commandé des préparats biodynamiques en Suisse et commencé mes expérimentations agricoles.»

    À son arrivée en Ardèche, après une année de formation dans une maison familiale rurale, Rabhi fait des travaux de maçonnerie, travaille comme ouvrier agricole, écrit de la poésie, ébauche des romans, s’adonne à la sculpture. Sa découverte de l’agriculture biodynamique le stimule au point qu’il anime, à partir des années 1970, causeries et formations à ce sujet. Il se forge alors une conviction qui ne le quittera plus : la spiritualité et la prise en compte du divin sont indissociables d’un modèle agricole viable, lequel se place dès lors au centre de ses préoccupations. Une nouvelle fois, un courrier et la rencontre avec un personnage haut en couleur vont infléchir le cours de son histoire.

    Fondateur de la compagnie de vols charters Point Mulhouse, bien connue des baroudeurs des années 1970 et 1980, l’entrepreneur Maurice Freund inaugure en décembre 1983 un campement touristique à Gorom-Gorom, dans l’extrême nord du Burkina Faso. Grâce à cette «réplique du village traditionnel avec ses murs d’enceinte qui entourent les cours (13) », Freund compte faire de cette localité un lieu de «tourisme solidaire». Las! Quelques semaines plus tard, il découvre que le restaurant «traditionnel» sert du foie gras et du champagne car «des coopérants, mais aussi des ambassadeurs, viennent se détendre dans ce havre de paix».

    Au même moment arrive une lettre de Rabhi l’invitant à visiter sa demeure en Ardèche. Devant l’insistance de celui qu’il prend d’abord pour un quémandeur, Freund se rend à la ferme. «Avant même d’échanger une parole, en plongeant mon regard dans le sien, je comprends que Pierre Rabhi est l’homme providentiel», écrit Freund. «S’inspirant des travaux de l’anthroposophe Rudolf Steiner, Pierre Rabhi a mis au point une méthode d’engrais organiques (...) qu’il a adaptée aux conditions du Sahel. Il ramasse les branches, plumes d’oiseaux, excréments de chameau, tiges de mil... Il récupère ces détritus, en fait du compost, le met en terre», s’émerveille-t-il. Il place aussitôt Rabhi à la tête de Gorom-Gorom II, une annexe du campement hôtelier où l’autodidacte initie des paysans du Sahel au calendrier lunaire de la biodynamie.

    Le 6 mai 1986, la chaîne publique Antenne 2 diffuse le premier reportage télévisé consacré à Rabhi (14). «Il y a un vice fondamental, explique le Français à Gorom-Gorom, sur fond de musique psychédélique. On s’est toujours préoccupé d’une planification matérielle, mais on ne s’est jamais préoccupé fondamentalement de la promotion humaine. C’est la conscience, c’est la conscience qui réalise.» Images de paysans au travail, gros plans sur les costumes traditionnels, paysages sublimes : le reportage fait dans le lyrisme. «Je crois que le Nord et le Sud n’ont pas fini de se disputer ma personne», conclut Rabhi. Aucune précision technique sur les méthodes agronomiques n’est en revanche donnée.

    Quelques mois plus tard, fin 1986, l’association Point Mulhouse, fondée par Freund, demande à l’agronome René Dumont, bon connaisseur des questions agricoles de la région du Sahel (15), d’expertiser le centre dirigé par Rabhi. Le candidat écologiste à l’élection présidentielle de 1974 est épouvanté par ce qu’il découvre. S’il approuve la pratique du compost, il dénonce un manque de connaissances scientifiques et condamne l’approche d’ensemble : «Pierre Rabhi a présenté le compost comme une sorte de “potion magique” et jeté l’anathème sur les engrais chimiques, et même sur les fumiers et purins. Il enseignait encore que les vibrations des astres et les phases de la Lune jouaient un rôle essentiel en agriculture et propageait les thèses antiscientifiques de Steiner, tout en condamnant [Louis] Pasteur.»

    Pour Dumont, ces postulats ésotériques comportent une forme de mépris pour les paysans. «Comme, de surcroît, il avait adopté une attitude discutable à l’égard des Africains, nous avons été amenés à dire ce que nous en pensions, tant à la direction du Point Mulhouse qu’aux autorités du Burkina Faso» (16). Deux conceptions s’opposent ici, car Dumont ne dissocie pas combat internationaliste, écologie politique et application de la science agronomique. Rabhi s’en amuse aujourd’hui : «René Dumont est allé dire au président Thomas Sankara que j’étais un sorcier.» Dumont conseillera même d’interrompre au plus vite ces formations. En pure perte, car Rabhi bénéficie de l’appui de Freund, lui-même proche du président burkinabé. Mais l’assassinat de Sankara, le 15 octobre 1987, prive Freund de ses appuis politiques. Rabhi et lui quittent précipitamment le Burkina Faso.

