Informatique De l'anarchisme au combat identitaire : l'internet comme média révolutionnaire ?

mAtth · 3 Novembre 2011

De l'anarchisme au combat identitaire : l'internet comme média révolutionnaire ?

Céline MATUSZAK - Université Charles de Gaulle- Lille 3

Depuis quelques années, on assiste à un large mouvement de multiplication des prises de parole autonomes et communautaires : différentes associations de chômeurs, des minorités culturelles, des Organisations non gouvernementales, ou encore des associations internationales ou syndicales. Ces expressions identitaires, comme les appelle Serge Proulx[1], sont pour la plupart en réaction face au processus de globalisation et peuvent faire émerger des modes nouveaux de résistance grâce notamment à l'internet, « réseau d'échange planétaire », devenu une « arme médiatique » incontournable pour ces mouvements.
S'intéresser aux mouvements en marge de la société permet de prendre le contre-pied de l'ensemble des études qui sont faites sur ces nouveaux mouvements sociaux que sont, pour n'en citer qu'un, Attac. Ce mouvement a, en effet, commencé à être « enrôlé » dans une logique médiatique traditionnelle[2]. Nous avons souhaité mettre ici en parallèle les mouvements révolutionnaires anarchistes et libertaires et mouvements identitaires ou encore réactionnaires, des mouvements qu'on pourra appeler extrémistes ou encore transgressifs[3] dans leur stratégie médiatique. Selon Tim Jordan, ces mouvements « viseraient des changements sociaux, destinés à redéfinir les structures sociales. Ils rejettent les institutions existantes, en envisageant parfois de nouvelles structures. » Ces organisations refusent le plus souvent de se cantonner aux règles connues du jeu politique traditionnel. Elles ont les mêmes difficultés à accéder à l'espace public, et ont une utilisation de l'internet qui se veut innovante et qui tiendrait un rôle de premier plan dans l'organisation.
En étudiant les dispositifs de communication offerts par l'internet, nous analyserons en profondeur l'identité de ces mouvements. À travers une analyse des thématiques communes à l'ensemble de ces organisations, nous tenterons de voir les différentes stratégies mises en oeuvre pour gagner en visibilité.

- Le rapport de l'internet militant à la communication politique. Pourquoi ces mouvements sont-ils intéressants ?

L'utilité de ce média a très vite été perçue et comprise par les organisations extrémistes de droite comme de gauche. Particulièrement méfiantes envers des médias généralement hostiles, ces organisations ont créé des outils informatifs riches et diversifiés. Le Front national, en tant que parti politique, a le premier créé un site internet en 1995. En produisant leur propre information, elles s'inscrivent dans une logique de contre-pouvoir visible. Mais sont-elles pour autant visibles dans l'espace public ? L'internet a permis à ces organisations, là où la loi, leur a souvent interdit de s'exprimer, une communication de leurs positions, un moyen de se rassembler et de militer.

- Champ de l'étude

- Les Identitaires, anciennement Unité Radicale, sont nés en 1998 au moment de la scission du Front national, Unité Radicale a fédéré les ultras de l'extrême droite. Ils s'organisent autour de groupes locaux, de sites internet et de bulletins. Unité Radicale est donc la fusion des Cercles Résistances, Nouvelle Résistance et du GUD. Unité Radicale a affiché « une ferme hostilité à la démocratie libérale, à la société marchande et à l'esprit bourgeois ainsi qu'une vive opposition à l'immigration accompagnées d'un rejet de l'américano-sionisme ». Selon les propos de Guillaume Luyt, le réseau militant d'Unité Radicale compterait 2000 personnes environ. Depuis le 19 septembre 2002, Unité Radicale a été dissoute, et le mouvement des Identitaires, ainsi que des Jeunesses Identitaires sont nés de cette dissolution. Après des « Assises Identitaires » début avril 2003, Unité Radicale devient le Bloc Identitaire réunissant l'ensemble de la mouvance identitaire.

- VOXnr est un mouvement nationaliste solidariste et révolutionnaire issu de Troisième voie. Troisième voie (TV) est la principale émanation du solidarisme, idéologie fortement présente dans le mouvement d'extrême droite. Celle-ci se définit comme « national-bolchévique ». Ce mouvement compte environ cent cinquante personnes et publie le bimestriel La Voix du Peuple. Ce mouvement entretient des relations avec l'ensemble des autres mouvements d'extrême droite des pays européens. Il dispose d'un site internet et d'une maison d'édition.

Ces deux mouvements caractérisent la principale mouvance extrémiste de droite à côté du Front National. Le courant anarchiste dispose, quant à lui, d'un plus vaste réseaux d'organisations indépendantes, nous n'en verrons que deux principalement :

- Née en 1944 au Congrès d'Agen, la Fédération Anarchiste est la plus ancienne des organisations anarchistes. C'est la plus importante organisation anarchiste du point de vue du nombre de ses militants, qu'on estime aux environ de 600 regroupés en 150 groupes autonomes et fédérés en France. Elle dispose d'une librairie « Monde Libertaire » à Paris. Nous verrons plus particulièrement le groupe de La Commune, groupe rennais qui dispose d'un site créé en mai 2001 sur un hébergeur qui implante ces actions sur le territoire rennais notamment à l'occasion des luttes sociales. Ce groupe édite un bulletin, disponible en ligne (le dernier remonte à janvier 2003) et dispose « d'un forum d'échanges militants-sympathisants » ouvert depuis mai 2001.
- Alternative Libertaire se situe dans la minorité de l'Organisation révolutionnaire anarchiste) qui en 1976 refuse sa transformation en Organisation Communiste Libertaire et fonde l'Union des travailleurs communistes libertaires. Proche des associations des « sans » et celles antiracistes, elle a tenté de se rapprocher de la tendance « Révolution ! » de la LCR. Les collectifs regroupent environ 200 militants dans une trentaine de villes. Ils disposent depuis leur début d'un mensuel « Alternative Libertaire », imprimé à 4000 exemplaires. Et de Débattre, une revue trimestrielle. Les nouvelles mobilisations de la rue notamment les combats pour les « sans », les contres-sommets altermondialistes ont pu compter dans leurs rangs un grand nombre d'anarchistes et de libertaires sans qu'ils revendiquent leur mouvement d'appartenance. Ils se sont aussi retrouvés dans les luttes en s'alliant contre le Front National. Ce sont ces combats qui ont permis de donner un nouvel éclairage à ces mouvements.
Notre analyse tiendra compte de la liste de discussion « Unité Libertaire » qui est l'aboutissement d'une initiative de rassemblement du mouvement anarchiste. Non modérée, elle a été créée en avril 2001 et le nombre de messages progressent constamment (de 84 en avril 2001 à 356 en avril 2003).
Ces mouvements développent leur site internet en fonction de leurs moyens humains et financiers, et de leur stratégie militante et politique.

- Des outils au service de l'idéologie

a- Réactivité, interactivité et intercréativité

La réactivité du site est la faculté qu'a le site de « coller » à l'actualité, de proposer aux internautes un contenu en phase avec les événements nationaux et internationaux ou les événements de l'organisation. Le degré d'interactivité correspond aux potentialités mises en ligne afin que l'internaute fasse partie intégrante du support médiatique. Le degré d'interactivité est quasiment identique dans les sites à vocation politique : on retrouve des éléments similaires : journal en ligne, des informations renouvelées, des tracts disponibles sur le réseau. Ces éléments établissent un lien, un rendez-vous avec l'internaute. Le forum de discussion, la lettre d'information envoyée à l'adresse mail des internautes sont des indicateurs de référence. L'interactivité à travers l'internet étant admis, il convient d'aller plus loin et d'analyser quelles sont les formes de participation de l'internaute à la constitution des pages web, à la création d'une communauté « militante ». Il s'agit ici de voir à quel degré « l'internaute-militant » prend place au sein du dispositif et devient un maillon essentiel du site internet et à un niveau supérieur de l'organisation.
L'intercréativité, première fois employée par D. Lecourt[4], suppose des moyens mis en oeuvre pour l'internaute afin qu'il réagisse. C'est cette dimension qui contribue essentiellement à questionner les bases et les contours de l'espace public numérique. Le principe qui fonde cette notion d'intercréativité est « si tu ne sais pas, demande et si tu sais, partage » (Joël de Rosnay). Si l'interactivité suppose à l'internaute de cliquer essentiellement sur un lien, cette interactivité n'est que technique. Seule la notion d'intercréativité recouvre la notion de contribution ou de modification d'un environnement par un individu.
Il est important de noter le décalage dans l'appropriation de l'outil entre les identitaires-nationalistes et les anarchistes. Ces mouvements ne sont pas perçus de la même manière par l'opinion publique. Notre imaginaire collectif évolue au fil des années et les images de ces mouvements « cachée ou inconnus » dépendent le plus souvent des représentations qu'en font les médias. Les militants d'extrême gauche étant bien plus souvent représentés et de manière beaucoup plus positive qu'en ce qui concerne l'extrême droite.