    Cet épisode éclaire une facette importante d’un personnage parfois présenté comme un «expert international» des questions agricoles, préfacier du Manuel des jardins agroécologiques (Actes Sud, 2012), mais qui n’a jamais publié d’ouvrage d’agronomie ni d’article scientifique. Et pour cause. «Avec l’affirmation de la raison, nous sommes parvenus au règne de la rationalité des prétendues Lumières, qui ont instauré un nouvel obscurantisme, un obscurantisme moderne, accuse-t-il, assis dans la véranda de sa demeure de Lablachère, en Ardèche. Les Lumières, c’est l’évacuation de tout le passé, considéré comme obscurantiste. L’insurrection des consciences à laquelle j’invite, c’est contre ce paradigme global.»

    Rabhi ne se contente pas d’exalter la beauté de la nature comme le ferait un artiste dans son œuvre. Il mobilise la nature, le travail de la terre et l’évocation de la paysannerie comme les instruments d’une revanche contre la modernité. Cette bataille illustre bien le malentendu sur lequel prospèrent certains courants idéologiques qui dénoncent les «excès de la finance», la «marchandisation du vivant», l’opulence des puissants ou les ravages des technosciences, mais qui ne prônent comme solution qu’un retrait du monde, une ascèse intime, et se gardent de mettre en cause les structures de pouvoir.

    «Que nous soyons riche ou pauvre, affirme Rabhi, nous sommes totalement dépendants de la nature. La référence à la nature régule la vie. Elle est gardienne des cadences justes (17). » Dans Le Recours à la terre (Terre du ciel, 1995), il fait d’ailleurs l’éloge de la pauvreté, «le contraire de la misère»; il la présente dans les années 1990, lors de ses formations, comme une «valeur de bien-être». Quelques années plus tard, ce parti pris se muera sémantiquement en une exaltation de la «sobriété heureuse (18) », expression bien faite pour cacher un projet où même la protection sociale semble un luxe répréhensible : «Beaucoup de gens bénéficient du secourisme social, nous explique Rabhi. Mais, pour pouvoir secourir de plus en plus de gens, il faut produire des richesses. Va-t-on pouvoir l’assumer longtemps?» Pareille conception des rapports sociaux explique peut-être le fonctionnement des organisations inspirées ou fondées par le sobre barbichu, ainsi que son indulgence envers les entreprises multinationales et leurs patrons.

    Fondée en 1994 sous l’appellation Les Amis de Pierre Rabhi, l’association Terre et humanisme, dont un tiers du budget provient de dons tirés des produits financiers Agir du Crédit coopératif (plus de 450 000 euros par an), poursuit l’œuvre entamée par Rabhi au Burkina Faso en animant des formations au Mali, au Sénégal, au Togo, ainsi qu’en France, sur une parcelle d’un hectare cultivée en biodynamie, le Mas de Beaulieu, à Lablachère. Entre 2004 et 2016 s’y sont succédé 2 350 bénévoles, les «volonterres», qui travaillent plusieurs semaines en échange de repas et d’un hébergement sous la tente.

    Aux Amanins (La Roche-sur-Grane, Drôme), l’infrastructure d’agrotourisme née en 2003 de la rencontre entre Rabhi et l’entrepreneur Michel Valentin (disparu en 2012), lequel a consacré au projet 4,5 millions d’euros de sa fortune, s’étend sur cinquante-cinq hectares. Elle accueille des séminaires d’entreprise, des vacanciers, mais aussi des personnes désireuses de se former au maraîchage. La production de légumes repose sur deux salariés à temps partiel (vingt-huit heures hebdomadaires chacun) qu’épaule un escadron de volontaires du service civique ou de travailleurs bénévoles, les wwoofers (mot composé à partir de l’acronyme de World-Wide Opportunities on Organic Farms, «accueil dans des fermes biologiques du monde entier») : «En échange du gîte et du couvert, les wwoofers travaillent ici cinq heures par jour, explique la direction des Amanins. Nous ne payons pas de cotisations sociales, et c’est légal.»