Cette dernière, même si elle a en partie cassé son image « fascisante » grâce à l'arrivée du FN dans les élections nationales, suscite toujours une certaine méfiance. Chez les identitaires, on craint de se déclarer extrémiste de droite ou encore de s'afficher « identitaire ».
« Certains milieux sont complètement phagocytés par la gauche. (...) Mon boss ? un syndicaliste de gauche. Mes collègues ? de gauche ou allogène, avec discrimination positive en prime. » Anonyme, 19/02/2003 sujet du forum des Identitaires : « Etre ou ne pas être ».

On revendique très peu son milieu politique d'appartenance, par peur des représailles « sociales » puisque la majorité des militants suspecte l'ensemble de la population d'être gauchiste. C'est encore une fois la théorie du complot, chère au FN que l'on retrouve dans les débats internes à ce genre de mouvements et cela depuis les années 1930. Les instances nationales des différentes organisations poussent les militants à la discrétion et à l'infiltration idéologique de la société. L'internet devient le moyen idéal pour discuter au sein de sa communauté, mais aussi au sein des mouvements « ennemis ».
Pour les anarchistes et libertaires, la situation est tout autre, ils ont depuis quelques années investi les nouveaux mouvements sociaux ou encore les syndicats. La posture du militant anarchiste est de s'affirmer, de revendiquer et de se mêler à la « planète militante ».
Parallèlement à ce constat de visibilité et d'affirmation ou non de leur identité politique, on voit une différence d'appropriation technique et politique du média chez les identitaires, nationalistes, révolutionnaires.

Les Identitaires et Voxnr ont très vite compris l'importance de l'envoi régulier d'informations et l'intérêt de la mise en place d'interfaces médiatiques performantes. Il existe une interface « forum » chez ces deux mouvements qui reçoivent quotidiennement une trentaine de messages pour les Identitaires et une quinzaine pour Voxnr. Certains messages sont lus jusqu'à 700 fois chez Voxnr, c'est dire l'audience importante de ces forums. Voxnr a, de plus, mis au point un processus de « weblog » qui permet à l'internaute de pouvoir soumettre ses articles. Il existe aussi une section du site ouverte pour les seuls abonnés, ce qui prouve une fois encore la volonté affirmée de structurer et de fidéliser les militants. Ces moyens sont les éléments d'une véritable stratégie d'intercréativité ; le militant devenant l'élément essentiel de la vie quotidienne du site. On trouve sur le site les outils techniques permettant la mise en place d'une véritable communauté de pensée et de réflexion.
À l'inverse le site de la Fédération Anarchiste se profile plus comme un site « vitrine » ou un « site relais »[5] qui fait le lien avec les groupes locaux autogérés. À l'image du fonctionnement de l'anarchisme, c'est à dire qu'il n'existe pas de centralisme, les sites des groupes sont complètement libres d'utiliser ou non l'internet.Ces derniers disposent de l'ensemble de l'arsenal pour militer et contribuer à créer un espace d'échange alternatlf au sein de l'espace digital. Le groupe la Commune dispose d'un site mis à jour de manière régulière, notamment en mettant en ligne les communiquées de presse de la Fédération Anarchiste et un forum depuis mai 2001, qui malheureusement ne bénéficie que de très peu d'échanges. Ces moyens mis en oeuvre ne rentrent que dans une logique interactive.

L'absence de forum sur les sites de la Fédération Anarchiste et d'Alternative Libertaire est expliquée par des militants. Pour la Fédération Anarchiste, c'est le temps et le manque de compétences des militants qui ne permet pas d'avoir un forum.
« Nous avons une liste de diffusion externe en direction des gens qui souhaitent avoir des infos. Pas de forum, effectivement, le webmestre pourra peut-être dire pourquoi... Pour ma part je pense que les militants n'ont guère le temps ou le goût de batifoler sur les forums, car le niveau des échanges y est généralement assez faible. C'est en tout cas l'impression que je retire de certains forums où j'ai pu aller (du RASH à LO) et personnellement ça ne me dérange pas qu'AL n'ait pas de forum. » Guillaume Davranche, militant chez Alternative Libertaire, mail du 21/05/2003.

L'explication de cette absence de forum s'explique aussi par la forte présence du réseau Samizdat, qui devient le pilier de l'information libertaire depuis quelques années. La diversité et le nombre de listes de diffusions touchent l'ensemble des sujets et sont fortement investies par l'ensemble des militants libertaires.

On voit que l'investissement politique et social de la technique est lié aux difficultés d'existence dans l'espace public. Moins le mouvement est présent sur la scène publique, plus il développera des moyens de communication performants et tendra vers de l'intercréativité. Comme pour les mouvements identitaires ou révolutionnaires solidaristes, le fait de vivre plus ou moins caché développe une communauté fortement implantée sur l'internet et tournée vers des interfaces intégrant l'internaute. De plus l'écrit semble ne pas avoir la même place au sein de ces organisations. Les bulletins d'extrême droite restent difficiles à acheter quand on ne fait pas partie d'un réseau, contrairement à l'anarchisme et notamment la Fédération Anarchiste, qui dispose d'une radio « radio Libertaire » et d'un journal « Le Monde Libertaire ».

Les stratégies militantes via l'internet diffèreraient donc selon l'intégration du mouvement à l'espace public. L'interactivité est largement développée chez ces mouvements, reste que l'intercréativité n'est pas utilisée de la même manière selon le potentiel militant et leurs connaissances du réseau. L'internet reste notamment pour les mouvements anarchistes un prolongement de leurs actions et un moyen de se faire connaître, quant à la mouvance d'extrême droite, l'internet devient un véritable outil de militantisme, de réflexion.
L'analyse des dispositifs techniques ne peut être complète sans une analyse des discours produits qui nous permettent de comprendre les discours sur les logiques médiatiques, idéologiques et militantes et affiner ainsi notre connaissance du fonctionnement de l'organisation et son identité.

b- Les pages de liens : démonstration d'une vision internationaliste de l'action politique ?

La consultation d'un site se borne le plus souvent à ce qu'on a communément appelé « le surf ». Les internautes ne consultent bien souvent pas l'ensemble des pages du site. L'intérêt est donc de supposer que dans les différents parcours deux pages sont visitées, l'accueil et les pages de liens qui jouent des rôles de pivots, « les premières comme porte d'entrée, les secondes comme portes de sortie[6]. » Les pages de liens sont donc utiles pour établir la carte d'identité du mouvement, ainsi que son positionnement idéologique.
Les liens sont révélateurs de la conception de l'outil « site » dans une stratégie de communication du mouvement. Les stratégies peuvent être extrêmement variées, une cohérence propre au site peut se dégager et valorise le plus souvent trois dimensions répertoriées :
- une dimension interne comme le renvoi aux groupes locaux de même milieu idéologique,
- le milieu partisan, que peuvent être les différentes associations se regroupant autour du mouvement
- et la dimension internationale qui fait le lien entre les organisations de même milieu idéologique au niveau européen ou mondial.

Les liens qui s'établissent entre les sites d'un même courant ou plus rarement entre milieux idéologiques différents sont des indicateurs de la stratégie de l'organisation et de son histoire. La création d'un lien est bien un acte volontaire, une intention de voir l'internaute qui visite le site consulter cet autre site. Cependant, un lien hypertextuel peut aussi exister sans pour autant définir une dépendance intellectuelle entre deux sites, c'est le cas avec le site des Identitaires qui présentent un nombre important de liens vers des organisations antifascistes, ou encore des organisations non gouvernementales défendant les droits de l'Homme.
De plus ce processus est un processus dynamique, les liens sont changeants et ces liens peuvent disparaître d'un jour à l'autre. « Plus c'est universel, moins c'est totalisable. Chaque connexion supplémentaire ajuste encore de l'hétérogène, de nouvelles sources d'informations, de nouvelles lignes de fuites, si bien que le sens global est de moins en moins lisible, de plus en plus difficile à circonscrire, à clore, à maîtriser. » nous dit Pierre Lévy à propos de l'extension du cyberespace dont les pages de liens en sont l'exemple le plus illustrant. On peu se demander si l'ensemble de ces repères, environ deux cent pour Voxnr, la même chose pour les Identitaires et une centaine pour Alternative Libertaire et la fédération Anarchiste ne brouille pas les pistes de l'internaute. Comment peut-on se repérer dans un nombre de liens aussi importants. Si on présume que l'internaute ne navigue que très peu sur ces liens, à quoi servent-ils ?

Ces stratégies différenciées varient selon l'idéologie des organisations. On peut affirmer que les sites d'extrême droite proposent des liens vers les organisations d'extrême gauche, alors que l'inverse n'est pas vrai. Nous pensons qu'il existe une volonté chez ces mouvements de désigner et de mieux connaître un « ennemi » en s'informant de ses idées. De l'autre, l'absence de repères vers ces sites d'extrême droite a pour effet de ne pas prendre en considération leurs discours.
« Discuter avec des racistes, Ah Ah Autant demander à une poubelle de choisir sa voie. Pas de discussion avec les fafs,Tant qu'ils exprimeront des idées racistes, ils devraient être privées de liberté d'expression. » pib e65 [email protected], le 11 juin 2003 sur la liste de diffusion d'Unité Libertaire.

Dans l'ensemble de ces mouvements, les liens vers l'international et les structures proches idéologiquement sont les plus courants. Pourquoi afficher de cette manière l'internationale, il y a-il réellement des contacts et un travail à l'international ?