    Son exercice de méditation terminé, l’un des quatre travailleurs bénévoles présents lors de notre visite gratifie son repas bio d’une parole de louange et confie : «En fait, on travaille plus que cinq heures par jour, mais le logement est très confortable. Être ici, ça ramène à l’essentiel.» Malgré la taille du site et la main-d’œuvre abondante, les Amanins déclarent ne pas atteindre l’autosuffisance alimentaire et achètent 20% de leurs légumes. «J’ai vu des gens partir en claquant la porte, en se plaignant d’être exploités, témoigne Mme Ariane Lespect, qui a travaillé bénévolement au Mas de Beaulieu, géré par Terre et humanisme, ainsi qu’aux Amanins. Mais je crois qu’ils n’ont pas compris le message de Pierre Rabhi. Sortir du système, retrouver un échange humain, c’est accepter de travailler pour autre chose qu’un salaire, et de donner.»

    Le prophète-paysan ne tire aucun profit monétaire de ces engagements bénévoles. Mais ces apprentis jardiniers sans grande expérience ni connaissances agronomiques qui bêchent le sol des «fermes Potemkine» donnent du «contre-modèle» Rabhi une image télégénique d’exploitation biologique économiquement viable — alors que ces fermes réalisent une part importante de leur chiffre d’affaires en facturant des formations.

    Le mouvement Colibris ne supervise aucune exploitation agricole. Toutefois, son actuel directeur, M. Mathieu Labonne, coordonne GreenFriends, le réseau européen des projets environnementaux de l’organisation Embracing the World (ETW), fondée par la gourou Mata Amritanandamayi, plus connue sous le nom d’Amma (19). Sa tâche consiste à développer des «écosites modèles» dans les ashrams français d’Amma : la Ferme du Plessis (Pontgouin, Eure-et-Loir) et Lou Paradou (Tourves, Var). Dans ses comptes annuels de 2017, l’association ETW France, sise à la Ferme du Plessis (six hectares), déclare avoir bénéficié de l’équivalent de 843 710 euros de travail bénévole (20), toutes activités confondues. Et l’association MAM, qui gère Lou Paradou (trois hectares), de 16 346 heures (21) de seva, «l’une des pratiques spirituelles qu’Amma nous conseille particulièrement, le travail désintéressé en conscience, appelé aussi méditation en action, explique le site Internet de l’ashram. Cuisine, travail au jardin, ménage, travaux, couture... les tâches sont variées». Les réseaux Amma et Colibris se croisent régulièrement, que ce soit lors des venues annuelles de la gourou en France, dans les fermes d’ETW, ou dans la presse des Colibris — Amma a fait la «une» du magazine Kaizen en mars 2015.

    L’enthousiasme des patrons colibris
    À partir de 2009, année marquée par la participation de Rabhi à l’université d’été du Mouvement des entreprises de France (Medef), le fondateur des Colibris rencontre des dirigeants de grandes entreprises, comme Veolia, HSBC, General Electric, Clarins, Yves Rocher ou Weleda, afin de les «sensibiliser». Les rapports d’activité de l’association Colibris évoquent à cette époque la création d’un «laboratoire des entrepreneurs Colibris» chargé «de mobiliser et de relier les entrepreneurs en recherche de sens et de cohérence». «On peut réunir un PDG, un associatif, une mère de famille, un agriculteur, un élu, un artiste, et ils s’organisent pour trouver des solutions qu’ils n’auraient jamais imaginées seuls», lit-on.

    Désireux de stimuler cette imagination, Rabhi a également reçu chez lui, ces dernières années, le milliardaire Jacques-Antoine Granjon, le directeur général du groupe Danone Emmanuel Faber, ainsi que M. Jean-Pierre Petit, plus haut dirigeant français de McDonald’s et membre de l’équipe de direction de la multinationale. «J’admire Pierre Rabhi (...), je vais à toutes ses conférences», clame M. Christopher Guérin, directeur général du fabricant de câbles Nexans Europe (26 000 salariés), qui se flatte dans le même souffle d’avoir «multiplié par trois la rentabilité opérationnelle des usines européennes en deux ans» (Le Figaro, 4 juin 2018). Rabhi a également déjeuné avec M. Emmanuel Macron durant sa campagne pour l’élection présidentielle. «Macron, le pauvre, il fait ce qu’il peut, mais ce n’est pas simple, nous déclare-t-il. Il est de bonne volonté, mais la complexité du système fait qu’il n’a pas les mains libres.»