Le site nationaliste, révolutionnaire et solidariste (Voxnr) est le seul site qui introduit cette page de liens en s'adressant directement à l'internaute sur l'intérêt de ce « répertoire des radicalités" : « Ce Répertoire des radicalités vous est offert par voxnr.com pour vous permettre de bénéficier au mieux de l'instrument qu'est le web et de saisir la réalité mondiale des radicalités. » Voxnr est donc un mouvement utilisant au maximum les potentialités de l'internet en vue d'un objectif de formation de ses militants.
Les nombreux liens sont de nature extrêmement variés pour Les Identitaires. Ils s'expliquent par une volonté de connaître les adversaires et leurs discours, mais aussi de pouvoir infiltrer les forums et les listes de diffusion des grands médias ou d'organisations politiques, qui sont référencés sur ces pages. L'appellation de ces pages diffèrent d'ailleurs, elles sont appelées « liens » pour les organisations anarchistes et « répertoire » et « annuaire » pour respectivement Voxnr et les Identitaires, se tournant ainsi déjà dans une présentation plurielle d'organisations sans « lien » avec leur structure.

De l'autre, les anarchistes ou libertaires ont développé des pages de liens qui se tournent pour une grande part sur l'organisation et les ramifications qu'elle peut avoir avec les associations, mouvements culturels et organisations politiques proches de son idéologie. Le but affiché, notamment par Alternative Libertaire est de développer le réseau mondial auquel l'organisation participe « Solidarité Internationale Libertaire », qui prépare à une révolution internationale, seul moyen de renverser le capitalisme. De la même manière, Voxnr a tourné l'ensemble de la structure de son « répertoire » sur les sites étrangers proche de son idéologie en présentant les cinq continents valorisant ainsi leur attachement à la préservation de l'identité européenne et à l'interdiction de l'immigration entre continents.

La présentation à l'internaute lambda et à l'internaute militant des pages de liens complexes, donnent à voir une volonté affirmée de pédagogie et de propagande par ces mouvements : pour les uns, une volonté affichée de connaître les théories du camp opposé, pour les autres, notamment les anarchistes ou encore Voxnr, c'est une volonté de formation et de connaissance. On peut se dire que l'internaute anarchiste n'ira pas consulter les sites anarchistes japonais ou russes, mais leur simple présence lui rappelle le maillage international de la lutte pour laquelle il milite. Ces pages font sens dans l'organisation d'un site, mais elle font d'autant plus écho à la stratégie révolutionnaire de ces mouvements dans un environnement tourné vers l'international.

- Construction discursive de la figure de « l'ennemi » dans les forums et listes de discussion « révolutionnaires ».

La production de discours prend une place importante au sein des forums et des listes de discussion. Elle va nous permettre « un arrêt sur les formes du discours et la considération de leurs effets » comme nous le rappelle Simone Bonnafous. Le rôle du forum est de rassembler des internautes éparpillés géographiquement, mais aussi de donner une cohésion au groupe par la parole « électronique ».
Compte-tenu du faible nombre de militants, les forums de ces sites sont particulièrement importants du point de vue du nombre de messages diffusés, contrairement au site de la Commune (Fédération Anarchiste) qui n'admet que très peu d'interventions. Nous mettrons en parallèle ces deux forums d'extrême droite avec la liste de diffusion d'Unité Libertaire. Cette liste bénéficie contrairement au forum de La Commune d'une trentaine de messages par jour et répond à quelques règles du débat démocratique en ligne : un accès libre, ainsi qu'une régularité des messages (au moins deux messages qui ont deux émetteurs différents par jour).
Ces nouvelles formes de discours sont difficiles d'approche quant à une analyse rigoureuse et appropriée pour ces genres en mutation constante, il convenait donc de travailler sur les registres de discours à travers trois thèmes qui représentent une tendance globale de la production discursive sur ces forums et listes de discussion. Ces thèmes nous permettront d'appréhender les phénomènes de brouillage sur l'internet ainsi que l'approche du média « internet » dans une perspective révolutionnaire.

- L'Autre : le « facho », le « gauchiste », « l'allogène »

On a pu remarquer qu'une grande partie des discours produits dans les forums ou dans les listes de diffusion mettaient en scène un autre, une tiers personne menaçante : « l'ennemi » ou l'adversaire qu'il faut, soit éviter, c'est le cas dans les manifestations, à qui il faut faire peur, qu'il faut combattre sur le terrain de l'idéologie ou encore dans la rue. Parfois, l'adversaire peut ne pas être identifiable d'un mouvement à l'autre, d'un camp à l'autre, ce qu'a déjà constaté François Rastier dans une étude sur les genres entre sites racistes et sites antiracistes. Les différents genres de discours et leurs références explicites à leurs appartenance politique sont, à l'entrée dans le site, masqués ou alors tempérés, plus on intègre le site, notamment au niveau des forums, plus le discours devient clair et « dur ». On pense évidemment à un moyen pour l'organisation de faire visiter un plus grand nombre de pages pour l'internaute. En outre, l'identité n'est pas assumée, l'anonymat et l'utilisation de pseudonymes apportent ainsi une vraie liberté pour les différents contributeurs, liberté qui n'est aucunement garantie dans l'espace public traditionnel. Il existe face à ce processus une véritable déresponsabilisation individuelle et pénale de ce qui est dit et écrit. On peut lire des propos qui peuvent être punis par la loi : haine raciale, injures... Pourtant ces forums sont modérés et les mises en garde pendant les interventions sont nombreuses. À l'inverse, on ne retrouve pas de modérateurs pour les anarchistes notamment pour la liste de diffusion Unité Libertaire.
Néanmoins, on se trouve devant un brouillage des clivages, même si l'ennemi est nommé en tant que « gauchistes » ou « fachos », ces appellations n'arrivent qu'une fois l'internaute entré véritablement dans le site. Puis une fois à l'intérieur du forum, les pistes se brouillent à nouveau pour retrouver des thèmes chers aux deux camps : même rejet du capitalisme et du libéralisme, haine des USA, même discours sur l'appel à la révolution...Le danger est ici pour l'internaute lambda de se retrouver face à des sites qui cultivent cette ambiguïté. Pour Voxnr, ce mouvement fait appel aux théoriciens des luttes de libération nationale (Che Guevara), aux situationnismes ou à différents courants de l'extrême gauche européenne. Et pour les Anarchistes, on retrouve des discours antisionistes. Comment l'internaute peut se situer alors dans ces réflexions politiques et ses références complexes ?

Il convient d'analyser dans ces discours l'investissement créatif des contributeurs. L'implicite permet de contourner dans un premier temps les lois et de créer une connivence avec les internautes, pour notamment élargir un auditoire. L'utilisation de l'implicite permet de ne pas exposer clairement les thèses soutenues, ni donc d'attendre une contre-argumentation. Les contraintes posées par la loi expliquent qu'on ne retrouvera que très peu d'attaques racistes directes, elles seront toutes masquées. « L' allogène[7] » est à chaque fois employé pour parler des étrangers ou encore des immigrés. Ce terme est souvent associé aux gauchistes, aux médias ou encore aux politiques, tous coupables, selon les mouvements d'extrême droite, de nuire au peuple français :
« Le féminisme a été propagé par une tribu de nuisibles allogènes à dessein via leur contrôle des médias. » Chamkrol, forum Identitaire, sujet : « Et les femmes ? », 6/03/2003.
Chez les anarchistes, les ennemis, premiers ciblés, sont les partis de gauche et le gouvernement actuel. On garde le vocabulaire utilisé contre le Front national et on l'utilise par esprit de connivence avec les internautes. L'internaute-militant va même jusqu'à reprendre des références historiques au nazisme pour interpeller ses interlocuteurs :
« La bête immonde sort de son cloaque. Rafarin, Sarkozy, Madelin, Juppé, Blanc et autres UMP sont les avancées démocratiques du fascisme... (...) Le profil de la terreur est déjà programmé...il n'y a qu'à voir sur certaines listes certains ripoux, amoureux de Franco, redressant la tête avec ferveur et arrogance. (...) Nous zavons les moyens de vous faire parler= = Haines de classes de l'étranger = = des juifs, des arabes = Haine du peuple = Heil !! (...) » Nelpal, Liste de diffusion d'Unité Libertaire, « Ils sont verdammt ces belges !», 10/06/2003

Beaucoup d'échanges dans les forums tournent autour de « la manipulation médiatique ».

- Les Médias :
Inscrits dans une double logique de séduction vis-à-vis des médias traditionnels et dans une sorte de répulsion quasi naturelle, ces mouvements transgressifs adoptent un double jeu. On leur reproche aussi de favoriser une pensée politique unique. Pour les Identitaires et les Anarchistes, les médias sont au service du pouvoir politique :