    À force de persévérance, les consciences s’éveillent. Le 8 mai 2018, à Milan, dans le cadre du salon de l’agroalimentaire Seeds & Chips, M. Stéphane Coum, directeur des opérations de Carrefour Italie, disserte devant un parterre de journalistes et d’industriels. Trois mois à peine après que M. Alexandre Bompard, président-directeur général de Carrefour, a annoncé 2 milliards d’euros d’économie, la fermeture de 273 magasins et la suppression de 2 400 emplois, le dirigeant de la succursale italienne fait défiler une présentation. Soudain, une citation appelant à l’avènement d’un «humanisme planétaire» apparaît à l’écran, accompagnée d’un visage au sourire rassurant. «Il y a six ans, j’ai commencé à lire Pierre Rabhi, déclare ce patron colibri. Pour que nous parvenions au changement, il faut que chacun “fasse sa part”. Nombreux sont aujourd’hui ceux qui veulent changer le monde, et c’est aussi la volonté de Carrefour.» Réconcilier grande distribution et sollicitude environnementale, grandes fortunes et spiritualité ascétique : la sobriété heureuse est décidément une notion élastique.
    Jean-Baptiste Malet
     
  17. anarkia ou l'un de ses multicomptes
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    anarkia ou l'un de ses multicomptes Membre du forum Expulsé par vote Membre actif

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    L'extrême droite n'est pas en soi opposée à la rationalité, ce serait trop simple. Il n'y a pas de "lien naturel" entre pseudoscience et extrême droite, comme il n'y en a pas entre science et extrême droite. Il peut y avoir des compatibilités. On peut songer à Jean Bricmont, membre de l'AFIS et compagnon de route de l'extrême droite, à l'"alt right" et ses amis "libertariens rationalistes" aux Etats Unis, à Paul Eric Blanrue et la zététique ainsi qu'à Thomas C. Durand de La Tronche en Biais qui a récemment accepté un "débat" avec Charles Robin sur la chaine du royaliste TeddyBoy RSA et qui n'en est pas à son coup d'essai (Meta TV en 2016). Ne pas non plus oublier les statisticiens fascistes et les physiciens nazis historiques.
     
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  18. Anarchie 13
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    Anarchie 13   Comité auto-gestion Membre actif

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  19. libertaire, anarchiste, marxiste, individualiste, révolutionnaire, anti-fasciste
    perso je vois parfaitement la contradiction naturelle entre extrême-droite et science. Après que des scientifiques soient d'extrême-droite c'est autre chose.
     
  20. anarkia ou l'un de ses multicomptes
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    anarkia ou l'un de ses multicomptes Membre du forum Expulsé par vote Membre actif

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    La science a entre autre été financée et encouragée par le nazisme. Elle a aussi servi ses intérêts, comme elle a été financée et encouragée par d'autres régimes totalitaires. La méthode est utilisée par la recherche militaire actuelle qui sert des intérêts gouvernementaux, démocrates, fascistes, théocratiques... Pour moi la science est compatible avec n'importe quel camp politique donc je n'y vois pas de "contradiction naturelle" entre science et extrême droite. Et quand je parle de la science c'est de toutes les sciences, donc sciences sociales inclues.

    C'est mainstream de taper sur l'écologie et son application pratique et militante, l'écologisme. Discréditer la méthode de recherche, et la démarche politique en l'associant/réduisant à l'extrême droite aussi, surtout chez les climatosceptiques, les libertariens qui ont pourtant de nombreux points communs avec l'extrême droite, les "antigauche" que tu a cités dans ce topic.
     
  21. ninaa
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    ninaa Membre du forum Expulsé du forum

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  22. anarchiste, anarcho-féministe, individualiste
    Pourrais-tu avancer quelques éléments concrets ("scientifiques") pour démontrer cette hypothèse?

    D'autant que les sciences sociales reposent sur beaucoup plus de subjectivité et d'arbitraire que la physique et la chimie, par exemple...

    Je sais pas si on tape plus aujourd'hui qu'auparavant sur l'écologie et l'écologisme? J'ai toujours connu ces critiques de l'écologisme, y compris dans les milieux libertaires?
     
  23. anarkia ou l'un de ses multicomptes
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    anarkia ou l'un de ses multicomptes Membre du forum Expulsé par vote Membre actif

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    Oui je suis d'accord, mais même les "sciences dures" ne sont pas neutres. Elles tendent à l'objectivité mais objectivité et neutralité sont deux choses différentes.

    Je ne sais pas non plus si on tape plus qu'auparavant. Par mainstream je voulais dire dans les medias dominants, dans les courants de pensées rationnalistes. Dans les milieux libertaires en général plus sensibilisés à l'écologie, la critique semble minoritaire. Quand elle est critiquée c'est en reprenant une partie de l'argumentation des climatosceptiques, libéraux et libertariens. De même que la critique de la décroissance est inspirée du marxisme basé sur l'abbération du "socialisme scientifque" et sur un productivisme sans limite, faisant fi des questions démographiques qui vont pourtant s'imposer d'elle-mêmes avec le réchauffement climatique.