Les médias sont donc responsables de l'ensemble des maux de la société, responsables aussi « d'une dictature de la pensée ». On retrouve les discours sur la mainmise de la Franc-Maçonnerie, de l'idéologie marxiste et du monde économique sur les médias. C'est aussi le discours bien connu du « tous pourris » qui ne nécessite que peu d'arguments. On découvre comme nous l'a montré Alice Krieg[8], un procédé qui consiste à retravailler des noms ou des patronymes pour créer une connivence avec l'internaute. Le Monde devient « l'Immonde » chez les Identitaires. Les médias se transforment en Parti de la Presse et de l'Argent (PPA) pour les anarchistes.
En outre, l'ensemble de ces mouvements transgressifs attendent des médias traditionnels une couverture utopique de leurs actions. Ils soulèvent la moindre référence à une pancarte perdue dans une manifestation retransmise à la télévision et à la possible visibilité de leur adresse internet. Seule la fermeture du site d'Unité radicale a suscité un intérêt des grands médias. On se rend compte que l'interdiction d'un site profite au mouvement interdit : les débats dans la presse et à la télévision suscitent bien plus d'intérêt par la population qu'un site internet très complet. C'est à travers ces événements que certains ont pour la première fois eu connaissance de cette organisation.

Ces critiques s'accompagnent d'un discours révolutionnaire, qui prend place dans un univers de rupture et d'appel à la lutte.

- Un discours révolutionnaire tourné vers l'action révolutionnaire ?

Le discours révolutionnaire vise les représentations de l'Etat et ceux de la démocratie, comme les médias. Il prend place au sein des pages internet, comme les éditos ou les pages d'informations, mais il est surtout mobilisé au sein des pages de discussion. Il se caractérise par une incitation à l'action de rupture et au combat comme répétition générale du « Grand Soir ». L'ensemble de ces mouvements sont attisés par une rupture du système. Ils se retrouvent dans une volonté commune qui est de contrer les partis politiques traditionnels et notamment le Front National pour les Identitaires qui se plaignent « d'abus souverainistes » ou encore « du mépris de Le Pen pour les vrais militants »[9]. Ils cherchent à se radicaliser pour trouver une légitimité à côté du choix républicain traditionnel.
« Il est certain qu'il faut prendre ses distances avec les partis politiciens réacs et proposer autre chose, quelque chose de vraiment révolutionnaire. » Thorr 80, Forum Identitaire, sujet : « Marine ne nous aime po...Booooo !!! » le 31/03/2003.

L'internet est techniquement accessible à toutes les tendances et opinions politiques, son investissement donne à voir une richesse des opinions politiques qui peuvent aussi prendre place dans un débat et être discutées. Nous voyons ainsi se créer un nouvel espace qui viserait à faire communiquer les internautes militants au sein d'une communauté et de favoriser l'émergence d'un discours de rupture au sein de l'espace public. Ils s'inscrivent dans une vision internationaliste favorisée par les potentialités de l'internet. Cette dimension sert à légitimer le mouvement et à donner une plus grande ampleur à l'idéologie défendue.

L'internet, un média révolutionnaire ?

Les potentialités de l'internet sont beaucoup moins développées par les anarchistes que les mouvements d'extrême droite. Pour ces derniers, il existe un effort supplémentaire à faire pour exister au sein de l'espace public. Les anarchistes, souvent militants associatifs participent aux luttes sociales et souffrent beaucoup moins de ce manque de visibilité.
En communiquant sur l'internet, ces mouvements changent-ils de stratégie de positionnement et d'action ? Les anarchistes lancent une tentative d'unification en mettant à profit les potentialités du média afin « d'éveiller les consciences » vers la révolution. Le site solidariste, quant à lui, a le projet de créer un réseau. Il n'a jamais eu l'ambition d'être un mouvement de masse, mais s'attribue un rôle de guide et veut devenir une force de proposition « révolutionnaire ». Le média devient l'outil parfait de la réflexion interne sur la définition de son idéologie et de ses actions. Les sites internet des Identitaires et de Voxnr, très riches, sont perçus comme des outils de mise en réseau qui doivent conduire à une infiltration idéologique de la société.
L'internet leur permettent-ils de gagner en respectabilité ? La parole, longtemps limitée, devient ici publique. Les internautes peuvent y avoir accès. Le droit oblige à jouer en permanence avec les mots et la formulation des idées. L'internet, loin de n'être qu'un outil d'information, devient ici une arme militante. Les combats internationalistes menés par ces organisations prennent notamment une dimension structurante dans leur identité, en légitimant une action qu'on pressent de grande ampleur : Les nombreux liens tissés en Europe en est une preuve et l'internet, le moyen. Ce média devient un soutien technique au service d'une idéologie. Mais est-il pour autant un média de la révolution ? En fait, c'est un moyen d'accéder aux prémices de la révolution chacun à son niveau. Si l'internet peut être considéré comme un outil de la révolution, il faut voir quels sont les moyens législatifs et judiciaires qui sont mis en oeuvre par l'Etat pour éviter l'atteinte à l'ordre public. Pour l'instant à part les sites et les forums s'affichant racistes, il y a une grande tolérance. S'il existe un véritable trouble pour l'ordre public, l'Etat devrait mettre tous les moyens pour limiter les pouvoirs de l'internet ainsi que les droits de ces mouvements à exister sur l'internet. Le risque majeur est comme le souligne Viviane Serfaty[10], « à donner trop de visibilité aux discours extrêmes, ces derniers peuvent y gagner en légitimité. » La modération des discours d'extrême droite, leur appropriation « parfaite » de l'outil font de cette mouvance une illustration réussie d'une stratégie de communication électronique visant à intégrer sur le long terme l'espace public.

La présence de ces mouvements dans le cadre de sites internet ou de forums prend place dans une extension de l'espace public traditionnel. L'internet devient un lieu offert pour « participer à la construction de l'espace public en se réappropriant de grands thèmes sur un mode conflictuel » nous dit Viviane Serfaty. Le forum, ainsi que le site internet dans son ensemble restent des portes d'entrées intéressantes pour ces mouvements qui sont par nature fermés et très méfiants. Ces clés d'analyse n'en sont encore qu'à leur début. Elles se verront approfondir par une enquête directe de leur stratégie médiatique. Leur coopération tient au fait peut-être d'une volonté de transparence et d'un effort de communication sur leurs pratiques militantes et bien sûr un coup de projecteur particulier sur leur idéologie.

[1]PROULX Serge, 2003, « Mondialisation et mouvements d'affirmation identitaire : expressions possibles de la société civile internationale » dans L'internet, nouvel espace citoyen ?, L'Harmattan, Logique sociales.
[2]Voir les écrits de Serge HALIMI et Pierre RIMBERT, « La récupération de la contestation par les médias », Revenir aux luttes, Editions Agone n° 26/27, 2002
[3] appellation de JORDAN Tim, 2003, S'engager ! Les nouveaux militants, activistes, agitateurs..., Editions Autrement Frontières Paris.
[4]« Le savoir en cybérie », dans le Monde de l'Education, avril 1997 et repris par Joël de Rosnay dans ses différentes publications.
[5]Il n'y a pas eu d'évolution depuis février 2002.
[6]HABERT Benoît et LICOPPE Christian, 2003, « Décrire la toile pour mieux comprendre les parcours. Sites personnels et sites marchands », Réseaux n°116.

[7] « Se dit d'une population d'arrivée récente dans un lieu, un pays » définition du Petit Larousse ; 2003.
[8] KRIEG Alice (1998), « vacance Argumentative : l'usage de (sic) dans la presse d'extrême droite contemporaine. MOTS/Les langages du politique ; n°58. Mars 1999. Argumentations d'extrême droite.
[9]Forum Identitaire, messages du 4 au 7/02/2002 sujet : « Propose de G. Luyt »
[10]SERFATY Viviane, 2002, « Les groupes de discussion sur Internet entre constructions imaginaires et pratiques : un exemple aux Etats-Unis. » dans L'Internet en politique des Etats-Unis à l'Europe (sous la direction de Viviane Serfaty) Strasbourg : Presses Universitaires de Strasbourg.

Cliquez pour agrandir...

http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/docs/00/06/22/41/HTML/index.html

ça laisse tout de même à réfléchir.

herope · 4 Novembre 2011

Pas sérieux

Dans la description des orgas Anarchistes chiffres fantaisistes oublis ou non
d'autres orgas CGA, OCL, OSL... pour les plus importantes !! qui possédent tous leurs sites internets.
D'autre part ils existent des forums anarchistes indépendants !!
Sans compter toute la mouvance autonome !!!!

Actualité

Se connecter ou s'inscrire

Informatique De l'anarchisme au combat identitaire : l'internet comme média révolutionnaire ?

mAtth Connard désabusé. Membre actif

herope Membre du forum Membre actif

Vidéo - Ce jour-là dans l'histoire de l'anarchisme (by SubMedia)

La propagande 2.0 de l'anarchisme ?!

Un article sympa sur l'anarchisme sur paris lutte info.

L'anarchisme face au féminisme : Comparaison France-Québec

Cinq émissions de radio sur l'anarchisme

Michael Schmidt: Cartographie de l'anarchisme révolutionnaire

Ma "définition" de l'Anarchisme

Coordination des Groupes Anarchistes Histoire et actualité de l'anarchisme au Brésil

Informatique De l'anarchisme au combat identitaire : l'internet comme média révolutionnaire ?

mAtth Connard désabusé. Membre actif

herope Membre du forum Membre actif

Recherches utiles