    Sur la "contradiction naturelle" cette enquête d'opinion montre qu'en France la majorité des chercheurs universitaires sont à gauche de l'échiqqier politique. Le commentateur en souligne quelques biais, limites importantes. Elle montre aussi qu'elle est compatible avec la droite.

    "La science" se dit "apolitique" et "amorale" mais c'est très discutable, les expériences sur les humains étant contraire aux lois de la bioéthique dans un contexte démocratique, mais pas celles sur d'autres animaux. Et puis il n'ya qu'une seule méthode en sciences... "La science" se croit aussi dégagée de tous ses présupposés idéologiques comme la science coloniale et raciste d'autres fois, or rien n'est plus faux et heureusement qu'il existe des chercheuses féministes ainsi que des "critical studies" pour démonter ses présupposés, biais sexistes et autres encore véhiculés à notre époque dans des publications à vocation scientifiques.
     
  24. Anarchie 13
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    Anarchie 13   Comité auto-gestion Membre actif

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  25. libertaire, anarchiste, marxiste, individualiste, révolutionnaire, anti-fasciste
    Pour la science y a pas de critère de valorisation objectif. Aucune hiérarchie, aucune échelle de valeur ne peut être justifiée scientifiquement. Et je vois pas comment l'extrême-droite pourrait se passer de hiérarchie.

    Même, vu que la science ne reconnait que les faits testés expérimentalement et qu'on n'a aucune preuve empirique de l'existence (objective) de valeurs, la science réfute carrément l'existence de la valeur.

    C'est différent d'utiliser la science pour réaliser des progrès techniques puis d'utiliser ces techniques dans un but politique que d'utiliser la science pour démontrer que ce buts politiques sont "justes" ou "bons".

    Qui prétend que les lois bioéthiques sont fondées scientifiquement ?

    Puis pour moi la science ce n'est pas l'académie ni les chercheurs. Utiliser les chercheurs ce n'est pas "utiliser la science" pour moi
     
  26. anarkia ou l'un de ses multicomptes
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    anarkia ou l'un de ses multicomptes Membre du forum Expulsé par vote Membre actif

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    La science militaire c'est pas un domaine de la science ? Tu crois que les progrès techniques dans ce domaine ne servent pas déja des intérêts politiques ?

    Les lois de la bioéthique reposent sur une éthique contre laquelle beaucoup de chercheurs ne s'opposent pas, à l'execption des plus scientistes et transhumanistes. Sur une éthique spéciste qui légitime le meurtre de millions d'animaux par an, sur une hiérarchie des espèces. Donc soit "la science" s'autoréfute quand elle dit réfuter la valeur et en pratique légitime la hiérarchie des espèces, soit ton affirmation est fausse.

    La science est utilisée par des chercheurs de gauche et de droite pour servir des buts bons et mauvais. La science n'est pas neutre.
     
  27. anarkia ou l'un de ses multicomptes
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    anarkia ou l'un de ses multicomptes Membre du forum Expulsé par vote Membre actif

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    "Chaque année, près de 1.77 million d'animaux sont tués à des fins expérimentales dans les laboratoires en France soit environ un animal toutes les 20 secondes." (planetoscope)

    Le massacre d'animaux pour des modèles pas très fiables, au nom de la connaissance, du Progrès. Imaginez si 1.77 million d'humains était tués chaque année en France pour les même raisons, si on les faisait naître pour les tuer quelques temps après dans des labos...

    La science c'est aussi ça : une des industries les plus meurtières qui existe.
     
  28. Ziggy-star
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    Ziggy-star Membre du forum Membre actif

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  29. plateformiste, internationaliste, auto-gestionnaire, révolutionnaire, gauchiste, veganarchiste
    La science c'est la connaissance par l'étude avec une démarche critique c'est à dire rigoureuse et définie
    Aucun fait scientifique n'a de valeur en soi. En revanche l'utilisation technique d'une connaissance c'est différent.
    Et le fait que des scientifiques tuent des animaux n'a pas de rapport avec la connaissance en elle même. Une connaissance c'est une connaissance, après se poser la question du cadre expérimental qu'il y aurait dans une société libertaire est évidente, mais la science ne disparaîtra pas.

    Ensuite sur l'opposition entre extrême droite et science, oui la plupart des théories de l'extrême droite sont refutables du point de vue scientifique en revanche la science n'ayant pas de valeur intrinsèque elle ne peut être utilisé systématiquement contre l'extrême droite. À mon sens l'usage voire l'instrumentalisation de la science lorsque ça n'a pas vraiment de pertinence est contre-productif dans l'argumentation.
     
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